03.07.2013 Views

Peer Gynt - Odéon Théâtre de l'Europe

Peer Gynt - Odéon Théâtre de l'Europe

Peer Gynt - Odéon Théâtre de l'Europe

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ANALYSES : “LES PELURES DU SOI” (SUITE)<br />

vantardise avec les filles au début <strong>de</strong> l’acte II, et toutes les scènes <strong>de</strong> l'acte III (sauf la secon<strong>de</strong>, où <strong>Peer</strong><br />

<strong>Gynt</strong> n'est pas là) -la première, où, abattant <strong>de</strong>s arbres, il souhaite que finissent ses mensonges ; la troisième,<br />

où il lutte contre les cauchemars et les visions fantastiques en clouant une serrure ; et la<br />

quatrième, où il emmène Âse au pays <strong>de</strong> la mort et <strong>de</strong>s contes.<br />

En résumé, et à quelques exceptions <strong>de</strong> détail près :<br />

- il est plutôt question du mensonge et <strong>de</strong> l'affabulation dans la première partie <strong>de</strong> la pièce ;<br />

- il est plutôt question du Soi dans la secon<strong>de</strong> partie ;<br />

- c'est dans la gran<strong>de</strong> scène avec Solveig à l'acte III et dans la retrouvaille finale qu'il ne serait question<br />

ni du mensonge, ni du Soi. En effet, à l'acte III, c’est Solveig qui le délivrerait <strong>de</strong>s songes et <strong>de</strong>s<br />

mensonges : Alors adieu les clous et les planches. Plus besoin <strong>de</strong> barrica<strong>de</strong>s contre les noires pensées<br />

<strong>de</strong>s gnomes et <strong>de</strong>s trolls. Et à la fin <strong>de</strong> l'acte V, il ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> nullement à Solveig : Qui suis-je ? ,non<br />

plus que : Étais-je moi-même ?, mais : Où étais-je moi-même ? , ce qui est une autre question.<br />

La question du mensonge et celle du Soi sont donc pratiquement exclusives l'une <strong>de</strong> l'autre. On pourrait<br />

même imaginer l'hypothèse suivante, sans doute exagérée (affabulée par nous, en somme), mais qui<br />

ferait image. Ibsen serait parti du conte d'Asbjornsen sur <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> : C'était un vrai forgeur <strong>de</strong> fables et<br />

d'histoires, et, en cours <strong>de</strong> route, il aurait trouvé plus intéressant <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> la vérité dans les récits à<br />

la vérité dans le moi. Il aurait substitué au précepte Il ne faut pas mentir le précepte Il faut être soimême,<br />

il aurait quitté le mon<strong>de</strong> paysan du conte pour le mon<strong>de</strong> urbain <strong>de</strong> l'angoisse (V, 2), et les veillées<br />

le soir dans les chaumières pour la solitu<strong>de</strong> dans la foule : Il n 'y a jamais personne qui pense à moi.<br />

En tout cas, on altère gran<strong>de</strong>ment le sens général <strong>de</strong> la pièce si on en fait l'histoire d'un hâbleur. On<br />

débouche vite sur la question assez courte <strong>de</strong> la mythomanie, ou bien on en reste au conte bleu. On<br />

rattache alors la pièce aux problèmes folkloriques, à Frazer et au Rameau d'or, on en fait une pièce du<br />

19ème siècle où la mythologie l'emporte sur la poésie. Au contraire, l'histoire d'un exilé qui part à la<br />

recherche <strong>de</strong> soi-même, ou plutôt qui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’il a été soi-même, bien qu'il ne sache jamais en<br />

quoi cela consiste, s'ouvre sur la subjectivité mo<strong>de</strong>rne, celle du 20ème siècle, et sur la question <strong>de</strong> son<br />

assujettissement ou <strong>de</strong> son annihilation : Inéluctable quantité <strong>de</strong> pelures ! Le noyau va-t-il enfin paraître ?<br />

On quitte Grimm pour Joyce.<br />

Encore faut-il ne pas faire <strong>de</strong> cette recherche du Soi le symptôme typique d'un comportement bourgeois<br />

ou petit-bourgeois comme y tendait la <strong>de</strong>rnière gran<strong>de</strong> production <strong>de</strong> l'oeuvre (Berlin, 1971), du moins<br />

dans son programme publié. Certes, la complaisance à soi, le narcissisme, la reconnaissance <strong>de</strong> soi<br />

dans <strong>de</strong>s images sont <strong>de</strong>s traits qu'on peut attribuer à l'être-bourgeois, <strong>de</strong> même que l'égotisme ou le<br />

culte du moi. Mais on <strong>de</strong>vrait reconnaître que <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> n'en est nullement atteint. Il pose la question Qui<br />

suis-je ? seulement dans l'asile <strong>de</strong> fous (IV, 13), et il y a bien <strong>de</strong> quoi, <strong>de</strong>vant le fou qui cherche la langue<br />

<strong>de</strong>s singes, celui qui porte sa momie sur son dos et celui qui se prend pour une plume. Mais la plupart<br />

du temps, il s'adapte à tout sans s'aimer lui-même, et recherche sa gloire (ou la gloire <strong>de</strong> son nom) sans<br />

la reconnaissance. Il y a chez <strong>Peer</strong> <strong>Gynt</strong> peu <strong>de</strong> complaisance et beaucoup d’extraversion, et il faudra<br />

montrer comment, dans la scène même <strong>de</strong> l'oignon, chaque pelure arrachée, pour être un avatar du moi,<br />

n'en est pas pour autant une propriété : il énumère exactement les phases <strong>de</strong> sa vie, les aventures qui<br />

lui sont arrivées, et non les traits <strong>de</strong> son caractère : qu'on imagine à sa place Jean-Jacques Rousseau,<br />

ou mieux encore Chateaubriand ou Amiel, et on percevra la différence.<br />

Et si l'on veut y voir encore un trait <strong>de</strong> classe, qu'on ne dise pas, alors, que la recherche <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité est<br />

le symptôme <strong>de</strong> son être bourgeois -car le bourgeois la trouve. Éplucher un oignon et n'y trouver rien,<br />

23

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!