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Notre-Dame de l'Epine, le monument de 1543 ... - PATZINAKIA

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Studia Patzinaka, 4 / 2007, pp. 145-174<br />

<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong> :<br />

Usages, transformations, enjeux<br />

Corneliu DRAGOMIRESCU<br />

Si la basilique <strong>de</strong> l’Épine est un noeud <strong>de</strong> contradictions et <strong>de</strong> mystères, <strong>le</strong><br />

petit édicu<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> abrite, traditionnel<strong>le</strong>ment appelé « trésor », et plus<br />

récemment « tabernac<strong>le</strong>-reliquaire », l’est au mois autant, reflétant bien <strong>le</strong>s<br />

questions sou<strong>le</strong>vées par l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’édifice. Et il l’est même en tel<strong>le</strong><br />

mesure qu’on pourrait presque réécrire l’histoire <strong>de</strong> l’église à partir <strong>de</strong> lui.<br />

Ce ne sera pas <strong>le</strong> cas ici, dans l’espace <strong>de</strong> cet artic<strong>le</strong>. On va en revanche<br />

essayer <strong>de</strong> rediscuter certaines hypothèses et idées sur <strong>le</strong> <strong>monument</strong>, et<br />

esquisser aussi quelques nouvel<strong>le</strong>s pistes possib<strong>le</strong>s.<br />

Après une exposition généra<strong>le</strong> <strong>de</strong>s faits connus et un état <strong>de</strong>s lieux<br />

<strong>de</strong> nos connaissances sur l’édicu<strong>le</strong>, la discussion se poursuivra avec <strong>le</strong>s<br />

principa<strong>le</strong>s hypothèses hérissées jusqu’à présent autour <strong>de</strong> lui. On tentera<br />

enfin <strong>de</strong> retrouver <strong>le</strong>s origines <strong>de</strong> cette construction bien particulière, en se<br />

concentrant sur sa construction la première étape <strong>de</strong> son existence, et<br />

notamment sur la forme et l’usage primitif du <strong>monument</strong> 1 .<br />

ÉTAT DES LIEUX<br />

L’édicu<strong>le</strong> est placé entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux pi<strong>le</strong>s côté nord <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière travée du<br />

chœur, rattaché à la clôture, dont il interrompt ainsi la continuité, et est<br />

accolé à la pi<strong>le</strong> orienta<strong>le</strong>.<br />

C’est un édifice surmonté <strong>de</strong> pinac<strong>le</strong>s et voûté <strong>de</strong> trois croisées<br />

d’ogives (fig. 1). La travée centra<strong>le</strong>, qui est plus large, est surmontée d’une<br />

flèche inspirée <strong>de</strong> la flèche sud <strong>de</strong> la basilique. Les pilastres comportent <strong>de</strong>s<br />

éléments stylistiques <strong>de</strong> la Renaissance (losanges, <strong>de</strong>mi médaillon en partie<br />

basse, rinceaux en partie haute) ; ils sont couronnés <strong>de</strong> pinac<strong>le</strong>s flamboyants.<br />

Vers <strong>le</strong> déambulatoire l’édicu<strong>le</strong> est ouvert : au centre une gran<strong>de</strong> fenêtre<br />

rectangulaire surmontée <strong>de</strong> petits oculi et, à gauche, une porte étroite avec<br />

1 Je tiens à remercier particulièrement Jean-Baptiste Renault, qui a été à l’origine <strong>de</strong> cette<br />

contribution et qui, grâce à ses connaissances encyclopédiques sur l’Épine, a contribué<br />

constamment à l’enrichir. Je remercie aussi mes collègues <strong>de</strong> l’EHESS : Philippe Cor<strong>de</strong>z, pour<br />

ses observations fines et pour <strong>le</strong>s informations sur <strong>le</strong>s trésors d’église, Pierre-Olivier Dittmar, <strong>de</strong><br />

m’avoir orienté sur la piste <strong>de</strong>s répits et pour toutes <strong>le</strong>s discussions fécon<strong>de</strong>s, et Eric Hold, qui<br />

m’a accompagné dans <strong>le</strong>s premières incursions sur <strong>le</strong>s chemins <strong>de</strong> l’Épine.


Corneliu Dragomirescu<br />

<strong>de</strong>s marches portant <strong>de</strong>s traces d’usure. À l’intérieur se trouve, dans la<br />

travée orienta<strong>le</strong>, un siège en pierre et, dans la travée centra<strong>le</strong>, un grand<br />

coffre disposant d'une ouverture carrée <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> siège. Vers <strong>le</strong> chœur <strong>le</strong>s<br />

murs sont aveug<strong>le</strong>s : à gauche, laquel<strong>le</strong> correspond à la travée méridiona<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>, on remarque une plaque d’une teinte plus grise, masquant une<br />

ancienne ouverture restaurée. (fig. 2)<br />

Fig. 1. Le <strong>monument</strong> vu du déambulatoire ; © cliché <strong>de</strong> l’auteur.<br />

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<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

Fig. 2. Le <strong>monument</strong> vu du chœur / dans la travée occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> <strong>le</strong>s traces <strong>de</strong><br />

restauration <strong>de</strong> l’ancienne ouverture ; © cliché <strong>de</strong> l’auteur.<br />

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Corneliu Dragomirescu<br />

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I. HISTOIRE ET HISTORIOGRAPHIE<br />

L’édicu<strong>le</strong> porte la date <strong>de</strong> <strong>1543</strong>, observab<strong>le</strong> à <strong>de</strong>ux endroits différents dans<br />

<strong>de</strong>s cartouches rectangulaires (à droite vers <strong>le</strong> déambulatoire et <strong>de</strong>rrière,<br />

vers <strong>le</strong> choeur). La même date apparaît sur la clôture du chœur contiguë,<br />

vers <strong>le</strong> déambulatoire.<br />

L’intérieur est peint <strong>de</strong> rinceaux verts sur fond rouge et, en haut, <strong>de</strong><br />

f<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> lis d’or, sur fond rouge. Cette peinture pourrait dater <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>uxième moitié du XVI e sièc<strong>le</strong>. Une peinture mura<strong>le</strong> a été ajoutée à la fin du<br />

XVI e sièc<strong>le</strong> ou plutôt au début du XVII e sièc<strong>le</strong> 2 sur <strong>le</strong> mur <strong>de</strong>vant la gran<strong>de</strong><br />

ouverture centra<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> représente la Vierge, entourée <strong>de</strong>s attributs répandus<br />

par <strong>le</strong>s Litanies <strong>de</strong> Lorette, <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l’Immaculée Conception.<br />

Au XVII e sièc<strong>le</strong> apparaissent <strong>le</strong>s premières attestations écrites du<br />

<strong>monument</strong>, qui <strong>le</strong> désignent comme trésor. Lors <strong>de</strong> la visite épiscopa<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

1682, l’évêque Louis-Antoine <strong>de</strong> Noail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que <strong>le</strong>s reliques soient<br />

remises dans l’ancien « reliquaire et thresor » et que <strong>le</strong>s marguilliers fassent<br />

faire une bonne serrure 3 . Cette désignation laisse entendre que <strong>le</strong> <strong>monument</strong><br />

était alors utilisé comme armoire à reliques, et que cet usage avait une<br />

certaine ancienneté. Les reliques conservées à l’Épine étaient, d’après<br />

l’inventaire <strong>de</strong> 1660 4 : <strong>de</strong>ux morceaux <strong>de</strong> la Vraie Croix avec <strong>le</strong> reliquaire<br />

(mentionné dès 1553) 5 du saint Lait (donné en 1408) 6 , et une image <strong>de</strong> sainte<br />

Barbe comportant plusieurs reliques.<br />

La partie qui s’ouvrait vers <strong>le</strong> chœur a servi <strong>de</strong> tabernac<strong>le</strong> ; el<strong>le</strong> est<br />

isolée du reste du <strong>monument</strong> par une cloison rajoutée. Concernant cet usage,<br />

dans la visite <strong>de</strong> 1692, l’évêque <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> faire faire un tabernac<strong>le</strong>, cette<br />

injonction a été considérée comme étant à l’origine <strong>de</strong> cet ajout 7 .<br />

Ainsi, on constate qu’au XVII e sièc<strong>le</strong> la vocation d’origine est sans<br />

doute perdue, et <strong>le</strong>s transformations subies ont effacés largement <strong>le</strong>s traces<br />

<strong>de</strong> son ancien statut.<br />

Povillon-Piérard (1822) 8 ouvre la série historiographique<br />

contemporaine sur la basilique <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine. Il traite aussi <strong>de</strong><br />

2 Jean Fournée, « La peinture mura<strong>le</strong> <strong>de</strong> la basilique <strong>de</strong> l’Épine représentant la Vierge aux<br />

symbo<strong>le</strong>s bibliques », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine 101, janvier 1980, p. 13. El<strong>le</strong> a été<br />

considérée comme datant <strong>de</strong> l’époque Louis XIII, probab<strong>le</strong>ment du moment où <strong>le</strong>s frères<br />

Minimes se sont installés à L’Épine (1624). Cette datation est encore maintenue aujourd’hui. À<br />

ce sujet, voir l’artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> Patrick Demouy dans <strong>le</strong> présent volume. Une autre datation possib<strong>le</strong><br />

pourrait être indiquée par la bul<strong>le</strong> <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> la confrérie <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> L’Épine,<br />

en 1621.<br />

3 Arch. dép. Marne, H 314, pièce non cotée.<br />

4 Arch. dép. Marne, J 3884, f° 21.<br />

5 Arch. dép. Marne, J 3884, f° 2, art. C2.<br />

6 Arch. dép. Marne, J 3884, f° 2, art. C1.<br />

7 Jean-Baptiste Renault, La basilique <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, Langres, Dominique Guéniot, 2006, p.<br />

49.<br />

8 Étienne-François-Xavier Povillon-Piérard, Description historique <strong>de</strong> l’église <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong><br />

l'Épine, près <strong>de</strong> Châlons-sur-Marne, dans Annuaire <strong>de</strong> la Marne, 1822.


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

l’édicu<strong>le</strong>, dont il fait la <strong>de</strong>scription. Il précise sa fonction : ici, nous dit-il,<br />

« sont renfermés <strong>le</strong> Saint-Sacrement <strong>de</strong> nos autels et <strong>le</strong>s vases sacrés <strong>de</strong><br />

l’église » ; c’est ce lieu « que nous appelons communément trésor et qui est<br />

plutôt <strong>le</strong> sancta sanctorum » 9 . Cette formu<strong>le</strong>, ainsi que l’utilisation du temps<br />

présent, indiquent que l’édicu<strong>le</strong> était encore utilisé comme tel à l’époque.<br />

Fig. 3. Elévation <strong>de</strong> la « Custo<strong>de</strong> », dans J. Taylor, Voyages pittoresques et<br />

romantiques dans l’ancienne France, Paris, Firmin Didot Frères, 1854.<br />

9 Ibid., Châlons, 1825, p. 33.<br />

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Corneliu Dragomirescu<br />

Tout au long du XIX e sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong> <strong>monument</strong> est appelé « trésor » par <strong>le</strong>s<br />

auteurs. À la même époque, on y vénérait aussi <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong><br />

Bonsecours et une petite statue en plâtre, représentant la Vierge, était placée<br />

à l’intérieur 10 . El<strong>le</strong> est visib<strong>le</strong> dans une <strong>de</strong>s gravures publiées par Taylor 11<br />

(fig. 3). Dans <strong>le</strong> grand coffre, sous la fenêtre centra<strong>le</strong>, était encastré un tronc<br />

pour <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s. Ses traces sont encore visib<strong>le</strong>s aujourd’hui, après <strong>de</strong>s<br />

restaurations plus ou moins adroites. Il est lui-même présent sur la gravure<br />

<strong>de</strong> Dauzats (1847) et sur la photo (1966) qui accompagne l’artic<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Germaine Mail<strong>le</strong>t <strong>de</strong> 1967 12 . La gravure <strong>de</strong> Dauzats dans <strong>le</strong> volume publié<br />

par <strong>le</strong> baron Taylor en 1857 désigne <strong>le</strong> <strong>monument</strong> comme « custo<strong>de</strong> » par la<br />

légen<strong>de</strong> qui l’accompagne.<br />

L’abbé Barat (1860) s’inspire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Povillon-Piérard<br />

tout en la complétant. Il exprime son regret qu’on ait mutilé <strong>le</strong> <strong>monument</strong><br />

