Le Parti communiste français et l'année 1956 - Fondation Gabriel Péri
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LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS ET L’ANNÉE <strong>1956</strong><br />
tème, le modèle soviétique fixé à partir de 1929, sans le rem<strong>et</strong>tre en question sur<br />
le fond. On pourrait dire que, pour lui, se débarrasser de Staline constitue la<br />
meilleure façon de sauver le système. La complexité de la chose, c’est que si en<br />
Union soviétique, Staline est identifié à un mode de gestion sociale, à l’échelle<br />
du mouvement <strong>communiste</strong> international, sa figure rayonne comme la pièce<br />
maîtresse d’une culture dépassant largement le cadre d’un modèle de société.<br />
D’une certaine façon, être du côté de Staline, éprouver de l’amour pour Staline,<br />
c’est la manière d’être <strong>et</strong> de s’affirmer <strong>communiste</strong>. C’est le moyen de se distinguer<br />
de ceux qui ne sont pas <strong>communiste</strong>s, aussi bien des adversaires du communisme<br />
que des tenants de la social-démocratie. En cela, l’identification à Staline<br />
procède d’une forme d’incarnation de l’identité <strong>communiste</strong> par la<br />
négative, inscrite dans une culture de guerre froide qui n’a pas disparu en <strong>1956</strong><br />
<strong>et</strong> qui exige de choisir son camp. Or si, à plusieurs reprises entre 1929 <strong>et</strong> <strong>1956</strong><br />
les <strong>communiste</strong>s ont changé d’orientation politique, ils éprouvent l’impression<br />
en <strong>1956</strong> qu’on leur demande, non pas un changement de ligne, mais un changement<br />
d’identité. La réponse massive en <strong>1956</strong>, c’est « non », <strong>et</strong> Thorez est totalement<br />
de ce côté-là.<br />
Pourquoi Thorez se fixe-t-il dans le refus, optant plutôt pour l’option de<br />
Mao Tsé Toung, plutôt que pour celle de Khrouchtchev ? J’y vois, <strong>et</strong> je terminerai<br />
par là, trois raisons principales :<br />
D’abord, il pense qu’il n’a pas besoin des remises en cause initiées par<br />
Khrouchtchev. La situation du <strong>Parti</strong> <strong>communiste</strong> <strong>français</strong> en <strong>1956</strong> apparaît<br />
plutôt bonne, ses résultats électoraux sont convenables, alors que le <strong>Parti</strong> <strong>communiste</strong><br />
italien, par exemple, connaît des problèmes d’implantation, notamment<br />
dans le monde ouvrier. A la limite, les révélations khrouchtchéviennes<br />
semblent devoir entraîner plus une gêne qu’une aide pour l’activité du PCF,<br />
engagé en <strong>1956</strong> dans des discussions avec les socialistes ambitionnant de<br />
déboucher sur un nouveau Front populaire, dans la réponse au problème de<br />
l’Algérie, <strong>et</strong>c.<br />
Ensuite, il n’est pas prêt. Maurice Thorez a démontré une créativité politique<br />
extraordinaire à différentes périodes, <strong>et</strong> notamment entre 1934 <strong>et</strong> 1937.<br />
Mais une question de fond constitue un véritable butoir culturel pour lui, celle<br />
de la dictature du prolétariat. Il est prêt à développer de la créativité, de l’innovation,<br />
de l’ouverture politique, mais pas à la remise en cause de la dictature du<br />
prolétariat qui reste continûment la pierre angulaire de sa réflexion politique <strong>et</strong><br />
théorique. Et cela le conduit à une sorte d’identification avec ce qui s’est fait en<br />
Union soviétique, à partir de 1929 jusqu’aux années 1934 ou 1937, c'est-à-dire<br />
la période de la mise en place du modèle soviétique stalinisé. Thorez ne voit pas<br />
comment on peut faire autrement. Alors que, à la fin de la seconde guerre mondiale,<br />
Georges Dimitrov ou Palmiro Togliatti sont prêts à essayer d’esquisser<br />
des cheminements stratégiques dans des univers mentaux différents, Thorez n’y<br />
parvient pas. Et pour lui, en <strong>1956</strong>, accepter la dénonciation de Staline revient à<br />
ouvrir la boîte de Pandore <strong>et</strong> avaliser la remise en cause du modèle soviétique,<br />
de la dictature du prolétariat ; c’est finalement estimer que Léon Blum avait raison<br />
en 1920 <strong>et</strong> que le communisme n’a pas de raison d’être.