03.07.2013 Views

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Zaïre, elle sert de moyen de pression sur les institutions internationales. Les organisations<br />

humanitaires posent publiquement la question de leur rôle et des enjeux politiques ou<br />

militaires des aides distribuées.<br />

1-2- <strong>LE</strong> VÊTEMENT ET L’APPARENCE.<br />

Pendant des millénaires, les pauvres se défendent comme ils peuvent contre le froid, leur apparence n’a pas<br />

d’histoire. Pour la plupart, ils ne possèdent qu’un seul vêtement, jamais neuf, souvent en loques. Les historiens ne<br />

s’intéressent qu’aux habits des riches.<br />

Le rebut et la saleté. Les vêtements faits sur mesure sont chers donc réservés aux gens aisés. Les autres s’adressent<br />

aux fripiers, aux marchands à la toilette qui revendent des vêtements de seconde, voire de troisième main : garde-robes de<br />

personnes décédées, vêtements usagés que les patrons donnent aux domestiques, haillons de clients qui rachètent quelque<br />

chose d’un peu moins usé. Ces commerçants négocient avec les chiffonniers et savent maquiller de vieux habits pour les<br />

revendre vingt fois leur valeur. Tous ces articles sont menaçants de saleté et de malhonnêteté.<br />

Les normes : chacun à sa place. A la Révolution, les lois qui codifiaient le vêtement disparaissent. Le décret du 8<br />

brumaire an II ( 29 octobre 1793) stipule « Nulle personne de l’un et l’autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ou<br />

citoyenne à se vêtir d’une façon particulière, sous peine d’être considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme<br />

perturbateur du repos public ; chacun est libre de porter tel vêtement ou ajustement de son sexe qui lui convient.» [Mais : «<br />

une ordonnance du 16 brumaire an IX interdit formellement le port du pantalon «à toute femme désirant s’habiller en homme<br />

sans autorisation spéciale de la Préfecture.» Cette ordonnance n’a jamais été abrogée ! ]<br />

Ce sera donc la société qui édictera, sous une autre forme, mais plus fortement que jamais, les lois et les normes qui<br />

régissent les vêtements : les femmes du peuple sortent en cheveux, seules les bourgeoises portent un chapeau. Les nombreux<br />

manuels de savoir-vivre du XIXe siècle lient apparence et identité, conduite vestimentaire et conduite morale et sociale ;<br />

propre et en ordre est pour eux une règle impérieuse.<br />

[Dans les Mémoires d’un âne. la comtesse de Ségur raconte comment des petites filles de bonne famille doivent exercer<br />

la charité, tout en apprenant les signes extérieurs de leur différence sociale : Camille, Madeleine et leur cousine Thérèse ont<br />

recueilli une petite pauvre « si sale, si sale, qu’elle est dégoûtante ». Leur maman lui coupe les cheveux : « elle les ramassa avec<br />

une pelle et pria un des domestiques de les jeter sur le fumier » puis lui lave la tête. La petite pauvre est baignée par les autres<br />

petites filles qui s’amusent beaucoup « ce ne fut qu’après l’avoir séchée comme un jambon, qu’elles lui mirent une chemise,<br />

un jupon et une robe de Thérèse. Tout cela allait assez bien, parce que Thérèse portait ses robes très courtes, comme le font<br />

toutes les petites filles élégantes, et que la petite mendiante devait avoir ses jupons tombant sur les chevilles.» (Bibliothèque<br />

rose Hachette)]<br />

Les nouveaux circuits de production et de diffusion vont jouer jusqu’après la deuxième guerre mondiale non pas la<br />

nouveauté ou la fantaisie, mais l’imitation des modèles socialement supérieurs. La diffusion du modèle bourgeois se fait<br />

depuis le sommet de la hiérarchie sociale : un ouvrier qui arbore un vêtement bourgeois est, aux yeux de la classe dominante,<br />

quelqu’un qui rassure parce qu’il en a accepté les formes, et en a intériorisé les codes. D’autres ouvriers, qui affichent un<br />

débraillé agressif, défient ainsi les «bonnes manières», et leur aspect est lu comme une menace pour l’ordre social.<br />

Le progrès. Le vêtement neuf devient accessible а des bourses modestes. Au XIXe siècle, les<br />

transformations techniques permettent de mettre des vêtements neufs et plus seyants à la portée sinon des miséreux, tout<br />

au moins des petits salaires.<br />

[Michelet écrit en 1846 : « Il a fallu l’effort combiné de la science et de l’art pour forcer un tissu rebelle, ingrat, le coton,<br />

à subir chaque jour tant de transformations brillantes, puis transformé ainsi, le répandre partout, le mettre à la portée des<br />

pauvres. Toute femme portait jadis une robe bleue ou noire qu’elle gardait dix ans sans la laver, de peur qu’elle ne s’en allât en<br />

lambeaux.... Aujourd’hui, son mari, pauvre ouvrier, au prix d’une journée de travail, la couvre d’un vêtement de fleurs. Tout ce<br />

peuple de femmes qui présente sur nos promenades un éblouissant iris de mille couleurs, naguère était en deuil.» (Le Peuple)<br />

Le tissu de coton dont parle Michelet est l’indienne, toile de coton légère colorée par impression, très chère encore au XVIIIeme siècle,<br />

que les progrès techniques avaient rendue abordable.]<br />

La distribution. Ses transformations rendent les vêtements plus accessibles : en 1824, La Belle Jardinière est le premier<br />

magasin à en rationaliser la production - c’est à dire à les faire fabriquer d’avance et en série - et un des premiers à les vendre<br />

à prix fixes et affichés ; donc le client peut choisir des vêtements tout faits, dont il ne discute plus les prix.<br />

[Selon Le Journal des Tailleurs, « on y rencontre toutes les espèces de vêtements à la portée des petites bourses, sous<br />

ces trois divisions : habits d’atelier, costumes journaliers, vêtements des dimanches, depuis la vareuse-paletot à 4fr.75c. et le<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 6/27<br />

Espaces Dialogues • La Maison des Associations • 1a, place des Orphelins 67000 STRASBOURG • espaces.dialogues@free.fr<br />

6

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!