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Manuels de langues anciennes, casus belli entre ... - IUFM

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SEPTIEME JOURNEE PIERRE GUIBBERT - 16 FEVRIER 2011<br />

PEUT-­‐ON SE PASSER DES MANUELS SCOLAIRES ?<br />

<strong>Manuels</strong> <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong>,<br />

<strong>casus</strong> <strong>belli</strong> <strong>entre</strong> épistémologie et pragmatisme ?<br />

Charlotte Vanhalme,<br />

Fonds National <strong>de</strong> la Recherche Scientifique et Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles.<br />

Résumé :<br />

L’objectif <strong>de</strong> la communication est d’infirmer ou <strong>de</strong> confirmer la nécessité du manuel en latin<br />

ou en grec en examinant différentes implications <strong>de</strong> son statut en Belgique francophone.<br />

L’état <strong>de</strong> la question est analysé selon une métho<strong>de</strong> systémique et montre la nature du clivage<br />

<strong>entre</strong> savoirs savants et pragmatisme, dont les manuels <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> constituent un<br />

catalyseur. Trois sphères, les auteurs et les institutions, les enseignants et les apprenants, sont<br />

analysées sous l’angle <strong>de</strong> leurs interactions avec les manuels. Grâce aux éléments mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce dans cette triple analyse, <strong>de</strong>s réponses s’élaborent face aux questions posées par la<br />

controverse <strong>de</strong>s partisans et <strong>de</strong>s opposants <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> manuels, en tension <strong>entre</strong><br />

pragmatisme et savoirs savants. Dépasser cette dichotomie en proposant <strong>de</strong>s pistes concrètes<br />

qui satisfont aux <strong>de</strong>ux critères permet <strong>de</strong> démontrer la nécessité du manuel en classe <strong>de</strong><br />

<strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong>.<br />

1. Contexte<br />

A priori, les <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> semblent un terrain privilégié pour la diffusion et<br />

l’usage <strong>de</strong> manuels vu la stabilité <strong>de</strong>s savoirs. En 1987 déjà, Alain Choppin 1 constatait que les<br />

découvertes archéologiques et philologiques avaient <strong>de</strong>s retombées très limitées dans<br />

l’enseignement secondaire. Seules les innovations pédagogiques ou techniques nécessitent<br />

d’en modifier le contenu. Ce champ paraît donc riche car les évolutions dans l’apprentissage<br />

et dans le développement <strong>de</strong>s supports y seraient plus facilement perceptibles que dans <strong>de</strong>s<br />

disciplines au contenu encore en évolution. La présence du latin et du grec dans<br />

l’enseignement est si ancienne que le terme classique désigne cet apprentissage, c'est-à-dire,<br />

ce que l’on apprend en classe. On pourrait quasi parler <strong>de</strong> formatage du savoir en vue <strong>de</strong><br />

l’enseigner ou du moins, d’une influence <strong>de</strong> l’enseignement sur la structuration <strong>de</strong>s savoirs<br />

savants. Les modifications liées aux nouvelles technologies posent certes <strong>de</strong> nouvelles<br />

questions mais leur très faible utilisation par les apprenants pour les <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong><br />

marginalise tant cette innovation que nos préférons ne pas la développer ici. La question pour<br />

1 CHOPPIN, A. et al. (1987), Les manuels scolaires en France <strong>de</strong> 1789 à nos jours. Paris : Institut national <strong>de</strong> la<br />

recherche pédagogique, volume 1, page 22 (grec) et volume 3, page 23 (latin).<br />

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nous n’est pas « Ont-ils un manuel électronique ? » mais « Ont-ils un manuel et qu’en fontils<br />

? » Loin <strong>de</strong>s utopies <strong>de</strong> certains, force nous est <strong>de</strong> constater que la très gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s<br />

apprenants sont confrontés à un cours conçu et diffusé « sur papier », avec ou sans manuel. Il<br />

importe donc <strong>de</strong> déterminer l’importance <strong>de</strong>s manuels et <strong>de</strong>s interactions qu’ils subissent ou<br />

qu’ils impliquent.<br />

Ils apparaissent en effet à la croisée <strong>de</strong>s zones d’action <strong>de</strong>s professeurs, <strong>de</strong>s apprenants<br />

et <strong>de</strong>s pouvoirs institutionnels via leurs auteurs. C’est pourquoi nous choisissons d’analyser<br />

