Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
chien qui m’aboyait aux jambes, et une femme comme les autres,<br />
sans cervelle, sans idées, uniquement occupée de plaisirs, bornant<br />
son rêve au théâtre des Variétés et aux caresses de son Spy,<br />
son Spy!… ah! ah! ah! son Spy, cet animal ridicule qu’elle<br />
aimait avec des tendresses et des mots de concierge! Et, tout en<br />
marchant, je donnais des coups de pied dans le vide, à un Spy<br />
imaginaire, et je disais, parodiant la voix de Juliette : « Oh!<br />
amour, va!… Oh! le bon chien!… Oh! petit amour de Spy<br />
chéri. » Faut-il l’avouer, je lui en voulais aussi de ne m’avoir pas<br />
dit un mot de mon livre. Qu’on ne m’en parlât pas dans la vie<br />
ordinaire, cela m’était à peu près indifférent; mais, d’elle, un<br />
compliment m’eût charmé! Savoir qu’elle avait été émue à une<br />
page, indignée à une autre, je l’espérais. Et rien!… pas même<br />
une allusion! Cependant, je me rappelais, je lui avais adroitement<br />
fourni l’occasion de cette… politesse.<br />
— Décidément, c’est une grue! m’écriai-je, en sonnant à la<br />
porte de Lirat…<br />
Lirat me reçut les bras ouverts.<br />
— Ah! mon petit Mintié, s’exclama-t-il, c’est très chic, de<br />
venir dîner avec moi… Et vous arrivez bien, je vous le dis… nous<br />
avons la soupe aux choux.<br />
Il se frottait les mains, semblait tout heureux… Il voulut me<br />
débarrasser de mon pardessus et de mon chapeau, et, m’entraînant<br />
dans la petite pièce qui lui servait de salon, il répéta :<br />
— Mon petit Mintié, je suis joliment content de vous voir…<br />
Viendrez-vous demain à l’atelier?<br />
— Certainement.<br />
— Eh bien, vous verrez!… vous verrez!… D’abord, je lâche la<br />
peinture, comprenez-vous?…<br />
— Vous entrez dans le commerce?<br />
— Écoutez-moi… La peinture, c’est de la blague, mon petit<br />
Mintié!<br />
Il s’anima, tourna dans la pièce, en agitant les bras.<br />
— Giotto! Mantegna!… Vélasquez!… Rembrandt! Eh bien!<br />
quoi, Rembrandt!… Watteau! Delacroix!… Ingres!… Oui, et<br />
puis après?… Non, ça n’est pas vrai. La peinture ne rend rien,<br />
n’exprime rien, c’est de la blague!… c’est bon pour les critiques<br />
d’art, les banquiers, et les généraux qui font faire leur portrait, à<br />
cheval, avec un obus qui éclate au premier plan… Mais un coin<br />
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