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LA NOTION DE PAUVRETÉ DANS LE TEMPS Liliane AMOUDRUZ

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analphabètes, souvent sans feu ni lieu, ils n’ont que leurs bras comme gagnepain.<br />

Les infirmités, l’âge ou la maladie les condamnent à mendier ou à mourir de faim. Leur<br />

existence est commandée par l’emploi, le niveau des salaires et le prix du pain.<br />

Lorsqu’ils se révoltent contre l’injustice trop dure à supporter, ils sont vaincus par la violence<br />

institutionnelle : sous Louis XIV, l’excès de misère provoque des troubles - Boulonnais (1662), Pyrénées<br />

(1664), Vivarais (1670), Guyenne, etc. - chaque fois réprimés avec une brutalité sans merci ; en Bretagne, le roi<br />

envoie 10 000 soldats contre la jacquerie. « Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids<br />

qu’on leur donne », écrivait le gouverneur, faisant allusion aux pendaisons en masse.<br />

2-3 - AU XIXéme SIEC<strong>LE</strong>, <strong>LE</strong>S « NOUVEAUX PAUVRES ».<br />

De plus en plus nombreux sont ceux qui vont en ville pour chercher du travail ou essayer de vivre d’expédients. Ce faisant,<br />

ils sortent du réseau des organisations charitables traditionnelles d’entraide ou de charité, paroisses, couvents, hospices. Le<br />

malheureux vivant de la charité, ou le vagabond hébergé chaque nuit dans un hospice différent a cédé la place à de « nouveaux<br />

pauvres » valides, rarement isolés, dont la masse grossit au fur et à mesure que l’industrialisation détruit l’artisanat traditionnel<br />

des campagnes.<br />

Le jeu de l’offre et de la demande fait baisser la valeur du travail qu’aucune loi ne protège avant le<br />

dernier quart du XIXéme siècle. Dans les usines nouvellement créées, les ouvriers travaillent pour ne pas mourir de faim. Les<br />

descriptions de l’époque ne peuvent dire ce qui est pire, dans ces conditions de vie, de la nourriture ou du logement. Le poste<br />

de l’alimentation envahit les budgets ouvriers.<br />

La population qui s’entasse dans les quartiers pauvres est une proie facile pour les épidémies : à Glasgow, le typhus<br />

et le choléra y font, en 1832 et en 1849, deux fois plus de victimes que dans le reste de la population et l’espérance de<br />

vie n’y dépasse pas trente ans - contre 40 en moyenne en Angleterre. Les salaires sont misérables et la délinquance<br />

augmente.<br />

Cette masse à la recherche de travail, mais aussi de distractions suspectes à la morale de l’époque, apparaît comme «<br />

dangereuse » à la ville héritière de traditions de travail et de bonnes mœurs, « bourgeoise », en un mot.<br />

Face à la menace que représentaient des pauvres toujours plus nombreux, l’Ancien Régime avait mis en place une politique<br />

répressive - hospices, maisons de correction très proches de la prison - renforcée en 1810 par le Code Pénal qui définit les<br />

délits de vagabondage et de mendicité. Les remèdes caritatifs ont toujours été trouvés dans l’initiative privée.<br />

Mais la nouvelle pauvreté qui s’installe dans les villes, génératrice de maladies, d’immoralité et de<br />

troubles publics devient un problиme de société et de gouvernement.<br />

III - <strong>LE</strong> REGARD <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> SOCIÉTÉ.<br />

Le regard que porte une société sur ses pauvres et sur l’état de pauvreté évolue en même temps qu’elle. L’Antiquité<br />

pratiquait l’hospitalité individuelle, et les Romains le clientélisme, qui permettait à beaucoup de vivre ou de survivre.<br />

Avec le christianisme le rapport aux biens matériels et au don change de nature, l’esprit passe avant le corps. Le renoncement<br />

volontaire à la richesse comme le don sont des actes religieux. Mais, par ailleurs, l’appauvrissement, le malheur et la déchéance<br />

seraient plutôt considérés comme une punition, ou à tout le moins comme une situation voulue par Dieu et à laquelle<br />

personne ne peut rien.<br />

De sorte que, lorsque les guerres, les épidémies ou les famines jettent les pauvres sur les routes, la peur qu’ils suscitent<br />

justifie aux yeux du reste de la société une répression souvent impitoyable.<br />

Pris entre la compassion, religieuse ou simplement humaine, la crainte qu’inspirent ces masses sur lesquelles ils ne savent<br />

rien, et la conscience qu’elles posent un problème de gouvernement, ceux que nous appellerions les «intellectuels» de<br />

l’Ancien Régime tâtonnent à la recherche de solutions qui oscillent entre la charité, privée, et la distribution de travail, dont ils<br />

ne savent à qui la confier. Lorsque la Révolution proclame l’égalité de tous, la lutte contre la misère s’inscrit dans les nouveaux<br />

devoirs de la Nation.<br />

<strong>LA</strong> <strong>NOTION</strong> <strong>DE</strong> <strong>PAUVRETÉ</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>Liliane</strong> <strong>AMOUDRUZ</strong> — 2e trim. 2009 p 10/27<br />

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