la musicotherapie active avec une personne atteinte ... - Florie BERT

UNIVERSITÉ PAUL-VALÉRY
MONTPELLIER III
Arts - Lettres - Langues - Sciences Humaines et Sociales
Département MUSIQUE
Filière de MUSICOTHÉRAPIE
11, rue Saint Louis
34000 Montpellier
DIPLÔME UNIVERSITAIRE DE MUSICOTHÉRAPEUTE
LA MUSICOTHERAPIE ACTIVE
AVEC UNE PERSONNE ATTEINTE
DE LA MALADIE D’ALZHEIMER AU STADE MODERE :
A LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MOYENS D’EXPRESSION
Mémoire présenté et soutenu par :
Florie BERT
Né(e) le :10/10/1985
Directeur de mémoire :
Aurélie CARRIERE (Psychologue clinicienne)
Soutenance: octobre 2009
JURY
Monsieur le Professeur Jean-Pierre BLAYAC, Président
Madame Anne-Marie MAURIN
Monsieur Pierre-Luc BENSOUSSAN
Monsieur Olivier MAROTIN
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UNIVERSITÉ PAUL-VALÉRY
MONTPELLIER III
Arts - Lettres - Langues - Sciences Humaines et Sociales
Département MUSIQUE
Filière de MUSICOTHÉRAPIE
11, rue Saint Louis
34000 Montpellier
DIPLÔME UNIVERSITAIRE DE MUSICOTHÉRAPEUTE
LA MUSICOTHERAPIE ACTIVE
AVEC UNE PERSONNE ATTEINTE
DE LA MALADIE D’ALZHEIMER AU STADE MODERE :
A LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MOYENS D’EXPRESSION
Mémoire présenté et soutenu par :
Florie BERT
Né(e) le : 10/10/1985
Directeur de mémoire : Aurélie CARRIERE
(Psychologue clinicienne)
Soutenance : octobre 2009
JURY
Monsieur le Professeur Jean-Pierre BLAYAC, Président
Madame Anne-Marie MAURIN
Monsieur Pierre-Luc BENSOUSSAN
Monsieur Olivier MAROTIN
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont permis de terminer
ce mémoire dans les meilleures conditions possibles.
Je tiens tout particulièrement à remercier tous les professeurs de l’enseignement
de musicothérapie qui nous ont prodigué conseils, écoute et aide dans cette tâche
difficile qu’est l’écriture d’un mémoire de fin d’études :
• M. le professeur Blayac pour ses précieuses informations sur la manière d’écrire
un mémoire, la méthodologie à utiliser, les normes à respecter ;
• Mme Vidal pour son soutien considérable lors de nos stages à travers les
séminaires d’analyse de stage, pour son ouverture, sa capacité d’écoute et pour
toutes les perspectives qu’elle nous a offerte ;
• M. Marotin et M. Bensoussan pour tous leurs conseils pratiques et l’aide qu’ils
nous ont fournie pour améliorer nos techniques en séance ;
• enfin tous les autres professeurs qui nous ont offert une formation aussi
complète durant trois ans.
Je tiens également à remercier tout le personnel de la maison de retraite Hotelia
pour son accueil chaleureux et compréhensif, pour la manière dont ils m’ont intégrée
parmi eux et soutenue tout au long de ces six mois de stage.
Je veux particulièrement remercier :
• Mme Boreil, la directrice, de m’avoir acceptée en tant que stagiaire et ainsi
permis de vivre une expérience passionnante auprès des personnes âgées,
• Mme Keita d’avoir accepté d’être ma maître de stage et de m’avoir
accompagnée durant ces six mois, écoutée, conseillée, soutenue,
• ainsi que tous les membres du personnel soignant des cantous pour leur
compréhension, leur enthousiasme, leur aide et leurs encouragements qui m’ont
été très précieux.
Je tiens aussi à remercier infiniment Aurélie Carrière, ma directrice de mémoire,
pour avoir bien voulu accepter cette tâche, pour sa relecture, ses corrections, son intérêt,
ses nombreux conseils et sa patience tout au long de l’écriture de mon mémoire.
Enfin, je tiens à remercier :
• ma mère pour son travail de mise en page, aide sans laquelle je me serais
trouvée face à de grandes difficultés,
• ainsi que tous mes camarades de promotion pour la bonne ambiance et
l’entraide qu’ils ont su instaurer entre nous, sans lesquels ce travail d’écriture
aurait été beaucoup plus difficile et pénible.
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INTRODUCTION
SOMMAIRE
1. LA MAISON DE RETRAITE HOTELIA
2. QUELQUES NOTIONS THEORIQUES
3. PRISE EN SOIN
4. REFLEXION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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INTRODUCTION
« À quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir ; ce qui est certain,
c'est qu'elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n'y saurait pénétrer. »
Cette phrase d’Emile Michel Cioran illustre particulièrement la raison pour laquelle
mon intérêt s’est porté sur la musicothérapie ainsi que le travail qui va être présenté tout
au long de ce mémoire.
Intéressée depuis longtemps par la psychologie, la musicothérapie m’est tout de suite
apparue comme un moyen d’allier mon travail à ma passion, la musique. La musique
réveille les émotions, la musique est généralement très liée à la sphère affective pour
beaucoup de personnes, c’est donc un moyen privilégié pour permettre d’exprimer des
éléments douloureux de la vie d’un patient que les mots ne suffisent plus à soulager, un
instrument de dialogue, de réassurance, de thérapie. Chez la personne âgée démente,
dont la mémoire est sévèrement affectée par la maladie, il est aisé de penser que la
musique peut également permettre d’accéder à des souvenirs chargés en émotions qui
ne peuvent plus être rappelés à la conscience autrement.
C’est entre autres pour ces raisons qu’il m’a paru intéressant de travailler avec des
personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’autres démences
dégénératives liées au vieillissement.
J’ai effectué mon stage en vue du diplôme de musicothérapeute, d’octobre à mai 2009,
dans une maison de retraite médicalisée accueillant des personnes âgées valides à
dépendantes, au cœur de Montpellier : la maison de retraite Hotelia. Outre l’intérêt
particulier que j’éprouvais pour l’importance de la musique dans une thérapie avec des
personnes âgées atteintes de démences, j’ai choisi ce type d’institution pour le public
que j’y rencontrerais. En effet, je n’avais encore aucune expérience de travail avec des
personnes âgées et, la moyenne d’âge de la population française augmentant, il apparaît
assez probable que j’aie à être confrontée à ce type de patients dans mon futur métier de
musicothérapeute, il me paraissait donc très important de posséder une expérience
solide dans ce domaine.
Ce mémoire a pour but de présenter et de tenter d’analyser l’évolution d’une patiente
atteinte de la maladie d’Alzheimer au cours de douze séances de musicothérapie active.
La musicothérapie peut-elle permettre à une patiente n’ayant presque plus accès à la
parole de trouver un nouveau moyen de communication ? Peut-elle constituer un lieu de
plaisir, de détente et d’expression pour une patiente atteinte d’une maladie dégénérative
à un stade relativement avancé en proie à des angoisses et à une perte de repères ? Peuton,
au fil des séances, constater de réels changements chez cette patiente permettant de
dire que la musicothérapie représente un réel apport dans sa vie ?
Je commencerai par décrire succinctement l’institution dans laquelle j’ai effectué mon
stage : la maison de retraite Hotelia. Je détaillerai ensuite le tableau clinique de la
maladie d’Alzheimer au stade où se trouve la patiente que nous suivrons dans ce
mémoire, de sorte de pouvoir mieux comprendre les réactions de cette personne, les
problèmes rencontrés et les éléments à prendre en compte pour adapter au mieux la
thérapie. Je dirai aussi quelques mots de la musique, de la musicothérapie et des travaux
qui ont déjà été faits avec la musicothérapie auprès de personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer. Après quoi, je présenterai le travail que j’ai effectué avec cette patiente au
cours des douze séances de musicothérapie que nous avons eues ensemble. Enfin,
j’aborderai un certain nombre de points de réflexion, au sujet des observations,
hypothèses, éventuels résultats et difficultés que cette prise en soin aura suscités ainsi
que sur le travail en maison de retraite et ma place de stagiaire musicothérapeute au sein
de l’institution.
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1. LA MAISON DE RETRAITE HOTELIA
1.1. Généralités et historique
La maison de retraite Hotelia, située au 662 avenue de la Pompignane en plein cœur de
Montpellier, est une résidence du groupe Korian. Ce groupe privé, dont le réseau est
étendu sur toute la France, propose divers types d’établissements : des résidences de
retraite médicalisées, des cliniques de soin et de réadaptation et des cliniques
psychiatriques.
Hotelia porte ce nom évocateur car il s’agissait à l’origine d’un hôtel de luxe. Il y a une
vingtaine d’années, un groupe commercial racheta l’établissement pour en faire une
résidence de luxe pour personnes âgées. Ce n’est qu’environ quinze ans plus tard
qu’Hotelia, rachetée par le groupe Korian, est devenue un Ehpad (établissement
hébergeant des personnes âgées dépendantes) privée à but lucratif accueillant tous types
de résidents : personnes valides, semi-valides, dépendantes, Alzheimer, Parkinson,
autres démences, désorientées… Grand établissement, elle dispose de cent trente lits,
dont une quarantaine en secteurs protégés appelés cantous.
Hotelia propose un accueil permanent ou temporaire, des soins nombreux et adaptés aux
résidents.
Les objectifs du groupe Korian sont d’offrir un espace adapté à la personne âgée,
sécurisant, lui permettant de conserver ses facultés motrices et intellectuelles et de
garder son autonomie. Le but de ces maisons de retraite est aussi de favoriser la
convivialité entre les résidents, de favoriser les échanges sociaux, tout en conservant
l’intimité et la liberté des personnes. Les engagements principaux du groupe Korian,
concrétisés par des signatures de conventions au sujet de la médicalisation, en
particulier avec les conseils généraux, sont le respect de la personne âgée, de sa volonté
et de sa dignité.
Ces principes théoriques sont du moins ceux que l’on peut lire sur les papiers du groupe
Korian. Dans la pratique, la réalité des choses fait que certaines difficultés sont
rencontrées au sein de l’établissement. Le manque cruel de personnel et le peu d’heures
dont disposent les employés non médicaux comme l’animatrice font que les
engagements énumérés ci-dessus sont difficiles à tenir : les résidents n’ont que peu
d’échanges entre eux et avec le personnel et les activités se font parfois rares, c’est du
moins le ressenti que j’en ai eu, étayé par des remarques du personnel soignant qui
souhaiterait pouvoir donner plus de temps aux résidents.
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1.2. Le personnel soignant
Hotelia dispose d’une équipe soignante très complète et formée aux besoins des
résidents, proposant un large panel de soins et une permanence dans l’assistance.
La maison de retraite est sous la direction de Mme Boreil.
Une sous-directrice est chargée plus particulièrement des rapports avec les familles.
L’équipe soignante est ensuite composée d’un médecin coordonateur, de psychologues,
d’une ergothérapeute, de plusieurs kinésithérapeutes exerçant une permanence vingtquatre
heures sur vingt-quatre, d’une animatrice, d’infirmières, d’aides soignantes et
d’aides médicopsychologiques. Pour ce qui est des médecins effectuant le suivi des
résidents, chaque résident peut avoir son propre médecin traitant et les médecins
viennent en visite. Il faut aussi citer le personnel qui vient de manière plus ponctuelle :
le pédicure, la coiffeuse…
La psychologue qui est mon maître de stage, Mme Keita, est présente trois jours par
semaine. Elle est particulièrement responsable des problèmes des soignants et des
rapports avec les familles. Une autre psychologue se charge plus particulièrement des
problèmes des résidents.
L’animatrice, elle, est présente quatre après-midis par semaine et propose des activités
variées, souvent dans les arts plastiques. De la gymnastique douce est également
proposée aux résidents.
Concernant la communication entre les soignants, plusieurs réunions sont organisées par
semaine. Il y a tout d’abord les transmissions, qui ont lieu tous les jours à la même
heure, horaire qui a d’ailleurs changé plusieurs fois durant les six mois que j’ai passés à
Hotelia, car la difficulté est de trouver un moment où les aides soignantes ont
suffisamment de temps pour le consacrer aux transmissions. Le principe des
transmissions est de rapporter tous les problèmes rencontrés dans la journée, les choses
inhabituelles qui se sont produites, pour pouvoir en parler et éventuellement mettre au
courant un médecin, un kinésithérapeute…
Le deuxième type de réunion est les réunions autour du projet de vie des résidents. Il
s’agit d’une rencontre qui regroupe l’infirmière référente d’un certain résident, le
médecin coordonateur et la psychologue, d’une durée d’à peu près une heure, pour
parler uniquement d’un résident et de son projet de vie, de soins, et parfois aussi de fin
de vie. Cela permet de discuter d’une part des soins médicaux les plus adaptés, mais pas
seulement ; le projet de vie concerne toute la vie du résident, cela peut donc aussi
toucher le repas, la vie sociale, les activités… Ces réunions m’intéressaient beaucoup,
malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion d’assister à une seule des réunions
concernant les patients que j’ai pris en charge. En effet les patients étant très nombreux,
les réunions concernant ceux que je prenais en thérapie n’ont pas eu lieu durant la
période où j’étais en stage.
1.3. Description de l’établissement
Bien que située en pleine ville, la maison de retraite Hotelia ressemble de
l’extérieur à une résidence de luxe, entourée d’une grande cour et d’un coin de verdure,
sur lequel donnent les nombreux petits balcons des chambres.
L’intérieur est très propre, dans un style plutôt moderne et très lumineux. Le hall, bien
éclairé, est très spacieux et c’est là que les résidents passent la plupart de leur temps et
qu’une grande partie des animations a lieu. Il est rempli de fauteuils et de tables, on y
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trouve une télévision, ainsi que le comptoir de l’accueil. De nombreuses pièces donnent
sur le hall, ainsi qu’un grand ascenseur, deux plus petits et une cage d’escalier
permettant de monter dans les trois étages. Ce hall donne sur toutes les parties
importantes de l’établissement hormis les chambres. Dans la partie du hall la plus
proche de l’entrée, on trouve le secrétariat avec ses différents bureaux, la salle de
transmissions, qui est en fait la salle de réunion où ont lieu toutes les réunions dont j’ai
parlé plus haut et la grande salle à manger, d’où l’on peut accéder aux cuisines. Dans le
fond du grand hall, on trouve encore quelques bureaux comme celui de la psychologue,
l’infirmerie, le bureau où sont rangés tous les dossiers des résidents, la salle d’animation
ainsi que l’un des trois cantous de l’établissement. Les chambres des résidents sont
réparties dans les trois étages. Au premier étage, on trouve également les deux autres
cantous.
1.4. Les cantous
Avec les conseils de la psychologue, j’ai choisi au cours de mon stage de travailler
particulièrement avec les résidents des cantous, j’expliquerai ce choix plus tard. Il
m’apparaît donc nécessaire de développer ce qu’est un cantou et son rôle au sein d’une
maison de retraite.
1.4.1. Qu’est-ce qu’un cantou ?
A l’origine, le cantou, en occitan, désignait le foyer, le coin du feu. C’était une pièce à
l’intérieur même de la pièce principale de la maison. C’est le lieu où se réunissait la
famille pour la plupart des activités de la vie quotidienne et pour partager les moments
de convivialité ensemble.
Depuis une réforme des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes
(EHPAD), le cantou, anciennement appelé espace de vie, secteur protégé ou pavillon,
désigne un secteur de l’établissement hébergeant les personnes les plus dépendantes.
Cantou, en plus de faire référence à la signification du mot occitan, est un sigle qui
signifie Centre d’Activités Naturelles Tirées d’Occupations Utiles.
Il s’agit d’une petite structure accueillant une dizaine de personnes âgées souffrant de
troubles du comportement, Désorientées, atteintes de la maladie d’Alzheimer ou
d’autres démences à un stade avancé. Ces unités, intégrées à un établissement du type
maison de retraite comme à Hotelia ou autonomes, disposent d’un équipement adapté à
la surveillance des personnes âgées.
Le personnel d’encadrement diplômé est formé à la prise en charge de personnes âgées
désorientées et partage la vie des résidents. Une maîtresse de maison assure le bon
fonctionnement du cantou. La personne âgée est associée, selon ses possibilités, aux
activités de la vie quotidienne du cantou : mise du couvert, vaisselle, épluchage… Dans
la pratique, j’ai pu constater que mis à part la vaisselle, les résidents des cantous ne
participaient à peu près jamais à une quelconque activité de la vie quotidienne. De
nombreuses réglementations d’hygiène et de sécurité ont peu à peu pratiquement
empêché la possibilité pour les résidents de faire la cuisine eux-mêmes, même encadrés
et le reste des activités est généralement fait à leur place.
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Le principe, au départ, des cantous, était d’apporter une plus grande convivialité et un
sentiment de famille et d’entourage à ces personnes très désorientées, avec un espace de
vie au milieu des chambres et le terme de maîtresse de maison pour la personne en
charge du cantou. Cela permet également à la personne de se sentir encore utile et
