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Peer Gynt - Odéon Théâtre de l'Europe

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ANALYSES DE LA PIÈCE : LES SOURCES PAR LA CHESNAIS (SUITE ET FIN)<br />

aussi est inspiré d'Asbjörnsen. L’œuvre du conteur est ainsi non pas simplement utilisée dans ses<br />

détails, mais assimilée pour une expression nouvelle et imprévue.<br />

Il est un autre écrivain auquel Ibsen a certainement pensé lorsqu'il a construit son premier plan. C'est<br />

Björnson qui avait obtenu son premier grand succès littéraire précisément avec ses Nouvelles<br />

paysannes. Ibsen les appréciait, mais ne voyait pas les paysans norvégiens sous le même angle. En<br />

1875, au cours d'une conversation sur le peintre Adolf Ti<strong>de</strong>mand, qui s'est fait une spécialité <strong>de</strong>s scènes<br />

<strong>de</strong> la vie paysanne, il a établi une comparaison entre ses tableaux et les nouvelles paysannes <strong>de</strong><br />

Björnson. A son avis, tout cela était du romantisme national, qui veut idéaliser au lieu <strong>de</strong> faire vraiment<br />

comprendre. Ti<strong>de</strong>mand et Björnson nous ont tous <strong>de</strong>ux montré le paysan endimanché et en fête. Le jour<br />

gris quotidien et le travail pénible, ils ont oublié <strong>de</strong> les décrire. <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> prouve suffisamment que son<br />

sentiment sur les Nouvelles paysannes <strong>de</strong>vait être, en 1866-67, peu différent <strong>de</strong> celui-là. Il n'a pas<br />

montré, lui non plus, le jour gris quotidien et le labeur, parce qu'il n'y avait pas place pour cela dans son<br />

poème, comme dans un roman, mais il n'a pas idéalisé les paysans, au contraire. Il s'est évi<strong>de</strong>mment<br />

fort bien rendu compte du contraste entre sa façon <strong>de</strong> considérer le mon<strong>de</strong> paysan et celle <strong>de</strong> Björnson,<br />

mais il n'a pas eu l'idée <strong>de</strong> mettre ce contraste en évi<strong>de</strong>nce, pas plus que <strong>de</strong> l'atténuer. Les nouvelles et<br />

le drame sont <strong>de</strong>s oeuvres d'inspiration totalement différente. On peut dire que les nouvelles, tout en<br />

ouvrant la voie à une littérature plus mo<strong>de</strong>rne, appartiennent encore au genre romantique, tandis que<br />

<strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> est comme un feu <strong>de</strong> joie où Ibsen a brûlé tout son attirail romantique. Nul poète n'a donné<br />

plus brillamment congé à une forme d'art périmée.<br />

Rompre avec le romantisme n'était pas toutefois pour Ibsen une pensée dominante, lorsqu'en octobre<br />

1866 il a choisi son sujet. La rupture était déjà un fait accompli dès 1858, lorsqu’elle avait suggéré la<br />

première idée <strong>de</strong> La Comédie <strong>de</strong> l’Amour, et elle était <strong>de</strong>venue, à la fin <strong>de</strong> 1864, une condamnation<br />

sévère, exprimée dans le poème Aux complices, pour servir d’introduction au Brand épique. Il est clair<br />

que le folklore ne <strong>de</strong>vait pas être ici utilisé <strong>de</strong> la façon traditionnelle, mais, au contraire, être condamné<br />

comme le mensonge, et comme la tare <strong>de</strong> <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>. Et l'essentiel était <strong>de</strong> peindre ce représentant du<br />

peuple norvégien.<br />

Ibsen voyait sûrement l'analogie <strong>de</strong> son héros avec l'Adam Homo <strong>de</strong> Paludan Müller. Il a pu songer aussi<br />

à Don Quichotte. L'analogie existait d'abord uniquement dans le fait <strong>de</strong> créer un type national. Mais il<br />

fallait une intrigue, une femme qu’aimerait <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, et ce rêveur sans volonté ne pouvait pas avoir une<br />

histoire amoureuse profon<strong>de</strong> autrement qu'en rêve. Une véritable intrigue était impossible. Il n'est pas<br />

besoin <strong>de</strong> beaucoup réfléchir pour se rendre compte que la simple logique <strong>de</strong>vait amener Ibsen à concevoir<br />

un personnage qui ne pouvait différer beaucoup <strong>de</strong> Solveig, c'est-à-dire dont l'amour fidèle attendrait<br />

<strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, tandis que lui ne conserverait son souvenir que dans l'arrière-plan <strong>de</strong> sa conscience. Or,<br />

Adam Homo, en sa jeunesse, s'était fiancé avec la jeune Alma, fille <strong>de</strong> condition mo<strong>de</strong>ste ; ensuite, par<br />

ambition et vanité, il avait fait un beau mariage et semblait presque avoir oublié son seul véritable<br />

amour; il ne retrouve Alma qu'à son lit <strong>de</strong> mort, où elle est appelée par hasard, comme gar<strong>de</strong>-mala<strong>de</strong>,<br />

lorsqu'il la reconnaît, il se dit prêt à écouter ses reproches, mais elle répond : Tu as été ma joie en toutes<br />

ces années.<br />

38<br />

LA CHESNAIS

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