<strong>de</strong> façon systémique trois aspects différents <strong>de</strong>s manuels et <strong>de</strong> répondre ensuite, grâce aux<br />

éléments mis en évi<strong>de</strong>nce dans cette triple analyse, aux questions posées par la controverse<br />

<strong>entre</strong> partisans et opposants <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> manuels.<br />

Afin que l’approche systémique soit révélatrice, il faut mettre en évi<strong>de</strong>nce quelques<br />

caractéristiques <strong>de</strong> l’enseignement du latin et du grec en Belgique francophone qui nous<br />

seront utiles pour la suite du raisonnement. Tous <strong>de</strong>ux sont optionnels et le nombre <strong>de</strong><br />

pério<strong>de</strong>s hebdomadaires varie selon les trois réseaux d’enseignement 2 , chacun disposant <strong>de</strong><br />

son propre programme <strong>de</strong> matières agréé par le ministère. Les variétés <strong>de</strong> situations ne sont<br />

pas sans conséquences sur l’autonomie <strong>de</strong> l’enseignant vis-à-vis <strong>de</strong> sa hiérarchie ni sur sa<br />

formation initiale, vu que les universités sont aussi distinguées selon leur réseau. Ces<br />

divisions sont propres à accentuer le statut déjà fragile du manuel car d’une part, elles limitent<br />

toute dimension universalisante, ce qui empêche donc toute mission uniformisatrice, et<br />

d’autre part, elles relativisent son intérêt pécuniaire.<br />

2. Corpus<br />

Nous sélectionnons comme corpus les manuels <strong>de</strong> langue en usage aujourd’hui et<br />

rédigés par <strong>de</strong>s auteurs belges, non par esprit <strong>de</strong> ségrégation mais parce qu’il est délicat<br />

d’adapter les ouvrages français aux contenus <strong>de</strong> nos programmes. Certains collègues le font<br />

mais se limitent à un <strong>de</strong>gré précis (<strong>de</strong> douze à quatorze ans) et dans les <strong>de</strong>ux cas i<strong>de</strong>ntifiés 3 , le<br />

manuel est plus un appui, notamment pour l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la civilisation qu’un gui<strong>de</strong> exclusif. La<br />

majorité <strong>de</strong>s manuels qui empiriquement semblent en usage sont récents, tels en latin le Lux 4 ,<br />

les ouvrages <strong>de</strong> Simone Thonon 5 , la collection <strong>de</strong> Marius Lavency 6 et en grec les ouvrages <strong>de</strong><br />

2 Voici la répartition quantitative <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> l’enseignement secondaire en 2007-2008 : le réseau officiel<br />

compte 24% <strong>de</strong>s élèves du secondaire, l’officiel neutre subventionné 16% et le libre, confessionnel ou non, 60%.<br />

Source : Service <strong>de</strong> statistiques <strong>de</strong> la Communauté française <strong>de</strong> Belgique, Indicateurs 2009, 35.2.<br />

http://www.enseignement.be/in<strong>de</strong>x.php ?page=26157&navi=3018<br />

3 GAILLARD, J. et al. (1997), Latin 5 ème , Paris : Nathan. COUSTEIX, J., GAILLARD, J. et al. (1988), Latin<br />

3 ème . Salvete, Paris : Sco<strong>de</strong>l, Nathan.<br />

4 La collection Lux est composée <strong>de</strong> trois ouvrages : COSTER, Chr. et URBAIN, F. (2005 6 ), Lux 1, Bruxelles :<br />

De Boeck. COSTER, Chr. et URBAIN, F. (2005 6 ), Lux 2, Bruxelles : De Boeck. COSTER, Chr. et URBAIN, F.<br />