intégrée dans des activités de vie quotidienne. J’ai néanmoins pu découvrir, en discutant
avec le personnel, que beaucoup considéraient cette nouvelle dénomination et ces
nouvelles mesure comme une sorte d’hypocrisie vis-à-vis de la personne âgée, une
façon de se rassurer quant au fait qu’elles sont mieux prises en charge alors que la
réalité n’a guère changé d’auparavant : un nombre bien insuffisant de personnel
soignant et par conséquent, des résidents dont on s’occupe à la chaîne pour les soins du
corps mais qui n’ont plus de vie sociale.
1.4.2. Organisation des cantous à Hotelia
La maison de retraite Hotelia compte trois cantous, un au rez-de-chaussée et deux au
premier étage, portant chacun le nom d’un grand musicien : le cantou Mozart, le Cantou
Chopin et le Cantou Vivaldi. Deux des cantous sont mixtes, le troisième n’héberge que
des femmes. Chaque cantou compte entre 12 et 15 résidents, le nombre n’est jamais fixe
car il peut arriver de nouveaux résidents en besoin et certains autres décèdent. Pour
chaque cantou, deux équipes font un roulement durant la semaine, les plages de travail
pouvant s’étaler sur deux jours comprenant la nuit entre les deux. Chaque équipe est
constituée d’une maîtresse de maison et d’une aide soignante, ce qui apparaît comme
très peu pour une quinzaine de résidents totalement dépendants.
Les cantous sont tous agencés pratiquement de la même façon : un long couloir sur
lequel donnent la plupart des chambres. Ce couloir aboutit dans une grande salle,
l’espace de vie, où l’on trouve de nombreuses chaises et tables, des fauteuils, la
télévision et un coin cuisine avec le strict minimum. Ces espaces sont protégés par une
porte qui, de l’intérieur, s’ouvre en tapant un code, évitant ainsi toute possibilité de
fugue des résidents encore capables de marcher et très désorientés.
1.4.3. Organisation d’une journée type
Il me faut également faire un point sur l’emploi du temps de ces secteurs pour
expliquer la difficulté que j’ai pu avoir à proposer des horaires pour les séances de
musicothérapie. Les levers et les toilettes se font entre huit heures et onze heures trente.
Le repas étant servi à Midi et les résidents nécessitant un certain temps pour être
installés pour le repas, les maîtresses de maison m’ont clairement fait comprendre que
je représentais une gêne plus qu’autre chose lorsque je venais chercher les résidents le
matin. En effet, l’organisation étant variable en fonction de la fatigue des résidents entre
autre, il leur était impossible de me garantir que le résident que je venais chercher soit
prêt à l’heure choisie chaque semaine.
Une fois le repas terminé, la plupart des résidents sont couchés pour la sieste, les autres
se mettent généralement devant la télévision où à une place qu’ils ont l’habitude
d’occuper.
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C’est un moment très calme qui dure à peu près jusqu’à quinze heures et où la maîtresse
de maison prend sa pause, laissant l’aide soignante seule pour la surveillance du cantou.
Ce moment également était peu propice aux séances de musicothérapie. Enfin vers
quinze heures commencent les levers pour l’après-midi. Le goûter est servi à quinze
heures trente. Il y a ensuite, entre seize heures et dix-huit heures, une période de temps
libre, la seule en réalité de la journée, propice aux activités et, pour moi, à des séances.
C’est aussi durant cette période que le kinésithérapeute vient prendre les résidents qui
en ont besoin. J’ai pu remarquer que le personnel soignant du cantou, qui a durant cette
période le seul moment possible pour organiser des animations, ne le fait
qu’extrêmement rarement, profitant souvent de ce répit pour souffler un peu. A dix-huit
heures, le dîner est servi, puis commencent directement les couchers.
1.5. Ma salle de musicothérapie, ses avantages, ses inconvénients
Il me paraît très important pour la suite de décrire la salle dans laquelle j’ai fait toutes
mes séances de musicothérapie. En effet, cette salle, du fait de sa fonction première et
de sa position, a été pour moi l’objet de bien des réflexions.
La seule salle que l’on a proposé de mettre à ma disposition est la salle d’animation. En
effet, l’établissement ne disposait d’aucune salle non utilisée que j’aurais pu occuper.
On m’avait bien fait deux autres propositions, mais j’ai dû les refuser pour des raisons
bien évidentes. La première était le bureau de la psychologue, mais en plus du fait que
je trouvais peu pratique et gênant pour elle d’utiliser son bureau, il s’agit d’une toute
petite pièce guère plus spacieuse qu’un placard à balai. L’autre proposition était la salle
de réunions, mais je me suis vite rendue compte qu’il y avait en réalité des réunions en
permanence, parfois des imprévues à des heures inhabituelles, et de plus la disposition
de la salle remplie de chaises et de tables était tout sauf pratique.
C’est donc bien la salle d’animation que j’ai fini par choisir, bien que l’expression
« mettre à disposition » ne soit qu’à demi juste puisque j’ai dû partager durant tout mon
stage cette salle avec l’animatrice, ce qui a posé un certain nombre de problèmes.
La salle d’animations donne directement dans le hall d’entrée, mais elle se situe
tout au fond à gauche du hall, dans un coin un peu à l’écart des zones de passage, ce qui
lui permet d’être relativement calme. Par ailleurs, elle est assez bien isolée, les séances
de musicothérapie se déroulaient donc dans un cadre silencieux, donc favorable. Située
près des ascenseurs, elle est relativement pratique pour emmener les résidents de leur
cantou à la salle de musicothérapie. Elle dispose d’un lecteur CD qui, bien qu’un peu
vieux, fonctionne bien, ce qui me permet de ne pas être obligée d’emmener mon
matériel ou d’en emprunter dans un autre endroit de la maison de retraite. Enfin, on y
trouve un synthétiseur Yamaha de très bonne qualité, au clavier taille piano, qui m’a été
extrêmement utile lors de certaines de mes séances.
Cette salle a par contre le désavantage non négligeable d’être immense. C’est
une salle qui sert à l’occasion de salle de projection, où l’on peut faire asseoir autour de
tables bon nombre de résidents. Je craignais, et à raison car cela s’est avéré par la suite,
que mes patients soient assez désorientés, perturbés et que leur attention soit
difficilement captable dans une telle pièce.
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Par ailleurs, comme il s’agit de la salle d’animation, elle est encombrée d’étagères où
sont entreposées les multiples créations artistiques des résidents, de meubles contenant
du matériel pour l’animation et de panneaux où sont affichés des dessins ou des
peintures faites en animation, ce qui a tendance à détourner en permanence l’attention
des patients.
De plus, la salle est rarement rangée de la même façon lorsque j’y arrive : tantôt tous les
fauteuils sont alignés en rangées devant le grand écran suite à la projection d’un film,
tantôt les tables sont au milieu suite à un atelier quelconque, tantôt rangées en U tout
autour de la pièce suite à une réunion. Le temps me manquant et les meubles étant
plutôt lourds, il m’est impossible de ranger la salle toujours de la même manière pour
accueillir les résidents. Pour pallier à ce problème, j’organise un coin de la pièce pour
être plus particulièrement le lieu où se déroulera la séance, coin que je m’efforce, lui,
d’organiser toujours de la même manière.
L’autre souci important lié au fait que cette pièce est la salle d’animation concerne les
horaires. Sur les trois jours où je suis en stage, l’animatrice est présente deux des jours
de quinze à dix-huit heures et je dois donc libérer la salle à trois heures ces jours-là. Les
équipes m’ayant fait comprendre qu’il était très difficile pour elles que je prenne les
résidents le matin et la plupart des résidents faisant la sieste en début d’après-midi, il
m’a été terriblement difficile d’établir des horaires pour les séances.
Un autre inconvénient majeur de cette salle est sa localisation dans le hall. En
effet, il n’est pas rare qu’un membre du personnel, ayant besoin d’une chaise, vienne la
prendre dans ma salle plutôt qu’ailleurs parce que c’est moins éloigné, perturbant ainsi
la séance. J’ai eu beau tenter de clarifier les horaires, j’ai eu ce souci jusqu’à la fin de
mon stage.
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2. QUELQUES NOTIONS THEORIQUES
A présent que j’ai présenté l’institution dans laquelle j’ai travaillé durant six mois, il me
semble important, pour mieux comprendre le travail que j’ai effectué avec la patiente
dont je vais développer les séances de musicothérapie, de dire quelques mots du
vieillissement, de sa pathologie, de la musicothérapie en général et plus particulièrement
des travaux qui ont déjà été faits en musicothérapie avec les personnes âgées démentes.
Ceci permettra de mieux appréhender les symptômes de Mme C ma patiente, de mieux
comprendre ses réactions et d’entrevoir l’intérêt que peut avoir pour elle la
musicothérapie active.
2.1. Vieillissement normal et vieillissement pathologique
Il est avant tout nécessaire, lorsque l’on parle de personnes âgées, de bien noter la
différence entre ce qui relève du vieillissement normal et ce qui relève du vieillissement
pathologique, en l’occurrence, d’une démence de type Alzheimer. En effet, certaines
manifestations physiques ou psychologiques chez un sujet âgé sont uniquement le signe
d’une vieillesse normale et il est important, pour détecter le début d’une quelconque
démence, de bien les différencier de symptômes d’une quelconque maladie.
2.1.1. Le vieillissement normal
Même si certains critères permettent objectivement de les différencier, il existe une
sorte de continuum entre vieillissement normal et vieillissement pathologique. Il
n’existe pas un vieillissement normal, mais des vieillissements normaux, qui
s’échelonnent selon des degrés de qualité et de durée. Ces différences proviennent
généralement de la personnalité du sujet, mais aussi de son histoire, de son contexte
socioculturel et familial. [3]
Pour distinguer le vieillissement normal du vieillissement pathologique, il existe
plusieurs critères.
Le premier est le critère statistique : on décrira alors le vieillissement normal comme un
vieillissement offrant au sujet des performances se situant de part et d’autre de la
moyenne, dans la limite d’un ou de deux écarts-type.
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On peut aussi utiliser le critère clinique : Rowe et Khan (cités par Bousquet) [2]
définissent trois modèles évolutifs de vieillissement : le vieillissement avec pathologie
et/ou handicap, le vieillissement habituel avec atteinte de certaines fonctions, mais sans
pathologie définie et le vieillissement réussi, c’est-à-dire sans atteinte de certaines
fonctions et sans pathologie.
Le vieillissement altère progressivement tous les aspects de la santé. [21] Sur le plan
physique, tous les tissus et organes du corps sont atteints par une dégénérescence :
baisse de la vue, de l’ouïe, des capacités locomotrices, affaiblissement du système
immunitaire… Sur le plan mental, on va observer un déclin normal des capacités
intellectuelles : pertes de mémoire, baisse de l’attention, difficultés de concentration…
Mais il s’agit là d’une dégradation normale et qui ne renvoie à aucune pathologie.
On ne peut pas dégager de règles générales en matière d’évolution dans le vieillissement
normal. Certaines études un peu anciennes établissent des âges précis où commence le
déclin des fonctions mnésiques, puis celui des capacités verbales, enfin celui des
capacités visuospaciales [2] Mais d’autres études détruisent cette hypothèse en exposant
des modèles très différents selon les sujets. En définitive, il faut retenir qu’il y a une très
grande variabilité interindividuelle dans le vieillissement normal, liée à un très grand
nombre de facteurs : l’âge, le sexe, le niveau de scolarité, le statut matrimonial,
l’entourage, la famille, le niveau de santé, le niveau de stress, etc. [16]
Le vieillissement normal est l’objet de nombreux lieux communs, clichés et stéréotypes
qui ressortaient jusque dans des études scientifiques sérieuses il y a quelques dizaines
d’années : la vieillesse entrainerait un aigrissement du caractère, les personnes âgées
seraient plus avares, hargneuses, égoïstes, instables. Même si aujourd’hui les
scientifiques décrivent les choses tout autrement, ces lieux communs sont encore très
présents dans beaucoup d’esprits, un fait qui est source d’incompréhensions, de
catalogage et qui peut conduire à un fossé entre les générations et de terribles difficultés
de communication, un problème particulièrement difficile dans une maison de retraite
qui prend en charge une centaine de résidents âgés.
Des études plus récentes, même si celle sur laquelle s’appuie ce mémoire est encore
ancienne, aboutissent à des conclusions toutes autres concernant la personnalité du sujet
âgé : cette étude démontre au contraire une stabilité de la personnalité, une conservation
des traits de caractère. [22] Il est particulièrement intéressant de prendre ces données en
compte lors d’une prise en soin. Le caractère d’un patient peut nous donner des indices
sur ce qu’il était auparavant, même si lui ne s’en souvient à peu près pas. Comme nous
le verrons, ma patiente Mme C a une personnalité bien trempée, un fort caractère, elle
est souvent dans l’opposition et la revendication, il est intéressant de pouvoir supposer
qu’elle possédait déjà un tel caractère durant toute sa vie pour mieux comprendre ce
qu’elle a pu vivre, notamment quand il a été décidé qu’elle serait placée en institution.
En résumé, on pourrait presque dire que le vieillissement normal n’est caractérisé par
aucun symptôme particulier concernant la personnalité et le comportement, nous ne
parlons pas ici bien sûr de l’évolution physique normale du sujet âgé : baisse de
l’activité physique et des capacités motrices, baisse de la vue, de l’audition…
Le vieillissement est néanmoins différent selon chaque individu et on pourra constater
quelques évolutions du comportement propres à chaque personne, à son histoire.
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Il faut tout de même noter dans l’évolution normale de la personne âgée une difficulté
de plus en plus grande à s’adapter. La personne âgée devient moins souple et un
changement, de lieu, d’habitudes, devient plus rapidement pénible et difficile.
Néanmoins, il ne s’agit pas de désadaptation complète, si un tel état survient, il est
pathologique.
De manière générale, l’évolution psychique de la personne âgée n’est pas différente de
celle de l’adulte. Les manifestations particulières que l’on peut rencontrer au cours de la
vieillesse sont uniquement liées à un contexte particulier. Par exemple, un sujet qui a
toujours renforcé son estime de soi grâce à la valorisation apportée par sa vie
professionnelle peut se trouver dans une situation de décompensation au moment de la
retraite et très mal supporter cette situation de retraité où il ne trouve plus d’activités
suffisamment gratifiantes.
Néanmoins, les mécanismes de défense déjà présents à l’âge adulte existent toujours
chez les personnes âgées et sont toujours les mêmes. Ainsi on peut parler de
refoulement, de sublimation, d’inversion, d’isolation, de déplacement, etc., au même
titre que pour une personne adulte, ce qui permet à la personne âgée de parvenir à
trouver un équilibre et de s’adapter.
2.1.2. Le vieillissement pathologique
Il est difficile de marquer une limite stricte entre le vieillissement normal et le
vieillissement pathologique comme nous l’avons déjà souligné.
Il faut bien comprendre que la vieillesse est source de nombreux et plus ou moins
profonds changements qui vont bouleverser la vie de l’individu. Nous en avons déjà
évoqué un certain nombre : la perte de son travail et donc la baisse de l’estime de soi, la
capacité d’adaptation aux changements, la perte des capacités biologiques… Mais on
peut aussi souligner l’isolement, la perte d’un conjoint ou d’amis, le handicap…
Tous ces événements sont susceptibles de conduire le sujet à une crise mettant à
l’épreuve ses capacités de réinvestissement et de sublimation. Cette crise peut
déboucher sur un nouvel équilibre, mais elle peut aussi, si elle est mal gérée par
l’individu, aboutir à une décompensation entraînant des pathologies. On pense bien
souvent à la dépression qui affecte une grande partie des personnes âgées, mais une
incapacité à gérer cette crise peut aussi conduire à l’apparition d’une démence.
Il est évident qu’un conflit psychique et une désorganisation mentale ne sont pas à eux
seuls responsables de l’apparition d’une démence sénile comme la maladie
d’Alzheimer. Bien d’autres facteurs sont à mettre en cause, nous évoquerons à nouveau
ce sujet plus tard, comme la dégénérescence physiologique, des facteurs génétiques et
bien d’autres encore. Néanmoins il est important de comprendre que le vieillissement
pathologique est souvent entraîné par la difficulté pour les personnes âgées à résoudre
une crise psychologique liée à leur situation même, et qu’à son tour, l’apparition d’une
pathologie est généralement source d’angoisses, d’une perte de l’estime de soi
également, risquant de provoquer d’autres pathologies associées, comme l’anxiété
généralisée ou la dépression.
10

