Article reportage de 3 pages sur l

Spritualité
Rencontre à
Karma
Ling
En 2000 ans d’histoire, l’alpe
a vu fleurir nombre d’ermitages
et de monastères, qui
se sont nichés jusqu’au plus
profond de ses combes. En
quête de solitude, saint Bruno
et ses compagnons s’établirent
en Chartreuse, en
1084, dans ce qui deviendra
plus tard le Monastère
de la Grande Chartreuse.
La maison-mère essaimera
L’institut bouddhique
s’est installé dans
l’ancienne chartreuse
de Saint-Hugon,
il y a plus de 30 ans.
dans les Alpes, en Europe
et dans le monde entier. Et
parmi toutes les chartreuses
de l’Ordre, la Chartreuse
de Saint-Hugon, construite
en 1183 à Arvillard, dans la
vallée du Bens, aux portes
du Grésivaudan. Saint-Hugon
fut occupée durant 600 ans,
jusqu’à la Révolution française,
par des pères chartreux
passés maîtres dans
l’art de la métallurgie. Après
1792, le lieu tomba en désuétude,
puis devint une ferme,
un établissement thermal, un
relais de chasse, un lieu de
fête, et même une distillerie !
Les bâtiments ont été rachetés
en 1979 par un groupe
de pratiquants bouddhistes,
puis offert au grand maître
tibétain Kalou Rinpoché.
C’est ainsi qu’est né l’Institut
S
Si l’on n’a pas décidé de rejoindre en ski de randonnée
le sommet du pic du Frêne (2 807 m) ou l’un
des sommets voisins, on n’a pas de raison particulière
d’arpenter en février l’interminable val de
Bens (dix kilomètres), qui commence à Arvillard,
village perché entre La Rochette et Allevard, et
s’enfonce plein sud-est à travers le massif de Belledonne.
A priori seulement. Car on peut aussi
apprécier, pour la contemplation cette fois, les
sauvages versants de cette échancrure entre les
montagnes des Grands Moulins et du Grand Charnier.
En approchant ces solitudes, on comprend
que le hasard n’a rien à voir avec l’établissement
des pères chartreux, vers 1180, dans cette vallée
perdue aux confins du Dauphiné et de la Savoie.
C’était pour y avoir la paix, au sens propre comme
au figuré. Et il n’y a pas plus de hasard si le bouddhisme
s’est enraciné à Saint-Hugon près de huit
siècles plus tard. Le tellurisme du site semble
inspirer les cherchants, les hommes en quête de
spiritualité. Certains pensent qu’il a pu inspirer
des traditions anciennes dès l’époque celtique.
D’autres ajoutent que le hameau est situé sur la
fameuse ligne de Saint-Michel-Apollon (1) .
Lama Zangmo et Lama Sengué nous ont reçu
autour d’un café, dans le petit chalet en bois de
Lama Zangmo, à une encablure de l’ancienne
chartreuse devenue Karma Ling. Ils portent le
shamtab, la robe carmin qui est l’habit du dharma
(la pratique et l’étude de l’enseignement du
Bouddha). Ils sont tous les deux des lamas laïques
(il y a aussi des lamas moines) de la congrégation
Dachang Rimay. Ils œuvrent à la communication,
au service édition et à la décoration de l’Institut
Karma Ling.
L’ancienne chartreuse de Saint-Hugon
devenue Karma Ling.
Ph D.P.
Karma Ling, en 1980. Il est
depuis lors dirigé par Lama
Denys, principal disciple de
Kalou Rinpoché. La congrégation
Dachang Rimay a été
reconnue par l’Etat français
en 1994. Elle administre notamment
l’institut Karma
Ling, où nous avons rencontré
deux jeunes lamas français,
Lama Sengué et Lama
Zangmo...
Le hameau de Saint-Hugon avec sa chartreuse est
donc, depuis 1980, dédié au bouddhisme. Cette
thébaïde revient à sa vocation première après
presque deux siècles de déshérence : abriter la
prière et la méditation. Les chrétiens prient et
les bouddhistes méditent. Il n’y a pas d’antagonisme
entre les deux religions, si tant est que le
bouddhisme en soit une. D’ailleurs, il y a eu de
nombreuses rencontres entre chrétiens et bouddhistes
dans la chartreuse de Saint-Hugon depuis
la création de l’Institut Karma Ling en 1980. Et
en avril 1997, des rencontres inter-traditions placées
sous l’égide du Dalaï Lama y réunirent des
représentants des traditions premières des cinq
continents de la planète, des représentants de la
société laïque occidentale et des représentants
des grandes religions du monde.