(2006 3 ), Lux 3, Bruxelles : De Boeck.<br />

5 Le C<strong>entre</strong> d’Autoformation et <strong>de</strong> Formation continuée <strong>de</strong> l’Enseignement organisé par la Communauté<br />

française <strong>de</strong> Belgique édite les travaux <strong>de</strong> S. Thonon. http:/www.lecaf.be/<br />

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Cécile Bourgaux 7 ou celui <strong>de</strong> Marie-Berna<strong>de</strong>tte Mars et Bénédicte Baudhuin 8 , qui vient <strong>de</strong><br />

sortir <strong>de</strong> presse. Les collections sont régulièrement rééditées <strong>de</strong>puis les années quatre-vingtdix<br />

mais généralement peu modifiées, sauf la collection <strong>de</strong> Marius Lavency. Certains anciens<br />

manuels sont cependant encore utilisés sporadiquement dans <strong>de</strong>s écoles traditionnelles,<br />

comme le Reditus ad fontes 9 . L’analyse synchronique révèle donc paradoxalement quelques<br />

données diachroniques pertinentes que nous pointerons dans la suite <strong>de</strong>s propos. Nous tenons<br />

à votre disposition un tableau d’analyse complet <strong>de</strong>s manuels belges <strong>de</strong> latin et <strong>de</strong> grec.<br />

Cependant, aucune étu<strong>de</strong> précise ne fournit <strong>de</strong> données quantitatives ni relatives à l’usage <strong>de</strong>s<br />

manuels. A priori, il semblerait que le grec soit plus souvent dispensé via un cours produit par<br />

l’enseignant qu’à travers un manuel.<br />

3. Auteurs et institutions<br />

Dans un premier temps, l’analyse <strong>de</strong> la relation <strong>entre</strong> les auteurs <strong>de</strong> manuel et les<br />

pouvoirs institutionnels nous fournit <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong> questionnement relatives à l’indépendance<br />

ou à l’influence du ministère sur les concepteurs. Il convient d’analyser la traduction <strong>de</strong>s<br />

directives ministérielles dans les manuels.<br />

3.1 Compétences et savoirs savants<br />

Voyons d’abord <strong>de</strong> quel type <strong>de</strong> directives il s’agit. Comme <strong>de</strong> nombreux autres pays,<br />

la Communauté francophone <strong>de</strong> Belgique a organisé <strong>de</strong>puis une dizaine d’années son<br />

enseignement autour <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> compétences 10 transversales, c’est-à-dire communes à<br />

plusieurs cours, et disciplinaires. Les inspecteurs en ont diffusé les implications pédagogiques<br />

et les universités ont intégré cette orientation dans la formation <strong>de</strong>s enseignants du niveau<br />

secondaire. L’épistémologie s’est également mise au diapason en valorisant les modèles <strong>de</strong><br />

construction et <strong>de</strong> contextualisation du savoir, tous <strong>de</strong>ux plus propices à l’intégration <strong>de</strong>s<br />

compétences lors <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> transposition didactique que les modèles postulant un<br />

savoir monolithique. En <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong>, les savoirs savants ont par exemple démontré la<br />

nécessité <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong>s textes authentiques, <strong>de</strong> les contextualiser pour en faire émerger le<br />

sens et le projet <strong>de</strong> l’œuvre, mais aussi <strong>de</strong> montrer la construction du savoir. Par exemple,<br />

montrer les éléments <strong>de</strong> construction du lexique (préfixes, suffixes, phénomènes linguistiques<br />

liés à la formation <strong>de</strong> mots dérivés) permet <strong>de</strong> transposer les éléments i<strong>de</strong>ntifiés à <strong>de</strong> mots<br />

nouveaux.<br />

Concrètement, l’approche par compétences disciplinaires s’organise en cinq types<br />

d’activité dans l’enseignement officiel, dont trois sont adoptés dans le réseau confessionnel :<br />

6 LAVENCY, M., VAN OVERBEKE-VAN DER ELST, M. et SCHOUPPE, G. (1999 4 ), Aditus, Bruxelles : De<br />

Boeck-Duculot. LAVENCY, M., SCHOUPPE, G. (2002 4 ), Artes, Bruxelles : De Boeck-Duculot. LAVENCY,<br />