2.2. La maladie d’Alzheimer
Comme nous le verrons lorsque je présenterai ma patiente, Mme C est atteinte d’une
maladie d’Alzheimer relativement avancée et elle a déjà perdu un certain nombre de ses
capacités. Je vais donc dans les paragraphes suivants présenter la maladie d’Alzheimer
et surtout les différents symptômes qui la caractérisent pour permettre de mieux
appréhender les difficultés, les comportements, les réactions de Mme C.
2.2.1. Généralités
2.2.1.1. Quelques chiffres
La maladie d’Alzheimer est une démence sénile dégénérative qui touche un nombre de
personnes de plus en plus important chaque année et qui représente la quatrième cause
de mortalité en France. Pour mieux comprendre son importance au sein de la population
âgée, je commencerai par présenter quelques chiffres, en me basant sur les études
INSEE et DREES de 2008. [5]
La maladie d’Alzheimer touche 5 % des personnes âgées de plus de 65 ans, en 2007,
860000 personnes en France en sont atteintes. D’après les études INSEE, un million
trois cent mille personnes pourraient en être atteintes en 2020, ce qui signifie une
personne âgée sur quatre, ce chiffre en partie expliqué par le vieillissement de la
population. En effet, depuis les années 80, ce vieillissement s’accélère : d’ici 2040, un
tiers de la population devrait être âgée de plus de 60 ans. En 2006, l’espérance de vie
des femmes est de 84 ans et celle des hommes de 77,1 ans. En dix ans, les hommes ont
gagné 3,1 ans d’espérance de vie et les femmes 2,1 ans.
La maladie d’Alzheimer étant liée au vieillissement, ces chiffres sont assez alarmants
quant à l’avenir des personnes âgées et à leur prise en charge. En France, on dénombre
160000 nouveaux cas par an.
La fréquence de la maladie augmente avec l’âge : comme nous l’avons vu, 5 % des
personnes de plus de 65 ans en sont atteintes, et 20 pourcents des personnes de plus de
80 ans. Après 75 ans, la démence en général est au premier plan des maladies touchant
les personnes âgées ; on dénombre 18 % des personnes de cet âge qui seraient atteints
d’une démence. La maladie d’Alzheimer touche trois fois plus les femmes que les
hommes. Elle constitue 80 % des cas de démences en France à l’heure actuelle.
2.2.1.2. Définition et présentation générale
La maladie d’Alzheimer est une maladie dégénérative du système nerveux central
caractérisée par une détérioration durable et progressive des fonctions cognitives. Il
s’agit d’une démence sénile, donc liée au vieillissement, et dégénérative, ce qui signifie
que c’est une maladie à l’heure actuelle incurable et à l’évolution lente et progressive.
Avant tout, tentons de mieux expliquer ce qu’est une démence : une démence est un
affaiblissement mental global frappant l’ensemble des capacités psychiques et altérant
progressivement la cognition, les activités, l’affectivité. [9]
11

Les déficits portent sur la mémoire, les praxies (compétences motrices acquises par
apprentissage), les gnosies (comprendre, identifier les objets), le langage, l’affectivité
(anxiété, agressivité), l’autonomie dans la vie quotidienne. Dans la démence, il y a
toujours une notion de perte, d’incurabilité.
Les premiers signes de la maladie d’Alzheimer touchent la mémoire à court terme.
Ensuite apparaissent des troubles du langage et de l’attention. Puis arrivent des troubles
de la reconnaissance des formes, des objets, des visages, enfin des troubles du jugement.
Puis les troubles s’accentuent et la mémoire se détériore de plus en plus.
La maladie d’Alzheimer apparaît généralement entre 60 et 85 ans. Dans quelques cas
rares des personnes plus jeunes peuvent être atteintes. Il semblerait que les personnes
ayant une activité intellectuelle intense soient plus protégées de la maladie, peut-être
parce qu’elles ont plus de réserves cognitives…
2.2.1.3. Les lésions cérébrales
La maladie d’Alzheimer se caractérise par des lésions de la partie interne du lobe
temporal du cortex. Ces lésions sont prédominantes et apparaissent dès le début de la
maladie. Ensuite, elles progressent vers le cortex temporopariétal, l’hippocampe et
atteignent au fur et à mesure l’ensemble du cerveau. [7]
Il y a deux types de lésions qui caractérisent la maladie d’Alzheimer. Les premières sont
les plaques séniles : ce sont des lésions qui résultent de l’accumulation d’une protéine,
la bêta-amyloïde. Un fragment de cette protéine vient se déposer sur les couches
supérieures du cortex. On ne sait toujours pas pourquoi cette protéine se scinde en deux.
Le deuxième type de lésions est les dégénérescences neurofibrillaires : Il s’agit de
filaments à l’intérieur des neurones qui s’enroulent en forme d’hélice. Ceci est dû à
l’accumulation de la protéine tau à l’intérieur des neurones.
2.2.2. Les causes et les facteurs de risque
Les chercheurs s’accordent à dire qu’il n’existe pas une cause unique à la maladie
d’Alzheimer, mais une pluralité de causes dont certaines sont encore probablement
inconnues. En plus des causes probables, les chercheurs ont mis en évidence un certain
nombre de facteurs de risques pouvant entrer en compte. [7]
Le niveau d’études et socioculturel jouerait un rôle : le risque d’Alzheimer serait plus
faible pour des personnes ayant un niveau d’études élevé ou appartenant à une classe
socioprofessionnelle élevée.
La consommation de certains produits jouerait elle aussi un rôle : une consommation
modérée d’alcool serait un facteur protecteur contre la maladie. Le thé, contenant une
substance neutralisant la molécule qui dégrade l’acétylcholine, pourrait lutter contre les
dégénérescences neurofibrillaires. Enfin, l’intoxication à l’aluminium pourrait être un
facteur de risque pour le déclenchement d’une maladie d’Alzheimer.
Des antécédents de traumatismes crâniens, surtout répétés, pourraient prédisposer à la
maladie d’Alzheimer.
Il pourrait aussi y avoir dans certains cas une cause génétique, surtout lorsque la
maladie se déclare précocement : le gène qui code la protéine bêta-amyloïde se trouve
sur le chromosome 21, mais d’autres chromosomes seraient également en ligne de
compte : le 1, le 14, le 19.
12

Il pourrait aussi y avoir un facteur de risque infectieux : il existe une bactérie à l’origine
d’une pneumonie de faible intensité qui provoque l’inflammation des tissus et serait
responsable de l’apparition de plaques séniles. Mais il faut bien notifier que ce n’est pas
parce qu’un cerveau présente des plaques séniles que son propriétaire va forcément
contracter la maladie d’Alzheimer.
Pour terminer, il faut évoquer les facteurs psychiques : tous les facteurs que nous avons
évoqués jusqu’ici semblent montrer que les troubles d’Alzheimer sont consécutifs aux
lésions. Mais certains chercheurs ont suggéré l’hypothèse inverse : ce seraient des
troubles psychologiques qui entraîneraient les lésions. Le stress face à la perte de
certaines capacités, l’angoisse de la mort provoqueraient des lésions. [15]
2.2.3. Le diagnostic
Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer est d’une importance capitale pour que
la maladie puisse être bien traitée, le sujet pris en charge correctement. Or, en France,
dans une grande partie des cas, la maladie est diagnostiquée très tard, soit à cause de la
peur de la famille d’entendre le nom d’une maladie qui inquiète, soit parce qu’un
conjoint ou un parent veut à tout prix pouvoir s’occuper de la personne et lui épargner
de souffrir davantage. C’est, nous le verrons, le cas de Mme C, ma patiente, dont la
pathologie a été diagnostiquée très tardivement car son mari refusait les examens
médicaux pour la protéger. Une enquête a montré que le délai moyen en France entre
les premiers symptômes et le diagnostic était de 24 mois, ce qui est très supérieur à la
plupart des autres pays d’Europe. 25 % des sujets atteints reçoivent le diagnostic alors
qu’ils sont déjà passés dans la phase installée de la maladie. Enfin, en France toujours,
seulement 50 % des sujets atteints par la maladie d’Alzheimer reçoivent un diagnostic.
[5]
Pourtant, un diagnostic précoce permet une plus grande information du malade et de son
entourage, il évite de nombreux conflits que les symptômes de la maladie, agressivité,
jalousie, entraînent dans les familles, il permet aussi au malade de choisir lui-même
l’institution où il souhaite être pris en charge, ce qui évite la culpabilité de l’entourage
et le sentiment d’abandon et de désespoir du sujet. Enfin, les quelques traitements visant
à ralentir l’évolution de la maladie ne sont réellement efficaces qu’au début de la
démence. [7]
Actuellement, le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ne peut se faire que par
élimination d’autres pathologies et il n’est donc pas fiable à 100 %. La question doit se
poser dès l’apparition des premiers troubles : troubles de la mémoire à court terme,
troubles comportementaux (suspicion, jalousie…). Un médecin généraliste peut prendre
le sujet en charge et établir avec lui ses antécédents, traumatismes crâniens, dépression,
prise de toxiques, d’alcool, de médicaments… Il fera alors passer au sujet une batterie
de tests pour tenter de détecter si les symptômes ne peuvent pas être le signe d’une toute
autre pathologie.
On commencera par une analyse de sang, pouvant révéler par exemple des carences
comme celle en vitamine B12, carence qui produit les mêmes symptômes que la
maladie d’Alzheimer.
Si cette analyse ne révèle rien, le médecin généraliste fera faire au patient d’autres tests
neurologiques pour tenter d’écarter d’autres possibilités de pathologie : un scanner
permet d’éliminer toutes les démences de type vasculaire ainsi que la possibilité d’une
tumeur.
13