« en coupant <strong>le</strong>s trois colonnes du centre pour y encadrer une fenêtre <strong>de</strong><br />

bois » sans dire si cet état est récent ou s'il ne fait que l'observer 13 . Il croyait<br />

donc qu’à l’origine cette partie était voilée par <strong>le</strong>s colonnes qui auraient ainsi<br />

fait office <strong>de</strong> grillage. L’édicu<strong>le</strong> lui apparaissait donc plus clos à l’origine, à<br />

l’image d’une petite chapel<strong>le</strong>.<br />

Puiseux (1901) décrit <strong>le</strong> <strong>monument</strong> comme : « une sorte <strong>de</strong> grand<br />

reliquaire en pierre, une ‘logette’ (l’armoire <strong>de</strong>s anciennes églises) » 14 . Il<br />

soutient, « contre <strong>de</strong>s avis <strong>de</strong> certains archéologues », que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> « n’a<br />

jamais servi à renfermer la statue miracu<strong>le</strong>use 15 ». Il fait référence à Mgr<br />

Barbier <strong>de</strong> Montault, <strong>le</strong>quel avait affirmé que <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong>-reliquaire « est<br />

l’abri <strong>de</strong>stiné primitivement à renfermer la statuette <strong>de</strong> la Vierge » 16 . Puiseux<br />

affirme aussi que « <strong>de</strong>s documents anciens témoignent qu’on y plaçait ‘<strong>le</strong>s<br />

saintes Reliques’, et rien d’autre » 17 , faisant référence à l’inventaire <strong>de</strong> 1660.<br />

Mais cela ne rend pas compte d’un usage plus ancien.<br />

L’abbé Eugène Misset (1902) montre qu’il ne s’agit pas <strong>de</strong> l’abri<br />

primitif <strong>de</strong> la statue, mais soutient en revanche que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> a été<br />

construit pour servir <strong>de</strong> custo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la statue miracu<strong>le</strong>use, temporairement,<br />

pendant l’invasion <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s-Quint en <strong>1543</strong>-1544, qui vit <strong>le</strong> siège <strong>de</strong> Saint-<br />

Dizier et la dévastation <strong>de</strong> Vitry-en-Perthois 18 . Il justifie <strong>le</strong>s dimensions <strong>de</strong><br />

10 Jean-Pierre Ravaux, « Visite à <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine en 1856, par <strong>le</strong> baron Guilhermy », Les<br />

Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine, n° 83, juil<strong>le</strong>t 1975, p. 16.<br />

11 Gravure publiée dans Justin Taylor, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France,<br />

Paris Firmin Didot Frères, 1854, non paginé.<br />

12 Germaine Mail<strong>le</strong>t, Le tabernac<strong>le</strong>-reliquaire <strong>de</strong> l’Épine, Châlons-sur-Marne, 1967, p. 4.<br />

13 Joseph-A<strong>le</strong>xandre Barat, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine et son pè<strong>le</strong>rinage, Châlons-sur-Marne, 1860, p.<br />

93.<br />

14 Ju<strong>le</strong>s Puiseux (chanoine), <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine, son histoire, son pè<strong>le</strong>rinage, Châlons-sur-Marne,<br />

1901, p. 50.<br />

15 Ibid., p. 50.<br />

16 Revue <strong>de</strong> l’art chrétien, 1885, p. 245.<br />

17 Puiseux (chanoine), <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine, op. cit., p. 50.<br />

18 Eugène Misset, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine près Châlons-sur-Marne. La légen<strong>de</strong>. L'Histoire. Le<br />

Monument et <strong>le</strong> Pè<strong>le</strong>rinage, Paris, 1902, p. 85.<br />

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<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

l’édifice, plus gran<strong>de</strong>s que la statue actuel<strong>le</strong>, par <strong>le</strong> fait qu’à l’époque el<strong>le</strong><br />

aurait été entourée d’un buisson d’épines 19 , comme sur <strong>le</strong>s gravures <strong>de</strong>s<br />

XVII e et XVIII e sièc<strong>le</strong>s.<br />

Luc-Benoist (1933) 20 , contredisant Misset sur l’origine <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>,<br />

désigne <strong>le</strong> <strong>monument</strong> comme un « tabernac<strong>le</strong>-reliquaire ». Pour lui,<br />

« l’édifice <strong>de</strong>vait être prévu dans <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> la construction bien avant <strong>1543</strong><br />

» 21 , et ajoute que « si cette <strong>de</strong>stination a pu être envisagée <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

constructeurs, el<strong>le</strong> n’a jamais été mise en pratique par <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé » 22 . L’auteur<br />

distingue dès <strong>le</strong> début la partie tabernac<strong>le</strong> <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> employée comme sacraire<br />

et reliquaire.<br />

Les éléments d’huisserie subsistants ont été en<strong>le</strong>vés en 1967 par <strong>le</strong><br />

Service <strong>de</strong>s Monuments historiques (une porte en bois et la vitre). Le tronc<br />

pour <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s disposé dans <strong>le</strong> coffre central, sous la fenêtre a été aussi<br />

écarté 23 - la restauration visib<strong>le</strong> date <strong>de</strong> cette époque.<br />

Germaine Mail<strong>le</strong>t (1967) décrit <strong>le</strong> <strong>monument</strong> comme une « armoire<br />

en pierre », ayant l’aspect d’une « petite chapel<strong>le</strong> à trois nefs » 24 . El<strong>le</strong> soutient<br />

l’hypothèse d’une ancienne armoire eucharistique, initia<strong>le</strong>ment nichée dans<br />

<strong>le</strong> mur <strong>de</strong> l’église, ayant précédé la construction actuel<strong>le</strong> et qui a été<br />

transformée et adaptée dans la <strong>de</strong>rnière phase <strong>de</strong> construction (1515-1527),<br />

avec l’élargissement du chœur. El<strong>le</strong> reprend aussi l’idée <strong>de</strong> Misset, voyant <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong> comme étant l’abri <strong>de</strong> la statue miracu<strong>le</strong>use, et pour appuyer<br />

cette hypothèse apporte d’autres exemp<strong>le</strong>s d’armoires eucharistiques qui ont<br />

associé l’image <strong>de</strong> la Vierge 25 .<br />

Dom Berland (1972) a rapproché l’édicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Recevresse d’Avioth,<br />

qui se trouve à l’entrée du cimetière et où <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rins apportaient <strong>le</strong>urs dons<br />

aux pieds d’une statue <strong>de</strong> la Vierge 26 . Il imagine un emploi pareil à l’Épine,<br />

avec un custos, un chapelain qui recevait <strong>le</strong>s dons, ce qui expliquerait la<br />

présence du siège en pierre à l’intérieur. Il rajoute ainsi une fonction <strong>de</strong><br />

pénitencier et <strong>de</strong> confessionnal avant la <strong>le</strong>ttre, <strong>le</strong> chapelain accordant <strong>le</strong><br />

pardon aux fidè<strong>le</strong>s 27 .<br />

En conclusion <strong>de</strong> cette première partie, on remarquera donc que<br />

l’énumération et l’observation <strong>de</strong>s arguments qui s’enchaînent à travers <strong>le</strong><br />

temps chez <strong>le</strong>s différents auteurs dégagent <strong>le</strong> caractère exceptionnel <strong>de</strong> cet<br />

édicu<strong>le</strong>. On <strong>le</strong> perçoit comme étant investi d’une gran<strong>de</strong> force d’évocation,<br />

car il suscite <strong>le</strong>s hypothèses <strong>le</strong>s plus vives et <strong>le</strong>s plus diverses, stimulant ainsi<br />

l’imagination par ce qui reste à voir, mais surtout par ce qui manque, effacé<br />

par <strong>le</strong> temps.<br />

19 Ibid., p. 84.<br />

20 Luc-Benoist, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>l'Epine</strong>, Paris, Henri Laurens, 1933 (Ire éd. ; 2 e éd. 1962).<br />

21 Ibid., p. 78.<br />

22 Ibid., p. 78.<br />

23 Mail<strong>le</strong>t, Le tabernac<strong>le</strong>-reliquaire, op. cit., p. 1.<br />

24 Ibid.<br />

25 Ibid., p. 6.<br />

26 Dom Jean-Marie Berland, L’Épine en Champagne, Colmar, 1972, p. 94.<br />

27 Ibid.<br />

151


Corneliu Dragomirescu<br />

152<br />

II. TRANSFORMATIONS ET ÉTAPES<br />

Afin <strong>de</strong> poursuivre notre analyse, il convient maintenant d’interroger <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong> en partant <strong>de</strong> son état actuel, tout en tenant compte aussi <strong>de</strong>s<br />

transformations visib<strong>le</strong>s et attestées. On pourra rediscuter ainsi quelques<br />

hypothèses lancées autour <strong>de</strong> lui.<br />

Ce qu’on peut affirmer à partir <strong>de</strong> l’état actuel c’est qu’il s’agit<br />

vraisemblab<strong>le</strong>ment d’un lieu <strong>de</strong> conservation (forme architecturée, plusieurs<br />

espaces à l’intérieur, y compris <strong>de</strong>s cachettes). Il contenait autrefois quelque<br />

chose qui pouvait être vu (fenêtre, oculi), par <strong>de</strong>s laïcs (ouverture vers <strong>le</strong><br />

déambulatoire et non vers <strong>le</strong> choeur). À l’intérieur on pouvait pénétrer et<br />

s'asseoir dans un certain secret (escalier, banc), ce qu'on a pratiqué souvent<br />

(usure). Aussi, on peut affirmer que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> était conçu comme<br />

important pour l’église (pierre, qualité généra<strong>le</strong>, remaniements et<br />

restaurations).<br />

Il ne peut pas avoir été à l’origine simp<strong>le</strong>ment un lieu <strong>de</strong><br />

conservation d’objets liturgiques ou <strong>de</strong> reliques, quoique cette fonction soit<br />

la seu<strong>le</strong> attestée par <strong>le</strong>s textes (mention en 1682) 28 . L'armoire à reliques,<br />

comme à Souvigny par exemp<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s sacristies qui en général sont plutôt<br />

du côté du transept sud, n'ont pas besoin d'un tel dispositif. L'importance <strong>de</strong><br />

la sacristie <strong>de</strong> L'Épine, lieu fermée d'une clôture flamboyante, poserait<br />

d'ail<strong>le</strong>urs la question <strong>de</strong> l'utilité d'une tel<strong>le</strong> armoire. Les trésors d’église<br />

(dénommées sur <strong>le</strong>s plans thesaurus, sacrarium, armorium, domus tresori, aurea<br />

camina) 29 sont en général situés en hauteur et l'on y accè<strong>de</strong> par un escalier 30 .<br />

En revanche il existait <strong>de</strong>s armoires et <strong>de</strong>s niches mura<strong>le</strong>s (Chartres, Poitiers,<br />

Angers), <strong>de</strong>s armoires à reliques dans une chapel<strong>le</strong> sud (Evreux) ou <strong>de</strong>s<br />

<strong>monument</strong>s reliquaires en bois (Saint-Bertrand-<strong>de</strong>-Comminges, bâti sur<br />

l’emplacement du tombeau <strong>de</strong> saint Bertrand) 31 .<br />

Le <strong>monument</strong> <strong>de</strong> L’Épine est praticab<strong>le</strong>, ce qui n’est jamais <strong>le</strong> cas<br />

dans <strong>le</strong>s armoires comme cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Souvigny. On remarque qu’il n’y a pas <strong>de</strong><br />

trace <strong>de</strong> serrurerie pour l’entrée du grand « coffre » en pierre : on n’a donc<br />

pas pu y enfermer <strong>le</strong>s reliques, au mieux on <strong>le</strong>s plaçait sur <strong>le</strong> coffre pour <strong>le</strong>s<br />

montrer. La mention <strong>de</strong> la confection d’une serrure pour la porte apparaît en<br />

1682 quand l’évêque Louis-Antoine <strong>de</strong> Noail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux marguilliers<br />

<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r « une bonne serrure ». On pourrait en déduire que l’édicu<strong>le</strong><br />

était ouvert, ou du moins plus accessib<strong>le</strong> avant cette date. Il est probab<strong>le</strong><br />

qu’il n’eut pas à l’origine une fonction <strong>de</strong> conservation (réservée<br />

28 Arch. dép. Marne, H 314, pièce non cotée.<br />

29 Marie-Anne Sire, « Les trésors <strong>de</strong>s cathédra<strong>le</strong>s : sal<strong>le</strong>s fortes, chambres aux reliques ou<br />

cabinets <strong>de</strong> curiosités ? », dans Catherine Arminjon et Denis Laval<strong>le</strong> (dir.), 20 sièc<strong>le</strong>s en<br />

cathédra<strong>le</strong>s, Paris, Monum/Ed. du Patrimoine, 2001, p. 193.<br />

