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IBSEN, CORRESPONDANCES (SUITE)<br />
personnifie le besoin <strong>de</strong> liberté qui s'agite dans l'âme d'un peuple, que l'empereur représente la notion<br />
d'État. Qu'en résultera-t-il? Que ce ne sera plus <strong>de</strong> la poésie.<br />
Ne t'inquiète pas <strong>de</strong> mes « paroxysmes ». Il n'y a là rien <strong>de</strong> maladif. Je crois que je suivrai ton conseil<br />
d'écrire une comédie. J'y songeais <strong>de</strong>puis quelque temps. Il est possible que je me ren<strong>de</strong>, l'été prochain,<br />
dans le nord <strong>de</strong> l'Italie. J'ignore où nous passerons l'hiver suivant; je sais seulement que ce ne sera pas<br />
en Norvège. Si j'y retournais à présent, il arriverait <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux choses l'une : ou bien je me mettrais en<br />
moins d'un mois tout le mon<strong>de</strong> à dos, ou bien je reprendrais racine sous toutes sortes <strong>de</strong> déguisements<br />
et je serais pour moi-même et pour les autres un mensonge vivant...<br />
Sur la politique<br />
à Georg Bran<strong>de</strong>s<br />
Dres<strong>de</strong>, le 20 décembre 1870.<br />
58<br />
Henrik IBSEN.<br />
...Voici qu'on nous a pris Rome, à nous autres, simples humains, pour la livrer aux politiciens. Où ironsnous<br />
maintenant? Rome était l'unique endroit en Europe qui fût vraiment paisible, l'unique endroit où<br />
régnait la vraie liberté, celle qui échappe à la tyrannie <strong>de</strong>s libertés politiques. Je ne crois pas que j'y<br />
retourne après ce qui s'est passé.<br />
La beauté, le charme primitif, vont disparaître <strong>de</strong> ce lieu avec la pittoresque malpropreté. A chaque<br />
homme d'État qu'on verra surgir correspondra la perte d'un artiste. Éteinte sera la noble soif d'indépendance.<br />
Je confesse que ce que j'aime, c'est la lutte pour la liberté ; je ne me soucie pas <strong>de</strong> la possession.<br />
Un matin, il y a <strong>de</strong> cela quelque temps, j'eus la notion claire et précise d'une oeuvre nouvelle. Dans ma<br />
joie débordante, je vous écrivis. Mais la lettre ne partit pas, car l'ivresse ne dura pas longtemps, et quand<br />
elle fut passée, ce que j'avais écrit ne me parut plus bon.<br />
Les grands événements contemporains occupent pour une large part mes pensées. La vieille France<br />
chimérique est démolie ; le jour où la jeune Prusse réaliste aura subi le même sort, nous entrerons d'un<br />
seul bond dans une ère nouvelle. Oh ! comme les idées alors s'écrouleront autour <strong>de</strong> nous ! Il serait<br />
temps que cela arrivât ! Nous vivons <strong>de</strong>s miettes tombées <strong>de</strong> la table <strong>de</strong> la révolution au siècle <strong>de</strong>rnier ;<br />
cette nourriture est <strong>de</strong>puis assez longtemps mastiquée et remastiquée. Les idées ont besoin d'aliments<br />
et <strong>de</strong> développements nouveaux. Liberté, égalité, fraternité ne sont plus ce qu'elles étaient au temps <strong>de</strong><br />
la défunte guillotine. Les politiciens s'obstinent à ne pas comprendre et c'est pourquoi je les hais. Ils<br />
veulent <strong>de</strong>s révolutions particulières, révolutions toutes <strong>de</strong> surface, d'ordre politique, etc. Niaiseries que<br />
tout cela ! Ce qui importe, c'est la révolte <strong>de</strong> l'esprit humain. Là vous serez un <strong>de</strong> ceux qui montreront le<br />
chemin... Mais auparavant, débarrassez-vous <strong>de</strong> la fièvre.<br />
Votre ami dévoué<br />
Henrik IBSEN.