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LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

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3-1- <strong>LA</strong> CHARITÉ<br />

Le pauvre, auxiliaire du salut chrétien. L’aumône a autant pour fonction de<br />

permettre au pécheur d’obtenir de Dieu la rémission de ses péchés que de nourrir ou d’habiller les<br />

malheureux.<br />

[L’Eglise reconnaît au pauvre ce statut d’intercesseur, et lève un impôt spécial, la dîme, pour faire face à ce<br />

qui est pour elle une obligation « car les biens terrestres appartiennent en commun à tout le monde.» La règle de<br />

fondation du monastère de Cluny stipule que «… selon les circonstances et les ressources de ce lieu, chaque jour, l’on<br />

pratique avec le plus grand zèle les œuvres de miséricorde, envers les pauvres, les indigents, les visiteurs et les pèlerins… »<br />

Le couvent reçoit des donations dont les motifs sont explicites : racheter une faute, ne pas perdre le bonheur éternel, parce<br />

que « les biens n’appartiennent pas à l’homme mais lui sont concédés par Dieu, non pour être possédés, mais pour être<br />

distribués d’une main large et généreuse ».]<br />

Donc, les riches, quelle que soit l’origine de leur fortune, peuvent se racheter par la charité et assurer leur salut personnel<br />

à travers le secours aux déshérités. Néanmoins, si bien des penseurs chrétiens estiment que les pauvres ont des droits sur<br />

les revenus ecclésiastiques, aucun ne considère la pauvreté comme une injustice, ou ne suggère une protection<br />

des miséreux contre les prélèvements fiscaux ou les dénis de justice. La pauvreté est un mal inévitable, voulu par Dieu. « La<br />

glorification du pauvre, comme intercesseur privilégié, est un moyen simple de figer sa condition et de la lui faire accepter<br />

comme une nécessité à laquelle lui-même ne peut rien changer. »<br />

La colère de Dieu. Les famines et les épidémies, fréquentes au XIVe siècle, sont vécues comme des manifestations de la<br />

colère de Dieu. Les plus pauvres étant atteints les premiers, ils sont accusés d’avoir provoqué cette colère par leurs péchés ;<br />

ils ne sont plus alors une source de salut, mais une menace qui met en péril la société. Les mieux lotis sont persuadés que les<br />

responsables des épidémies sont les miséreux, les marginaux, ceux qui sont différents d’eux : les lépreux de Périgueux, les juifs<br />

de nombreuses villes d’Europe, pourtant atteints par la maladie comme tout le monde, sont accusés de l’avoir volontairement<br />

transmise en empoisonnant les puits et les rivières, et brûlés vifs.<br />

3-2- <strong>LA</strong> PEUR.<br />

Violence de la misère. Les groupes d’errants que les guerres, les épidémies et les famines jettent sur les routes au XIVe<br />

siècle sont des gens jeunes, déracinés, sans profession ni famille. Ils sont les exclus de l’organisation sociale existante, même<br />

pour les institutions caritatives qui secourent en priorité leurs pauvres, domiciliés dans le voisinage et souvent invalides. Ces<br />

vagabonds travaillent par intermittence, volent fréquemment, tuent le cas échéant. Des bandes de criminels et des sociétés de<br />

mendiants professionnels, parfois originaires d’une même province, s’organisent dans les villes. Ce monde parallèle de voleurs<br />

ou de faux-monnayeurs a ses chefs, ses receleurs, sa solidarité et obtient parfois la complicité des sergents du roi.<br />

Violence des institutions. Les pouvoirs en place ne savent comment répondre à la menace que représente cette masse<br />

d’indigents et de criminels. A la violence de la misère ils opposent la violence institutionnelle. La justice frappe durement, usant<br />

systématiquement de la torture et de l’exécution capitale contre ces marginaux sans état et sans protection. La condamnation<br />

d’un aide à maçon, vagabond convaincu de vol à Paris, stipule sans détours : « Estait digne de mourir comme inutile au monde,<br />

c’est assavoir estre pendu comme larron. »<br />

Fixer les miséreux. Là où le pouvoir central existe, il va tenter de maîtriser ces masses en mouvement.<br />

En 1349, Edouard III, roi d’Angleterre, promulgue le Statut des travailleurs, véritable code du travail qui ordonne à tous ceux<br />

qui ont du travail de rester où ils sont et de se contenter de leur salaire et de leur condition. Ceux qui sont mobiles ou sans<br />

emploi sont réinscrits de force dans des structures fixes où ils sont obligés de travailler.<br />

En France, en 1351, une ordonnance royale essaie à son tour ce nouveau traitement de la misère : à Paris tout homme<br />

valide doit travailler ou quitter la ville « tout contrevenant est passible de quatre jours de prison ; il encourt ensuite la mise<br />

au pilori, puis le marquage au fer rouge et, enfin, le bannissement ». Comme en Angleterre, il est interdit de faire l’aumône à<br />

ceux qui ne veulent pas travailler.<br />

Le Portugal, l’Aragon et la Castille fixent des maxima de salaires et interdisent les déplacements pour rechercher un emploi.<br />

En Bavière et au Tyrol, en 1357, « les serviteurs et travailleurs journaliers doivent rester au service de leurs employeurs sans<br />

augmentation de salaire. S’ils quittent leur emploi, leurs biens seront confisqués.»<br />

A Marseille, au XVIe siècle, les édiles décident d’« ensarrer les pauvres », c’est-à-dire de les enfermer, mesure d’abord<br />

non suivie d’effet mais qui aboutit le siècle suivant à la construction de Notre-Dame-de-la-Charité pour « renfermer en un<br />

lieu propre et choisi par les consuls les pauvres natifs de Marseille, afin que les étrangers fainéants et vagabonds ne<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 11/27<br />

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