30 Ibid.<br />

31 Ibid., p. 192.


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

éventuel<strong>le</strong>ment à la sacristie), mais qu’il fut utilisé comme « thresor » à<br />

partir <strong>de</strong> 1682 ou peu <strong>de</strong> temps avant 32 .<br />

L’hypothèse d’un confessionnal, ou d’un reliquaire avec une<br />

pratique <strong>de</strong> confession, paraît douteuse car il n’y a pas la place à l’intérieur<br />

pour accueillir <strong>le</strong> prêtre et <strong>le</strong> fidè<strong>le</strong> ensemb<strong>le</strong>. Pour Germaine Mail<strong>le</strong>t aussi la<br />

solution du pénitencier est improbab<strong>le</strong>, car « exposer <strong>le</strong>s pénitents en haut<br />

<strong>de</strong>s marches et <strong>de</strong> ne pouvoir guère par<strong>le</strong>r à voix basse, <strong>le</strong> prêtre étant assez<br />

éloigné » 33 . Même en voyant, comme Dom Berland, <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rin montant sur<br />

<strong>de</strong>s marches vers un palier situé <strong>de</strong>vant l’entrée, si on intègre l'édicu<strong>le</strong> dans<br />

une évolution plus généra<strong>le</strong>, il faut tenir compte que l'apparition <strong>de</strong>s<br />

confessionnaux tels qu'on <strong>le</strong>s connaît est assez tardive, datant <strong>de</strong> la fin XVI e<br />

ou du début du XVII e sièc<strong>le</strong>. Le conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Milan (1566) est <strong>le</strong> premier qui<br />

légifère sur la question 34 . Les écrits <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s Borromée se répan<strong>de</strong>nt assez<br />

tardivement en France, pays qui ne commence à appliquer <strong>le</strong>s prescriptions<br />

du Conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Trente qu’assez tardivement, après 1580 35 . Auparavant <strong>le</strong><br />

prêtre confessait souvent <strong>de</strong>rrière l'autel majeur, c'est à dire <strong>de</strong>rrière une<br />

châsse reliquaire ou un retab<strong>le</strong> 36 . Cette hypothèse présente donc un doub<strong>le</strong><br />

défaut : <strong>le</strong> désavantage pratique <strong>de</strong> l’espace et l’invraisemblance<br />

chronologique.<br />

S’agirait-il d’un reliquaire avec une pratique <strong>de</strong> dévotion, voire <strong>de</strong><br />

pénitence ? Cela est plus probab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> côté nord étant plus souvent associé au<br />

thème <strong>de</strong> la pénitence. Les reliquaires sous <strong>le</strong>squels on passe ou dans<br />

<strong>le</strong>squels on entre la tête, comme <strong>le</strong> « débredinoir » à Saint-Menoux, sous la<br />

forme d’un sarcophage suré<strong>le</strong>vé percé d'oculi, sont <strong>de</strong> bons éléments <strong>de</strong><br />

comparaison mais concernent <strong>de</strong>s époques antérieures, autour <strong>de</strong>s XII e -XIII e<br />

sièc<strong>le</strong>s. Ainsi notre édicu<strong>le</strong> s’approche plus <strong>de</strong>s trésors conçus par <strong>le</strong><br />

gothique tardif et faits pour la contemplation <strong>de</strong>s reliques, et qui <strong>de</strong>viennent<br />

ainsi <strong>de</strong>s vrais ostensoirs <strong>monument</strong>aux 37 . A l’église Saint-Mathias <strong>de</strong><br />

Trèves, vers 1512-1514, <strong>de</strong>s transformations ont intégré la chambre <strong>de</strong>s<br />

reliques située à l’extrémité orienta<strong>le</strong> du bas-coté nord, dans <strong>le</strong> parcours du<br />

pè<strong>le</strong>rinage 38 . Là aussi il y avait un important reliquaire <strong>de</strong> la Croix ; <strong>le</strong>s<br />

reliques pouvaient être montrées aux fidè<strong>le</strong>s par <strong>de</strong>s fenêtres, soit vers<br />

l’intérieur <strong>de</strong> l’église, soit vers l’extérieur. À la cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Trèves, <strong>de</strong>ux<br />

32 L’évêque mentionne l’« ancien reliquaire et thresor ». Même s'il ignore l'utilisation originel<strong>le</strong>,<br />

on peut imaginer qu'il suppose, ou qu'il sait que cet emploi existait déjà avant sa visite.<br />

33 Germaine Mail<strong>le</strong>t, « Les Mystères <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine », Bul<strong>le</strong>tin du Comité du folklore<br />

champenois 109-112, 1973, p. 18.<br />

34 Dom Jean-Marie Berland, L’Épine en Champagne, op. cit., p. 94.<br />

35 Marc Venard, « Le Conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Trente », dans Giuseppe Alberigo (ed.), Les Conci<strong>le</strong>s<br />

œcuméniques, Paris, Cerf, 1994, t. I, p. 329.<br />

36 Eugène E. Viol<strong>le</strong>t-<strong>le</strong>-Duc, « Autel », dans Id., Dictionnaire raisonné <strong>de</strong> l’architecture française du<br />

XIe au XVIe sièc<strong>le</strong>, Paris, Bance/Morel, 1854-1868, t. 2.<br />

37 Franz J. Ronig, « Trésors et chambres <strong>de</strong> reliques : A propos <strong>de</strong> la conservation originel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

objets précieux », dans Jacques Stiennon, Rita Lejeune (éd.), Rhin-Meuse : Art et Civilisation (800-<br />

1400), Cologne/Bruxel<strong>le</strong>s, 1972, p. 135.<br />

38 Ibid.<br />

153


Corneliu Dragomirescu<br />

escaliers dans <strong>le</strong> chœur permettaient aux pè<strong>le</strong>rins <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> long <strong>de</strong> la<br />

relique 39 .<br />

Même si à L’Épine on ne retrouve ni <strong>le</strong>s dimensions ni la structure<br />

généra<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces chambres à reliques, on retient cependant l’idée d’un lieu <strong>de</strong><br />

conservation et dévotion situé dans <strong>le</strong> bas-côté nord. Le même principe<br />

aurait pu mener à L’Épine à l’aménagement <strong>de</strong> ce lieu particulier pour<br />

l'ostension <strong>de</strong>s reliques à l’intention du cortège <strong>de</strong>s pè<strong>le</strong>rins. Mais cette<br />

hypothèse sera plus longuement débattue dans la partie suivante, dans <strong>le</strong><br />

contexte <strong>de</strong>s origines du <strong>monument</strong>.<br />

Fig. 4. Vue intérieure <strong>de</strong> la travée occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong>, par-<strong>de</strong>ssus <strong>le</strong> mur rajouté ;<br />

© cliché <strong>de</strong> l’auteur.<br />

La fonction <strong>de</strong> tabernac<strong>le</strong>, affectée à la partie méridiona<strong>le</strong> du <strong>monument</strong>,<br />

serait assez tardive – c’est ce qui a été généra<strong>le</strong>ment déduit <strong>de</strong> la visite<br />

épiscopa<strong>le</strong> <strong>de</strong> 1692 40 . El<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> être confirmée par <strong>le</strong>s adaptations, plus ou<br />

moins adroites et encore visib<strong>le</strong>s, qui ont modifié l’espace intérieur <strong>de</strong><br />

l’édicu<strong>le</strong> : un mur iso<strong>le</strong> une partie <strong>de</strong> la travée méridiona<strong>le</strong> du <strong>monument</strong>,<br />

créant ainsi un espace clos ; il correspond à l’ancienne ouverture vers <strong>le</strong><br />

chœur, aujourd’hui masquée par la plaque grise visib<strong>le</strong> 41 . Mais à l’intérieur<br />

39 Ibid.<br />

40 Renault, La basilique <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine, op. cit., p. 49.<br />

41 Cet espace ainsi crée a en effet <strong>de</strong>ux étages : une plaque sépare une partie haute<br />

(« tabernac<strong>le</strong> ») et une plus petite, délimitée en bas par la partie haute du grand coffre en pierre.<br />

El<strong>le</strong> est accessib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> <strong>de</strong>vant, c'est-à-dire par <strong>le</strong> mur ajouté, à travers une petite ouverture<br />

154


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

<strong>de</strong> la partie tabernac<strong>le</strong> il n’y a pas <strong>de</strong> peinture, ni sur <strong>le</strong>s murs ni sur <strong>le</strong>s<br />

colonnettes, tandis qu’il y en a sur l’extérieur du mur, vers la fresque 42 . (fig.<br />

4) On remarque aussi que <strong>le</strong> haut avait été fermé par une plaque horizonta<strong>le</strong><br />

et la pierre a été sectionnée plus récemment. D’autre part, dans la liste <strong>de</strong>s<br />

dévastations faites à la Révolution on mentionne « <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong> du ci-<strong>de</strong>vant<br />

grand autel brisé » 43 . Le conservateur appelé pour évaluer <strong>le</strong>s dégâts,<br />

apprécie en revanche que <strong>le</strong>s objets détruits étaient <strong>de</strong>s pièces « du plus<br />

mauvais genre » et qu’on avait « rien touché à l’architecture <strong>de</strong>s<br />

<strong>monument</strong>s » 44 ; il s’agissait donc d’une autre construction qui servait <strong>de</strong><br />

tabernac<strong>le</strong> à l’époque : <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong> du maître-autel. Il faut donc réviser la<br />

chronologie acceptée jusqu’ici, et supposer que <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong> a été installé<br />

dans <strong>le</strong> <strong>monument</strong> plus tôt qu’on ne la cru, soit aux environs <strong>de</strong> <strong>1543</strong>, date<br />

que l'on peut rapprocher <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> du maître-autel (1542), <strong>le</strong>quel n'était<br />

probab<strong>le</strong>ment pas pourvu <strong>de</strong> tabernac<strong>le</strong> 45 . Le caractère improvisé <strong>de</strong> la paroi<br />

qui <strong>le</strong> sépare du reste <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>, ainsi que l’ouverture dans la plaque<br />

arrière, ne permettent pas <strong>de</strong> <strong>le</strong> situer là dès <strong>1543</strong>, comme <strong>le</strong> laisse entendre<br />

Luc-Benoist, en invoquant comme argument <strong>le</strong> décor <strong>de</strong> ciboires qui orne<br />

cette partie <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong> 46 . Mais cette adaptation est survenue peu <strong>de</strong> temps<br />

après la finition du <strong>monument</strong>, et avant la réalisation <strong>de</strong> la peinture<br />

décorative qui couvre <strong>le</strong>s murs à l’intérieur. Ainsi <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong> a bien pu<br />

fonctionner dans <strong>le</strong> <strong>monument</strong> jusqu’en 1692, date <strong>de</strong> l’injonction <strong>de</strong><br />

l’évêque. Un « vrai » tabernac<strong>le</strong> l’a replacé après, sur l'autel, jusqu’à sa<br />

<strong>de</strong>struction à la Révolution. Après cel<strong>le</strong>-ci, il se pourrait qu'on ait réutilisé <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong> comme tabernac<strong>le</strong> si l'on en croit Povillon-Piérard. D'ail<strong>le</strong>urs, en<br />

ce qui concerne l’obturation <strong>de</strong> l’ouverture vers <strong>le</strong> chœur, il est intéressant<br />

<strong>de</strong> remarquer que Guilhermy, qui rédige ses notes vers 1856, décrit encore<br />

ici « une petite fenêtre carrée » 47 ; la restauration actuel<strong>le</strong> est donc<br />

postérieure à cette date.<br />

En prenant en compte <strong>le</strong>s faits connus et analysés jusqu’ici, on peut<br />

dégager trois gran<strong>de</strong>s étapes dans la vie du <strong>monument</strong>, en tenant compte<br />

<strong>de</strong>s transformations successives :<br />

rectangulaire. Etait-ce un lieu pour <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s et dons, comme un coffre pour <strong>le</strong>s aumônes ?<br />

Nous ne pouvons pas être surs ; aujourd’hui encore on trouve à l’intérieur <strong>de</strong>s prières sur<br />

papier et <strong>de</strong>s médail<strong>le</strong>s apportées comme don à la Vierge – une possib<strong>le</strong> survivance d’une<br />

pratique plus ancienne.<br />

42 Germaine Mail<strong>le</strong>t rapproche cette peinture <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> du XIVe sièc<strong>le</strong>, et y voit un argument en<br />

faveur <strong>de</strong> son hypothèse soutenant un état ancien <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>, provenant <strong>de</strong> l’ancienne église.<br />