M., VAN OVERBEKE-VAN DER ELST, M. et SCHOUPPE, G. (2006 3 ), Lectio, Bruxelles : De Boeck-Duculot.<br />

7 BOURGAUX, C. (2004 5 ), Alpha, bêta, gamma. Initiation au grec, Bruxelles : De Boeck-Dessain.<br />

8 MARS, M.-B. et BAUDHUIN, B. (2010), Sur les traces d’Ulysse, Namur : Les éditions namuroises.<br />

9 MASSON, A. et D’HONDT, R. (1970), Reditus ad fontes, Bruxelles : Didier.<br />

10 Article 5 du 1 er décret « Missions », du 24.07.1997.<br />

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traduire une version, retraduire, analyser et commenter un extrait d’auteur lu en classe,<br />

analyser le fonctionnement flexionnel et lexical, mettre les aspects les plus importants <strong>de</strong> ces<br />

civilisations en rapport avec notre culture contemporaine et finalement, mener <strong>de</strong> façon<br />

autonome à partir <strong>de</strong> textes une recherche personnelle débouchant sur une synthèse orale ou<br />

écrite. Notons que l’appartenance confessionnelle ne se traduit pas <strong>de</strong> façon significative dans<br />

le choix <strong>de</strong>s textes, ce qui pourrait s’expliquer par la variété <strong>de</strong>s confessions <strong>de</strong>s apprenants,<br />

même dans le réseau libre confessionnel. Ces compétences ne modifient pas profondément les<br />

pratiques <strong>de</strong> classe en vigueur avant leur introduction mais elles les structurent et contribuent<br />

parfois à leur développement, comme dans le cas <strong>de</strong> la recherche personnelle. Il n’est donc<br />

pas étonnant que l’examen <strong>de</strong>s manuels ne révèle pas <strong>de</strong> transformation radicale. Aucun ne<br />

mentionne en effet les compétences dans les pages <strong>de</strong>stinées aux apprenants à l’exception<br />

d’une seule collection <strong>de</strong> manuels 11 , qui les présente <strong>de</strong> façon sobre et systématique dans une<br />

colonne spéciale. Elles sont évoquées <strong>de</strong> manière très générale dans les introductions récentes.<br />

Quant aux <strong>de</strong>ux grands axes novateurs issus <strong>de</strong> la réflexion sur les savoirs savants, la<br />

construction du savoir et sa contextualisation, ils affleurent sporadiquement, ou au contraire,<br />

<strong>de</strong> façon caricaturale dans un unique cas, au niveau <strong>de</strong>s consignes et <strong>de</strong>s textes à travailler.<br />

Synchronie <strong>de</strong> l’usage mais diachronie <strong>de</strong>s éditions, on ne rencontre les extrêmes que via les<br />

manuels Co<strong>de</strong>x et Reditus. Les variétés <strong>de</strong> cursus ont comme conséquence qu’un apprenant<br />

qui change d’école peut passer d’un énoncé aussi laconique que « Version », suivi du texte,<br />

avec ou sans liste <strong>de</strong> vocabulaire, à <strong>de</strong>s énoncés qui détaillent avec soin les démarches<br />

cognitives comme le fait le Co<strong>de</strong>x 12 dont la consigne hypertrophiée apparaît en lettres <strong>de</strong><br />

couleur pâle pour l’apprenant et s’étend sur cinq lignes en police <strong>de</strong> corps onze. Certes, les<br />

savoirs savants sont ici respectés mais la question du pragmatisme et <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong> ce type<br />

<strong>de</strong> discours pour <strong>de</strong>s préadolescents <strong>de</strong> treize ans est délicate. Nous doutons que chacun <strong>de</strong><br />

ces cas pris isolément contribue à installer <strong>de</strong> nouvelles dynamiques dans l’apprentissage.<br />