L’IRM permet de visualiser les atrophies cérébrales et les aires où se situent les plaques
séniles. Aucun système d’imagerie ne peut permettre de visualiser directement les
lésions de la maladie d’Alzheimer, d’où la difficulté du diagnostic. On peut aussi faire
passer au sujet un électroencéphalogramme, permettant de mesurer l’activité électrique
du cerveau.
Parallèlement, le médecin peut faire passer au patient des tests psychométriques pour
évaluer son activité intellectuelle. [1] Ces tests permettent d’évaluer la mémoire,
l’orientation dans l’espace et le temps, les processus opératoires, les apraxies et
agnosies.
Si l’ensemble de ces examens ne révèle aucune autre pathologie susceptible de
provoquer les symptômes, le médecin pourra poser le diagnostic de maladie
d’Alzheimer.
2.2.4. Les différentes phases
Bien que les lésions cérébrales puissent apparaître jusqu’à trente ans avant l’apparition
des premiers symptômes, c’est à partir de ceux-ci que l’on peut définir une évolution de
la maladie, même si chaque individu ne va pas développer exactement les mêmes
manifestations, les mêmes symptômes et pas forcément dans le même ordre ou au
même moment. A partir des premiers symptômes, la maladie va se développer en
différentes phases successives, dont la transition n’est pas nette mais progressive.
L’espérance de vie après les premiers signes de la démence est de huit à douze ans.
On compte quatre phases dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer.
- La phase légère est la première phase de la maladie, elle dure de deux à quatre
ans. Elle est caractérisée par des troubles mnésiques et comportementaux :
troubles de la mémoire épisodique à court terme, troubles légers de l’attention et
du langage, légère modification de l’humeur.
- On trouve ensuite le stade modéré qui évolue sur une période de deux à six ans.
La perte d’autonomie est significative, les troubles mnésiques et
comportementaux s’aggravent. On observe une perte des repères spatiaux et
temporels et le patient commence à avoir des difficultés plus ou moins grandes
pour reconnaître les objets usuels et les visages. La perte du langage s’accentue.
- Vient ensuite le stade sévère : il dure de deux à quatre ans. La mémorisation est
à présent totalement altérée. Le langage, la compréhension deviennent
pratiquement inexistants. Les troubles physiques deviennent eux aussi très
envahissants.
- Enfin, survient la phase terminale qui dure environ deux ans. Le patient a perdu
toute autonomie, il est grabataire. La fatigue, la perte de poids et les problèmes
bronchiques finissent par entraîner la mort.
Mme C, la patiente dont je vais présenter l’évolution durant mes six mois de stage en
séances de musicothérapie, se trouve encore dans la phase modérée, bien qu’il soit
difficile de l’évaluer avec certitude. Je vais donc développer à présent les troubles de la
maladie d’Alzheimer à ce stade.
14

2.2.5. Le stade modéré
Les troubles les plus importants, qui caractérisent la maladie d’Alzheimer dans son
intégralité, sont les troubles de la mémoire. [9] Au stade modéré, ils sont antérogrades
(difficulté d’emmagasiner de nouveaux souvenirs) et rétrogrades (difficulté à se
souvenirs de souvenirs passés). Ils concernent autant la mémoire à court terme que la
mémoire à long terme. Seule la mémoire procédurale (mémoire des gestes
automatiques) est conservée très longtemps. Les troubles de mémoire entraînent un
certain nombre de troubles associés : la difficulté à se repérer (la personne peut se
perdre même dans un endroit qu’elle connaissait très bien), changements de
comportements (apathie, tristesse, perte d’intérêt pour la vie), perte de repères
temporaux (confusion dans les moments de la journée).
Le stade modéré est aussi caractérisé par une aphasie : le patient ne trouve plus les mots
pour définir un objet ou une personne. Au stade modéré, même les objets les plus
familiers sont touchés. Face à ce trouble très gênant pour la personne, elle va adapter
son discours : soit elle va se mettre à parler très longuement, soit s’enfermer dans un
mutisme, soit produire des discours très incohérents, à la limite du délire. Mme C
semble vouloir parler beaucoup, mais lorsqu’elle est compréhensible, son discours est
très incohérent.
La maladie d’Alzheimer est aussi caractérisée par les troubles des praxies : apraxie
idéomotrice (la personne devient incapable d’exécuter des gestes symboliques ou de
mimer l’utilisation d’un objet), apraxie idéative (la personne devient incapable d’utiliser
certains objets ou d’exécuter un enchaînement de gestes), apraxie constructive
(difficulté pour assembler des objets en deux ou trois dimensions).
La maladie d’Alzheimer se caractérise aussi par des agnosies : ce sont des troubles de la
reconnaissance des objets alors que la fonction sensorielle n’est pas altérée. Cela touche
également la reconnaissance des visages, même des gens proches.
Au stade modéré, on constate aussi des troubles du jugement : difficulté à distinguer un
objet d’un autre, perte des principes qui faisaient discerner à la personne ce qu’elle
estimait bien ou mal…
La personne se retrouve aussi confrontée à des troubles importants de l’attention, c’est
une chose qui ressortira souvent dans mes séances de musicothérapie avec Mme C :
difficultés pour focaliser son attention longtemps sur un objet, dispersion de la pensée et
des actions…
Pour terminer, il faut évoquer les troubles du comportement et les troubles de l’humeur,
qui s’accentuent avec le déclin des fonctions cognitives. La personne perd
progressivement son emprise sur le réel.
On constate chez beaucoup de malades des troubles de l’affectivité : ce peut être de
l’apathie, voire de la dépression, mais aussi de l’agressivité, de la colère. Les troubles
du langage rendent difficile la compréhension de ces réactions, comme nous pourrons le
voir avec Mme C dans les toutes dernières séances.
La personne est également sujette à un comportement de déambulation, d’errance, ainsi
que d’agitation.
Le malade souffre aussi de troubles neurovégétatifs : troubles du sommeil, incontinence,
anorexie...... Ces troubles ont tendance à renforcer l’anxiété et les troubles du
comportement.
Enfin, certains patients présentent aussi quelques troubles psychotiques, comme le
délire.
15

2.3. La musicothérapie active
Avant que d’expliquer pourquoi avoir accordé un intérêt tout particulier à l’importance
de la musique et de la musicothérapie avec les personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer, il m’apparaît nécessaire de dire quelques mots rapides pour présenter la
musicothérapie, en particulier la musicothérapie active que j’utiliserai avec ma patiente,
de manière à mieux faire comprendre mon travail auprès de Mme C.
La musicothérapie est une démarche de soin utilisant la musique dans le but de
permettre à des personnes en difficulté, de quelque sorte qu’elle soit, de trouver un lieu
d’expression, de communication, de développement de son imagination, de
renforcement de son estime de soi. Elle s’appuie sur les sonorités, sur la musique, sur
les sons, pour permettre à un patient de communiquer, au travers de nombre de
médiateurs : des instruments, la voix, des sons ou des musiques enregistrés et même son
propre corps. La musique et les sons sont une source de plaisir, grâce à la stimulation de
plusieurs sens. Ces stimulations peuvent amener le patient à retrouver des souvenirs, des
sensations, grâce à ce que l’on appelle la mémoire émotionnelle, la mémoire qui associe
à un stimulus sensoriel une sensation, une émotion, un sentiment. Et cette mémoire,
contrairement à la mémoire épisodique, sémantique et même dans les derniers moments
de la maladie procédurale, semblerait ne jamais disparaître. Ainsi, la musicothérapie a
pour but d’amener le patient au bien-être et à la détente psychique. [1]
La musicothérapie active se situe dans l’action de chanter et de produire une
communication instrumentale, donc non verbale. C’est un outil extraordinaire dans la
prise en soin de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui, comme nous l’avons
vu plus haut, ont généralement très difficilement accès à la parole, mais ne sont pas
dénuées pour autant du désir et du besoin de s’exprimer.
La musicothérapie active s’appuie en grande partie sur l’analyse d’improvisations
musicales regroupant le thérapeute et le patient. Cette médiation par la musique, dont la
pratique est beaucoup plus instinctive que celle de la parole, permet de faciliter la
communication entre un patient en grande difficulté psychique et le musicothérapeute
qui est là pour être capable de recevoir l’improvisation du patient comme une tentative
de dialogue et pour pouvoir y répondre de manière appropriée. [10] On verra au cours
de mes séances avec Mme C que bien que j’aie l’envie de prévoir des exercices plus
cadrés, en réalité nos 12 séances de musicothérapie se sont à peu près totalement
composées d’improvisations entre Mme C et moi.
On ne peut pas parler de thérapie sans parler de cadre thérapeutique. Ce terme de cadre
reviendra plusieurs fois dans les questionnements que je me ferai au sujet de mes
séances, il me semble donc important de développer un peu cette notion.
La notion de cadre est issue de la pratique psychanalytique mais elle a été ensuite
étendue à tous les domaines de la psychothérapie. Le cadre est un ensemble de critères
précis, d’éléments au cours d’une séance de thérapie qui ne varieront pas d’une
rencontre à l’autre. Il s’agit d’abord de la fréquence des séances, de leur durée et du lieu
où elles se déroulent. Il peut aussi s’agir de la position des personnes dans la pièce. Le
cadre englobe aussi l’assurance pour le patient du secret professionnel, que tout ce qui
sera dit en séance n’en sortira pas. Le cadre consiste aussi à poser des règles, celles
généralement posées en musicothérapie étant le respect du matériel et des personnes
présentes (ne pas se blesser ou blesser l’autre, ne pas abîmer les instruments.)
16

Le cadre a plusieurs fonctions : celle d’un contenant, dans lequel le patient se sent en
sécurité, celle de limites qui correspondent aux limites du monde extérieur et qui
donnent un repère stable au patient, limites qu’il sait ne pas pouvoir franchir pour
garantir de conserver sa relation avec le thérapeute. Le cadre sécurise par sa stabilité, le
fait qu’il est juste envers le patient et qu’il représente un point fixe au milieu d’une vie
qui peut paraître, notamment pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer,
désorganisée et sans plus aucun repère.
Le cadre représente aussi un espace privé, intime où la personne pourra s’exprimer hors
de la vue du monde extérieur, dans un espace physique et psychologique réduit et
confiné. Néanmoins, notamment dans des institutions où les imprévus de dernière
minute, les changements d’emploi du temps sont monnaie courante, il faut pouvoir
s’adapter. Le respect de l’horaire, par exemple, ne peut pas toujours être garanti. Selon
Martin [12], même si le cadre est susceptible d’aménagements, il doit toujours garantir
la réalité interne, la réalité psychique du patient construite sur la perception de ce qui se
produit, organisée par la mémoire, la structuration, organisée en signe et signification.
En d’autres termes, l’enveloppement psychique que garantit le cadre, ce sentiment de
sécurité et d’intimité doit absolument être conservé par le thérapeute, même si le cadre
temporel ou spatial doit subir des variations.
Pour terminer sur la musicothérapie, il me semble important de souligner qu’elle
s’inscrit dans une prise en charge pluridisciplinaire. En particulier en ce qui concerne
les personnes âgées démentes, la musicothérapie n’a de sens que si elle s’inclue dans un
projet de vie conçu par une équipe soignante dont les membres se complètent. La prise
en soin musicothérapeutique se réalise dans le cadre d’une prescription médicale et la
musicothérapie s’inscrit dans un ensemble de projets mis en place pour apporter de
l’aide au patient. Elle ne se suffit pas à elle-même, elle s’inscrit dans une démarche
d’équipe. [1]
2.4. Musicothérapie et maladie d’Alzheimer
Louis Ploton [15] insiste particulièrement sur le fait que la personne atteinte de la
maladie d’Alzheimer reste une personne à part entière. Elle est certes intellectuellement
très diminuée, sa mémoire, son jugement, ses capacités de réflexion, d’analyse, son
discours, sont terriblement altérés, elle n’en demeure pas moins une personne capable
de sentiments, d’émotions, d’affection, de sensibilité. Elle reste un être de relation, un
être fécond pour peu que l’on sache faire preuve d’empathie.
Néanmoins, nous avons vu que la personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer ne
peut plus s’exprimer de manière satisfaisante par le biais du verbal. C’est là qu’apparaît
l’intérêt de la musique. La musicothérapie va permettre à ces personnes de s’exprimer
en utilisant un autre médiateur.
De nombreuses études ont montré que la musique avait une action biophysiologique,
même sur des sujets à des stades avancés de démence, ce qui laisse à penser qu’au-delà
de leur incapacité à communiquer, et peut-être également à comprendre le monde qui
les entoure, la musique stimule encore certains processus chez ces sujets, trouve un écho
en eux, écho que ne trouvent plus des paroles rationnelles ni même des objets ou des
visages. Pour illustrer ces actions biophysiologiques, on peut citer l’étude de Norberga
et al [13] qui s’est intéressée aux réactions de deux personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer au stade terminal suite à une stimulation durant 15 jours par de la musique.
17

