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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN CLAUDE BOLOGNE 557<br />

Inutile <strong>de</strong> rappeler qu’en bons chrétiens et en penseurs mo<strong>de</strong>rnes, <strong>La</strong> Fontaine<br />

et Florian ne croyaient pas un mot <strong>de</strong> leurs fables, et que les écrivains anciens,<br />

grecs ou hindous, n’ont à ma connaissance jamais invoqué ces mythes pour expliquer<br />

les apologues. Il s’agit donc bien d’une tentative plaisante ou sérieuse<br />

d’assimiler le type <strong>de</strong> raisonnement par analogie qui sous-tend l’apologue à un<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée primitif. Retenons <strong>de</strong> cette définition que l’apologue utilise en<br />

principe <strong>de</strong>s personnages anim<strong>aux</strong>, règle dès l’origine transgressée, quoique les<br />

divers théoriciens du genre, d’Aristote au père Colonia, l’aient affirmée avec<br />

vigueur.<br />

Le XIX e siècle fit justice <strong>de</strong> ces hypothèses. Sainte-Beuve, dans ses Causeries du<br />

lundi, parle d’un «␣ genre naturel, une forme d’invention inhérente à l’esprit <strong>de</strong><br />

l’homme 9␣ ». Pierre <strong>La</strong>rousse, en commentant ces différentes origines, y voit le<br />

produit d’une faculté naturelle à l’homme, d’imaginer, <strong>de</strong> concevoir <strong>de</strong>s analogies<br />

entre le mon<strong>de</strong> et l’homme, faculté qui par ailleurs a engendré les mythes. Si<br />

aucune hiérarchisation <strong>de</strong>s genres n’est tirée <strong>de</strong> cette hypothèse, l’apologue n’en<br />

est pas moins réduit à illustrer ce qui peut être mieux perçu par une autre faculté<br />

humaine, la raison. Comme Georges Sand, les auteurs restent persuadés qu’ils<br />

peuvent, avec les moyens mo<strong>de</strong>rnes, exprimer la même chose qu’à travers un<br />

apologue, ce que traduit bien la morale détachée du récit : la formulation rationnelle<br />

suit la formulation allégorique, l’explicite et l’éclaire, la remplace, ce que<br />

Phèdre, par exemple, ne faisait pas systématiquement.<br />

<strong>La</strong> définition la plus célèbre <strong>de</strong> <strong>La</strong> Fontaine repose sur ce principe : «␣ L’Apologue<br />

est composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties, dont on peut appeler l’une le Corps, l’autre<br />

l’Âme. Le Corps est la Fable ; l’Âme, la Moralité 10␣ ». Sans cette moralité exprimant<br />

en termes rationnels et clairs la morale à tirer <strong>de</strong> la fable, l’apologue resterait<br />

au niveau matériel, inanimé. Cette conception traverse toute l’Antiquité, le<br />

Moyen Âge et l’époque classique. Fables et apologues, très tôt confondus, sont<br />

<strong>de</strong>stinés à <strong>de</strong>s enfants qui ne retiendraient pas les propos élevés <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>stinée<br />

<strong>aux</strong> adultes, ce qu’affirme clairement <strong>La</strong> Fontaine.<br />

Si l’intention est totalement opposée pour les paraboles du Christ, le principe<br />

<strong>de</strong> base est le même : la parabole est utilisée pour cacher au grand public un sens<br />

qu’on réserve <strong>aux</strong> intimes, mais ce sens <strong>de</strong>vra lui aussi être explicité d’une manière<br />

rationnelle. Lorsque le Christ se contente <strong>de</strong> s’exprimer d’une façon voilée,<br />

il n’a pas manqué <strong>de</strong> théologiens pour le comprendre au pied <strong>de</strong> la lettre : qu’il<br />

suffise d’évoquer la façon dont Origène comprit qu’il fallait se faire eunuque en<br />

vue du royaume <strong>de</strong>s cieux, ou celle dont les inquisiteurs traduisirent la parabole<br />

du mauvais grain brûlé à la récolte. Parabole ou apologue, dans leur conception<br />

classique, sont vi<strong>de</strong>s ou dangereux en <strong>de</strong>hors d’une interprétation obvie.<br />

Leur usage est donc purement annexe : ils dorent la pilule, apportent <strong>aux</strong> enfants<br />

et <strong>aux</strong> personnes frivoles un enseignement qui pourrait être mieux exprimé<br />

autrement, mais <strong>de</strong> façon moins attractive. Pour l’orateur antique, l’apologue<br />

doit relever le discours pour ranimer l’attention <strong>de</strong> l’auditeur. Dans tous les cas, il

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