Comme souvent, un juste milieu serait nécessaire.<br />

3.2 Interaction <strong>entre</strong> les auteurs, les institutions et les manuels<br />

Le résultat <strong>de</strong> cet examen fournit donc a priori la preuve <strong>de</strong> la relative indépendance <strong>de</strong><br />

la plupart <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> manuels <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> vis-à-vis <strong>de</strong>s pouvoirs institutionnels<br />

et <strong>de</strong> leurs représentants. Il faut cependant savoir que soit les ouvrages sont préfacés par l’un<br />

<strong>de</strong>s inspecteurs soit ils émanent d’auteurs travaillant pour le ministère. Vu ces liens étroits<br />

<strong>entre</strong> les auteurs et les institutions au niveau du ministère ou du réseau, il est patent qu’il ne<br />

s’agit pas d’un « oubli <strong>de</strong>s compétences » et il serait plus réaliste d’y percevoir a posteriori<br />

une volonté <strong>de</strong> ne pas intensifier l’opposition <strong>de</strong>s enseignants face aux compétences souvent<br />

accusées d’éclipser le contenu <strong>de</strong>s cours. Cette accusation n’est pas nécessairement fondée et<br />

Ph. Perrenoud 13 a montré, mais <strong>de</strong> façon postérieure, que les compétences ne peuvent se<br />

11 Il s’agit en l’occurrence <strong>de</strong>s éditions les plus récentes <strong>de</strong> la collection Marius Lavency publiée par De Boeck :<br />

Aditus (1999), Artes (2002) <strong>de</strong> Lectio, (2006).<br />

12 LOROY, A. (2005), Co<strong>de</strong>x secundus, Bruxelles : Wolters Plantyn.<br />

13 PERRENOUD, Ph. (2003), L’école est-elle encore le creuset <strong>de</strong> la démocratie, Lyon : Chronique Sociale. En<br />

particulier les pages 100 à 103.<br />

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concevoir qu’à partir d’une maîtrise approfondie <strong>de</strong> la matière, ce que revendique par<br />

exemple le mouvement québécois « Stoppons la réforme » 14 .<br />

3.3 Conclusion partielle <strong>de</strong> l’interaction <strong>entre</strong> les auteurs, les institutions et les manuels<br />

Nous déplorons donc que la faible représentation <strong>de</strong>s innovations pédagogiques venant<br />

<strong>de</strong>s savoirs savants participe d’une séduction <strong>de</strong>s professeurs, par un renforcement confortable<br />

<strong>de</strong>s pratiques classiques au détriment d’une réorientation <strong>de</strong>s cours associée à une redéfinition<br />

<strong>de</strong>s rôles d’enseignant et d’apprenant, qui susciterait une résistance certaine vu l’impopularité<br />

<strong>de</strong>s compétences au sein du corps professoral. Le clivage <strong>entre</strong> savoirs savants et stratégie<br />

pragmatique dans la sphère <strong>de</strong>s auteurs montre donc la prévalence du pragmatisme et surtout<br />

un ancrage dans la sphère professorale, que nous étudions dans un <strong>de</strong>uxième temps.<br />

4. Enseignants<br />

4.1 Contexte<br />

Vu le fractionnement du paysage scolaire belge, l’appartenance d’un enseignant à un<br />

réseau est rarement anodine et remonte souvent à sa formation universitaire. La pratique<br />

quotidienne accentue ces différences vu que le nombre <strong>de</strong> compétences et d’heures <strong>de</strong> cours<br />

varie fortement. La plupart <strong>de</strong>s manuels ciblent implicitement un créneau particulier et s’y<br />

trouvent cantonnés, ce qui restreint considérablement le choix. L’enjeu rési<strong>de</strong> alors pour<br />

l’enseignant à adopter le manuel en vigueur dans son système ou à l’utiliser ponctuellement,<br />

exerçant là une liberté qui lui revient mais qui le désolidarise <strong>de</strong> l’équipe pédagogique <strong>de</strong> son<br />

établissement scolaire et risque <strong>de</strong> pénaliser ses élèves lors <strong>de</strong> regroupements <strong>de</strong> classe<br />

ultérieurs, puisque le vocabulaire et le contenu culturel seront différents. Aucune étu<strong>de</strong><br />

extensive n’a été menée jusqu’à présent sur l’utilisation <strong>de</strong> manuels <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> en<br />

