LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

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03.07.2013 Views

pour Chacun (UTC) refuse la fatalité et recherche les gisements d’activités, AC ! Agir contre le chômage revendique le droit à l’emploi et à un salaire décent pour tous, 4 jours - Nouvel Equilibre revendique la semaine de 4 jours qui serait génératrice d’emplois -. La liste des groupes et des remèdes proposés est innombrable. Les professionnels de la santé, bénévoles ou non, sont confrontés aux conséquences physiologiques de toute cette misère et de toutes ces angoisses. Les Missions France de Médecins du Monde voient le nombre des malades qui ne bénéficient d’aucune protection sociale augmenter d’année en année. Cette population est de plus en plus jeune, essentiellement masculine. «Les pathologies rencontrées dans les consultations ne diffèrent pas de celles rencontrées dans une consultation de médecine générale. Les dermatoses dues aux conditions d’hygiène précaire, les pathologies de la sphère ORL, sont légèrement plus nombreuses, mais s’expliquent par le mode de vie de cette population. Par contre, tous nos consultants ou presque expriment un mal-être, une plainte, une révolte parfois, devant les conditions de vie qui sont les leurs, qui est bien souvent, le motif principal de leur demande de soins.» (Docteur B.Canguilhem, Mission de France Strasbourg) Les «formes de travail dit «précaire» (contrat à durée déterminée, intérim) s’accompagnent [aussi] d’une plus grande vulnérabilité sur le plan physique et psychique ». C’est ce que révèle l’enquête «Précarité-santé-travail» commandée en 1996 par la Direction des relations du travail en vue de la préparation de la loi de lutte contre les exclusions. Or, à l’heure actuelle, « plus de 80% des employés de santé, 70% des employés de bureau et 65% des ouvriers sont recrutés sur des emplois à statut précaire.» On voit bien, dans ce bref survol du malheur, que, à moins de se détourner des nombreux textes solennellement ratifiés par nos collectivités, et de laisser mourir les pauvres au bord du chemin, la détresse a un coût, matériel et moral. Les organismes caritatifs - et particulièrement ATD Quart-Monde - le savent bien qui ont pesé de tout leur poids pour obtenir que les multiples actions publiques et privées soient prises en charge dans un grand texte qui traiterait de l’être humain dans sa totalité. La charité pèse sur le politique, et les revendications deviennent des lois. En France, le 29 juillet 1998, le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l’emploi et de la solidarité, la garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, le ministre de l’intérieur, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le ministre de l’équipement, des transports et du logement, la ministre de la culture et de la communication, le ministre de l’agriculture et de la pêche, la ministre de la jeunesse et des sports, la ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, le secrétaire d’Etat à la santé, le secrétaire d’Etat à l’outremer, le secrétaire d’Etat au budget, la secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l’artisanat, le secrétaire d’Etat au logement ont signé la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Ce document de 47 pages touche au travail, au logement, à la santé, à l’éducation et à la culture, à l’exercice de la citoyenneté. Il prend en compte l’individu dans son ensemble et dans sa durée. Il mobilise « l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics dont les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et médico-sociales [pour] la mise en œuvre de ces principes ». Il est destiné non seulement à combattre les exclusions, mais aussi à les prévenir en informant « chacun de la nature et de l’étendue de ses droits [en l’aidant], éventuellement par un accompagnement personnalisé, à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides.» Les plus hautes instances politiques entérinent ainsi la volonté solennelle d’inclure les plus démunis dans la vie institutionnelle, de les reconnaître comme faisant partie de la Nation, et de les protéger par la loi. CONCLUSION Qu’est-ce qu’être pauvre à l’aube du IIIéme millénaire ? La mondialisation, les bouleversements technologiques ont changé toutes les données des sociétés. Ils ont aggravé le chômage et la précarité. L’horreur économique, ce cri de colère de Viviane Forrester, s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Or, que clame-t-elle ? « Nous vivons au sein d’un leurre magistral, d’un monde disparu que nous nous acharnons à ne pas reconnaître tel, et que des politiques artificielles prétendent perpétuer.» Ce leurre c’est «notre tabou le plus sacré : le travail. […] Quand prendrons-nous conscience qu’il n’y a pas de crise, ni de crises, mais une mutation ? Non celle d’une société, mais celle, très brutale d’une civilisation ? […] des millions de personnes sont mises entre parenthèses, ont droit pour un temps indéfini … à la misère ou à sa menace plus ou moins rapprochée. «Les marchés peuvent choisir leurs pauvres dans des circuits élargis ; le catalogue s’enrichit, car il y existe désormais des pauvres pauvres et des pauvres riches. Et il en existe- on en découvre toujours - d’encore plus pauvres, moins difficiles, moins «exigeants». Pas exigeants du tout. Des soldes fantastiques. Des promotions partout. Le travail est pour rien si on sait voyager.» LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ — 2e trim. 2009 p 16/27 Espaces Dialogues • La Maison des Associations • 1a, place des Orphelins 67000 STRASBOURG • espaces.dialogues@free.fr 16

