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LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

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s’introduisent plus parmi eux, pour être en ledit lieu nourris et entretenus tant de leur<br />

travail que des aumônes suivant la quête qui en sera faite.» «Peigneurs de laine, vignerons,<br />

cureurs de puits, domestiques, jardiniers, portefaix, porteurs de chaise» sont ramassés par les «<br />

chasse-gueux » pour être menés à la Charité, et marqués d’un m au fer rouge. Quant aux mendiants<br />

étrangers, « hommes ou femmes, valides et invalides » et aux bohémiens, ils doivent quitter la ville et son<br />

terroir sous « peine de fouet ».<br />

Une solution, la mort. Le vagabond doit être banni, « sa place est n’importe où, à condition que ce soit<br />

ailleurs », ce qui ne fait que déplacer le problème, alors que l’exécution capitale le résout. Cette solution, qui fait du<br />

vagabondage le délit suprême, est adoptée en France par Henri II (1556) et en Angleterre par Henri VIII qui aurait fait pendre<br />

12 000 personnes sous ce chef d’accusation.<br />

Les misérables sont cependant trop nombreux pour être tous exécutés. Ni l’agrandissement sans fin de la Charité à<br />

Marseille, ni ailleurs l’engorgement des hôpitaux, obligés d’accueillir des vagabonds au milieu des vieillards, des malades<br />

mentaux et des enfants abandonnés, dans l’idée de les fixer et de les socialiser par le travail, ne résoudront la question de<br />

l’enfermement des miséreux.<br />

Au XVIIIe siècle, on estime qu’un dixième environ de la population française est réduit à la mendicité. Envoyer tous les<br />

hommes valides aux galères se révèle impossible à cette échelle. La chasse au vagabond continue, sous contrôle de<br />

la maréchaussée, avec une prime de 3 livres pour chaque capture. Ces malheureux sont enfermés dans des « dépôts de<br />

mendicité » créés pour encadrer le travail forcé et gérés par l’administration et la police et non, comme les hôpitaux, par les<br />

organismes de bienfaisance ou les notables. Dans ces édifices insalubres, sans hygiène ni soins médicaux, le travail est illusoire.<br />

Sur 111 836 personnes « entrées aux dépôts » entre 1768 et 1772, il y aura 21 339 décès.<br />

Au XIXéme siècle, les années quarante, années de la faim et de la colère, les hungry forties qui deviennent les angry forties,<br />

s’achèvent sur l’explosion de 1848. La société industrielle prend conscience de sa nouveauté à travers ses victimes, et de la<br />

menace qu’elle semble secréter pour elle-même.<br />

3-3- POLITIQUE ET <strong>PAUVRETÉ</strong>.<br />

La misère pensée. La masse des pauvres et des errants pose donc très tôt un problème dont la nature est mal définie,<br />

mais qui semble assez vite lié à celui du travail que la société fournit, ou non, au pauvre. Dès le XVIIéme siècle, les académies<br />

font de la mendicité un sujet de concours. Le siècle des Lumières échafaude d’innombrables systèmes sociaux plus ou moins<br />

utopiques, mais partant tous de l’idée que, pour lutter contre la pauvreté, il faut réformer l’organisation politique et porter un<br />

regard différent sur un certain nombre de valeurs.<br />

Une valeur nouvelle, le travail. Une évolution, qui sera très lente dans les faits, commence à valoriser le travail,<br />

peu digne de considération jusque-là, par rapport à l’oisiveté, apanage des classes dirigeantes mais aussi des mendiants. « La<br />

pratique de l’oisiveté est une chose contraire aux devoirs de l’homme et du citoyen, dont l’obligation générale est d’être bon<br />

à quelque chose, et en particulier de se rendre utile à la société dont il est membre. Rien ne peut dispenser personne de ce<br />

devoir, parce qu’il est imposé par la nature.» (Article Oisiveté de l’Encyclopédie)<br />

Cette nouvelle morale prône l’obligation pour chacun de trouver sa place dans l’activité productrice, moyennant quoi<br />

le travail lui procurera « en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être » (Article<br />

Travail de l’Encyclopédie). L’industrie naissante qui réclame une main d’œuvre importante et mobile ne peut qu’approuver. Elle<br />

demande donc la suppression des workhouses ou dépôts de mendicité qui tentaient de fixer les miséreux.<br />

Une idée neuve, la responsabilité de l’Etat. Cependant, au XVIIIéme siècle, le nombre des pauvres augmente sans<br />

cesse et menace l’ordre social. Les esprits éclairés s’interrogent sur la responsabilité de l’Etat face à la misère : « Quelques<br />

aumônes que l’on fait à l’homme dans les rues ne remplissent point les obligations de l’Etat qui doit à tous ses citoyens une<br />

subsistance assurée.» (Montesquieu) Les pauvres qui, jusque-là relevaient de la charité c’est-à-dire de la bonne volonté des<br />

donateurs, auraient donc des droits, en particulier l’accès au travail. « Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant<br />

nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première,<br />

la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes.» (Turgot)<br />

De ces interrogations convergentes sur le travail et sur le rôle de l’Etat va naître, avec la Révolution de 1789 et la<br />

transformation des sujets (du Roi) en citoyens, une nouvelle problématique de la pauvreté.<br />

Une politique de la pauvreté. Un phénomène mal connu. La Révolution, en accordant le même statut<br />

juridique à tous les membres de la société, implique une politique de la pauvreté ; mais le phénomène est mal connu. Dès 1790,<br />

l’Assemblée Nationale Constituante met en place un «Comité de mendicité» chargé de l’étudier et de trouver les moyens de<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 12/27<br />

Espaces Dialogues • La Maison des Associations • 1a, place des Orphelins 67000 STRASBOURG • espaces.dialogues@free.fr<br />

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