Belgique. Il semblerait que les professeurs <strong>de</strong> français ou d’histoire qui se voient confier un<br />

cours <strong>de</strong> latin ou <strong>de</strong> grec sans en être spécialistes soient plus fidèles à l’usage d’un manuel que<br />

leurs collègues <strong>de</strong> philologie classique pour qui la préparation individuelle <strong>de</strong> cours peut se<br />

nourrir d’un panachage d’extraits issus <strong>de</strong> différents manuels ou directement <strong>de</strong>s sources<br />

antiques, vu leur facilité à explorer les textes et à jongler avec les contenus. Il importe d’en<br />

examiner trois dérives et leurs solutions éventuelles.<br />

4.2 Premier problème du panachage<br />

Le premier problème posé par ce bricolage rési<strong>de</strong> dans la perte <strong>de</strong>s avantages<br />

principaux du manuel, conçu comme un tout cohérent et organisé <strong>de</strong> façon progressive. Le but<br />

est évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> permettre aux apprenants <strong>de</strong> s’approprier l’outil et <strong>de</strong> l’utiliser à<br />

différentes phases <strong>de</strong> l’apprentissage. Ceci peut se résoudre en amont, c’est-à-dire dans la<br />

formation <strong>de</strong>s professeurs, par une sensibilisation aux caractéristiques du manuel ou en aval,<br />

c'est-à-dire dans la classe, par une restructuration complète du cours présentant par exemple<br />

une table <strong>de</strong>s matières, un glossaire, <strong>de</strong>s tableaux <strong>de</strong> références, bref, en transposant certains<br />

<strong>de</strong>s avantages du manuel au niveau du cahier.<br />

14 Le manifeste est disponible à l’adresse : http://www.stopponslareforme.qc.ca/<br />

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4.3 Deuxième problème<br />

Le <strong>de</strong>uxième problème est posé par la question <strong>de</strong>s droits d’auteur. Le copyright est<br />

souvent omis dans ces découpages et le contenu apparaît dépouillé, sans cotexte, ni contexte<br />

ni paratexte pertinents, c’est-à-dire sans indices significatifs pour les apprenants. A nouveau,<br />

la formation se doit <strong>de</strong> sensibiliser les futurs professeurs à leurs responsabilités, par exemple<br />

en invitant les auteurs à s’exprimer sur leur choix <strong>de</strong>s contenus, <strong>de</strong> la progression, du<br />

développement du cotexte, du contexte et l’importance du paratexte.<br />

4.4 Troisième problème<br />

Un troisième problème se profile dans une utilisation très particulière <strong>de</strong> certaines<br />

séquences <strong>de</strong> manuels qui sont parfois détournées en support d’évaluation. L’aménagement <strong>de</strong><br />

la consigne initiale laisse sceptique sur la distance qu’introduit cette modification <strong>entre</strong><br />

l’apprenant et la lecture <strong>de</strong>s consignes, dont les enseignants regrettent paradoxalement<br />

l’omission par ces mêmes élèves. Une uniformisation <strong>de</strong>s consignes d’évaluation <strong>entre</strong><br />

collègues du même niveau et un travail sur la compréhension <strong>de</strong> ces consignes a priori en<br />

début d’année scolaire permet d’éviter cette dérive probablement initiée par l’urgence dans<br />

laquelle les préparations <strong>de</strong> leçons s’enchaînent, surtout en début <strong>de</strong> carrière.<br />

4.5 Conclusion partielle <strong>de</strong> l’interaction <strong>entre</strong> les enseignants et les manuels<br />

La synthèse du rapport <strong>entre</strong> le professeur <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> et le manuel tend donc<br />

à rapprocher cette sphère <strong>de</strong> la stratégie pragmatique plutôt que <strong>de</strong>s savoirs savants, sans<br />

toutefois pouvoir faire une projection généralisant les pratiques.<br />

5. Apprenants<br />

L’analyse <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière sphère, celle du rapport <strong>entre</strong> les apprenants et leur manuel <strong>de</strong><br />

<strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> pose <strong>de</strong> nouvelles questions à <strong>de</strong>s niveaux aussi différents que <strong>de</strong> la<br />

conception du manuel ou que son impact socioculturel.<br />

5.1 Statut du manuel<br />

Nous ne nous appesantirons pas sur les qualités que le manuel offre aux apprenants :<br />

outil pour l’apprentissage, référent pour la mémorisation, illustration d’un fait <strong>de</strong> langue et<br />

iconographie d’un fait <strong>de</strong> civilisation, anticipation dans la matière et dépassement du niveau<br />

<strong>de</strong> la classe. Bref, le manuel peut contribuer à limiter la dépendance <strong>de</strong> l’apprenant vis-à-vis<br />

<strong>de</strong> l’enseignant <strong>de</strong> latin et <strong>de</strong> grec, souvent perçu comme « dispensateur exclusif » <strong>de</strong> ces<br />

matières fortement associées à la scolarité.<br />

En pratique, d’autres questions se posent. Le manuel <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> peut se<br />

concevoir <strong>de</strong> manière individuelle ou pérenne, c’est-à-dire qu’il apparaît tantôt comme un<br />

cahier à compléter par l’apprenant, tantôt comme la propriété <strong>de</strong> l’établissement scolaire<br />

<strong>de</strong>stinée à traverser <strong>de</strong> nombreuses générations d’élèves. Ce <strong>de</strong>rnier cas invali<strong>de</strong> toute<br />

utilisation comme référent d’une année à l’autre et ne contribue pas à développer chez<br />

l’apprenant une vision claire <strong>de</strong> son cursus et <strong>de</strong> sa progression dans l’apprentissage. Or cette<br />

vision est une condition sine qua non d’une responsabilisation <strong>de</strong>s choix d’option et d’une<br />

étu<strong>de</strong> suivie sur plusieurs années. Un manuel prêté par l’école, et donc récupéré en fin<br />

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d’année, favorise l’impression <strong>de</strong> juxtaposition d’années d’étu<strong>de</strong>s plutôt que le sentiment <strong>de</strong><br />

développer et coordonner <strong>de</strong>s compétences au fil <strong>de</strong>s ans. A nouveau, il faut regretter le<br />

détournement du projet <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong> manuel selon <strong>de</strong>s critères relevant <strong>de</strong> la pragmatique<br />

économique <strong>de</strong>s établissements scolaires, contingences certes incontournables mais qui<br />

sabotent à la fois le travail <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> l’auteur et la cohérence <strong>de</strong>s activités. Ainsi par<br />

exemple, les apprenants tentent d’i<strong>de</strong>ntifier les consignes puis <strong>de</strong> les respecter et d’en<br />

appliquer les modalités pour la réalisation <strong>de</strong>s tâches. Le piège est qu’ils notent le plus<br />

souvent sur un autre support les solutions <strong>de</strong>s exercices sans recopier ni l’énoncé ni la<br />

présentation souvent organisée <strong>de</strong> façon pertinente par les auteurs. Il leur est donc quasi<br />

impossible <strong>de</strong> réutiliser ces exercices dans la suite <strong>de</strong> leur apprentissage. C’est pourquoi<br />

certains apprenants contactent leurs successeurs pour emprunter leur manuel et faire <strong>de</strong>s<br />

copies <strong>de</strong>s pages importantes. Notons que cette initiative est bénéfique pour développer un<br />

discours pédagogique et métacognitif <strong>entre</strong> adolescents mais reste une solution ultime.<br />

5.2 Impact socioculturel<br />

Le point <strong>de</strong> vue socioculturel est particulièrement accentué pour les manuels <strong>de</strong> latin et<br />