En Europe, le chômage touche officiellement entre dix-huit et vingt millions de personnes et sans doute beaucoup plus. Ken Coates, député européen travailliste, membre de la Commission des affaires sociales et de l’emploi affirme que l’Union européenne pourrait créer environ quinze millions d’emplois, mais qu’il y manque la volonté politique, en particulier du Conseil des ministres, donc des Etats-membres. La colère, donc, ne suffit pas. A la suite de la charge polémique, des économistes, des sociologues, mais aussi des associations et des groupes plus ou moins organisés jettent un regard neuf sur la répartition et l’organisation du travail et sur ces marchés financiers sans foi ni loi. Ils proposent des mesures, ils exigent l’intervention des institutions, et la crise mondiale venant se rajouter à la misère «ordinaire», il faudra bien que les politiques prennent ces exigences en charge, et que les Etats s’en mêlent. La loi ne peut pas tout mais elle légitime l’action et la conforte. ANNEXE : *** Extraits de la loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Article 1er. La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation. La présente loi tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance. L’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics dont les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et médico-sociales participent à la mise en œuvre de ces principes. Ils poursuivent une politique destinée à connaître, à prévenir et à supprimer toutes les situations pouvant engendrer des exclusions. Ils prennent les dispositions nécessaires pour informer chacun de la nature et de l’étendue de ses droits et pour l’aider, éventuellement par un accompagnement personnalisé, à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides. Les entreprises, les organisations professionnelles ou interprofessionnelles, les organisations syndicales de salariés représentatives, les organismes de prévoyance, les groupements régis par le code de la mutualité, les associations qui œuvrent notamment dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion, les citoyens ainsi que l’ensemble des acteurs de l’économie solidaire et de l’économie sociale concourent à la réalisation de ces objectifs. Code du travail. Article 4. Tout chômeur âgé de seize à vingt-cinq ans ou tout chômeur de longue durée ou rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle a le droit à un accueil, un bilan de compétences et une action d’orientation professionnelle afin de bénéficier d’un nouveau départ sous forme d’une formation, d’un appui individualisé ou d’un parcours vers l’emploi ou la reprise d’entreprise. LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ — 2e trim. 2009 p 17/27 Espaces Dialogues • La Maison des Associations • 1a, place des Orphelins 67000 STRASBOURG • espaces.dialogues@free.fr 17

pour Chacun (UTC) refuse la fatalité et recherche les gisements d’activités, AC ! Agir contre<br />

le chômage revendique le droit à l’emploi et à un salaire décent pour tous, 4 jours - Nouvel<br />

Equilibre revendique la semaine de 4 jours qui serait génératrice d’emplois -. La liste des groupes<br />

et des remèdes proposés est innombrable.<br />

Les professionnels de la santé, bénévoles ou non, sont confrontés aux conséquences physiologiques de<br />

toute cette misère et de toutes ces angoisses. Les Missions France de Médecins du Monde voient le nombre<br />

des malades qui ne bénéficient d’aucune protection sociale augmenter d’année en année. Cette population est de<br />

plus en plus jeune, essentiellement masculine. «Les pathologies rencontrées dans les consultations ne diffèrent pas de<br />

celles rencontrées dans une consultation de médecine générale. Les dermatoses dues aux conditions d’hygiène précaire, les<br />

pathologies de la sphère ORL, sont légèrement plus nombreuses, mais s’expliquent par le mode de vie de cette population.<br />

