03.07.2013 Views

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

apparaissent comme fastueuses, comme le «Grand Siècle» sont ponctuées de pestes et<br />

de famines qui tuent les pauvres gens (1605-1608, 1617, 1622, 1628-1629, 1635, 1641, 1648-<br />

1651). En 1630, Gaston d’Orléans écrit d’Agen à son frère Louis XIII : « Je vous dirai ce que j’ai vu.<br />

C’est qu’il n’y a pas un tiers de vos sujets qui mange du pain d’ordinaire ; l’autre tiers qui ne vit que<br />

de pain d’avoine et l’autre tiers n’est pas seulement réduit à la mendicité mais languit dans une nécessité<br />

si lamentable qu’une partie meurt effectivement de faim ; l’autre ne se sustente que de glands, d’herbes et<br />

choses semblables comme les bestes. Et les moins à plaindre de ceux-ci ne mangent que du son et du sang qu’ils<br />

ramassent dans les ruisseaux des boucheries. J’ai vu ces misères de mes yeux en divers endroits depuis mon partiment<br />

de Paris …»<br />

En 1675, le gouverneur du Dauphiné écrit : « La plus grande partie des paysans n’ont vécu, pendant l’hiver, que de pains de<br />

glands et de racines, et, présentement, on les voit manger l’herbe des prés et l’écorce des arbres. »<br />

Le XVIIIéme siècle aussi. Parmentier souligne, en 1781, la différence entre les possédants et ceux qui n’ont rien :<br />

« Je sais que les hommes qui vivent entourés de l’abondance ne peuvent imaginer que leurs contemporains soient privés<br />

des choses les plus nécessaires. Ils ne pourront croire que la plupart des plantes dont je vais donner la liste soient souvent<br />

mangées telles quelles et sans aucune sorte de préparation culinaire. Et pourtant, pour s’en convaincre, il suffirait de remonter<br />

bien peu en arrière. C’est avec terreur que l’on apprend par quels moyens, en 1709, presque toute l’Europe essayait de calmer<br />

la faim. Mais il n’est même pas nécessaire de remonter si loin, car chacun sait ce qui se passa en 1770, dans quelques parties<br />

de nos provinces, par exemple dans la Franche-Comté, où l’on surprit des cultivateurs et des vignerons essayant de mâcher<br />

de l’herbe. »<br />

Les Lumières contre la fatalité.<br />

La faim change de nature. Parmentier, pharmacien militaire, est un scientifique qui appartient à cette génération<br />

d’hommes dont la religion ne freine plus la curiosité savante. Il cherche des remèdes à la mauvaise conservation des aliments<br />

et tente de faire adopter des nourritures nouvelles. Ses campagnes en faveur de la pomme de terre, appuyées par Louis XVI,<br />

s’accordent au courant de pensée qui veut qu’un bon gouvernement assure le bonheur de ses sujets par une économie bien<br />

gérée.<br />

[Pour les physiocrates, l’agriculture seule produit la richesse d’un Etat. « Ce sont les richesses du laboureur qui assurent<br />

les revenus de la nation, la puissance du Souverain et la prospérité de L’Etat. » (Quesnay, article Homme non publié dans<br />

l’Encyclopédie ). La passion pour l’innovation agricole est un des faits marquants du XVIIIe siècle, sans toujours atteindre les<br />

paysans, enfermés dans leur peur de rater une récolte par une expérience malencontreuse. « On écrivit des choses utiles sur<br />

l’agriculture ; tout le monde les lut excepté les agriculteurs » (Voltaire).]<br />

La révolution industrielle. Au XIXéme siècle, la faim se déplace de la campagne vers les villes où les ruraux les<br />

plus miséreux affluent pour chercher du travail. Elle ne sera pas vaincue, mais, de phénomène tenu pour naturel, elle devient<br />

un fléau auquel la société découvre des causes multiples, et qu’elle doit combattre : elle nuit à la santé d’une main d’œuvre<br />

indispensable, et génère des épidémies dangereuses pour tous.<br />

Le développement des transports (bateaux, chemins de fer, etc.) permettent l’importation des blés d’Amérique, et leur<br />

circulation sur le vieux continent.<br />

En dépit de la misère ouvrière, l’espérance de vie augmente :<br />

Augmentation de l’espérance de vie dans la deuxième moitié du XIXe siècle :<br />

Période Hommes Femmes Ensemble<br />

1840-1859 39,3 41,0 40,0<br />

1861-1865 39,1 40,6 39,8<br />

1877-1881 40,8 43,6 42,1<br />

1898-1903 45,4 48,7 47,0<br />

1908-1913 48,5 52,4 50,4<br />

L’alimentation prend place parmi d’autres nécessités : s’habiller, se loger, se protéger du froid, dont les textes anciens se<br />

préoccupent peu.<br />

Pourtant, la faim ne disparaît pas. Alors que la foi dans le progrès fait naître l’espoir d’une vie meilleure pour tous, elle<br />

réapparaît au XXéme siècle comme une calamité géopolitique, et - plus désespérant encore - comme une auxiliaire des<br />

génocides dans les camps d’extermination, comme une arme politique au goulag et dans les camps de concentration. Au<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 5/27<br />

Espaces Dialogues • La Maison des Associations • 1a, place des Orphelins 67000 STRASBOURG • espaces.dialogues@free.fr<br />

5

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!