<strong>de</strong> grec car ils constituent souvent un premier contact avec ces <strong>langues</strong> pour les parents dont<br />

le parcours scolaire fut bref. Que les parents se satisfassent d’un survol ou se plongent dans<br />

une lecture plus approfondie, le manuel <strong>de</strong>vient dès lors l’ambassa<strong>de</strong>ur d’un savoir sinon<br />

inaccessible, du moins socialement connoté. Dans ce cas, les cours <strong>de</strong> <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong><br />

constituent symboliquement une clef d’accès à une strate sociale qu’ils jugent supérieure et la<br />

fonction du manuel dépasse largement l’objectif <strong>de</strong> son auteur. A nouveau, la synthèse <strong>de</strong><br />

cette relation montre une valorisation <strong>de</strong> l’aspect fonctionnel ou symbolique du manuel mais<br />

non une mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong>s savoirs savants, alors que la présentation d’un<br />

savoir construit serait à même <strong>de</strong> satisfaire aux critères socio-culturels i<strong>de</strong>ntifiés supra.<br />

5.3 Conclusion partielle <strong>de</strong> l’interaction <strong>entre</strong> les apprenants et le manuel<br />

Les apprenants aux résultats moyens et bons semblent souvent autonomes dans<br />

l’exploration <strong>de</strong>s manuels. Néanmoins, ceux qui rencontrent <strong>de</strong>s difficultés considèrent<br />

rarement le manuel comme une ressource et se limitent l’utilisation collective faite au cours<br />

<strong>de</strong> peur, semble-t-il, <strong>de</strong> s’y perdre, <strong>de</strong> « s’embrouiller » davantage. Le cours contribue<br />

rarement à développer l’usage <strong>de</strong>s différentes facettes <strong>de</strong> l’outil mais les apprenants<br />

surmontent cet obstacle avec ingéniosité.<br />

6. Pistes concrètes<br />

Une action à plusieurs niveaux doit être menée. Nous avons déjà mentionné les<br />

sensibilisations nécessaires dans la formation <strong>de</strong>s enseignants. De manière plus globale,<br />

l’analyse et la production d’un discours sur les manuels au niveau <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s<br />

enseignants mais aussi dans les classes, avec les apprenants, concrétiserait cette sensibilisation<br />

et développerait un usage plus pertinent du manuel en <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong>. La comparaison<br />

<strong>entre</strong> différents manuels, leur exploitation dans les disciplines connexes telles l’histoire ou le<br />

français, ne <strong>de</strong>vrait pas être fortuite et pourrait être le produit d’un travail d’équipe <strong>entre</strong><br />

collègues <strong>de</strong> cours différents. Par ailleurs, il nous faut reconnaître que l’intensification <strong>de</strong>s<br />

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collaborations <strong>entre</strong> chercheurs, auteurs et enseignants suscite encore certaines réticences<br />

mais que celles-ci peuvent se désamorcer grâce à <strong>de</strong>s structures comme les ateliers <strong>de</strong><br />

didactique <strong>de</strong>s <strong>langues</strong> <strong>anciennes</strong> ou les formations continuées organisées conjointement par<br />

le ministère et certaines universités.<br />

7. Conclusions<br />

En latin et en grec, la stabilité du savoir est un piège qui favorise les rééditions. De<br />

plus, la division en réseaux limite l’intérêt matériel. On relève pourtant <strong>de</strong>s productions<br />

régulières et variées. Les bénéfices réciproques <strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong>s savoirs savants et <strong>de</strong> la<br />

contingence pragmatique pour la conception, l’usage et la diffusion <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> <strong>langues</strong><br />

<strong>anciennes</strong> ne sont pas encore pleinement exploités. Le pragmatisme règne dans la conception,<br />

le choix et l’usage <strong>de</strong>s manuels, au détriment du sens <strong>de</strong>s innovations issues <strong>de</strong>s savoirs<br />

savants. A la question liminaire « Peut-on se passer <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> latin et <strong>de</strong> grec ? », nous<br />

répondons qu’il est impossible <strong>de</strong> s’en passer sans perdre une dimension socio-culturelle, un<br />

outil pour l’apprentissage et un référent. Bref, sans perdre ce qui renforce plus l’autonomie <strong>de</strong><br />

l’apprenant que celle <strong>de</strong> l’enseignant. L’abandon <strong>de</strong>s manuels irait donc à l’encontre <strong>de</strong> la<br />

vocation démocratique <strong>de</strong> l’école et <strong>de</strong>s missions émancipatrices assignées à l’apprentissage<br />

du grec et du latin.<br />

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