On observe durant ces stimulations par l’écoute de musique entre autres manifestations
une accélération du rythme cardiaque et de la respiration. Ces patients qui ne
communiquent plus, semblent complètement déconnectés du monde montrent une
réaction physique à la musique, et on peut supposer que cette réaction n’est que le
témoin d’une réaction psychologique, les signes observés étant ceux provoqués par
l’intensité de certaines émotions.
Les résultats d’une étude de Susuki et al [18] viennent étayer l’idée que la musique et en
particulier la musicothérapie entraînent des résultats biophysiologiques significatifs :
cette étude a, entre autres, comparé les taux de chromogranine A, témoin du niveau de
stress, et de l’immunoglobuline A, témoin de l’efficacité du système immunitaire, d’un
groupe contrôle et d’un groupe de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ayant
suivi 25 séances de musicothérapie en trois mois. Les auteurs constatent une baisse
significative du stress et une amélioration elle aussi significative du système
immunitaire pour les personnes ayant bénéficié de musicothérapie.
Il semble donc évident que, chez les personnes âgées démentes, la musicothérapie ait un
réel effet physiologique : elle est à la fois apaisante, source d’émotions et donc à
l’origine de sensations, de plaisir ou de déplaisir, elle semble même avoir un effet sur
des processus purement biologiques comme le système immunitaire.
Pour comprendre à quel point ces bienfaits sont particulièrement intéressants pour la
personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer, il est intéressant d’évoquer le fait
qu’à l’inverse de beaucoup de capacités intellectuelles, les fonctions liées à la musique
ne semblent pas être dégradée par la maladie. L’étude de Gagnon et al [6] compare les
résultats d’un groupe de personnes atteintes de démences de type Alzheimer à ceux d’un
groupe de personnes âgées suivant un vieillissement normal dans des épreuves de
jugement émotionnel de la musique, se basant particulièrement sur le mode et le tempo,
deux composantes importantes pour juger si une musique est heureuse ou triste. On ne
constate pas de différence notable entre ces deux groupes, ce qui semble signifier que
contrairement à l’ensemble du jugement chez les personnes démentes de type
Alzheimer qui est généralement altéré, le jugement émotionnel induit par la musique
n’est pas altéré. Sur ce plan, les capacités cognitives ne semblent pas suivre le déclin
que subissent, nous l’avons vu, les autres fonctions cognitives.
D’autres études semblent même montrer qu’en présence de musique, les capacités
cognitives de la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer sont améliorées, comme le
montre cette étude de Thompson et al où des sujets déments confrontés à une tâche de
catégorisation la réussissent mieux en présence de musique que sans. [20]
Une autre étude de Susuki et al [19] montre qu’il n’y a pas de différence significative
aux résultats du Mini-mental test entre des personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer prises en soin en musicothérapie et un groupe contrôle mais que par contre
on observe une amélioration significative dans un sous-test évaluant le langage.
Enfin, la musicothérapie semble avoir un effet positif sur le comportement.
Même si aucun effet à long terme n’a été observé, des séances hebdomadaires de
musicothérapie auprès de malades d’Alzheimer semblent réduire leur niveau d’agitation
à court terme. [11]
Par ailleurs, l’étude de Susuki et al que nous avons déjà citée précédemment montre que
les séances de musicothérapie entraînent une amélioration du comportement typique de
la maladie d’Alzheimer. [18]
18

On constate donc que la musicothérapie semble avoir un effet bénéfique pour les
personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sur la sphère émotionnelle, cognitive,
comportementale et même physiologique.
Suzanne Ogay [14] explique que la musique agit par stimuli multifactoriels grâce à sa
composition. L’harmonie de la musique a une action sur ce qui relève du sensoriel : le
timbre sur le cognitif, la mélodie sur l’affectif et le rythme sur le comportemental.
Cette catégorisation est beaucoup trop restrictive, car il est bien difficile de pouvoir
prétendre savoir si c’est plus un rythme, une mélodie, un timbre de voix ou
d’instruments qui va éveiller une émotion chez un patient, il l’est peut-être encore
davantage de savoir si c’est l’un de ces trois aspects d’une musique qui va calmer,
détendre une personne. Il est probable que ce soit dans beaucoup de cas une
combinaison des trois, ainsi que l’association à des souvenirs, à des pensées. Tout ceci
n’est pas réellement étudiable scientifiquement et surtout, chaque individu a une
sensibilité tellement différente qu’il est impossible de faire des généralités.
Néanmoins, l’idée est bien là : par le biais de la musique, la musicothérapie peut aider
les patients Alzheimer à maintenir leurs compétences cognitives, elle peut les aider à
exprimer des émotions, des sentiments et elle peut également parvenir à améliorer leurs
comportements (agitation, agressivité…).
Enfin, chez le malade d’Alzheimer, si la mémoire explicite est très rapidement
lourdement dégradée, la personne conserve sa mémoire implicite [17]. Or, comme nous
l’avons vu, la musique éveille des émotions, même chez la personne démente n’ayant
plus accès à sa mémoire épisodique, et ces émotions sont liées à des souvenirs que la
musique évoque. Il semblerait donc que la mémoire émotionnelle soit partie intégrante
de la mémoire implicite, mémoire qui n’est pas altérée par la démence.
Les séances de musicothérapie permettent donc, sans l’utilisation du verbal, de faire
revivre aux patients des moments de leur vie et de les exprimer par d’autres moyens que
les mots.
La musicothérapie active, que j’utiliserai avec ma patiente Mme C, représente de plus
un moyen d’expression pour des personnes démentes qui n’ont plus accès à la parole ou
qui, si elles y ont accès, se retrouvent généralement avec les mots dans une situation
d’échec. L’utilisation d’instruments, de sa voix ou de son corps pour communiquer avec
le thérapeute va annuler toute cette notion d’échec provoquée par la perte des mots,
l’angoisse de ne plus se rappeler ou encore un discours tout simplement incohérent : la
personne pourra utiliser les instruments, son corps ou encore les notes qu’elle peut
produire, les sons qu’elle peut moduler, comme un substitut de la parole dans lequel elle
est totalement libre et sans les limites imposées par sa maladie et le thérapeute va
pouvoir lui répondre sur le même registre.
2.5. Questionnements, problématique
Il apparaît évident que la musicothérapie active est hautement intéressante et peut être
grandement bénéfique pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Les effets
positifs que nous venons de voir sont tous scientifiquement démontrés et poussent à
explorer plus avant cette voie.
Néanmoins, entre la théorie et la pratique, il demeure un grand pas à franchir, un pas
d’incertitude, d’interrogations, lié au fait que chaque patient est différent et qu’il n’est
nulle règle applicable de manière totalement identique pour chacun.
19

Comment mettre en pratique la communication par les instruments quand on n’est pas
certain d’être compris ? Comment entrer en relation avec une personne qui semble très
difficilement capable de conserver son attention sur une chose plus de quelques
secondes ? Comment savoir quel exercice proposer pour qu’il soit réellement adapté
aux besoins du patient ? Par où commencer ? Quel médiateur, du corps, des instruments,
de la voix, doit-on utiliser ?
C’est avec toutes ces questions que j’ai commencé ma prise en soin de Mme C et
auxquelles j’ai peu à peu tenté de répondre au fil des séances. Ce sont les
questionnements qui jalonneront par la suite toute ma prise en soin.
20

3.1. Présentation de madame C
3.1.1. Présentation générale
3. PRISE EN SOIN
Agée de 74 ans, Mme C est une petite femme encore très vive malgré sa maladie. C’est
une personne que l’on peut souvent voir déambuler, manipuler divers objets. Elle
cherche aussi beaucoup à parler, même si elle est très difficilement compréhensible.
Elle aime la musique et elle semble facilement se laisser aller à chanter ou à danser.
Mariée, sans enfants, Mme C exerçait le métier de secrétaire de direction. Lorsque les
premiers signes de la maladie apparaissent, son mari fait tout pour la garder auprès de
lui. Il finit par embaucher une personne pour l’aider à s’occuper de sa femme. Cet
homme et cette aide finissent par se rapprocher, tandis que l’état de Mme C se détériore
jusqu’à ce qu’il apparaisse évident qu’elle ne peut plus être aidée à domicile et que son
mari décide de la placer en maison de retraite.
Plus tard, son mari et cette autre femme s’installent ensemble et c’est toujours en sa
compagnie qu’il vient rendre visite à Mme C.
Les seules visites que reçoit Mme C sont celles de son mari, qui n’ont lieu qu’une à
deux fois par an. Lors de ces visites, elle apparaît anxieuse, nerveuse et en colère. Au fil
des années, cette colère s’estompe pour laisser place à un repli sur elle-même
lorsqu’elle voit son mari et sa compagne. Mme C n’a pas de dame de compagnie, elle
est donc relativement seule.
3.1.2. Pathologie et traitement
Mme C est atteinte d’une maladie d’Alzheimer pure, sans pathologies associées. Elle
serait atteinte de la maladie depuis longtemps, environ sept ans, mais le diagnostic a été
fait extrêmement tardivement car son mari souhaitait la protéger et a donc évité tout
bilan médical pendant longtemps.
21

Son score au MMS (Mini Mental Score), test qui évalue l’orientation temporo-spatiale,
l’apprentissage, la mémoire, l’attention, le raisonnement, le langage est de 7/30 en
juillet 2007 et de 4/30 en octobre 2008, ce qui témoigne d’une évolution de la démence
et d’une perte importante des capacités cognitives. Ces chiffres extrêmement bas
révèlent un stade relativement avancé de la maladie d’Alzheimer. [4]
La maladie d’Alzheimer de Mme C s’accompagne de déambulation, elle marche sans
but, parfois durant des heures, parfois semblant suivre un trajet précis qui ne mène nulle
part. Elle est également, par moments, accompagnée d’agitation. Mme C aime aussi
prendre et dissimuler des objets de toute sorte.
Mme C conserve un bon capital moteur, entre autre en ce qui concerne le maniement
des objets, elle mange seule par exemple. Elle peut aussi faire sa toilette seule, et
s’habiller seule à condition que ses vêtements lui soient donnés dans l’ordre.
Par contre, on constate une totale perte des repères spatiaux, elle est incapable de
retrouver un lieu ou de savoir où elle se trouve.
Sur le plan verbal, Mme C reste capable de prononcer des mots, même si parfois son
élocution est difficile à comprendre, mais elle est difficilement capable de formuler des
phrases cohérentes. Par ailleurs, elle marmonne beaucoup, semble souvent parler pour
elle-même sans être compréhensible. Elle fait également beaucoup de néologismes.
Au niveau de l’écriture, elle peut former des lettres, des mots, mais pas de phrases
cohérentes.
Concernant le traitement de la maladie, Mme C prend seulement deux médicaments :
Reminyl et Risperdal. Ce sont deux traitements qui ont pour unique but de ralentir
l’évolution de la maladie d’Alzheimer. [8]
- Le Reminyl agit sur l’acétylcholinestérase, limitant la destruction de
l’acétylcholine dans le cerveau, cette substance étant soupçonnée d’avoir un rôle
important dans les processus de mémoire et d’apprentissage.
- Quant au Risperdal, il s’agit d’un neuroleptique empêchant le captage par les
neurorécepteurs de la dopamine et de la sérotonine.
3.1.3. Le choix du patient
Comme j’en ai parlé plus haut, j’ai, sur les conseils de la psychologue, pris la décision
de ne prendre en thérapie que des personnes résidant dans les cantous ; il me semble
donc judicieux de justifier ce choix. Les résidents des cantous sont les seuls à ne pas
bénéficier des animations proposées par l’animatrice pour les personnes de
l’établissement. Souvent très touchés par des pathologies du vieillissement, ces
résidents ont du mal à s’intégrer aux autres encore valides et moins dépendants. Même
si de temps en temps quelques animations sont mises en place par le personnel soignant
des cantous, ces résidents sont la plupart du temps désœuvrés et un peu seuls. La mise
en place de séances de musicothérapie représente donc l’apport d’un élément nouveau
dans leur journée, d’une activité. C’est de plus pour eux une réelle possibilité de se
sentir vraiment écoutés et objet d’attention.
Par ailleurs, une grande partie d’entre eux a des difficultés à s’exprimer par la parole, la
musique semble donc un excellent moyen de leur permettre de dialoguer, de se détendre
et de développer leur créativité.
22

Enfin, ces résidents, souvent atteints de démences dégénératives et en fin de vie, doivent
faire face à des angoisses de mort, liées à la perte de leur autonomie, de leurs souvenirs,
de leurs capacités, la musicothérapie peut leur apporter un soutien, un lieu d’expression
et d’accompagnement.
Il convient à présent d’expliquer le choix de la prise en soin de Mme C. L’équipe
soignante me décrit immédiatement Mme C comme une personne active, qui bouge
beaucoup. J’apprends que c’est une personne qui chante facilement dès qu’elle entend
un air qu’elle reconnaît, qui se met à danser lorsqu’elle entend une musique entraînante.
Même si je n’arrive pas à obtenir de renseignements sur son rapport à la musique quand
elle était plus jeune, il semble donc que c’est une femme qui apprécie la musique, y est
sensible et sait s’exprimer par ce biais.
Mme C est aussi une femme qui ne reçoit jamais de visites, elle n’a pas de dame de
compagnie comme certaines autres résidentes et elle est souvent exclue des sorties à
cause de son agitation et de sa difficulté à ne pas déambuler.
La musicothérapie semble donc particulièrement appropriée à cette résidente, d’abord à
cause de son affinité avec la musique, ensuite parce que c’est une personne qui a
particulièrement besoin d’attention, enfin parce qu’elle a beaucoup de mal à s’exprimer
verbalement mais semble capable de chanter ou d’utiliser son corps à l’aide de la
musique.
3.2. Méthodologie
Il convient à présent, avant de commencer à décrire la prise en soin de Mme C, que
j’expose en quelques mots les méthodes pratiques que j’ai employées pour organiser
mes séances, en particulier la manière dont j’ai organisé mon temps et celle dont j’ai
pris des notes au cours des séances.
Même si les séances avec Mme C sont principalement basées sur des jeux
d’improvisation, je les prépare toujours à l’avance, prenant une demi-heure la veille au
soir pour sélectionner les musiques que je compte éventuellement diffuser et pour
réfléchir aux exercices que je compte proposer.
Les séances, comme j’en reparlerai plus tard, ont lieu le mardi à 14 heures 30, je me
réserve donc une demi-heure avant la séance pour préparer la salle, réorganiser le
mobilier qui est très souvent déplacé à causes des activités diverses qui ont lieu dans
cette pièce et installer le matériel dont j’ai besoin, c’est-à-dire principalement le lecteur
de CD et le clavier.
Il m’est très rapidement apparu dès la première rencontre qu’il m’était totalement
impossible de prendre la moindre note durant les séances, étant donné que je suis moimême
très impliquée dans le jeu et dans le dialogue avec Mme C. J’ai vite compris qu’il
m’était impossible de faire des ruptures dans la communication, même minimes, pour
noter des paroles ou des gestes de Mme C. En outre, Mme C souffrant d’importants
troubles de l’attention, le moindre écart de ma part à ce que nous sommes en train de
faire peut avoir des conséquences désastreuses sur la séance : Mme C détourne alors son
attention de la musique et de la raison pour laquelle elle est avec moi et dès lors n’a plus
qu’une idée, partir. Il m’est alors très difficile de capter à nouveau son attention, j’ai
donc abandonné toute possibilité de prendre la moindre note durant les séances.
23

