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Peer Gynt - Odéon Théâtre de l'Europe

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PEER GYNT : LE CONTE ? PAR ÉRIC MARTY<br />

Le Roi <strong>de</strong>s Trolls : C'est dur <strong>de</strong> passer pour un conte, pour une légen<strong>de</strong>.<br />

<strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> : Cher homme, vous n'êtes pas le seul à qui ça arrive. (V, 8)<br />

I - Ainsi, <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> est un personnage <strong>de</strong> légen<strong>de</strong> ; c'est d'un conte norvégien intitulé précisément <strong>Peer</strong><br />

<strong>Gynt</strong>, comme la pièce, et qui se trouvait dans les recueils d'Asbjörnsen et Moe, qu'Ibsen a repris le<br />

personnage. Et puis, si l'on se penche davantage encore sur le drame, on s’aperçoit qu'il est en fait tissé<br />

d'une multiplicité <strong>de</strong> contes, ou plutôt <strong>de</strong> bribes, <strong>de</strong> lambeaux, <strong>de</strong> fragments, d’atomes <strong>de</strong> contes<br />

prélevés çà et là - on sait ce que tout prélèvement comporte <strong>de</strong> nécessairement hétérogène, <strong>de</strong> diaprure.<br />

« S’inspirer » <strong>de</strong> textes divers pour composer une oeuvre originale suppose un art du déguisement et du<br />

travesti : on obtient alors une plus-value <strong>de</strong> plaisir, tout à la fois grâce au caractère inattendu <strong>de</strong> la reprise<br />

et à son évi<strong>de</strong>nce. C’est bien le cas dans Ibsen ; on est en train <strong>de</strong> lire son <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, et soudainement<br />

on bute sur un mot et l'on cille : c’est le premier d'un fragment que l'on reconnaît et que l'on parcourt.<br />

D'un conte Ibsen a pris (seulement) la fleur, c’est-à-dire l'essentiel détail : un épilogue, le nom d'un<br />

personnage, d'un lieu, un simple trait anecdotique, toute une partie. Dans tous les cas, la justesse du<br />

prélèvement tient à la réussite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux opérations : un déplacement (le contigu, le métonymique), une<br />

con<strong>de</strong>nsation (la substitution, la métaphore) ; ainsi, du Grand Courbe du conte, il ne reste, dans la pièce,<br />

que le nom, les courbures précisément, le fait <strong>de</strong> faire cercle tout autour <strong>de</strong> <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> ; le Grand Courbe<br />

reste l'être <strong>de</strong> l'obstacle, du détournement, mais lorsque, chez Ibsen, <strong>Peer</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui il est, il<br />

répond obstinément : moi-même. Par là, nous retrouvons la formule, le leitmotiv <strong>de</strong> la pièce (con<strong>de</strong>nsation)<br />

; puis nous entendons <strong>de</strong> sa bouche un nouveau motif (qu'il faut lire en regard du premier) : Fais le<br />

tour, <strong>Peer</strong>, fais le détour, thème absent du conte mais contigu au nom du personnage (déplacement).<br />

On imagine Ibsen, <strong>de</strong> petits ciseaux à bout rond à la main, coupant et découpant <strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> conte,<br />

découpant <strong>de</strong>s figurines, c'est-à-dire <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> carton, et composant un <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> dont la cohérence<br />

et l'homogénéité tiennent <strong>de</strong> ces déplacements incessants, <strong>de</strong> ces perpétuels en avant, <strong>de</strong> cet art double<br />

<strong>de</strong> l'arlequin.<br />

II - Dans la pièce, <strong>Peer</strong> peut être le conteur ou le personnage ou les <strong>de</strong>ux à la fois. Déjà, dans l'original,<br />

<strong>Peer</strong> était double : « Ce <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> était un être singulier, dit An<strong>de</strong>rs. C’était un vrai forgeur <strong>de</strong> fables et<br />

d'histoires qui t'auraient amusé : il racontait toujours que lui-même avait pris part à toutes les aventures<br />

que les gens disaient arrivées autrefois. Dans la pièce d'Ibsen :<br />

Ce morceau que tu me refiles, ça y est, je me souviens l'avoir appris jeune fille, quand j'avais<br />

vingt ans. C'est à Gudbrand Glesne que c'est arrivé, tiens, pas à toi! (I, 1).<br />

Ce double statut induit à <strong>de</strong> multiples lectures : <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> serait, à sa manière, un Don Quichotte ; ce<br />

serait l'histoire <strong>de</strong> quelqu'un qui aurait trop lu <strong>de</strong> contes : ainsi, à certains endroits, le conte, au même<br />

titre que le roman <strong>de</strong> chevalerie, produit un décalage entre illusion et réalité très proche <strong>de</strong> Cervantès -<br />

<strong>Peer</strong> prend <strong>de</strong>s troncs d'arbres pour <strong>de</strong>s jambes <strong>de</strong> géants, se voit chevalier toisant le prince<br />

d'Angleterre, perçoit dans un pan <strong>de</strong> rocher la ferme <strong>de</strong> son grand-père «remise à neuf» et il court, il<br />

s'élance vers elle : Il saute en avant, mais se cogne le nez contre un rocher, tombe et reste à terre (II, 4).<br />

Comme dans Don Quichotte, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> référence <strong>de</strong> <strong>Peer</strong> est un mon<strong>de</strong> qui a déjà été raconté ; mieux<br />

encore, <strong>Peer</strong> est à ce point blotti et comme cloué à l'étroit point <strong>de</strong> partage entre réel et imaginaire qu'il<br />

est, comme Don Quichotte à la secon<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ses aventures, perçu par les gens qu'il a laissés en<br />

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