Guilhermy au contraire apprécie la peinture <strong>de</strong>s murs comme étant du XVIe sièc<strong>le</strong>. Voir Mail<strong>le</strong>t,<br />

« Les Mystères <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine », op. cit., p. 20 ; Ravaux, « Visite à <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong><br />

l’Épine en 1856… », op. cit., p. 15.<br />

43 Henri Stein, « <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine à l’époque révolutionnaire », Nouvel<strong>le</strong> Revue <strong>de</strong><br />

Champagne et <strong>de</strong> Brie 13, 1935, p. 213.<br />

44 Ibid., p. 218.<br />

45 Jean-Pierre Ravaux, « Recueil <strong>de</strong> textes... », dans <strong>le</strong> présent volume, n° 49.<br />

46 Luc-Benoist, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine, op. cit., p. 76.<br />

47 Ravaux, « Visite à <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine en 1856… », op. cit., p. 16.<br />

155


Corneliu Dragomirescu<br />

156<br />

1°. L’étape primitive, dont la date repère est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>. Le <strong>monument</strong><br />

est lié à la présence <strong>de</strong>s reliques <strong>le</strong>s plus importantes, notamment la<br />

relique <strong>de</strong> la Vraie Croix et est érigé peu après la série <strong>de</strong>s autels.<br />

2. Pério<strong>de</strong> d’ajout <strong>de</strong> la fresque (fin du XVI e sièc<strong>le</strong> ou début du XVII e<br />

sièc<strong>le</strong>) et <strong>de</strong> récupération par la dévotion maria<strong>le</strong>. La présence du<br />

thème <strong>de</strong> l’Immaculée Conception se justifie par un fort désir <strong>de</strong><br />

réaffirmer la dévotion à la Vierge contre <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong> la Réforme 48 .<br />

3. Fin du XVII e sièc<strong>le</strong> : nouveau changement suite à l’application <strong>de</strong>s<br />

prescriptions du Conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Trente et à <strong>le</strong>urs conséquences. L'édicu<strong>le</strong><br />

ne gênant pas en soi, on l'aura gardé en <strong>le</strong> transformant pour <strong>le</strong><br />

réutiliser comme trésor. Il est dorénavant fermé et non accessib<strong>le</strong> au<br />

grand public.<br />

À ces trois pério<strong>de</strong>s doit s’ajouter une phase plus récente au XIX e sièc<strong>le</strong>,<br />

lorsque l’emploi n’est plus très bien défini, mais que l’on continue à l’utiliser<br />

pour la dévotion (<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> Bonsecours) et <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s (tronc). Cette<br />

étape a été suivie au XX e sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> la restauration et <strong>de</strong> l’enlèvement <strong>de</strong>s<br />

éléments rajoutés, laissant aussi la place libre à tous <strong>le</strong>s questionnements et<br />

hypothèses possib<strong>le</strong>s. Mais el<strong>le</strong> a permis aussi au <strong>monument</strong> <strong>de</strong> réintégrer <strong>le</strong><br />

parcours du pè<strong>le</strong>rin ou du simp<strong>le</strong> visiteur, en re<strong>de</strong>venant un espace ouvert,<br />

visib<strong>le</strong> et praticab<strong>le</strong>.<br />

Maintenant, il faut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi on ne comprend pas la<br />

fonction <strong>de</strong> l'édicu<strong>le</strong>, et pourquoi il est encore là ?<br />

Date et forme d’origine<br />

III. LES ORIGINES<br />

En dépit du fait que la date <strong>de</strong> <strong>1543</strong> apparaisse à <strong>de</strong>ux endroits sur <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong>, la question d’une plus gran<strong>de</strong> ancienneté a été déjà posée.<br />

Germaine Mail<strong>le</strong>t a supposé qu’il y avait eu au même endroit une<br />

structure antérieure. Dans son artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> 1967, el<strong>le</strong> remarque <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong><br />

soc<strong>le</strong> est « <strong>de</strong> pierre différente et d’un tout autre travail et<br />

vraisemblab<strong>le</strong>ment d’une toute autre époque » 49 . Cependant la pierre n’est<br />

pas différente <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> la clôture du chœur ; il y a <strong>de</strong>s différences avec<br />

<strong>le</strong>s parties plus hautes du <strong>monument</strong>, mais cela ne suffit pas pour démontrer<br />

que <strong>le</strong> soc<strong>le</strong> est plus ancien. El<strong>le</strong> suppose ensuite que « cette base ait servi <strong>de</strong><br />

soc<strong>le</strong> à une véritab<strong>le</strong> armoire eucharistique » 50 , avec un oculus ouvert vert<br />

48 Jean Fournée, « La peinture mura<strong>le</strong> <strong>de</strong> la basilique <strong>de</strong> l’Epine représentant la Vierge aux<br />

symbo<strong>le</strong>s bibliques », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine 101, 1980, p. 13.<br />

49 Mail<strong>le</strong>t, Le tabernac<strong>le</strong>-reliquaire…, op. cit., p. 3.<br />

50 Ibid.


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

l’extérieur, sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s armoires lorraines 51 . Cette hypothèse suppose<br />

qu’avant l’élargissement se trouvait ici <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> l’église. En revenant sur <strong>le</strong><br />

sujet dans un artic<strong>le</strong> ultérieur, Germaine Mail<strong>le</strong>t affirme même que cette<br />

plate-forme pourrait être « un reste <strong>de</strong> l’église ou <strong>de</strong> la chapel<strong>le</strong> primitive » 52 .<br />

La partie haute serait postérieure, faite avec la clôture du chœur.<br />

Cette question suscite une autre : où était <strong>le</strong> <strong>monument</strong> à l’origine ? (fig. 5)<br />

Fig. 5. Plan <strong>de</strong> l'édifice ; en vert : limite <strong>de</strong> l’édifice avant la campagne <strong>de</strong><br />

construction <strong>de</strong> 1515-1527, selon J.P. Ravaux ; en jaune : i<strong>de</strong>m, selon G.<br />

Mail<strong>le</strong>t ; en b<strong>le</strong>u : emplacement <strong>de</strong> la statue miracu<strong>le</strong>use.<br />

51 Ibid., p. 4.<br />

52 Mail<strong>le</strong>t, « Les Mystères <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>… », op. cit., p. 17.<br />

157


Corneliu Dragomirescu<br />

Pour cela il faudrait savoir où se terminait l’église avant la <strong>de</strong>rnière<br />

campagne <strong>de</strong> construction (1509-1524). Il existe <strong>de</strong>ux possibilités : soit <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux premières travées du chœur étaient fermées par un mur droit, jusqu’à<br />

la reprise <strong>de</strong> la construction 53 , soit il y avait une absi<strong>de</strong> polygona<strong>le</strong>, à peu<br />

près sur <strong>le</strong>s limites du chœur actuel 54 . Dans <strong>le</strong> premier cas, une structure<br />

antérieure au <strong>monument</strong> actuel aurait été à l’extérieur, peut-être dans <strong>le</strong><br />

cimetière qui entourait <strong>le</strong> site du chantier. Dans <strong>le</strong> second, <strong>le</strong> <strong>monument</strong>, ou<br />

son état primitif aurait été liminaire, contigu ou englobé dans <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> cette<br />

absi<strong>de</strong>, comme <strong>le</strong> veut Germaine Mail<strong>le</strong>t. En remarquant l’alignement parfait<br />

avec la clôture du chœur actuel<strong>le</strong>, on voit que cela n’est pas fortuit. Soit une<br />

absi<strong>de</strong> existait avant, sur cette même limite, soit la conception et la<br />

construction sont entièrement postérieures à l’achèvement du déambulatoire<br />

et <strong>de</strong>s chapel<strong>le</strong>s rayonnantes, l’édicu<strong>le</strong> étant prévu seu<strong>le</strong>ment dans<br />

l’élargissement <strong>de</strong> l’édifice actuel. S’il y a eu un état plus ancien, mais avec<br />

une fonction semblab<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> d’armoire à reliques, il a du être remplacé<br />

pendant l’élargissement.<br />

En revenant à la question <strong>de</strong> l’origine, on se rend compte qu’on est<br />

loin <strong>de</strong>s hypothèses <strong>de</strong> Germaine Mail<strong>le</strong>t. Le <strong>monument</strong> n’est pas beaucoup<br />

plus ancien, il n’est pas un reliquat <strong>de</strong> l’ancienne église. La question qui se<br />

pose maintenant est <strong>de</strong> savoir si l’ensemb<strong>le</strong> est cohérent, c’est-à-dire si la<br />

partie basse et la partie haute sont <strong>de</strong> la même époque.<br />

Pour tenter <strong>de</strong> répondre, il faut comprendre <strong>le</strong> lien existant avec la clôture<br />

du chœur (fig. 6). La clôture méridiona<strong>le</strong> est é<strong>le</strong>vée en 1527, dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong><br />

flamboyant ; cel<strong>le</strong> du nord, qui présente <strong>de</strong>s éléments stylistiques classiques,<br />

date pour sa part <strong>de</strong> <strong>1543</strong>, selon un cartouche sur <strong>le</strong> segment contigu au<br />

<strong>monument</strong>, à droite vers la nef 55 . Dom Berland affirme que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> a<br />

été construit avant la clôture, « bien que la même année <strong>1543</strong> » 56 , mais il est<br />

diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> soutenir cette antériorité. Jean-Pierre Ravaux remarque que la<br />

face orienta<strong>le</strong> du <strong>monument</strong> et aussi la partie sud-est <strong>de</strong> la clôture<br />

présentent <strong>de</strong>s éléments inachevés 57 . Ainsi, sur <strong>le</strong> coté oriental du<br />

<strong>monument</strong>, on remarque <strong>de</strong>s plaques non entièrement sculptées et une<br />

colonnette incomplète. Cela montrerait que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux constructions, clôture et<br />

<strong>monument</strong>, ont toujours été à cet endroit : <strong>le</strong>s parties moins visib<strong>le</strong>s, donc<br />

moins importantes, ont été laissées en l’état. Un contrefort du <strong>monument</strong><br />

53 Jean-Pierre Ravaux, « La clôture du Chœur <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<br />

<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine 105, 1981, p. 10.<br />

54 Ceci résulte aussi <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> Germaine Mail<strong>le</strong>t, qui soutient qu’avant la construction <strong>de</strong> la<br />

clôture du chœur, en 1542, il y avait <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> l’église à la place du <strong>monument</strong>. Cf. Le tabernac<strong>le</strong>reliquaire…,<br />

op. cit., p. 3.<br />

55 Jean-Pierre Ravaux, « L’Épine. Basilique <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> », dans Dictionnaire <strong>de</strong>s églises <strong>de</strong> France,<br />

V B : Champagne, Flandre, Artois, Picardie, Paris, R. Laffont, 1969, p. 57-58.<br />

56 Berland, L’Épine en Champagne, op. cit., p. 91.<br />

57 Jean-Pierre Ravaux, « La clôture du chœur … (suite) », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine<br />

104, 1980, p. 13.<br />

158


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

masque la partie sud-est <strong>de</strong> la clôture : l’édicu<strong>le</strong> à été installé avant la clôture<br />

au cours <strong>de</strong> l’année <strong>1543</strong> 58 . Germaine Mail<strong>le</strong>t admet qu’il a été fait avec la<br />

clôture du chœur, mais ajoute que probab<strong>le</strong>ment « ce <strong>monument</strong> n’a pas été<br />

prévu dès <strong>le</strong> début, car <strong>le</strong> raccord avec <strong>le</strong> pilier est maladroit » 59 .<br />

Fig. 6. Le <strong>monument</strong> et la clôture du chœur contiguë, vus du<br />

déambulatoire ; © cliché <strong>de</strong> l’auteur.<br />

Il faut donc admettre que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> a été construit avant la clôture<br />

actuel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la première travée. Cela est évi<strong>de</strong>nt aussi dans <strong>le</strong> fait qu’à la<br />

jonction avec <strong>le</strong> coté occi<strong>de</strong>ntal du <strong>monument</strong>, la clôture masque une partie<br />

<strong>de</strong>s éléments décoratifs <strong>de</strong> celui-ci. Mais est-ce là tout sur la chronologie du<br />

<strong>monument</strong>-clôture ? Il faudrait encore rendre compte <strong>de</strong>s différences<br />

stylistiques entre <strong>le</strong> haut et <strong>le</strong> bas du <strong>monument</strong>. En-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cela,<br />

