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ANALYSES DE LA PIÈCE : “LA FEMME ET LA MÈRE” PAR GEORG GRODDECK<br />
Il y a un endroit, dans la pièce d'Ibsen, qui éclaire bien ce qui se passe entre eux <strong>de</strong>ux [<strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> et<br />
Solveig, II, 8]. Solveig l'a rejoint là-haut, dans son refuge <strong>de</strong> fuyard, pour lui apporter un panier avec <strong>de</strong><br />
quoi manger, ainsi que sa petite soeur nous le laisse entendre. Mais ce n'est pas la vraie raison; car sans<br />
aucun motif, elle commence par dire :<br />
Si tu approches, je me sauve<br />
Et <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> répond :<br />
Veux-tu dire que tu es en danger auprès <strong>de</strong> moi?<br />
Elle lui lance ces mots :<br />
Honte à toi!<br />
Pourquoi <strong>de</strong>vrait-il avoir honte? Parce qu'il exprime ce qu'elle désire, elle. C'est pourquoi à la fin <strong>de</strong> la<br />
scène elle se sauve à toutes jambes -mais pour revenir. Elle revient et <strong>Peer</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encore une fois<br />
[III, 3] :Tu n'a pas peur d'être venue si près?<br />
Pourquoi donc cette sotte question ? Il sait bien, il voit bien qu'elle veut rester près <strong>de</strong> lui. C'est parce qu'il<br />
a peur, nulle autre raison; c'est un stratagème <strong>de</strong> ceux qui ont peur, que <strong>de</strong> dire non pas : j'ai peur, mais :<br />
toi, tu as peur. Et ne <strong>de</strong>vrait-il pas avoir peur, car la voici jeune et belle, celle qui est sa mère et qu'il ne<br />
doit pas désirer? Il est effrayé, et il fuit.<br />
Nous y voici <strong>de</strong> nouveau : la mère et l'enfant. <strong>Peer</strong> erre <strong>de</strong> par le mon<strong>de</strong>, il fait <strong>de</strong>s tours et <strong>de</strong>s détours<br />
-u<strong>de</strong>nom- et là-bas il en est une qui l'attend, à la fois mère, femme, épouse : c'est le contenu d'une vie.<br />
A ceci près que l'homme ne rencontre pas toujours la Solveig qui est à la fois sa mère et sa femme.<br />
D'ordinaire, l'homme rencontre la secon<strong>de</strong> mère, la mère éternelle, seulement dans le pays du<br />
brouillard où nous <strong>de</strong>scendrons tous, car elle est notre patrie à tous. <strong>Peer</strong> le sait :<br />
Il appelle cela rentrer chez soi. La naissance, le tombeau, c'est une seule et même chose. L'Esprit <strong>de</strong> la<br />
Terre le dit à Faust à sa manière, comme <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> le dit à la sienne :<br />
Nous sortons <strong>de</strong> l'obscurité maternelle, nous rentrons dans l'obscurité maternelle. Et la vie? Pourquoi<br />
vit-on? Quelle est la fin? Toujours la même : <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s enfants. Qui vieillit <strong>de</strong>vient enfant, en tout, en<br />
tout. Il <strong>de</strong>vient d'autant plus comme un enfant qu'il tombe en enfance. Au mieux, il est celui pour qui<br />
résonne la berceuse <strong>de</strong> la femme dans l'éclat du jour :<br />
Georg Grod<strong>de</strong>ck<br />
Peux-tu me dire où <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> était tout ce long temps?<br />
Peux-tu le dire? Sinon je dois rentrer Et <strong>de</strong>scendre au pays du brouillard.<br />
En avant, en arrière, c'est toujours aussi long.<br />
Au-<strong>de</strong>dans, au-<strong>de</strong>hors, c'est toujours aussi court.<br />
Je te bercerai, je te veillerai - Rêve, mon enfant<br />
<strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, conférence prononcée le 30.1.1927, reprise notamment dans Psychoanalytische Schriften zur<br />
Literatur und Kunst (voir plus loin textes <strong>de</strong> Reich et Grod<strong>de</strong>ck)<br />
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