You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
VIE ET OEUVRE D’HENRIK IBSEN (SUITE)<br />
boie le rêve d'une existence <strong>de</strong> liberté, <strong>de</strong> vérité et d'amour, en un mot d'une vie heureuse. Dans l'univers<br />
ibsénien, le personnage principal s'efforce d'atteindre un but, mais cet effort aboutit à rester en<br />
marge, à la solitu<strong>de</strong> glacée. Cependant, la possibilité <strong>de</strong> choisir une autre voie existe toujours, la possibilité<br />
<strong>de</strong> choisir une vie pleine <strong>de</strong> chaleur et <strong>de</strong> présence humaines. Le problème, pour les personnages<br />
d'Ibsen, est que les <strong>de</strong>ux voies se présentent comme une alternative heureuse, et que l'individu ne voit<br />
pas les conséquences <strong>de</strong> son choix.<br />
Dans Quand nous nous réveillerons d'entre les morts, la froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l'art s'oppose à la chaleur <strong>de</strong> la vie.<br />
Dans cette perspective, l'art peut apparaître comme une prison dont l'artiste ne peut ni ne veut briser les<br />
barreaux. Ainsi que le dit Rubeck à Irène :<br />
Je suis un artiste, Irène. Et je n'ai pas honte <strong>de</strong> la faiblesse qui colle à moi. Car je suis né pour<br />
être artiste, vois-tu. - Et ne serai jamais autre chose qu'un artiste.<br />
Mais pour Irène qui est délaissée, ceci n'est nullement une excuse valable. Sa vision <strong>de</strong>s choses est tout<br />
autre. Elle dit qu'il est un "poète", c'est-à-dire quelqu'un qui crée son propre mon<strong>de</strong>, un mon<strong>de</strong> fictif, et<br />
par là même trahit à la fois et lui-même et celle qu'il aime. C'est exactement la même accusation que<br />
porte Ella Rentheim, dans «John Gabriel Borkmann» (1896) contre l'homme qui l'a sacrifiée à sa<br />
carrière. Le tragique, aux yeux d'Ibsen, semble être que pour le type d'hommes qui l'intéresse, le conflit<br />
apparaît comme insoluble. Mais ils n'en sont pas moins responsables <strong>de</strong>s choix qu'ils ont faits.<br />
Même si Quand nous nous réveillerons d'entre les morts recèle l'aveu <strong>de</strong> l'égoïsme propre aux artistes,<br />
ce drame ne saurait être interprété comme vision <strong>de</strong> l'art. Rubeck n'est nullement un autoportrait, mais<br />
cependant, un certain nombre d'exégètes d'Ibsen l'ont regardé comme le porte-parole <strong>de</strong> ses idées<br />
personnelles sur l'art. Rubeck dit en effet, quelque part, que le public ne s'attache qu'à la "vérité" extérieure<br />
réaliste <strong>de</strong> ses caractères. Ce que les gens ne voient pas, c'est la dimension cachée <strong>de</strong> ses<br />
portraits, toutes ces forces vitales et fausses qui se dissimulent <strong>de</strong>rrière les respectables faça<strong>de</strong>s bourgeoises.<br />
Dans sa jeunesse, Rubeck avait été inspiré par une forme supérieure d'existence humaine.<br />
L'expérience a fait <strong>de</strong> lui un observateur désabusé <strong>de</strong> l'homme, qui décrit la vie telle qu'elle est, à son<br />
avis, dans la réalité. Le bestial gouverne l'homme, c'est la bête humaine <strong>de</strong> Zola, version Rubeck, et il<br />
explique la nouvelle orientation <strong>de</strong> son oeuvre <strong>de</strong> la manière suivante:<br />
"J'ai décrit ce que j'ai vu <strong>de</strong> mes propres yeux autour <strong>de</strong> moi. Je l'ai inclus (...) Et <strong>de</strong>s entrailles<br />
<strong>de</strong> la terre tournoient <strong>de</strong>s êtres aux visages <strong>de</strong> bêtes dissimulés. Femmes et Hommes, tels que<br />
je les connaissais dans la vie."<br />
On comprend que les chercheurs aient succombé à la tentation <strong>de</strong> tracer un parallèle entre la vie et<br />
l'oeuvre, et considéré ainsi ce drame comme un aveu, sans pitié, <strong>de</strong> l'auteur. Mais, comme nous l'avons<br />
dit, «Quand nous nous réveillerons d'entre les morts» ne repose sur aucune base autobiographique. La<br />
parenté entre Rubeck et le dramaturge semble <strong>de</strong>voir être recherchée sur un plan plus profond - dans<br />
le conflit que, vers la fin <strong>de</strong> sa vie, Ibsen regardait comme le problème majeur et existentiel <strong>de</strong> toute vie.<br />
[…]<br />
51