58 Ibid.<br />

59 Mail<strong>le</strong>t, « Les Mystères <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>… », op. cit., p. 18.<br />

159


Corneliu Dragomirescu<br />

l’assemblage <strong>de</strong>s pierres donne l’impression d’une construction en <strong>de</strong>ux<br />

temps, la partie du <strong>monument</strong> au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la plaque horizonta<strong>le</strong> du grand<br />

coffre semb<strong>le</strong> être « posée » après la partie basse. C’est bien à ce niveau que<br />

<strong>le</strong>s différences stylistiques sont notab<strong>le</strong>s. Jean-Pierre Ravaux, dans la<br />

chronologie qu’il établit, montre en effet qu’il <strong>de</strong>vait y avait du coté nord<br />

une clôture datant toujours <strong>de</strong> 1527 ; cel<strong>le</strong>-ci à été remplacée par la clôture<br />

actuel<strong>le</strong>, plus « mo<strong>de</strong>rne », après la construction <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong> 60 . La partie<br />

basse <strong>de</strong> la clôture semb<strong>le</strong> en revanche plus ancienne, et pourrait dater <strong>de</strong> la<br />

même époque. On pourrait alors envisager que la partie basse du <strong>monument</strong><br />

daterait aussi <strong>de</strong> 1527, faite avec l’ancienne clôture. En effet el<strong>le</strong> lui<br />

ressemb<strong>le</strong> en ce qui concerne l’exécution - une arcature gothique trilobée - et<br />

aussi <strong>le</strong>s marques d’usure. Le <strong>monument</strong> aurait pu avoir une partie haute<br />

moins importante que maintenant 61 . En 1542, on instal<strong>le</strong> <strong>le</strong> maître-autel<br />

dédié à la Sainte-Croix. Cet événement aurait pu déterminer la décision <strong>de</strong><br />

modifier et agrandir <strong>le</strong> <strong>monument</strong>, pour l'ostension <strong>de</strong> la relique <strong>de</strong> la Vraie<br />

Croix. C’est à cette date que l’on érige donc la partie supérieure du<br />

<strong>monument</strong> (qui porte <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cartouches avec la date <strong>de</strong> <strong>1543</strong>), en mêlant<br />

une structure gothique avec <strong>de</strong>s éléments décoratifs <strong>de</strong> la Renaissance. Puis<br />

on construit ensuite la clôture vers l’ouest, dans un sty<strong>le</strong> qui ne doit plus<br />

rien au gothique. Voici une possib<strong>le</strong> chronologie qui nuance cel<strong>le</strong><br />

habituel<strong>le</strong>ment acceptée, tout en rendant compte <strong>de</strong>s différences entre <strong>le</strong>s<br />

parties du <strong>monument</strong>, et <strong>de</strong>s raccords plus ou mois adroits avec la clôture.<br />

On se posera ensuite quelques questions sur la forme qu’avait <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong> à l’origine. Le problème a souvent été sou<strong>le</strong>vé en ce qui concerne<br />

<strong>le</strong>s ouvertures qui ren<strong>de</strong>nt <strong>le</strong> <strong>monument</strong> praticab<strong>le</strong> : étaient-el<strong>le</strong>s ainsi dès <strong>le</strong><br />

début ?<br />

La porte ne peut être que d’origine comme en témoignent <strong>le</strong>s<br />

jointures <strong>de</strong>s pierres et <strong>le</strong>ur profon<strong>de</strong>ur. Le siège et <strong>le</strong> coffre, très anciens,<br />

sont aussi là dès <strong>le</strong> début si l’on admet une construction en <strong>de</strong>ux étapes. La<br />

fenêtre rectangulaire est d’origine, avec <strong>le</strong>s glissières et <strong>le</strong> système <strong>de</strong><br />

fermeture, malgré ce que dit Barat <strong>de</strong> trois éventuel<strong>le</strong>s colonnes supprimées,<br />

car tout a du être prévu dans la structure dès la conception du projet. Le<br />

percement <strong>de</strong>s oculi et <strong>de</strong>s lancettes est postérieur, fait avec <strong>de</strong>s coupures<br />

grossières ayant abîmé la peinture recouvrant <strong>le</strong>s murs (fig. 7). Cette partie<br />

était donc primitivement aveug<strong>le</strong>. Son ouverture tardive témoigne d’un<br />

changement d’usage lié peut-être à la nécessité d'éclairer la fresque,<br />

l’ouverture permettant une lumière naturel<strong>le</strong> directe sur cel<strong>le</strong>-ci. L’édicu<strong>le</strong><br />

était donc primitivement plus clos, mais était déjà pourvu <strong>de</strong> la porte et <strong>de</strong> la<br />

60 Ravaux, « La clôture du chœur… », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine 105, 1981, p. 13.<br />

61 Les tabernac<strong>le</strong>s en bois, richement décorées, sont répandus en Champagne, avec <strong>le</strong>s plus<br />

beaux exemp<strong>le</strong>s conservés à Saint-André-<strong>le</strong>s-Vergers et à Bouilly (vers1520). Cf. Jacques<br />

Baudoin, La sculpture flamboyante en Champagne Lorraine, Nonette, Créer, 1990, p. 31-32. Ainsi on<br />

pourrait même envisager à l’Epine une armoire à reliques en bois, placée sur la partie basse, en<br />

pierre, et qui aurait été remplacée par la partie haute actuel<strong>le</strong>, en pierre.<br />

160


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

fenêtre ; on remarque une fois <strong>de</strong> plus son rô<strong>le</strong> dans l’ostension d’objets <strong>de</strong><br />

dévotion.<br />

Fig. 7. Intérieur du <strong>monument</strong> : évi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l'arcature <strong>de</strong> la travée<br />

centra<strong>le</strong> ; © cliché <strong>de</strong> l’auteur.<br />

161


Corneliu Dragomirescu<br />

Fig. 7bis. « Custo<strong>de</strong> à <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>l'Epine</strong> ». Gravure <strong>de</strong> A. Dauzats,<br />

1847 ; dans J. Taylor, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne<br />

France, Paris, Firmin Didot Frères, 1854.<br />

162


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

Dom Berland avance l’idée d’un soc<strong>le</strong> plus large vers <strong>le</strong> déambulatoire,<br />

aujourd’hui tronqué. Il aurait comporté un débor<strong>de</strong>ment très net avec <strong>de</strong>ux<br />

escaliers latéraux et un palier (<strong>de</strong> 0,48 m hauteur) 62 . Cela serait confirmé par<br />

un travail plus grossier <strong>de</strong> la pierre sur la face avant du soc<strong>le</strong> actuel. Mais la<br />

différence n’est pas si gran<strong>de</strong> avec <strong>le</strong> reste <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> la clôture, par<br />

exemp<strong>le</strong>, donc insuffisant pour permettre cette déduction. Ce soc<strong>le</strong> aurait<br />

d’ail<strong>le</strong>urs trop débordé sur <strong>le</strong> déambulatoire, lieu <strong>de</strong> passage <strong>de</strong>s pè<strong>le</strong>rins<br />

qui <strong>de</strong>vait rester libre. Mais l’usure <strong>de</strong> la pierre <strong>de</strong>s marches, près du mur<br />

vertical, ne peut s’expliquer que par l’existence d’un soc<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> suggère aussi<br />

que celui-ci était assez étroit (environ 50 cm.), <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rins étant forcés <strong>de</strong><br />

marcher très près du mur <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>. La gravure <strong>de</strong> Dauzats <strong>de</strong> 1847<br />

présente la situation du sol avant <strong>le</strong> dallage actuel (fig. 7bis). Les gran<strong>de</strong>s<br />

dal<strong>le</strong>s placées <strong>de</strong>vant l’édifice pourraient marquer la place autrefois occupée<br />

par <strong>le</strong> soc<strong>le</strong> avant son ajustement 63 .<br />

La question du modè<strong>le</strong><br />

En ce qui concerne un possib<strong>le</strong> modè<strong>le</strong> pour cette construction, il aurait pu<br />

être inspiré par <strong>le</strong> sacrarium <strong>de</strong> la cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Reims, armoire construite au<br />

XV e sièc<strong>le</strong> et <strong>de</strong>stinée à conserver <strong>le</strong>s reliquaires et <strong>le</strong>s vases sacrés 64 . Il était,<br />

comme à l’Épine, placé sur la clôture <strong>de</strong> chœur, à gauche du maître-autel, et<br />

on y accédait par cinq marches 65 . Les vastes remaniements <strong>de</strong> l’espace<br />

liturgique <strong>de</strong> la cathédra<strong>le</strong> au XVIII e sièc<strong>le</strong> ont mené à sa disparition (en<br />

1741) 66 . On manque donc <strong>de</strong> précisions sur sa structure et son emplacement<br />

exact pour pouvoir faire une comparaison poussée. Le sacrarium <strong>de</strong> Reims<br />

est cependant visib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s gravures représentant <strong>le</strong> sacre <strong>de</strong> Louis XV en<br />

1722 (fig. 8), et sur un tab<strong>le</strong>au <strong>de</strong> J.-B. Martin, où l’on aperçoit émergeant du<br />

décor du sanctuaire avec ses pinac<strong>le</strong>s flamboyants.<br />

Ce parallè<strong>le</strong> pourrait rendre compte <strong>de</strong> l’aspect extérieur, mais pas<br />

<strong>de</strong> la structure intérieure, car <strong>le</strong>s informations sur <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> Reims<br />

nous manquent 67 . On a pu, sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> <strong>de</strong> Reims, copier cet édicu<strong>le</strong> et<br />

l’adapter ensuite aux nécessités <strong>de</strong> l'église <strong>de</strong> L’Épine, qui n’étaient pas <strong>le</strong>s<br />

mêmes, notamment au regard <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>ste quantité d'objets sacrés attestée<br />

62 Berland, L’Épine en Champagne, op. cit., p. 93.<br />

63 Ces dal<strong>le</strong>s ont apparemment été confondues par Germaine Mail<strong>le</strong>t avec <strong>de</strong>s dal<strong>le</strong>s funéraires.<br />

Cf. Le tabernac<strong>le</strong>-reliquaire…, op. cit., p. 5, n. 1.<br />

64 Patrick Demouy, « Vie d’une cathédra<strong>le</strong> », dans Id. (dir.), Reims : La Cathédra<strong>le</strong>, Saint-Léger-<br />

Vauban, Zodiaque, 2000, p. 92.<br />

65 Char<strong>le</strong>s Cerf (chanoine), Histoire et <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> Reims, Reims, P. Dubois, 1861,<br />

t. I, p. 115.<br />

66 Demouy, « Vie d’une cathédra<strong>le</strong> », op. cit., p. 92.<br />

67 La définition du sacrarium tel<strong>le</strong> que la donne Guillaume Durand est : « sacrarium, siue locus in<br />

quo sacra reponuntur, siue in quo sacerdos sacras uestes induit, uterum sacratissime Marie significat in<br />

quo Christus se sacra ueste carne uestituit. Sacerdos a loco in quo uestes induit ad publicum procedit<br />

quia Christus, ex utero Virginis proce<strong>de</strong>ns, in mundum uenit. ». Cf. Guillaume Durand, Rationa<strong>le</strong><br />

divinorum officiorum, I, i, 38, CCCM CXL, p. 23.<br />

163


Corneliu Dragomirescu<br />

par la bul<strong>le</strong> <strong>de</strong> Calixte II ou l'inventaire <strong>de</strong> 1660. Ainsi, il a pu avoir été prévu<br />

sur <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> construction bien avant <strong>1543</strong> à partir du modè<strong>le</strong> du sacrarium<br />

<strong>de</strong> Reims, comme <strong>le</strong> croit Luc-Benoist 68 . Les nombreuses parentés <strong>de</strong> l'église<br />

avec Reims ont été soulignées <strong>de</strong>puis longtemps. Pour l'aspect extérieur <strong>de</strong><br />

l'édicu<strong>le</strong>, il faut tenir compte aussi du contexte <strong>de</strong> la construction, qui est<br />

celui d’une transition entre l’art du Moyen Âge et <strong>de</strong> la Renaissance, laquel<strong>le</strong><br />

s’opère dans la région entre 1530 et 1540, soit avec un retard d’environ 30<br />

ans par rapport au reste <strong>de</strong> la France 69 . Au-<strong>de</strong>là, il y a <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> prestigieux,<br />

et surtout <strong>le</strong> désir <strong>de</strong> rendre hommage aux prédécesseurs par une allusion<br />

délibérée, admirative et sans doute symbolique à l'église du XV e sièc<strong>le</strong>. Ce<br />

renvoi formel prolonge <strong>le</strong>s temps « mythiques » <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> la<br />

basilique - on veut presque faire croire que <strong>le</strong> <strong>monument</strong> date <strong>de</strong> la<br />

construction même si on y inscrit la date (remplages encore rayonnants,<br />

pinac<strong>le</strong>s, flèche). Ceci rendrait compte aussi <strong>de</strong> la différence assez marquée<br />

du point <strong>de</strong> vue stylistique avec la clôture du chœur, malgré <strong>le</strong>s motifs<br />

communs qui apparaissent. Les conditions loca<strong>le</strong>s assignent à l’édicu<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> lieu d’ostension et <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> reliques, en ajoutant aussi<br />

celui <strong>de</strong> tabernac<strong>le</strong>. C’est ensuite, à la lumière <strong>de</strong>s changements religieux du<br />