Je me réserve par conséquent une plage horaire immédiatement après la séance pour
prendre en note tout ce qui a été dit et fait, cette plage horaire pouvant aller d’une demiheure
à une heure en fonction de mes disponibilités. Je profite également de ce temps
pour écrire un premier bilan à chaud de ce que j’ai pu retirer de ce qui s’est passé pour
Mme C. Je restitue ensuite au propre mes notes quelques jours après et je complète mon
bilan des observations, remarques et réflexions que j’ai pu faire durant ce temps de recul
de quelques jours et après relecture du déroulement des séances précédentes pour
étudier une éventuelle évolution.
Cette technique de prise de notes a l’inconvénient de ne pas me permettre de retenir de
mémoire tous les échanges verbaux entre Mme C et moi, il me faut donc préciser que
seules sont rapportées au style direct les paroles dont je suis sûre de l’exactitude.
3.3. Premiers pas dans la prise en soin
3.3.1. L’entretien
Après trois semaines d’observation dans la maison de retraite et après une première
sélection, à l’aide de la psychologue, de résidents pouvant bénéficier de séances de
musicothérapie, j’ai commencé à passer des entretiens avec les différents résidents, pour
apprendre à les connaître davantage et pour mieux me présenter à eux. Néanmoins,
Mme C est une personne au discours très peu cohérent, dont l’élocution fait qu’elle est
difficile à comprendre, je ne lui ai donc pas proposé un entretien conventionnel pour ne
pas la mettre en situation d’échec et sachant de toute façon qu’il lui serait à peu près
impossible de répondre à la plupart de mes questions. Je l’ai toutefois prise un moment
en chambre pour me représenter à elle et lui expliquer en quoi consistait mon travail. Je
lui ai demandé si elle aimait la musique et sa réponse a été « Oui ». Je lui ai proposé que
l’on se voie ensemble une première fois pour un essai, une rencontre autour de la
musique pour voir si nous pourrions faire quelque chose ensemble. J’ai en effet pris
l’habitude de présenter de cette manière le bilan psychomusical, car j’ai pu remarquer
que le terme de bilan a tout de suite quelque chose d’inquiétant pour les personnes, une
connotation d’examen, de jugement. A cette proposition, elle a tout de suite semblé
enthousiaste et a accepté.
3.3.2. Le bilan psychomusical actif
Je retrouve donc madame C le mardi 25 novembre vers 14h30, comme nous l’avions
convenu lors de notre petit entretien la semaine précédente. Etant donné les difficultés
de communication de madame C, sa pathologie touchant la mémoire et la
communication, je choisis de ne pas lui faire passer de bilan psychomusical réceptif.
Demander à cette patiente de parler sur une musique me paraît en effet le meilleur
moyen de la mettre en échec et de ne rien lui apporter.
24

Nous nous retrouvons donc pour un bilan psychomusical actif.
Celui-ci se déroule en trois étapes :
- Une première étape où je demande à Mme C de jouer avec les instruments mis à
sa disposition comme elle le veut quand elle le veut,
- Une deuxième étape où je diffuse quatre extraits musicaux et où je lui demande
de jouer comme elle veut et quand elle veut sur la musique,
- Une dernière étape où je lui propose que nous jouions ensemble comme nous le
voulons avec les instruments.
Voici les quatre extraits diffusés lors de la deuxième partie du bilan (voir CD pistes 1, 2
3 et 4) :
- Premier extrait, extrait mélodique : Hyrule Castle. The legend of Zelda Ocarina
of Time, Hyrule Symphony. (1999)
- Deuxième extrait, extrait harmonique : The immolation scene. Extrait de : Star
Wars The Ciths Revenge sound track. John Williams. (2005)
- Troisième extrait, extrait électroacoustique : Détours. Michel Redolfi. (1999)
- Quatrième extrait, extrait rythmique : Doundounbé. Ensemble national des
percussions de Guinée. (année non spécifiée)
Pour ce bilan, j’ai disposé une série d’instruments sur une table ronde dans l’un des
coins de la pièce, celui où se trouve le clavier, au fond à droite en entrant dans la salle
(voir plan de la salle de musicothérapie en annexe 1). C’est l’endroit que je conserverai
toujours pour faire mes séances, car lorsque je dispose les chaises de manière à fermer
cet endroit, tournant le dos au reste de la salle, cela restreint le cadre et aide à centrer
l’attention de Mme C qui a beaucoup de mal à se concentrer longtemps sur une
occupation. J’ai donc disposé deux chaises, l’une dos à la fenêtre et l’autre pas tout à
fait en face, dos au clavier.
Voici la liste des instruments que je mets à la disposition de Mme C pour ce bilan (voir
photo en annexe 2) :
- Un giro
- Un tambour PVC
- Un woodblock
- Un œuf shaker
- Une paire de claves
- Une lame sonore
- Un triangle
- Une couronne de cymbalettes.
Lorsque je reviens du cantou Vivaldi avec Mme C, la psychologue entre dans ma salle
en même temps que moi, tire une chaise et vient s’asseoir avec nous, sans m’en avoir
parlé au préalable. Un peu mal à l’aise, je signale seulement qu’il faut laisser faire Mme
C comme elle l’entend et ne pas intervenir.
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Première partie :
Lorsqu’elle arrive dans la salle et s’installe auprès des instruments, Mme C s’intéresse
directement à eux et commence à les prendre, les toucher, jouer avec. Elle secoue l’œuf
shaker, puis tape sur le woodblock.
Mais dès l’instant où j’explique pourquoi nous sommes là, où je me présente et où je
donne la première consigne, elle n’ose plus jouer. Elle me regarde et prononce des
paroles que je ne comprends pas entièrement mais dans lesquelles je discerne qu’elle
s’attend à ce que ce soit moi qui joue pour elle. Il faut très longtemps avant qu’elle ne se
décide. Pendant ce temps, la psychologue prend des instruments et commence à jouer
pour inciter Mme C, elle parle, lui explique des choses et met des instruments dans ses
mains. Je lui explique à nouveau que Mme C doit être laissée libre de ne pas jouer et de
faire ce qu’elle veut et que nous n’avons pas à intervenir. Elle repose les instruments en
disant : « Oui, je vous laisse faire ». Finalement, Mme C touche les claves en disant :
« Elles sont raides. » Puis elle prend une clave et se met à taper sur la lame sonore. Elle
fait ce geste quelques secondes, puis elle se met à taper sur la lame sonore avec la
baguette du triangle. Néanmoins, elle ne joue que très peu de temps et après un moment
de silence je finis par proposer que nous passions à la deuxième partie du bilan.
Deuxième partie :
Extrait 1 : Mme C se met immédiatement à taper du pied, puis des mains, en rythme. Au
bout de quelques instants, elle ne se contente pas de marquer le rythme mais elle
introduit des accents sur certains temps, toujours avec mains et pieds.
Extrait 2 : Elle se met à compter les instruments en disant : « Y’en a un paquet ! » Puis
elle parle de quand elle était petite, même si toutes ses paroles ne sont pas
compréhensibles. Elle se lève, avance sa chaise, se rassoit. Puis elle se relève et elle dit :
« C’est mou ça. C’est trop mou, y’a rien qui arrive. »
C’est à ce moment-là que la psychologue déclare qu’elle va me laisser, elle se lève et
sort de la pièce. L’extrait se termine dans le silence.
Extrait 3 : Mme C semble perturbée. Elle touche les instruments, elle se lève, s’assoit…
Finalement elle se relève et sort de la pièce. Je vais la rejoindre en douceur en lui disant
que ce n’est pas tout à fait fini. Cette scène se reproduit deux fois durant ce troisième
extrait.
Extrait 4 : je sens que j’ai totalement perdu l’attention de Mme C. J’essaie de la
reconcentrer, sans résultat, et j’abrège le quatrième extrait.
Troisième partie :
Mme C ne joue pas avec moi, quel que soit l’instrument que je prenne et malgré une
répétition de la consigne. Elle regarde vers la porte, elle pense probablement à partir,
elle ne s’intéresse plus du tout aux instruments.
Après deux minutes, je lui déclare que nous avons terminé et je lui demande quel est
l’instrument qu’elle a préféré, sur quoi elle me désigne le woodblock. Puis je lui
demande si elle aimerait entamer une série de séances de musicothérapie avec moi, je
reformule cette demande de plusieurs manières pour être sûre d’être bien comprise, et
elle me répond que oui. Je lui explique donc que je la ramène au cantou et que je
repasserai lui proposer un horaire pour nos séances.
26

Bilan
Il est certain que Mme C est à l’aise avec la musique et avec les instruments. La
manière dont elle est spontanément allée vers les instruments au début de la séance le
prouve. Mme C a le sens du rythme et elle est capable d’improvisations, comme le
montre la manière dont elle a frappé des mains en accentuant certains temps sur le
premier extrait musical. Je remarque qu’il est difficile de focaliser son attention
longtemps et c’est un point que je devrai prendre en compte lors de mes futures séances,
néanmoins, il me semble qu’il pourrait être tout à fait intéressant pour Mme C d’être
prise en charge en musicothérapie active.
La présence de la psychologue alors que nous n’en avions pas du tout parlé au préalable
et son comportement durant le bilan m’ont posé un problème. Je crains que cela ait
contribué à perturber Mme C, à détourner son attention, je pense notamment au moment
où la psychologue a quitté la pièce au milieu du bilan. Malgré le fait qu’il se soit passé
des choses très intéressantes au cours de ce bilan, je ne peux m’empêchera d’éprouver
un sentiment d’échec. Je prends donc la résolution d’aller en parler avec la psychologue
le plus rapidement possible, et cet incident ne s’est jamais reproduit.
3.3.3. Objectifs
Suite à ce bilan psychomusical et à quelques entretiens informels avec des membres de
l’équipe soignante pour connaître leurs attentes quant à mon travail, suite également à
une discussion avec la psychologue, je commence à envisager une série de séances avec
Mme C en vue d’atteindre quelques objectifs thérapeutiques.
Mme C a de plus en plus de difficultés à dialoguer avec son entourage, ses possibilités
de s’exprimer par la parole s’amenuisent peu à peu. Or, c’est une personne atteinte par
la maladie d’Alzheimer, une maladie dégénérative source de nombreuses angoisses face
à la perte de ses capacités, de ses souvenirs, face à l’idée de la mort, il m’apparaît donc
très important que Mme C puisse exprimer ces angoisses par un autre biais que la
parole, tel est mon principal objectif. La musique comme moyen d’expression sera aussi
un moyen de développer son inventivité, sa créativité et son imagination dans un
univers où elle n’en a plus tellement l’occasion.
De plus, Mme C ne reçoit pratiquement jamais de visites, elle n’a pas de soutien
familial dans l’épreuve qu’elle traverse, la thérapie que je vais tenter de mettre en place
a donc également pour but d’offrir à Mme C un appui, un accompagnement dans la
maladie.
Comme nous l’avons vu, la maladie d’Alzheimer provoque une perte des repères dans
le temps et l’espace. La présence des séances de musicothérapie de manière récurrente
et régulière tous les mardis a également pour but de donner à Mme C un repère fixe, un
élément immuable dans son univers perturbé par la maladie.
Enfin, Mme C souffre de troubles de l’attention, elle présente également de l’agitation
et elle déambule beaucoup. L’un des objectifs de cette thérapie sera de lui permettre de
focaliser son attention, de parvenir à utiliser son agitation d’une manière constructive et
créative, et de lui permettre d’entretenir ses capacités motrices.
27