Lama Sengué et Lama Zangmo
Au hameau de Saint-Hugon est arrivé un jour,
dans les années 90, un couple de jeunes gens
qui souhaitaient suivre les enseignements du
Bouddha. Ils mirent tant de conviction dans leur
vocation et leurs études qu’ils sont devenus lamas
quelques années plus tard, c’est-à-dire littéralement
: guides spirituels. Après leur retraite qui
dura 3 ans, 3 mois et 3 jours, Stéphanie Debeau-
vais, 38 ans, et Daniel Coppo, 39 ans aujourd’hui,
sont devenus Lama Zangmo et Lama Sengué.
Mais comment devient-on bouddhiste, quand on
est né dans un pays de tradition chrétienne ?
« En fait, mes parents étaient athée et j’ai grandi
dans un milieu plutôt anticlérical. Disons que
cela a aiguisé mon intérêt... Enfant, j’aspirais à
quelque chose de grand et d’intense. J’ai cherché
dans la religion chrétienne, et puis j’ai beaucoup lu
Numéro 11 - Février 2012

Numéro 11 - Février 2012
Le bouddhisme est apparu il y a 2 500 ans en Inde. Il est,
suivant les points de vue : une philosophie, une spiritualité ou une
religion. C’est une voie individuelle dont le but est l’éveil, par l’extinction
des causes de la souffrance de l’homme. Il s’est développé
en France par la venue de grands maîtres dont Kalou Rinpoché qui
a inspiré la création de Karma Ling. Selon l’Union bouddhiste de
France, il y avait en 1986 environ 800 000 bouddhistes en France
dont les 3/4 d’origine asiatique. En 1999, le sociologue Frédéric
Lenoir (directeur de la rédaction du magazine Le Monde des Religions
avait estimé à 5 millions « les sympathisants » bouddhistes français.
Karma Ling est un centre d’activités d’enseignement et de pratique
du bouddhisme (séminaires, retraites, enseignements de grands
maîtres...). Il organise de nombreuses rencontres inter-religions et
inter-traditions. L’institut abrite également l’université Nalanda
Rimay, une branche européenne de la World Buddhist University.
Visites guidées d’avril à novembre, chaque dimanche et jour férié
et en juillet et en août tous les jours. 3€, gratuit pour les - de 12 ans.
Dimanches découverte les 22 avril, 13 mai, 17 juin, 15 et 29 juillet,
5 et 12 août, 16 septembre, 28 octobre, 18 novembre. 15€, gratuit
pour les - de 12 ans. Internet : www.karmaling.org.
Courriel : accueil@karmaling.org Tél : 04 79 25 78 00
sur l’hindouisme et sur le chamanisme... Plus tard,
il y a eu une rencontre déterminante avec une
femme bouddhiste, Lama Wangmo, qui dispensait
des enseignements dans un centre de méditation
à Toulon. J’ai été touchée. A mes yeux, Lama
Wangmo incarnait cette grande aspiration intense
à laquelle j’aspirais moi-même, elle la vivait et la
représentait. Quand je suis devenue bouddhiste,
mes parents se sont montrés plutôt réticents.
Mais ils ont finalement compris, et aujourd’hui ils
me soutiennent », témoigne Lama Zangmo.
« Enfant, j’étais fou amoureux de la nature et
je passais beaucoup de temps à la contempler.
Je m’interrogeais sur l’agressivité de l’homme
à l’égard de son environnement, raconte Lama
Sengué. A l’âge adulte, j’ai eu la nostalgie de ces
moments simples et contemplatifs... Mais, j’avais
déjà un rapport de cœur et d’ouverture avec la
spiritualité, pour avoir fréquenté, avec mon père,
quand j’avais dix ans, le culte orthodoxe, au monastère
de Saint-Michel-du-Var. Le bouddhisme,
je l’ai rencontré ensuite, et intellectuellement, ça
tient la route ! Il est dit : ne prenez pas ce qui est
affirmé pour vérité parce que c’est affirmé, expérimentez-le
! C’est une voie, un chemin de vie. Ce n’est
pas qu’un concept auquel adhérer pour se rassurer... »
La quête : « la nature de l’esprit »
Mais quelle est la quête du bouddhiste ? « C’est
la nature de l’esprit. Ce sont des qualités naturelles,
disponibles en tout être humain, mais qui
sont masquées par notre ignorance, par notre
confusion. Ces qualités sont l’ouverture, la clarté,
l’intelligence, la bonté, la bienveillance, » explique
Lama Sengué.
Couloir du cloître de l’ancienne chartreuse de Saint-Hugon, devenu l’Institut Karma Ling. Ph. Bruno CILIO
La méditation : une expérience du présent
« Dans nos vies agités, nous sommes sans cesse
ballotés entre le passé et le futur, fait remarquer
Lama Sengué. Et puis l’on est toujours en train
de faire quelque chose, et même quand on a du
temps, il faut qu’il soit nécessairement occupé...