XVII e sièc<strong>le</strong>, qu’il a été adapté à <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s fins, plus appropriées aux<br />

conceptions <strong>de</strong> l’époque, survivant ainsi à son modè<strong>le</strong> rémois.<br />

Une autre comparaison, basée sur <strong>de</strong>s aspects formels, pourrait être<br />

faite avec <strong>le</strong>s sépulcres <strong>monument</strong>aux, qui apparaissent et se développent dans<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième quart du XIV e sièc<strong>le</strong> 70 . Ils ont un modè<strong>le</strong> funéraire, <strong>le</strong> tombeau à<br />

baldaquin, mais se placent dans la tradition très ancienne <strong>de</strong>s<br />

représentations du Saint-Sépulcre <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m 71 . Souvent, ces structures<br />

étaient utilisées dans <strong>de</strong>s jeux liturgiques <strong>de</strong> Visitatio sepulchri, avec <strong>le</strong>s trois<br />

Marie qui découvrent <strong>le</strong> tombeau vi<strong>de</strong> du Christ ressuscité. Ce type <strong>de</strong><br />

<strong>monument</strong> se retrouve notamment en Alsace et en Souabe, où <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s<br />

abon<strong>de</strong>nt à l’image du sépulcre <strong>de</strong> Saint-Etienne <strong>de</strong> Strasbourg (fig. 9) ou <strong>de</strong><br />

celui <strong>de</strong> Haguenau (fig. 10), tous <strong>de</strong>ux datant du milieu du XIV e sièc<strong>le</strong>. Leur<br />

modè<strong>le</strong> commun semb<strong>le</strong>rait être <strong>le</strong> sépulcre <strong>de</strong> la chapel<strong>le</strong> Sainte-Catherine<br />

<strong>de</strong> la cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Strasbourg 72 , construit entre 1340-1345 et aujourd’hui<br />

détruit. La comparaison pourrait se faire pour la structure généra<strong>le</strong> et<br />

notamment pour la partie haute, <strong>le</strong>s pinac<strong>le</strong>s. Mais <strong>le</strong>s ressemblances<br />

s’arrêtent ici, car à l’Epine manque toute référence à <strong>de</strong>s statues <strong>de</strong> saintes<br />

femmes ou du Christ mort. Aussi, à l’Epine <strong>le</strong> <strong>monument</strong> est praticab<strong>le</strong> – ce<br />

n’est pas <strong>le</strong> cas <strong>de</strong>s sépulcres rhénans.<br />

68 Luc-Benoist, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine, op. cit., p. 78.<br />

69 Baudoin, La sculpture flamboyante…, op. cit., p. 227.<br />

70 Sylvie Aballéa, Les saints sépulcres <strong>monument</strong>aux du Rhin supérieur et <strong>de</strong> la Souabe : 1340-1400,<br />

Strasbourg, Presses Universitaires <strong>de</strong> Strasbourg, 2003, p. 10.<br />

71 Ibid., p. 49.<br />

72 Aballéa, Les saints sépulcres <strong>monument</strong>aux…, op. cit., p. 85-87.<br />

164


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

Fig. 8. Gravure représentant <strong>le</strong> sacre <strong>de</strong> Louis XV en 1722 dans la<br />

Cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Reims (détail) ; reproduction d’après Patrick Demouy,<br />

François Pomarè<strong>de</strong>, Reims : Panorama <strong>monument</strong>al et architectural <strong>de</strong>s<br />

origines à 1914, Strasbourg, Conta<strong>de</strong>s, 1985, fig. 63.<br />

165


Corneliu Dragomirescu<br />

Fig. 9. Sépulcre <strong>de</strong> Saint-Etienne <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> Jean-Jacques<br />

Arhardt, 1670, Strasbourg, Cabinet <strong>de</strong>s estampes ; © DRAC Alsace.<br />

166


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

Fig. 10. Sépulcre d'Haguenau, dans l’église Saint-Nicolas ; © DRAC<br />

Alsace.<br />

167


Corneliu Dragomirescu<br />

Cette influence pourrait venir d’un rapprochement avec l’Empire. La<br />

Champagne se trouve en effet placée sur un axe commercial est-ouest reliant<br />

<strong>le</strong>s terres d’Empire et la région parisienne 73 . Alain Vil<strong>le</strong>s a re<strong>le</strong>vé l’influence<br />

du mobilier <strong>monument</strong>al qui se développe dès <strong>le</strong> début du XV e sièc<strong>le</strong> dans<br />

l’Empire, notamment en ce qui concerne l’aspect <strong>de</strong> la flèche sud <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<br />

<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine, inspirée <strong>de</strong>s dais germaniques et copiée à échel<strong>le</strong> réduite<br />

sur l’édicu<strong>le</strong> 74 .<br />

Ce parallè<strong>le</strong> n'est valab<strong>le</strong> que pour <strong>le</strong>s aspects formels. On ne<br />

suggèrerait pas ici l’existence <strong>de</strong> jeux liturgiques à l’Épine, car aucun<br />

document ne soutiendrait cette idée. En plus, si l’est <strong>de</strong> la France est pourvu<br />

en ce genre <strong>de</strong> sépulcres, dans <strong>le</strong> reste du pays <strong>le</strong>s dramatisations <strong>de</strong> Pâques<br />

utilisent <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong> maître-autel pour figurer <strong>le</strong> sépulcre du Christ.<br />

C’est <strong>le</strong> cas dans <strong>le</strong>s cathédra<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Châlons (XIII e sièc<strong>le</strong>) 75 et <strong>de</strong> Troyes (XIV e<br />

sièc<strong>le</strong>) 76 . Aussi, <strong>le</strong>s rites <strong>de</strong> Visitatio pasca<strong>le</strong> <strong>de</strong>viennent très rares dans la<br />

<strong>de</strong>uxième moitié du XVI e sièc<strong>le</strong> 77 . À l’Épine, ce renvoi formel aux sépulcres<br />

est à mettre en relation avec <strong>le</strong>s nombreuses références à la Passion et à la<br />

Croix, continuation thématique logique, car il rappel<strong>le</strong> la mort du Christ<br />

mais aussi sa Résurrection. Le contexte d’un important culte <strong>de</strong> la Passion et<br />

<strong>de</strong> la Croix, très répandu en Champagne trouve à l’Épine une expression<br />

très intense 78 : représentations <strong>de</strong> la Crucifixion et <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> la Passion<br />

(autel Saint-Clau<strong>de</strong>), maître-autel dédié à la Sainte Croix en 1542, relique <strong>de</strong><br />

la Vraie Croix. Les archives conservaient aussi <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> la provenance<br />

du saint Lait (provenant <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m au lieu <strong>de</strong> Bethléem).<br />

L'association du culte du Christ souffrant et <strong>de</strong> la Vierge, caractéristique du<br />

XV e sièc<strong>le</strong> 79 , s’exprime à l'Épine à travers <strong>le</strong>s reliques majeures qui s’y<br />

trouvent. À cette époque se multiplient dans <strong>le</strong>s églises <strong>le</strong>s lieux <strong>de</strong>stinés à<br />

73 Cette voie favorise aussi la circulation <strong>de</strong>s thèmes iconographiques, comme l’a montré<br />

Véronique Boucherat en ce qui concerne l’influence <strong>de</strong>s gravures <strong>de</strong>s maîtres germaniques, dont<br />

<strong>le</strong>s plus connus sont Dürer et Schongauer, sur la production <strong>de</strong> vitraux et <strong>de</strong> sculpture. Cf. L'art<br />

en Champagne à la fin du Moyen Âge : productions loca<strong>le</strong>s et modè<strong>le</strong>s étrangers : v. 1485-v. 1535,<br />

Rennes, Presses universitaires <strong>de</strong> Rennes, 2005.<br />

74 Alain Vil<strong>le</strong>s, « <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine, sa faça<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> », Congrès Archéologique <strong>de</strong> France<br />

185, 1977, p. 850, p. 861, n. 71.<br />

75 Karl Young, The Drama of the Medieval Church, Oxford, Clarendon Press, 1933, p. 279. Voir ms<br />

BnF lat. 10579 ; voir aussi l’ordinaire <strong>de</strong> Châlons, Bibliothèque <strong>de</strong> l'Evêché <strong>de</strong> Châlons, fol. 81r-<br />

82r.<br />

76 Young, The Drama…, op. cit., p. 291.<br />

77 Neil C. Brooks, The Sepulchre of Christ in Art and Liturgy, with Special Reference to the Liturgic<br />

Drama, Urbana, University of Illinois Press, 1921, p. 49.<br />

78 Baudoin, La sculpture flamboyante…, op. cit., p. 18-19. À la fin du XIIIe sièc<strong>le</strong>, il existe à la<br />

cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Châlons, dans <strong>le</strong> transept nord, <strong>de</strong>s autels dédiés à la Sainte Croix et au saint Lait,<br />

qui sont justement <strong>de</strong>s reliques possédées aussi par l'Épine. Une armoire à reliques existe dans<br />

<strong>le</strong> chœur côté nord en face <strong>de</strong> la cathèdre. Cf. Etienne Hurault, La cathédra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Châlons et son<br />

c<strong>le</strong>rgé à la fin du XIIIe sièc<strong>le</strong>, Châlons-sur-Marne, 1907, p. 9. L’auteur cite l’ordinaire : « ad partem<br />

sinistram, vadit ad altare Sancti Lactis et ad altare Sanctae Crucis ».<br />

79 Francis Rapp, « Mutations et difficultés du pè<strong>le</strong>rinage à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe sièc<strong>le</strong>s) », dans Jean Chelini, Henry Branthomme (éd.), Les chemins <strong>de</strong> Dieu. Histoire <strong>de</strong>s<br />

pè<strong>le</strong>rinages chrétiens, <strong>de</strong>s origines à nos jours, Paris, Hachette, 1982, p. 222.<br />

168


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

remplacer <strong>le</strong> voyage en Terre sainte : sépulcres, mises au tombeau, jardins<br />

<strong>de</strong>s Oliviers 80 . Ces <strong>monument</strong>alisations, qui supposent en même temps une<br />

mise en scène, sont <strong>de</strong>stinées à répondre à une nouvel<strong>le</strong> foi plus<br />

individualisée. On pourrait voir <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> l’Épine aussi comme un<br />

lieu où l'on rappel<strong>le</strong> la Terre sainte, à travers la présence du reliquaire <strong>de</strong> la<br />

Croix, qui renvoie à la Résurrection, tout comme <strong>le</strong> sépulcre, notamment<br />

parce que c'est une croix glorieuse, et <strong>de</strong> la relique du saint Lait.<br />

Quel<strong>le</strong> était sa <strong>de</strong>stination ?<br />

On arrive maintenant à la question <strong>de</strong> l’usage du <strong>monument</strong>. Quel a pu être<br />

en effet sa fonction, étant donné qu’il était praticab<strong>le</strong> et qu’il a été<br />

fréquemment utilisé, ou « visité », ce qui explique son usure importante. Il<br />

faut d’abord se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à quand remontent ces traces d'usure (fig. 11) :<br />

datent-el<strong>le</strong>s vraiment <strong>de</strong> la première utilisation, comme on pourrait <strong>le</strong><br />

penser, ou d'une autre pratique inconnue, au XIX e sièc<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong> ?<br />

Fig. 11. Usure <strong>de</strong>s marches d’accès et <strong>de</strong>s restes <strong>de</strong> l’ancien soc<strong>le</strong> ; © cliché<br />

<strong>de</strong> l’auteur.<br />

80 Ibid., p. 226.<br />

169


Corneliu Dragomirescu<br />

L’usure <strong>de</strong>s marches <strong>de</strong> la porte est à mettre en rapport avec cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la base<br />

<strong>de</strong> la clôture du chœur contiguë. Sans doute <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sont très anciennes.<br />