3.4. Prise en soin de Mme C en musicothérapie active : les séances
Mme C ne faisant pas la sieste et la période entre quatorze heures et quinze heures étant
la plus creuse de la journée, je lui propose donc de la prendre en séance de
musicothérapie active tous les mardis à 14h30. Cette heure s’avérera particulièrement
propice puisqu’hormis les fois où elle refusera de venir et les rares mardis où une
réunion exceptionnelle m’empêchera de la prendre, je n’aurai sur toute la durée de mon
stage aucun contretemps à ce moment de la journée.
Séance 1
Mardi 2 décembre, 14h30 : durée 20 minutes.
Objectifs : Entrer en contact, établir la communication, apprendre à mieux se
connaître au travers de la musique. Comme Mme C semble facilement jouer sur la
musique, envisager d’utiliser le clavier. Je propose une séance de découverte avec
de petites percussions et un choix limité : un œuf shaker, des claves et un
woodblock.
Disposition : dans un coin de la salle d’animation, deux fauteuils pas tout à fait en
face l’un de l’autre. Un peu à l’écart à côté se trouve la table avec les instruments. Je
conserverai cette disposition, à très peu de chose près, identique lors de toutes les
prochaines séances. Mme C s’installe la première fois sur le fauteuil qui fait face au
clavier et c’est une place qu’elle conservera lors de toutes les séances suivantes.
Lorsque j’arrive au cantou pour chercher Mme C, l’aide soignante semble très soulagée
que je l’emmène pour une petite demi-heure. Elle me la décrit comme très agitée. Mais
Mme C semble contente de venir et elle me suit facilement.
Arrivée dans la salle, elle va s’assoir directement. Je rappelle qui je suis et je l’informe
des règles en des termes simples, que je reformule pour être sûre d’être comprise : tout
ce qui se passera ici restera entre nous et il faut respecter le matériel et les personnes
présentes.
Je lui montre les instruments, elle semble intéressée, elle regarde et son attention semble
focalisée sur les instruments et sur ce que je lui dis. Je lui propose de se lever et d’en
choisir un parmi les trois. Je me lève pour montrer l’exemple, elle se lève également
mais au lieu d’aller vers la table, elle va à la porte et sort. Je vais la chercher et je lui
demande si elle souhaite vraiment sortir et elle me répond : « Non, mais il faut que la
porte soit fermée. »
La porte était déjà fermée, mais lorsqu’elle dit cela, elle est en train de la fermer de
l’extérieur. Je lui dis que si elle veut rester, il faut qu’elle rentre et elle le fait. Mais elle
se met alors à tourner autour de la grande table d’animation, furetant partout. S’engage
alors une discussion stérile où je lui demande si elle veut jouer et où elle me parle de
tout sauf de la musique. Elle parle sans cesse, je n’ai pas pu tout noter car elle parle très
vite et souvent de manière incompréhensible. Elle parle de gens dont je n’arrive pas à
savoir l’identité.
28

Finalement, je lui dis que nous sommes dans cette salle pour la musicothérapie, que si
elle ne souhaite pas assister à la séance elle peut partir et que sinon il faut qu’elle
revienne dans le coin des instruments. Pour essayer de renouer le dialogue, je prends le
woodblock et je me mets à jouer mais elle réplique immédiatement « Non, ca m’énerve
ça » J’essaie ensuite avec l’œuf, puis les claves, en lui demandant si ça l’énerve aussi ou
si elle préfère, mais elle repart dans un monologue sur une personne dont je ne
comprends pas l’identité. Elle dit qu’il faut en voir d’autres, qu’il n’y en a pas assez,
alors je lui propose de voir d’autres instruments. Je me dirige vers mon sac et elle vient
m’y rejoindre, mais lorsque je lui dis que je vais sortir de nouveaux instruments, elle
repart à l’autre bout de la pièce en me disant « Non, vous faites chier. » Je remarque que
parfois elle me vouvoie, parfois elle me tutoie.
Je repense alors à mon projet de jouer du clavier et je lui déclare que je vais lui montrer
quelque chose ; elle me prête à nouveau attention. « Me montrer quelque chose, c’est
quoi ? » Je me dirige vers le clavier et elle me suit. Je me mets alors à improviser un
premier morceau, plutôt dans un style rock. Elle reste silencieuse et immobile près de
moi, elle semble écouter. Ensuite, je me mets à jouer une valse et, sans se détourner, elle
se met à bouger les pieds. Esquisse-t-elle un pas de danse ?
Mais de nouveau, son attention se détourne rapidement et elle va fureter dans le fond de
la salle. A nouveau, l’échange entre nous devient stérile. Je lui refais alors la proposition
de partir et elle me dit non. Je lui demande si elle veut faire de la musique, elle me dit
non également. Je lui demande ce qu’elle souhaite faire, elle me répond qu’elle n’a
envie de rien faire. Je lui dis alors que la séance est terminée, il est alors 14 heures 45 et
il me semble qu’un quart d’heure pour une première séance est suffisant.
A ce moment, elle s’assoit sur un fauteuil dans le fond de la salle et refuse de se lever,
malgré mon insistance sur le fait que nous avons terminé. Cela dure environ cinq
minutes. J’explique que nous avons terminé, que nous devons libérer la salle mais elle
répond des paroles totalement incohérentes par rapport à ce que je dis, parfois même
elle se met en colère sans que je ne comprenne le rapport entre ses paroles et les
miennes.
A un moment donné, elle me parle de « fime » Je lui demande ce que c’est que « fime »
et elle me répond très en colère : « Oh mais vous n’y comprenez vraiment rien ! » Je lui
dis que oui, je ne connais pas tout et elle me rétorque : « Non mais vraiment, tu
travailles du chapeau ! »
Plusieurs fois, je vais à la porte, je l’ouvre et je l’invite poliment à sortir, sans résultat.
Enfin, cela doit être probablement la dixième fois que je lui dis qu’il est temps de quitter
la salle, elle finit par se lever. Tandis que nous marchons vers la porte, je lui rappelle
que nous avons convenu de nous retrouver tous les mardis à la même heure et je lui
demande si elle tient toujours à revenir, ce à quoi elle me répond un « oui » franc.
Je vais à la porte et je dis une phrase qui ressemble à « Bien, on y va » mais à cet
instant, elle se plante devant moi, elle me regarde bien en face et elle me dit « non. » Je
demande pourquoi non, et brusquement, elle éclate de rire, prend mon menton dans sa
main et me dit « Je voulais voir si vous y alliez en premier, moi je vous laissais aller en
premier. » Je ne suis pas certaine d’avoir parfaitement compris ses paroles, quoi qu’il en
soit elle rit toujours. Alors je lui demande : « Ah d’accord, c’était pour me taquiner
alors. » Et elle répond oui en riant, puis elle ajoute d’autres choses que je ne comprends
pas bien.
De retour au cantou, alors que le trajet s’est fait dans le silence, lorsqu’on lui propose de
s’asseoir, elle répond en me regardant : « Non, on rigolait et on discutait. »
29

Bilan
Il ne faut surtout pas disperser Mme C sans quoi son attention se décroche totalement.
Le simple fait de lui proposer de se lever pour choisir un instrument suffit à la
déconcentrer, c’est donc une chose à éviter. Par ailleurs, travailler avec elle dans une
salle aussi grande et remplie de tant d’objets n’est vraiment pas l’idéal.
Le seul moment où j’ai réellement capté son attention est celui où j’ai joué du clavier.
Là, elle semblait non seulement à l’écoute, mais aussi sur le point d’être elle-même
active. La danse est peut-être un moyen d’expression à encourager avec Mme C.
Je pense de manière générale utiliser le procédé de jouer sur de la musique dans les
prochaines séances : soit l’accompagner au clavier, soit diffuser des musiques.
J’ai le sentiment d’avoir été particulièrement démunie et très maladroite face à la
réaction de Mme C dans la quasi-totalité de la séance. J’ai tout essayé pour la recentrer
sur les instruments, j’ai essayé de dialoguer par la parole et c’était non seulement
inefficace mais cela a semblé irritant pour Mme C. Je pense que, sous l’effet du stress
lié au fait que c’était ma première séance avec elle, j’ai cherché à obtenir exactement ce
que j’avais prévu au lieu de m’adapter. Lors des prochaines séances, je crois que je
gagnerais à utiliser ses déplacements, à les exploiter d’un point de vue musical plutôt
que de chercher vainement à les empêcher.
Je suis néanmoins perplexe quant à ce qui s’est passé durant cette séance. Mme C étaitelle
réellement désintéressée, démotivée, ou cherchait-elle à me tester ? Ce qui s’est
passé à la fin, son hilarité, comme si elle m’avait fait une blague, me laisserait plutôt à
penser qu’elle a voulu évaluer ma réaction mais, avec une personne atteinte de la
maladie d’Alzheimer comme Mme C, peut-on réellement supposer que ce moment
d’hilarité se rapporte à tout ce qui s’est passé durant la séance ou seulement à la fin ?
Cela a-t-il même un réel rapport avec la séance ?
Par ailleurs, sa réaction de retour sur le cantou, le fait d’exprimer qu’elle prenait du
plaisir en ma compagnie, alors même que nous n’échangions aucune parole, semble
encourageant quant au fait qu’elle ait envie de continuer à venir en séance et qu’elle ait,
malgré ses réactions, pris du plaisir dans certains moments de cette première séance.
30

Séance 2
Mardi 9 décembre, 14h30 : Durée à peine une minute.
Objectif : chanter mes explications et mes consignes, utiliser le clavier et le chant
pour capter l’attention de Mme C. Je propose vu le peu de succès des petites
percussions d’utiliser les tambours PVC pour communiquer et accompagner le
clavier.
Lorsque j’arrive au cantou pour chercher Mme C, celle-ci n’est pas du tout motivée. Je
lui parle un moment, mais elle refuse de venir. Elle me dit que quelque chose ne va pas,
je lui propose d’en discuter durant la séance si elle le souhaite mais elle refuse. A ce
moment, une dame présente sur le cantou en tant que dame de compagnie pour deux
autres résidentes s’en mêle : « Ben alors, vous allez venir avec la jeune fille ! » Je dis
qu’il est inutile d’insister davantage si elle ne veut pas venir et que je reviendrai la
semaine suivante. Mais la dame de compagnie réplique, en présence de Mme C : « Vous
savez très bien qu’elle n’a pas du tout compris ce que vous lui demandiez. » Et elle
demande aussitôt à un aide soignant de descendre Mme C en salle d’animation. Je n’ai
pas le temps de réagir qu’il l’entraîne déjà vers la porte.
Une fois que nous sommes seules dans la salle de musicothérapie, Mme C fait une fois
le tour de la pièce, n’écoute absolument pas ce que je lui dis et ressort aussitôt. Je la
retrouve dans le hall et je lui demande si elle veut vraiment partir, elle répond oui. Je lui
demande, suite à ces deux premières séances qui me laissent un sentiment d’échec, si
elle veut poursuivre les séances de musicothérapie toutes les semaines, ce à quoi elle me
répond : « Bien sûr que oui. »
31

Bilan
Je suis très mal à l’aise par rapport à ce qui s’est passé avec la dame de compagnie, et
ceci à plusieurs niveaux. J’ai vraiment le sentiment que Mme C a été forcée et je l’ai
vécu comme de la maltraitance envers elle. Si j’ai bien conscience qu’avec les
personnes âgées, un non peut parfois signifier un oui ou un « je ne sais pas » et si j’ai
conscience qu’il est important d’insister, le fait d’entraîner de force ne me paraît pas du
tout une chose bénéfique pour mes séances. Montrer au patient qu’il a une entière
liberté de décider de venir ou pas me paraît une étape indispensable dans l’établissement
d’une relation de confiance entre patient et thérapeute.
Je me rends compte que j’ai peur de la manière dont Mme C a vécu ce moment et de la
manière dont elle me considère et j’ai conscience que la question que je lui ai posée
pour savoir si elle souhaitait continuer les séances visait bien plus à me rassurer qu’à
réellement savoir ce que désirait Mme C.
Par ailleurs, cette dame de compagnie n’avait pas à intervenir au sujet d’une résidente
dont elle n’a pas la charge et elle avait encore moins à donner des ordres à un aide
soignant. Néanmoins, j’ai jugé que ma position de stagiaire ne me permettait pas de
faire la moindre remarque, mais je réalise que j’aurais probablement dû le faire. Je dois
admettre qu’à ce moment-là je n’avais pas bien conscience du rôle de ces dames de
compagnie au sein de l’établissement, rôle qui m’a davantage été expliqué plus tard par
la psychologue. Ces personnes n’appartiennent pas au personnel de la maison de retraite
mais sont payées par les familles qui le souhaitent. Elles n’ont par conséquent aucune
décision à prendre concernant les soins et encore moins d’ordre à donner à l’équipe
soignante. J’apprends par la psychologue bien plus tard que cette personne est en conflit
avec l’équipe du cantou Vivaldi et pose des problèmes en franchissant les limites
imposées par son travail.
Je suis donc particulièrement inquiète de la manière dont je pourrai envisager la
troisième séance avec Mme C, pourtant, si elle a refusé cette séance, elle a par contre
paru assurée sur le fait qu’elle souhaitait poursuivre la thérapie, même si cette réponse
peut poser des questions : l’a-t-elle réellement comprise ? A-t-elle répondu ce qu’elle
pensait ou ce qu’elle a perçu que j’avais inconsciemment envie d’entendre ?
32

Séance 3
Mardi 16 décembre, 14 h 30 : durée 15 minutes.
Objectif : Tenter de recréer le dialogue suite à la séance précédente, tenter de
focaliser l’attention de Mme C. Je me propose de reprendre ce que j’avais prévu
pour la séance précédente, à savoir utiliser le clavier, proposer les tambours PVC et
chanter mes paroles.
A mon arrivée, je trouve la salle d’animation complètement en désordre. Un film a été
diffusé la veille, les chaises et fauteuils sont donc tous alignés en rangées, faisant face à
un grand écran au fond de la pièce. Les rideaux sont tous fermés et les tables empilées
sur les côtés. Je n’ai ni la force physique, ni le temps pour remettre tout en place, je
décide donc d’aménager le coin habituel avec les deux fauteuils dans la position
habituelle et un grand tabouret entre eux, faisant office de table basse, sur lequel je
dispose les deux tambours PVC.
Lorsque je vais la chercher au cantou Vivaldi, Mme C est tout de suite intéressée pour
venir en séance : « Oui, oui bien sûr, je veux bien essayer. »
Note : la dame de compagnie de la semaine précédente se trouve dans une chambre avec
une résidente et n’est donc pas présente. Cela a-t-il un lien ?
Lorsque nous entrons dans la salle de musicothérapie, Mme C fait un petit tour de la
pièce puis elle vient s’asseoir sur le siège que je lui indique. Après un bref rappel des
règles, je lui montre les deux tambours PVC que j’ai prévus pour la séance et je lui
propose de les tester et d’en choisir un. Je montre l’exemple en tapant moi-même sur les
deux tambours. Quand j’ai un peu joué je lui redis qu’elle peut en choisir un et, pointant
du doigt l’un des deux tambours, elle me dit « Je vous ai dit celui-là. » Elle semble ne
pas oser le prendre elle-même alors je le lui tends et elle le prend. Je lui dis qu’à
présent, elle peut jouer avec comme elle le veut mais, à ce moment, elle repose le
tambour et se met à frapper dans ses mains. Elle fait un rythme sur 8 temps, avec un
tempo de 90 à peu près, en frappant les sept premiers temps et en laissant un silence sur
le huitième. Aussitôt, je reprends son rythme en frappant dans mes mains. Au bout d’un
petit moment, toujours en respectant parfaitement le rythme, elle se met à improviser
sur son thème de départ, toujours avec un silence sur le dernier temps. Elle double
certains temps, laisse des silences, fait des contretemps. Je me mets à improviser à mon
tour et un petit jeu s’installe ainsi : parfois elle marque simplement la pulsation et c’est
moi qui improvise, parfois nous inversons, parfois nous improvisons toutes les deux en
même temps. Au bout d’un petit moment, je prends l’un des tambours PVC et je me
mets à jouer sur son thème tandis qu’elle continue de frapper des mains. En tout, notre
jeu a duré environ deux minutes. Ensuite, elle se lève et marche vers la porte. Je me lève
à mon tour et je lui propose de poursuivre notre jeu en marchant. Mon but est d’utiliser
ses déplacements dans le cadre de la séance. Je recommence à frapper dans mes mains
en reprenant son rythme, mais elle sort de la salle.
Je la rejoins en lui disant que la séance n’est pas terminée et je lui demande, comme
chaque fois, si elle souhaite réellement partir. Elle me répond : « j’ai assez fait,
j’écouterai plus tard. » Je lui dis que j’avais prévu d’autres choses pour la séance mais
que c’est comme elle veut. Comme elle ne semble pas vouloir revenir, je lui dis que je
vais la raccompagner au cantou, que je vais juste récupérer mes affaires. Elle me suit
dans la salle et curieusement, elle retourne à l’endroit où j’ai disposé les fauteuils pour
la séance. Je la rejoins et je lui montre que j’avais aussi prévu d’utiliser le clavier.
33

