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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

parfois de longs temps sans prononcer une parole. Je la<br />

regardais; elle baissait la tête, et, songeuse, jouait avec les effilés<br />

de sa robe, ou les dentelles de son corsage. Souvent, mes yeux<br />

s’emplissaient de larmes sans que je susse pourquoi : des larmes<br />

très douces, qui coulaient sur moi comme un parfum, m’inondaient<br />

l’âme d’une liqueur magique. Et j’éprouvais dans tout<br />

mon être une sensation de plénitude et de délicieux engourdissement.<br />

— Ah! Juliette! Juliette!<br />

— Voyons, mon ami, voyons, soyez sage!<br />

C’étaient les seuls mots d’amour qui nous échappassent…<br />

À quelque temps de là, Juliette donnait un grand dîner pour<br />

célébrer la fête de Charles. Pendant toute la soirée, elle se<br />

montra nerveuse, agacée. À Charles, qui lui adressa une observation<br />

timide, elle répondit <strong>du</strong>rement, d’un ton bref que je ne lui<br />

connaissais pas. Il était deux heures <strong>du</strong> matin, quand tout le<br />

monde prit congé. J’étais demeuré seul, dans le salon. Près de la<br />

porte, Malterre me tournait le dos, causant avec Jesselin qui passait<br />

sa pelisse dans l’antichambre. Et je vis Juliette, accoudée au<br />

piano, qui me regardait fixement. Un éclair de passion farouche<br />

traversait ses yeux devenus graves tout à coup, presque terribles,<br />

les barrait comme d’une flamme nouvelle. <strong>Le</strong> pli de son front<br />

s’accentuait, sa narine battante et gonflée frémissait; je ne sais<br />

quoi d’impudique errait sur ses lèvres. Je m’élançai. Et mes<br />

genoux cherchant ses genoux, mon ventre se collant à son ventre,<br />

ma bouche sur sa bouche, je l’enlaçai d’une étreinte furieuse.<br />

Elle s’abandonna, et d’une voix très basse, étranglée :<br />

— Viens demain! dit-elle.<br />

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