Par contre, tous nos consultants ou presque expriment un mal-être, une plainte, une révolte parfois, devant les conditions de<br />

vie qui sont les leurs, qui est bien souvent, le motif principal de leur demande de soins.» (Docteur B.Canguilhem, Mission de<br />

France Strasbourg)<br />

Les «formes de travail dit «précaire» (contrat à durée déterminée, intérim) s’accompagnent [aussi] d’une plus grande<br />

vulnérabilité sur le plan physique et psychique ». C’est ce que révèle l’enquête «Précarité-santé-travail» commandée en 1996<br />

par la Direction des relations du travail en vue de la préparation de la loi de lutte contre les exclusions. Or, à l’heure actuelle,<br />

« plus de 80% des employés de santé, 70% des employés de bureau et 65% des ouvriers sont recrutés sur des emplois à statut<br />

précaire.»<br />

On voit bien, dans ce bref survol du malheur, que, à moins de se détourner des nombreux textes solennellement ratifiés par<br />

nos collectivités, et de laisser mourir les pauvres au bord du chemin, la détresse a un coût, matériel et moral. Les organismes<br />

caritatifs - et particulièrement ATD Quart-Monde - le savent bien qui ont pesé de tout leur poids pour obtenir que les<br />

multiples actions publiques et privées soient prises en charge dans un grand texte qui traiterait de l’être humain dans sa<br />

totalité. La charité pèse sur le politique, et les revendications deviennent des lois.<br />

En France, le 29 juillet 1998, le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l’emploi et de la solidarité, la<br />

garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, le ministre de<br />

l’intérieur, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le ministre de l’équipement, des transports et du logement,<br />

la ministre de la culture et de la communication, le ministre de l’agriculture et de la pêche, la ministre de la jeunesse et des<br />

sports, la ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, le secrétaire d’Etat à la santé, le secrétaire d’Etat à l’outremer,<br />

le secrétaire d’Etat au budget, la secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l’artisanat, le<br />

secrétaire d’Etat au logement ont signé la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Ce document de 47 pages touche<br />

au travail, au logement, à la santé, à l’éducation et à la culture, à l’exercice de la citoyenneté. Il prend en compte l’individu dans<br />

son ensemble et dans sa durée. Il mobilise « l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics dont les centres<br />

communaux et intercommunaux d’action sociale, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et<br />

médico-sociales [pour] la mise en œuvre de ces principes ».<br />

Il est destiné non seulement à combattre les exclusions, mais aussi à les prévenir en informant « chacun de la nature et<br />

de l’étendue de ses droits [en l’aidant], éventuellement par un accompagnement personnalisé, à accomplir les démarches<br />

administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides.»<br />

Les plus hautes instances politiques entérinent ainsi la volonté solennelle d’inclure les plus démunis dans la vie institutionnelle,<br />

de les reconnaître comme faisant partie de la Nation, et de les protéger par la loi.<br />

CONCLUSION<br />

Qu’est-ce qu’être pauvre à l’aube du IIIéme millénaire ? La mondialisation, les bouleversements technologiques ont changé<br />

toutes les données des sociétés. Ils ont aggravé le chômage et la précarité. L’horreur économique, ce cri de colère de Viviane<br />

Forrester, s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Or, que clame-t-elle ? « Nous vivons au sein d’un leurre magistral, d’un<br />

monde disparu que nous nous acharnons à ne pas reconnaître tel, et que des politiques artificielles prétendent perpétuer.» Ce<br />

leurre c’est «notre tabou le plus sacré : le travail. […] Quand prendrons-nous conscience qu’il n’y a pas de crise, ni de crises,<br />

mais une mutation ? Non celle d’une société, mais celle, très brutale d’une civilisation ? […] des millions de personnes sont<br />

mises entre parenthèses, ont droit pour un temps indéfini … à la misère ou à sa menace plus ou moins rapprochée.<br />

«Les marchés peuvent choisir leurs pauvres dans des circuits élargis ; le catalogue s’enrichit, car il y existe désormais<br />

des pauvres pauvres et des pauvres riches. Et il en existe- on en découvre toujours - d’encore plus pauvres, moins difficiles,<br />

moins «exigeants». Pas exigeants du tout. Des soldes fantastiques. Des promotions partout. Le travail est pour rien si on sait<br />

voyager.»<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 16/27<br />

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