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ANALYSES : “LES PELURES DU SOI” (SUITE)<br />
j'insiste pour y voir plutôt le trait <strong>de</strong> ceux qui font du rien la marque et l’emblème <strong>de</strong> leur universalité :<br />
le juif, l’intellectuel, l'artiste. D'ailleurs <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, chez les paysans qu'il a quittés, a laissé la réputation<br />
non d'un parvenu, ou d'un capitaliste, mais d'un poète vagabond (V, 4), et ce qu'il leur revend aux<br />
enchères, ce sont <strong>de</strong>s riens, c'est du vent. Qu'on se promène dans les cimetières du 19ème siècle, sur la<br />
tombe <strong>de</strong> quel bourgeois petit ou grand lit-on : Ici ne gît personne ? (V, 10). On peut donc démontrer que<br />
le passage <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> l’affabulation à celle du Soi ordonne l'ensemble même <strong>de</strong> la pièce, que l'on<br />
retienne ou non l'hypothèse d'un Ibsen changeant <strong>de</strong> sujet en cours <strong>de</strong> route. Car il faut distinguer ici :<br />
la fable, qui est l'histoire, l'errance et le retour d'un homme au pays natal, une espèce d’Ilia<strong>de</strong> comique<br />
suivie d'une Odyssée touristique - et même Solveig, comme Pénélope, file (IV, 10), bien qu'aucun prétendant<br />
ne rivalise avec cet Ulysse, et que cet Ulysse ne la cherche pas ; le thème, qui est être soi-même,<br />
comme <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> le dit après le sermon du prêtre : Et le thème, oui, être soi-même imperturbablement<br />
(V, 3), comme si ce sermon n'était qu’une allégorie <strong>de</strong> la pièce elle-même ; et enfin ce que j'appellerai le<br />
sujet <strong>de</strong> la pièce : comment un homme délaisse les mensonges et les affabulations dans lesquels il eût<br />
pu se cantonner toute sa vie pour se laisser traverser par le néant <strong>de</strong> la subjectivité mo<strong>de</strong>rne : un voyage<br />
extérieur et sans limites doublé d'un voyage intérieur et sans recours.<br />
En avant, en arrière...<br />
Mais pour saisir ce thème du Soi, il faut <strong>de</strong> nouveau reprendre la question dans l'ordre où le spectateur<br />
le découvre. Nous procé<strong>de</strong>rons encore à partir <strong>de</strong>s seules données <strong>de</strong> la pièce, comme si d'un fauteuil<br />
<strong>de</strong> spectateur nous nous bornions à comprendre au passage, sans trop réfléchir.<br />
Acte II, 6 - Chez les Trolls. Première apparition du thème du Soi sous la forme : Homme, sois toi-même,<br />
par opposition au Suffis-toi <strong>de</strong>s trolls. Premier sentiment : l'auteur semble livrer là la clef <strong>de</strong> la pièce, et<br />
<strong>de</strong> façon solennelle. Second sentiment : l'ironie. Il va <strong>de</strong> soi que l'auteur préfère le Sois toi-même au<br />
Suffis-toi (à) toi-même (dont nous avons à <strong>de</strong>ssein fait un raccourci légèrement incorrect). Suffisance,<br />
complaisance, chauvinisme <strong>de</strong>s trolls, d'où l'on déduit que l'homme doit être autre chose. On ne sait<br />
encore quoi.<br />
Acte II, 7 - Le Grand Courbe. Laissons <strong>de</strong> côté le conte d'Asbjornsen d'où ce monstre est tiré. Appuyonsnous<br />
sur les seules données <strong>de</strong> la scène.<br />
- La voix se nomme moi-même et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> s'il peut en dire autant. On peut déduire qu'on<br />
n'a pas affaire à un troll, puisque le troll se suffit, n'est pas soi. <strong>Peer</strong>, donc, est-il comme un troll, ou<br />
comme la voix ?<br />
- La voix se nomme Le Grand Courbe. D'où le détour à faire <strong>de</strong> l'existence, et l'idée <strong>de</strong> l’existence comme<br />
détour.<br />
La voix se décrit : elle vient d’être contradictoire, mort et vivant. <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>, qui la prend pour un troll,<br />
trompe, et ne peut l’atteindre. Invisible intouchable, mais audible.<br />
- Le Courbe l'emporterait, mais les cloches le font se dissiper.<br />
Des femmes sauvent <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong>. L'énigme reste entière et le doit. Il serait vain <strong>de</strong> la traduire (par<br />
exemple : un monstre, l'homme, la société, ou le Sphinx, auquel il est cependant i<strong>de</strong>ntifié dans la scène<br />
12 <strong>de</strong> l'acte IV). Mais on peut au moins en déduire qu'il est d'abord tout ce que n'est pas <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> : Il est<br />
ici ! Il est là ! Et tout autour <strong>de</strong> mes tours ! . Et aussi qu'il est tout ce qu'est, ou que pourrait être <strong>Peer</strong><br />
<strong>Gynt</strong> : Dès que j'en suis sorti, je suis en plein milieu. Il est le non-<strong>Peer</strong> être <strong>Peer</strong>, le moi et le non-moi. Il<br />
est cette dialectique même qui n'est autre que celle <strong>de</strong> toute la pièce. Mais on le saura plus tard. Il est<br />
donc l'énigme que la pièce a pour tâche <strong>de</strong> déchiffrer.<br />
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