La méditation, c’est une expérience du présent : ici
et maintenant. Dans la méditation, on accueille un
temps où l’on ne fait rien. Mais, pourtant, on peut
découvrir que ce temps est rempli à 100% : il est
plein de sens. »
« Le temps de la méditation est plein de clarté, d’intelligence,
de bonté et de bienveillance, ce sont les
qualités de notre nature première », ajoute Lama
Zangmo.
Retraite de trois ans, trois mois, trois jours
La fameuse retraite des trois ans, trois mois, trois
jours des bouddhistes intrigue, car c’est un temps
séparé du monde. C’est le temps d’une longue
expérience consacrée à la méditation. Mais la
longue vie érémitique des chartreux n’intrigue
pas moins. Pour les moines chrétiens comme
pour les retraitants bouddhistes, cette vie à l’écart
permet de faire le silence, un silence propice à la
prière, ou à la méditation.
« La retraite des trois ans nécessite une préparation,
précise Lama Sengué. On peut la comparer
à une expédition, un départ en voyage, au cours
duquel le retraitant va apprendre à se dépouiller
du superflu. »
Durant ce voyage au coeur de soi, pas de contact
avec l’extérieur, afin de ne pas être dissipé ; pas de
courrier, « car il est source d’agitation », mais un
« capitaine », Lama Denys Rinpoché, qui dispense
l’enseignement, Lama Chödrup, qui s’occupe du
quotidien, et un intendant qui devient le seul lien
avec l’extérieur. Ce dernier est un peu comme la
« Mère » des compagnons du devoir du tour de
France : à l’écoute particulière des retraitants. Le
centre de retraite (Naro Ling pour les hommes
et Nigu Ling pour les femmes) est constitué d’un
temple autour duquel s’organise les cellules de vie
des retraitants. Il comporte des lieux communs :
salle de yoga, cuisine, salle de bain, et un jardin
pour la détente. Les retraitants ne sont pas inactifs,
ils suivent un programme d’enseignement et
de méditation qui commence à 5h et se termine à
23h. C’est le gong qui rythme les horaires, les débuts
et fins de session. Les retraitants pratiquent différentes
formes de méditation et un yoga tibétain.
« Cette expérience m’a permis de retrouver une
forme de fraîcheur et une plus grande disponibilité
», témoigne Lama Zangmo.
« Finalement, la retraite des trois ans passe très
vite, elle est aussi une expérience de la relativité
du temps. En la quittant, j’avais l’impression de
rentrer d’un long voyage en bateau, en solitaire.
Ensuite, il a fallu se réhabituer aux rythmes différents,
aux nouvelles situations. Je me suis dit
qu’il y avait une vie devant moi, et que je voulais
la vivre différemment. Au fond, avec la retraite,
rien ne s’est arrêté, ni n’a commencé : il y a eu une
continuité. J’ai cherché ensuite à mettre à profit,
dans cette vie qui continue, toutes les ressources
acquises et les découvertes faites », conclut Lama
Sengué.
B.C.
Plus d’infos sur les activités de L’institut bouddhique
Karma Ling : www.karmaling.org
« L’un des aspects de la tradition est que nous
pensons que l’homme est profondément bon
à la base, et que tout être vivant a en lui la
nature du Bouddha. »
Lama Sengué
Le Festival d’Avallon,
du 18 au 26 août 2012
Le Festival d’Avallon est l’un des nombreux
événements organisés à Karma Ling. Cette 2 e
édition sera de nouveau placée sous la direction
artistique de Maria João Pires, célèbre
pianiste portugaise spécialiste de Mozart. On
annonce un plateau musical exceptionnel
mariant différents styles musicaux : classique,
sacré, traditionnel et électronique ; mais aussi
un forum (conférences et ateliers) rassemblant
d’éminents représentants de la spiritualité, de
l’économie, des arts ou de la société civile ; et
un village d’exposition...
Le festival
s’ouvrira cette
année avec des
événements
dans les
communes
des environs :
Arvillard,
La Rochette et
Allevard.
(1) Hypothèse d’un axe traversant de nombreux sites dédiés
à saint Michel et Apollon, comme l’île de Skellig Michael en
Irlande, le mont Saint-Michel en Normandie, la Sacra di San
Michele dans les Alpes italiennes, Delphes et Délos en Grèce,
et jusqu’au mont Carmel en Israël. Le nom de Saint-Michel
est chrétien, mais les sites qui lui sont dédiés sont d’origine
pré-chrétienne. Ils ont été auparavant dédiés par les druides
aux dieux du soleil et aux déesses-mères de la terre. Puis ils
ont été absorbés par les chrétiens et renommés.