El<strong>le</strong>s sont <strong>de</strong> plus comparab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>urs dimensions (environ 2 cm.). Si cela<br />

peut s’expliquer pour la clôture puisqu’on se hissait par curiosité pour voir<br />

<strong>le</strong> grand-autel, l’usure <strong>de</strong>s marches du <strong>monument</strong> est plus surprenante, car<br />

el<strong>le</strong> indique une forte fréquentation <strong>de</strong> cet espace, norma<strong>le</strong>ment moins<br />

accessib<strong>le</strong>, puisqu’en retrait <strong>de</strong> l’espace <strong>de</strong> passage habituel du fidè<strong>le</strong> dans <strong>le</strong><br />

déambulatoire. Cela suggère que ce lieu était une station dans <strong>le</strong> parcours<br />

<strong>de</strong>s pè<strong>le</strong>rins qui venaient en grand nombre pour vénérer la statue<br />

miracu<strong>le</strong>use. Concernant <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> personnes venant à L’Épine, pour <strong>le</strong><br />

XVII e sièc<strong>le</strong>, époque <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urissement du pè<strong>le</strong>rinage, la <strong>le</strong>ttre roya<strong>le</strong> <strong>de</strong> 1626<br />

par<strong>le</strong> d’un « grand nombre <strong>de</strong> peup<strong>le</strong> qui abor<strong>de</strong> journel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> toutes<br />

pars à L’Épine », estimant à 1 400 ou 1 500 <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> communiants à<br />

chaque fête <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> « et autres so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>s » 81 . L’usure ne pourrait<br />

pas être très récente, car, au moins pour <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong>, et jusqu’en 1967, une<br />

porte limitait l’accès à l’intérieur. Cette usure serait donc antérieure à la<br />

fermeture du <strong>monument</strong> au public qui, comme nous l’avons vu, daterait du<br />

XVII e sièc<strong>le</strong>. Plus intéressante encore est l’usure <strong>de</strong> la base du buffet <strong>de</strong> la<br />

travée centra<strong>le</strong>, laquel<strong>le</strong> est très prononcée vers la gauche : cela<br />

correspondrait à la place laissée ouverte par la glissière. Peut-être se hissaiton<br />

pour toucher un reliquaire ou pour laisser <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s.<br />

À L’Épine, la vénération <strong>de</strong>s reliques était accompagnée d’offran<strong>de</strong>s,<br />

comme semb<strong>le</strong>nt l’attester <strong>le</strong>s sommes apportées à la fin du XVII e sièc<strong>le</strong><br />

« <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s saintes reliques » 82 en un lieu non mentionné. Le <strong>monument</strong><br />

était donc intégré dans cette forme <strong>de</strong> dévotion qui attirait <strong>le</strong>s fou<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

pè<strong>le</strong>rins. Le reliquaire <strong>de</strong> la Vraie Croix, attesté dès 1553, comporte <strong>de</strong>s<br />

parties peut-être plus anciennes, comme ce médaillon quadrilobé contenant<br />

<strong>le</strong>s portions <strong>de</strong> bois et peut-être daté du XIV e sièc<strong>le</strong> 83 . Jean-Pierre Ravaux<br />

montre même que <strong>le</strong> formidab<strong>le</strong> essor <strong>de</strong> L’Épine au XV e sièc<strong>le</strong> pourrait être<br />

du à la présence <strong>de</strong> cette relique très vénérée, et non pas à la statue<br />

miracu<strong>le</strong>use, comme on l’a longtemps cru 84 .<br />

Tout au long du XV e sièc<strong>le</strong>, donc bien avant <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong><br />

l’état actuel <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong>, on a <strong>de</strong>s témoignages sur <strong>le</strong>s dons reçus, et l'on<br />

peut supposer qu'ils sont liés à l’attrait que suscitent <strong>le</strong>s reliques <strong>de</strong> l’Épine.<br />

Ainsi, suite à un procès <strong>de</strong> 1457, <strong>le</strong>s marguilliers s’engagent à payer à<br />

Jacques Bouron, chanoine <strong>de</strong> Reims et curé <strong>de</strong> Me<strong>le</strong>tte, 11 écus d’or par an,<br />

« et qu’ilz perçoive toutes <strong>le</strong>s oblations qui seraient hors <strong>le</strong> cœur <strong>de</strong> ladite<br />

église » 85 . Un accord <strong>de</strong> 1472 entre <strong>le</strong>s marguilliers et <strong>le</strong> curé Jacques <strong>de</strong><br />

Vieil<strong>le</strong>vil<strong>le</strong> prévoit que toutes <strong>le</strong>s oblations faites en-<strong>de</strong>hors du chœur, sauf<br />

81 Berland, L’Épine en Champagne, op. cit., p. 33.<br />

82 Renault, La basilique <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine…, op. cit., p. 49.<br />

83 Anonyme, « Le trésor <strong>de</strong> N.-D. <strong>de</strong> L’Épine : la relique <strong>de</strong> la Vraie Croix », Les Anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Épine 22, 1960, p. 6.<br />

84 Voir l’artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jean-Pierre Ravaux dans <strong>le</strong> présent volume.<br />

85 Inventaire <strong>de</strong> 1660, Arch. dép. Marne, J 3884, f°2v°.<br />

170


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

dans <strong>le</strong>s mains du curé, sont à la fabrique 86 . Le lieu <strong>de</strong> présentation <strong>de</strong>s<br />

reliques était donc hors du chœur ; avait-on déjà imaginé <strong>le</strong> <strong>monument</strong>,<br />

pensé comme lieu <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong>s reliques dans <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> l’église ? On<br />

ne peut <strong>le</strong> savoir mais sans doute <strong>de</strong>s reliques d’une tel<strong>le</strong> importance<br />

<strong>de</strong>mandaient un lieu pour une ostention aux fidè<strong>le</strong>s dans toute <strong>le</strong>ur gloire,<br />

un lieu bien évi<strong>de</strong>nt, sur <strong>le</strong> passage <strong>de</strong>s fidè<strong>le</strong>s, et dans la proximité du<br />

maître-autel, dédié comme on l’a vu à la Croix. L’importance <strong>de</strong>s reliques <strong>de</strong><br />

la Croix et <strong>le</strong> développement du pè<strong>le</strong>rinage a ainsi mené à la construction<br />

d’un lieu spécial pour l’ostention <strong>de</strong>s reliques et dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> susciter <strong>le</strong>s<br />

offran<strong>de</strong>s.<br />

On revient ainsi à l’usage du <strong>monument</strong> comme reliquaire avec une<br />

fonction dévotionnel<strong>le</strong> et <strong>de</strong> pénitence. Le pè<strong>le</strong>rin y pénétrait peut-être pour<br />

être associé à ce lieu. Cela renvoie aussi à l’idée <strong>de</strong> sépulcre – on y pénétrait<br />

pour être soi-même enterré, et ressortir après avoir fait pénitence vers une<br />

nouvel<strong>le</strong> vie. En faveur <strong>de</strong> cette hypothèse témoignent l’espace (porte, siège,<br />

éventuel<strong>le</strong>ment l’ouverture sous l’autel) et aussi l’ornementation <strong>de</strong>s murs. Il<br />

y a un souci esthétique indéniab<strong>le</strong>, sans doute à l’intention <strong>de</strong>s fidè<strong>le</strong>s qui<br />

<strong>de</strong>vraient y pénétrer en grand nombre. De plus, la richesse du décor reflétait<br />

l’importance <strong>de</strong>s objets contenus. Le pè<strong>le</strong>rin entrait, s’asseyait, regardait et<br />

vénérait <strong>de</strong>s reliques qui pouvaient être vues aussi d’en <strong>de</strong>hors, <strong>de</strong>puis la<br />

fenêtre. Ce rituel a du avoir lieu pendant suffisamment longtemps, <strong>de</strong>puis la<br />

construction <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong> (<strong>1543</strong>, ou 1527, si on admet une construction en<br />

<strong>de</strong>ux temps), pendant la recharge « maria<strong>le</strong> », avec la fresque, et jusqu’à la<br />

fermeture du <strong>monument</strong> vers la fin du XVII e sièc<strong>le</strong>.<br />

Un autre usage possib<strong>le</strong> ?<br />

Avant <strong>de</strong> conclure on doit encore explorer la relation que pourrait avoir <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong> avec la pratique <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à répit, c’est-à-dire la résurrection<br />

<strong>le</strong> temps <strong>de</strong> l’onction baptisma<strong>le</strong> <strong>de</strong>s enfants morts-nés, afin qu’ils puissent<br />

être sauvés. L’Eglise a toujours eu une attitu<strong>de</strong> ambiguë envers ces<br />

pratiques, laissant faire pour apaiser la dou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s parents, tout en restant<br />

pru<strong>de</strong>nte face à <strong>de</strong>s manifestations populaires superstitieuses 87 . Au XIV e<br />

sièc<strong>le</strong> s’opère un changement essentiel, l’Eglise établissant un cadre public et<br />

sacré pour ces manifestations : on passe ainsi du mirac<strong>le</strong> à répit au<br />

sanctuaire à répit 88 . Un lieu et une pratique sont ainsi définis.<br />

Cette pratique a été très répandue dans la France du Nord, <strong>de</strong> l’Est<br />

et du Centre 89 . Le phénomène se développe en rapport avec <strong>de</strong>s images<br />

86 Ibid., I, f° 3.<br />

87 Didier Lett, L’enfant <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s : enfances et famil<strong>le</strong>s au Moyen Âge, XIIe-XIVe sièc<strong>le</strong>s, Paris,<br />

Aubier, 1997, p. 206-207.<br />

88 Ibid., p. 207.<br />

89 Jacques Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes : Mort-nés et parents dans l’Europe chrétienne, Paris,<br />

Audibert, 2006, p. 88.<br />

171


Corneliu Dragomirescu<br />

miracu<strong>le</strong>uses ; <strong>le</strong> plus souvent il s’agit d’une statue représentant la Vierge 90 .<br />

Il est à noter qu’en général ce sont <strong>de</strong>s Vierges déjà connues pour <strong>le</strong>urs<br />

pouvoirs miracu<strong>le</strong>ux qui sont à l’origine du répit 91 .<br />

À L’Épine, cette pratique est attestée dès <strong>le</strong> XV e sièc<strong>le</strong> 92 . Au cours du<br />

XV e sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s informations concernant un possib<strong>le</strong> lieu d’exposition font<br />

défaut mais, à partir du XVII e sièc<strong>le</strong>, ce lieu est mentionné et il s’agit<br />

<strong>de</strong> l’autel <strong>de</strong> la sainte Vierge. Des informations ora<strong>le</strong>s reprises par Barat<br />

permettent <strong>de</strong> préciser l’endroit où <strong>le</strong>s parents plaçaient l’enfant, soit « sur <strong>le</strong><br />

marchepied <strong>de</strong> l’autel <strong>de</strong> la sainte Vierge » 93 . Si aucun mirac<strong>le</strong> n’est<br />

mentionné au XVI e sièc<strong>le</strong>, cette pratique a du continuer en dépit <strong>de</strong>s statuts<br />

synodaux châlonnais <strong>de</strong> 1557 la condamnant 94 . Le <strong>monument</strong> aurait pu être<br />

en rapport avec cette pratique car certains éléments soutiennent cette<br />

hypothèse :<br />

- même si <strong>le</strong>s autorités font tout pour éviter la proximité <strong>de</strong>s corps avec <strong>le</strong>s<br />

reliques, el<strong>le</strong>s jouent souvent un rô<strong>le</strong> essentiel, à coté <strong>de</strong>s images. Ainsi à<br />

Mont-Saint-Vincent (Bourgogne), <strong>le</strong>s enfants sont placés sur l’autel <strong>de</strong>vant<br />

une relique insigne <strong>de</strong> la Sainte Croix 95 . On a vu l’importance <strong>de</strong> cette<br />

relique à L’Épine ; el<strong>le</strong> aurait pu avoir un poids encore plus grand que la<br />

dévotion à la Vierge. L’Épine possédait une image <strong>de</strong> sainte Barbe, laquel<strong>le</strong><br />

est invoquée dans une affaire <strong>de</strong> répit à Cuperly 96 .<br />

- à L'Épine, en face du <strong>monument</strong>, se trouvent <strong>le</strong>s chapel<strong>le</strong>s Saint-Clau<strong>de</strong> et<br />

