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ANALYSES DE LA PIÈCE : LES SOURCES PAR LA CHESNAIS<br />
Björnson, en 1857, après avoir entendu la lecture <strong>de</strong>s Guerriers à Helgeland, écrivit à son ami Clemens<br />
Petersen :<br />
Écris-moi donc enfin sur Ibsen. Rappelle-toi sa Fête à Solhoug. Malheureusement il faut qu'il change<br />
encore sa voie pour que je puisse avoir foi en lui. Dans La Fête à Solhoug il a joué <strong>de</strong> telle sorte sur la<br />
chanson héroïque qu'il a fini par <strong>de</strong>venir pour moi une chanson héroïque toute vive. Tout en est passé<br />
en lui, jusqu'à la langue. Puis, il a sauté la saga, et le voilà qui en arrive avec ses expressions, sa langue<br />
calquée, ses moindres tournures et toute sa poésie périmée. Il est un plus grand virtuose que Oie Bull,<br />
pour ne pas parler <strong>de</strong> Henrik Hertz... Dans Les Guerriers à Helgeland il a refait Sigurd vainqueur <strong>de</strong><br />
Fafner et tout forme un cycle <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s sur lui et autour <strong>de</strong> lui. C'est imité ou mis en forme dramatique<br />
à la perfection. Je dois le reconnaître et l'en louer, et pourtant j'écume <strong>de</strong> colère...<br />
En écrivant <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, Ibsen a été <strong>de</strong> nouveau un virtuose du même genre. Il est <strong>de</strong>venu non plus une<br />
chanson héroïque, ni une saga, mais un conte populaire. Dans son poème, Absjörnsen et Moe sont<br />
imités ou mis en forme dramatique à la perfection. Ce n'est pas l'histoire <strong>de</strong> <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> qui est mise en<br />
forme dramatique, il ne lui a emprunté, en réalité, que très peu <strong>de</strong> chose. Surtout dans le plan primitif,<br />
où ne figurait pas le Grand Courbe, les emprunts se réduisent à l'idée d'un paysan vantard, et à la scène<br />
<strong>de</strong>s trois filles <strong>de</strong> pacage, où la légen<strong>de</strong> est singulièrement transformée. Il n'exagérait certes pas, lorsqu'il<br />
écrivait à Hegel que son poème était écrit sur une base assez mince, et qu'il a été d'autant plus libre.<br />
En réalité, c'est tout ce qu'il connaissait <strong>de</strong>s contes norvégiens et aussi <strong>de</strong> la vie paysanne, qu'il a mis à<br />
contribution, Andreas Faye et Peter Fylling, et <strong>de</strong>s réminiscences <strong>de</strong> la chanson héroïque et <strong>de</strong> la saga,<br />
et Les Noces <strong>de</strong> la Houldre <strong>de</strong> Botten Hansen, et <strong>de</strong>s histoires qu'il avait entendu conter par Botten<br />
Hansen ou par Vinje, et <strong>de</strong>s souvenirs personnels.<br />
Il lui est arrivé <strong>de</strong> dire que sa connaissance du paysan norvégien ne provenait guère que <strong>de</strong>s contacts<br />
qu'il avait eus avec lui pendant les quelques années qu'il avait vécues à Venstöb, aux environs <strong>de</strong> Skien.<br />
Le premier acte <strong>de</strong> <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, indiqué comme se passant dans le haut Gudbrandsdal, semble bien, en<br />
effet, avoir été écrit en pensant au paysage <strong>de</strong> Venstöb. Mais à Grimstad il avait aussi été en relation<br />
familière avec <strong>de</strong>s paysans, ainsi qu'au cours <strong>de</strong> son excursion <strong>de</strong> 1862, et bien qu'il fût généralement<br />
assez fermé en société avec <strong>de</strong>s inconnus, il était, au contraire, volontiers causant avec les gens du<br />
peuple.<br />
Mais c'est avant tout d'Asbjörnsen et Jörgen Moe qu'il s'est constamment servi. On ignore s'il a eu leurs<br />
volumes à Rome et à Ischia, mais il n'en avait certes pas besoin, car il en était tout pénétré. On peut<br />
observer toutefois que c'est tout particulièrement les Contes <strong>de</strong> Houldres d'Asbjörnsen seul (1845 et<br />
1847) qui lui sont revenus en mémoire.<br />
Il rendait hommage à tous les <strong>de</strong>ux, et c'est bien à 1842, date <strong>de</strong> leur première publication en commun,<br />
qu'il faisait remonter l'ère nouvelle. Mais Asbjörnsen avait apporté un élément <strong>de</strong> plus, qui ne se trouvait<br />
pas dans les contes détachés <strong>de</strong>s premiers recueils. Il avait donné <strong>de</strong> véritables tableaux <strong>de</strong> vie<br />
populaire, et les légen<strong>de</strong>s y sont contées par les paysans qu'il nomme, et accompagnées <strong>de</strong>s réflexions<br />
<strong>de</strong> leur auditoire. C'est <strong>de</strong> ces Contes <strong>de</strong> Houldres qu'Ibsen s'est surtout inspiré, et c'est à eux qu'il a fait<br />
<strong>de</strong> continuels emprunts, tantôt en leur donnant forme dramatique ou par simple allusion, ou en les<br />
contant à son tour, et à sa façon.<br />
Ces emprunts sont nombreux et manifestes, et cependant ils ne sont pas ce qui caractérise le plus <strong>Peer</strong><br />
<strong>Gynt</strong> : c'est la couleur générale, le mouvement, le ton, la langue toute simple et familière, et tout cela<br />
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