Saint-Nicolas, <strong>de</strong>ux saints invoqués pour ressusciter <strong>le</strong>s enfants 97 . La<br />

dédicace <strong>de</strong> ces autels, fortement remaniés au XIX e sièc<strong>le</strong>, date <strong>de</strong> 1542, soit<br />

un an avant <strong>le</strong> début <strong>de</strong> la construction du <strong>monument</strong>. Il y a donc une<br />

certaine cohérence.<br />

90 Ibid., p. 135.<br />

91 Ibid., p. 136.<br />

92 La chronologie <strong>de</strong>s événements connus est la suivante :<br />

1441 : L’official <strong>de</strong> Châlons condamne <strong>le</strong> curé Pierre Robert a une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 20 livres<br />

pour avoir reconnu <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à répit (« super assertione miraculorum eventorum in ecc<strong>le</strong>sia <strong>de</strong><br />

Spina <strong>de</strong> abortivis »). Cf. Registre <strong>de</strong> l’officialité, Arch. dép. Marne, G 297, f° 11.<br />

1445 : <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres patentes <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s VII par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s « grands mirac<strong>le</strong>s » qui sont faits<br />

en l’honneur <strong>de</strong> la Vierge Marie – il pourrait s’agir d’une éventuel<strong>le</strong> référence aux mirac<strong>le</strong>s à<br />

répits.<br />

1641 : <strong>le</strong> 15 août, un enfant <strong>de</strong> Cernon-sur-Coo<strong>le</strong> est exposé <strong>de</strong>vant l’autel <strong>de</strong> la sainte<br />

Vierge. Il donne <strong>de</strong>s signes évi<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> vie et il est baptisé par Samuel Hacquin, aumônier du<br />

roi. Registre <strong>de</strong> l’officialité, Arch. dép. Marne, I, f° 9v°.<br />

1788 : <strong>le</strong> 17 septembre Pierre Collard, recteur d’éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la paroisse, baptise un enfant<br />

mort-né, « après avoir donné sur l’autel <strong>de</strong> la Sainte Vierge plusieurs signes <strong>de</strong> vie ». Jacques<br />

Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes …, op. cit., p. 84. Voir Barat, <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine…, op. cit., qui<br />

reprend <strong>le</strong> récit existant dans <strong>le</strong> registre <strong>de</strong> la paroisse.<br />

93 Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes …, op. cit., p. 84.<br />

94 Voir l’artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> Véronique Beaulan<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> présent volume.<br />

95 Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes…, op. cit., p. 100.<br />

96 Beaulan<strong>de</strong>, op. cit.<br />

97 Dans l’église du village <strong>de</strong> Bouchon-sur-Saulx, à 5 km <strong>de</strong> Savonnières, se trouve une statue <strong>de</strong><br />

<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l'Épine, assise et couronnée, datant du XVe sièc<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> provient d'une chapel<strong>le</strong><br />

détruite, attestée aussi comme lieu <strong>de</strong> répits. À la sortie du village se trouve un calvaire en<br />

pierre érigé au début du XIXe sièc<strong>le</strong> portant <strong>le</strong>s figures <strong>de</strong> saint Clau<strong>de</strong> et <strong>de</strong> saint Nicolas.<br />

172


<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> l’Epine, <strong>le</strong> <strong>monument</strong> <strong>de</strong> <strong>1543</strong>: Usages, transformations, enjeux<br />

- on essaye souvent <strong>de</strong> stimu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> petit corps à donner <strong>de</strong>s signes. Ainsi, à<br />

Châtillon, (Vaud), on dépose <strong>de</strong>s charbons ar<strong>de</strong>nts dans une excavation<br />

ménagée sous la pierre sur laquel<strong>le</strong> l’enfant est exposé, pour que la cha<strong>le</strong>ur<br />

<strong>le</strong> ranime 98 . À L’Épine cela aurait pu être fait, dans <strong>le</strong> coffre creusé sous la<br />

plaque <strong>de</strong> pierre <strong>de</strong> l’édifice.<br />

Enfin, <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s sanctuaires à répit on prie avec ferveur et on récite <strong>le</strong>s<br />

Litanies <strong>de</strong> la Vierge 99 - dont on retrouve <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s dans la fresque du<br />

<strong>monument</strong>. El<strong>le</strong> pourrait ainsi être une sorte <strong>de</strong> sublimation d'une pratique<br />

<strong>de</strong> culte à la Vierge jugée trop excessive et ramené à une dimension plus<br />

« raisonnab<strong>le</strong> » par <strong>le</strong>s autorités catholiques. Germaine Mail<strong>le</strong>t interprète la<br />

peinture comme « servant <strong>de</strong> commentaire à la Vierge au buisson ar<strong>de</strong>nt<br />

d’épines » 100 . Si <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s à répit ont eu lieu à une certaine date dans <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong>, la fresque <strong>de</strong> la Vierge ne gênerait pas du tout, au contraire. La<br />

mise en place <strong>de</strong> la fresque se fait dans <strong>le</strong> contexte post-tri<strong>de</strong>ntin, époque<br />

d’un nouvel essor pour <strong>le</strong>s sanctuaires à répit et d’une multiplication <strong>de</strong>s<br />

images miracu<strong>le</strong>uses 101 . El<strong>le</strong> se traduit comme un dédoub<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> la<br />

présence, très forte, <strong>de</strong> la statue et enrichit cet espace très important qu’est <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong>, à une époque d’essor du culte <strong>de</strong> la Vierge 102 . À partir du XVII e<br />

sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s à répits attestés ont lieu <strong>de</strong>vant la statue qui est sous <strong>le</strong><br />

jubé.<br />

On approche ainsi <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> notre parcours. En revenant rapi<strong>de</strong>ment sur<br />

<strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s étapes dans la vie du <strong>monument</strong>, on peut retenir <strong>le</strong>s éléments<br />

suivants :<br />

- il y a eu un modè<strong>le</strong> d’origine prestigieux, influencé aussi par <strong>le</strong>s sépulcres<br />

<strong>monument</strong>aux, qui a été adapté aux nécessités du lieu autour <strong>de</strong> <strong>1543</strong> pour<br />

accueillir et montrer aux fidè<strong>le</strong>s, à <strong>de</strong>s fins dévotionnel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s reliques <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> importance pour la basilique, comme la relique <strong>de</strong> la Vraie Croix.<br />

- <strong>le</strong>s importants changements religieux que constituent la Réforme et la<br />

Contre-Réforme se sont traduits par <strong>le</strong> renforcement et une forte promotion<br />

du culte <strong>de</strong> la Vierge, <strong>le</strong>quel investit aussi cet espace prestigieux qu’est <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong>.<br />

- il y a ensuite un repli sur la fonction <strong>de</strong> conservation. Le <strong>monument</strong> <strong>de</strong>vient<br />

trésor et reste fermé aux laïcs, <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rinage perdant <strong>de</strong> son importance<br />

pour revenir autour d’un culte secondaire dans <strong>le</strong> courant du XIX e sièc<strong>le</strong>.<br />

Ainsi, plusieurs fonctions se succè<strong>de</strong>nt et se chevauchent aussi partiel<strong>le</strong>ment<br />

au fil du temps. Pour éclairer p<strong>le</strong>inement ce parcours, pour confirmer ou<br />

infirmer <strong>le</strong>s hypothèses tissées autour, <strong>de</strong>s textes malheureusement<br />

manquants seraient indispensab<strong>le</strong>s. Mais aussi, idéa<strong>le</strong>ment parlant, <strong>de</strong>s<br />

98 Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes…, op. cit., p. 98.<br />

99 Ibid. Voir aussi <strong>le</strong> cas du répit <strong>de</strong> 1641. Cf. Registre <strong>de</strong> l’officialité, A.D. Marne, I, f° 9v°.<br />

100 Mail<strong>le</strong>t, Le tabernac<strong>le</strong>-reliquaire…, op. cit., p. 6.<br />

101 Gélis, Les enfants <strong>de</strong>s limbes…, op. cit., p. 138.<br />

102 Ce dédoub<strong>le</strong>ment se retrouve aussi avec l’image peinte sur <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> l’autel <strong>de</strong> la Vierge au<br />

XVIIIe sièc<strong>le</strong>, aujourd’hui dans la chapel<strong>le</strong> Saint-Sébastien.<br />

173


Corneliu Dragomirescu<br />

fouil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> sol autour <strong>de</strong> l’édicu<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s prélèvements <strong>de</strong> matériel sur la<br />

pierre et la peinture, qui pourraient clarifier nombre <strong>de</strong> doutes…<br />

On peut remarquer que divers thèmes évoqués en rapport avec <strong>le</strong><br />

<strong>monument</strong>, pour <strong>de</strong>s hypothèses différentes, se retrouvent et se recoupent<br />

d’une manière suggestive. Ainsi l’idée <strong>de</strong> sépulcre se retrouve dans <strong>le</strong><br />

tabernac<strong>le</strong> et l’armoire eucharistique, mais aussi dans la pratique <strong>de</strong><br />

l’incubation, dans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rin est enterré avec <strong>le</strong>s reliques pour<br />

renaître à une vie meil<strong>le</strong>ure. Cette pratique s’est peut-être appliquée aux<br />

enfants mort-nés. Rappelons ici aussi que <strong>le</strong> sacrarium est comparé par<br />

Guillaume Durand au giron <strong>de</strong> la Vierge, car c’est <strong>le</strong> lieu d’où <strong>le</strong> prêtre,<br />

comme <strong>le</strong> Christ, sort pour mener sa mission au mon<strong>de</strong>. Les répits<br />

supposent la résurrection, tout comme pour <strong>le</strong> Christ, grâce à l’intercession<br />

<strong>de</strong> Marie. Et ce n’est peut-être pas par hasard que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux reliques<br />

importantes <strong>de</strong> l’Épine sont <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> la Vraie Croix et du saint Lait.<br />

Tous ces aspects doivent être placés aussi dans <strong>le</strong> contexte plus large<br />

du pè<strong>le</strong>rinage. Après la faça<strong>de</strong>, illustrant la Passion, avec la Crucifixion<br />

représentée <strong>de</strong>ux fois, et reprise ensuite au jubé, on arrive logiquement à la<br />

Résurrection : relique <strong>de</strong> la Vraie Croix, dont <strong>le</strong> reliquaire est une croix<br />

glorieuse, sans aucune représentation du sacrifice <strong>de</strong>ssus, et exposée dans<br />

un espace rappelant <strong>le</strong> sépulcre. La statue <strong>de</strong> la Vierge, sous <strong>le</strong> jubé,<br />

intercè<strong>de</strong> dans un lieu liminaire entre la nef et <strong>le</strong> chœur. Dans <strong>le</strong> chœur, <strong>le</strong>s<br />

étapes sont <strong>le</strong>s mêmes d’où que l’on entre dans <strong>le</strong> déambulatoire. La<br />

vénération <strong>de</strong> la statue est suivie <strong>de</strong> la vénération <strong>de</strong>s reliques, étape<br />

suprême dans <strong>le</strong> parcours du pè<strong>le</strong>rin. On pénètre comme dans un sépulcre<br />

et on en ressort à une vie nouvel<strong>le</strong>. Cela suppose la valorisation d’un espace<br />

différent, <strong>le</strong> fait d’entrer et <strong>de</strong> ressortir traduisant la vénération par un acte<br />

performatif, qui accomplit sur la personne du pè<strong>le</strong>rin l’acte <strong>de</strong> pénitence et<br />

dévotion.<br />

Le <strong>monument</strong> <strong>de</strong>meure à travers <strong>le</strong>s époques un lieu très fréquenté,<br />

à la pointe <strong>de</strong> l’attention <strong>de</strong>s fidè<strong>le</strong>s, comme en témoignent <strong>le</strong>s emplois<br />

successifs et <strong>le</strong>s marques d’usure. Il a du jouer un rô<strong>le</strong> important dans <strong>le</strong><br />

passage <strong>de</strong>s pè<strong>le</strong>rins, se constituant comme <strong>le</strong> lieu <strong>le</strong> plus important après<br />

celui <strong>de</strong> la statue miracu<strong>le</strong>use, ou même <strong>le</strong> plus important à une certaine<br />

époque. En continuant <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong>, on peut affirmer que, tout comme<br />

l’espace <strong>de</strong> la statue sous <strong>le</strong> jubé, il est un lieu d’ostension, un espace d’une<br />

mise en scène à l’intention du fidè<strong>le</strong>. Endroit extrait <strong>de</strong> l’espace commun,<br />

lieu clos, fenêtre qui laisse s’entrevoir l’essentiel, image, tous <strong>le</strong>s éléments<br />

sont là. La foi opère aussi avec <strong>le</strong>s accessoires du spectac<strong>le</strong>, à moins que ce<br />

ne soit l’inverse…<br />

174

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