A peine ai-je joué deux notes totalement au hasard sur le clavier qu’elle reprend son
rythme inventé plus tôt en le complexifiant encore, doublant certains temps. Je me mets
alors à jouer des accords en improvisant sur son rythme. Nous jouons ainsi deux
nouvelles minutes, peut-être un peu plus mais à ce moment je n’ai pas regardé l’heure.
Puis elle s’arrête et se dirige à nouveau vers la porte, et cette fois lorsque je lui demande
si elle est sûre de vouloir partir, elle me répond un oui clair. Je déclare alors que la
séance est terminée et je la raccompagne jusqu’au cantou.
Quand nous arrivons sur le cantou, Mme C va s’asseoir et reste un long moment assise,
ce qui est très rare. Je m’assois avec elle ainsi que d’autres personnes du cantou,
résidents et soignants, pour parler un peu et, au bout d’une minute, Mme C se met à
frapper dans ses mains. Elle ne reprend pas le rythme de la séance mais elle fait un
nouveau rythme, assez enlevé.
34

Bilan
C’est la première fois qu’un réel dialogue musical se crée entre Mme C et moi. Mme C
a montré qu’elle pouvait s’exprimer en musique, faire preuve d’imagination et
d’improvisation, mais elle s’est aussi montrée à l’écoute dans les moments où nous
avons improvisé ensemble, même si le plus souvent c’est moi qui l’ai suivie. En tout,
nous n’avons eu que quatre minutes de jeu sur toute la séance, mais c’est la première
fois que cela se produit.
J’ai du mal à savoir quels facteurs ont provoqué un tel changement. J’avais, à tout
hasard, laissé les rideaux tirés, cela a-t-il constitué un facteur de moins de distraction
pour Mme C de ne pas pouvoir regarder dehors, focalisant donc davantage son attention
sur ce qu’il s’est passé au cours de la séance ? L’absence de la dame de compagnie de la
fois précédente quand je suis allée la chercher a-t-elle contribué au fait qu’elle soit
davantage motivée et réceptive ? Mais cela peut aussi venir d’une simple évolution
normale de notre relation : Mme C me connaît un peu mieux, elle sait à présent ce qu’il
se passe en séance, elle sait également, même si consciemment il est très probable
qu’elle n’en ait aucun souvenir, que la fois précédente, je ne l’ai pas retenue quand elle
n’a pas souhaité rester et une relation de confiance a donc pu commencer à s’établir
entre nous.
D’autre part, comme toute personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, Mme C a un
caractère très changeant, l’évolution constatée lors de cette séance peut tout simplement
venir du fait qu’elle se trouvait de meilleure humeur ce jour-là.
Quoi qu’il en soit, elle apparaît calme et détendue lors de son retour sur le cantou,
puisqu’elle s’assoit directement et reste ainsi un long moment. Elle semble également
enjouée, comme l’indique le fait qu’elle se met à frapper dans ses mains.
Mme C n’est apparemment pas à l’aise avec les instruments et préfère de beaucoup
utiliser son corps, cela était déjà apparu au bilan et cela ressort lors de cette séance où
elle rejette le tambour pour frapper dans ses mains. Je compte en tenir compte lors des
prochaines séances.
Je réalise que l’inquiétude que j’avais en début de séance est totalement dissipée et que
cette séance m’a redonné confiance en le fait que cette prise en soin est bénéfique et
utile. J’ai conscience que je peux à nouveau me retrouver confrontée à un refus lors des
prochaines séances, mais cela ne m’angoisse plus.
J’appréhende cependant que les deux semaines de vacances qui arrivent et où nous ne
nous verrons pas détruisent ce fragile début de relation.
Mardi 6 janvier :
La salle d’animation est occupée toute la journée à cause d’une réunion de l’équipe de
direction, je ne peux donc pas assurer ma séance. Je monte prévenir Mme C de ce petit
changement, même si elle ne semble pas vraiment réaliser ce que je lui dis. Cela
m’inquiète car cela rallonge le temps passé sans séance.
Après réflexion et une discussion avec la psychologue, je décide finalement de prendre
Mme C en séance le lendemain, mercredi, à la même heure, en lui expliquant bien que
c’est exceptionnel pour ne pas perturber le cadre.
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Séance 4
Mercredi 7 janvier, 14 h 30 : durée 30 minutes.
Objectifs : poursuivre dans la continuité de la séance précédente. Je veux tenter de
reprendre les éléments qui ont semblé fonctionner pour maintenir la communication
avec Mme C. Je me propose donc de faire une séance sans instruments, utilisant
uniquement les percussions corporelles. Je propose aussi l’utilisation du clavier pour
accompagner Mme C et la voix, principalement la voix chantée. Je veux aussi tenter
de reprendre le rythme inventé la fois précédente dans l’optique d’essayer
d’improviser dessus et de créer un lien avec la séance précédente.
Lorsque je vais chercher Mme C sur le cantou, elle est tout de suite volontaire : « Oui,
je veux bien. »
Nous arrivons dans la salle de musicothérapie que j’ai organisée comme les fois
précédentes, avec deux chaises disposées au même endroit qu’à l’ordinaire près du
clavier, je lui indique l’une des chaises et elle va s’y asseoir. Après un rapide rappel des
règles, je lui explique que je propose aujourd’hui que nous travaillions sans instruments,
uniquement en nous servant de nos mains. Je lui rappelle qu’elle avait inventé un
rythme à la séance précédente et je le lui refais. A peine l’ai-je joué une fois qu’elle se
met à le reproduire avec moi. Nous jouons ainsi ensemble le rythme un moment puis,
sans nous interrompre, nous nous mettons à improviser toutes les deux sur ce rythme de
base. A un moment, elle se met à marquer seulement la pulsation et j’improvise seule
sur sa pulsation. Puis, comme elle reprend une improvisation, je me mets à mon tour à
ne marquer que la pulsation. Un peu plus tard, elle se remet à marquer une pulsation,
mais seulement un temps sur deux, toujours parfaitement en rythme. Il apparaît évident
qu’elle n’a aucune difficulté avec le sens du rythme, que c’est même quelque chose de
bien ancré chez elle.
Mais après quelques minutes de jeu, elle se lève et se met à marcher. J’essaie d’attirer
son attention en rejouant au piano ce que j’avais joué lors de la séance précédente et en
l’invitant à frapper dans ses mains pour m’accompagner, mais elle m’ignore et se met,
comme deux séances auparavant, à faire le tour des tables.
Je finis par me mettre à mon tour a tourner autour des tables en improvisant à nouveau
en frappant dans mes mains, mais elle semble totalement ailleurs.
Au bout de quelques nouvelles minutes, elle s’assoit sur une chaise et je viens m’assoir
à côté d’elle. Il y a un moment de silence, et brusquement elle se met à chantonner.
Bouche fermée, dans un registre grave, elle fredonne une petite mélodie avec un
ambitus de 5 notes à peu près. Je reprends aussitôt son chant.
Puis, elle se met à chanter une gamme majeure, toujours bouche fermée, qu’elle monte
puis redescend plusieurs fois. A nouveau, je reprends son chant. Je lui dis ensuite que
c’est une excellente idée de chanter et je lui propose que nous continuions ensemble.
Mais il semble que si je mets des mots sur le fait qu’elle chante, cela la bloque car elle
cesse immédiatement de chanter et se met à me parler, même si je ne comprends pas
tout ce qu’elle me dit. Elle me dit que « Le petit pourrait le faire ». Je lui demande si
elle parle de chanter et elle répète : « il pourrait le faire ». Je lui demande alors si elle,
elle veut le faire, chanter avec moi. Elle me répond quelque chose que je ne comprends
pas, elle se lève et elle se remet à tourner autour des tables, parlant parfois. Je la laisse
faire et je garde le silence.
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Au bout d’un moment, alors que je ne lui parle plus, elle se remet à fredonner la
première mélodie qu’elle m’a chantée. Je la reprends et je lui demande si c’est bien cela
mais elle ne me répond pas.
Comme elle se dirige vers le coin de la pièce où se trouve le clavier, je vais au clavier et
je rejoue sur l’instrument la petite mélodie qu’elle chante. Mais à nouveau, elle retourne
dans le fond de la salle.
Néanmoins, régulièrement, elle continue de fredonner, ajoutant des notes à sa mélodie
initiale. A nouveau, je reprends tout ce qu’elle chante et je le chante à mon tour. A un
moment où je lui redemande après avoir chanté sa mélodie si c’est bien cela qu’elle
chante, elle me répond « Oui » de manière claire.
Tandis que nous chantons ainsi, entrecoupées de moments de silence, elle se met à
frotter les nappes qui sont disposées sur les tables du fond de la pièce avec le plat de la
main. Je lui pose des questions pour essayer de comprendre pourquoi elle fait cela,
émettant des suggestions et je finis par comprendre que c’est pour nettoyer les miettes.
Il y a effectivement quelques miettes sur ces nappes, probablement un vestige d’un
goûter servi lors d’une réunion.
Pour recentrer l’attention de Mme C, je propose une petite consigne : l’une de nous
propose une petite mélodie et l’autre essaie de la reproduire. Elle me dit « D’accord ».
C’est je crois la première fois qu’elle dit « d’accord » à une consigne que je donne. Je
lui demande si elle veut commencer et elle me répond : « C’est comme vous voulez. »
Je commence donc à chanter une petite mélodie simple, mais elle reste parfaitement
muette et continue de nettoyer les miettes alors qu’il n’y en a plus une seule là où elle le
fait.
Il faut attendre un moment avant qu’elle ne se mette finalement à chanter, mais alors,
elle ne reprend pas du tout ma mélodie mais en chante une nouvelle. Je dis alors :
« Bien, d’accord, c’est moi qui vais refaire ce que vous faites. » Cette fois, mon
intervention parlée ne la perturbe pas et elle continue de chanter, puis je reprends sa
phrase musicale et je la rechante. A présent, elle joue avec un papier, probablement un
emballage de gâteau ou de bonbon oublié.
Cela doit durer quelques minutes, puis je m’apprête à annoncer la fin de la séance, mais
juste à ce moment-là, elle se met pour la première fois à chanter bouche ouverte, un peu
le même style de mélodie qu’auparavant, mais sur « Lalala ». Je l’imite, mais elle
s’arrête très rapidement. J’annonce alors la fin de la séance, elle se lève mais c’est
seulement pour aller se rassoir un peu plus loin. Il faut que je répète un bon nombre de
fois que la séance est terminée et que je finisse par lui prendre le bras pour qu’elle se
lève et accepte de sortir.
37

Bilan
J’étais beaucoup plus décontractée lors de cette séance. Je connaissais davantage les
réactions de Mme C et je commence à savoir comment réagir dans certaines situations.
Je ne suis par exemple pas allée lui courir après la première fois qu’elle s’est levée et a
commencé sa déambulation, mais j’ai cherché à recapter son attention directement en
utilisant la musique. Je réalise également que je me laisse de moins en moins effrayer
par les silences. Lors des premières séances, j’avais tendance à parler dès qu’il ne se
passait rien pour combler le vide, à présent j’arrive à laisser s’installer le silence.
Peut-être a-t-elle ressenti ces modifications dans mon attitude, en tout cas de grands
changements se sont produits lors de cette séance. En effet, alors que les infirmières me
disaient qu’elle chantait facilement sur le cantou lorsqu’elles diffusaient de la musique,
c’est la première fois qu’elle chante dans une séance. Je ne suis pas parvenue à savoir si
elle reprenait une mélodie connue, mais elle a su me chanter des choses variées, et il y a
probablement quelque chose à faire dans ce domaine dans lequel elle semble à l’aise et
capable d’improviser.
J’ai pu constater que le fait de parler, surtout quand elle chantait, avait tendance à la
déstabiliser. Le fait que je mette des mots sur ce qui s’est passé, le fait que je lui
propose, en parlant, de chanter semble la mettre en difficulté ou peut-être la gêner. Cela
me ramène à une idée que j’avais déjà eue précédemment, celle de chanter toutes mes
paroles et consignes.
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Séance 5
Mardi 13 janvier, 14 h 30 : durée 10 minutes.
Objectifs : essayer de travailler avec la voix. Rechercher des sons que l’on peut faire
avec sa voix. Essayer de chanter de petites mélodies, de reprendre ce qui a été fait au
cours de la séance précédente. Essayer également de reprendre ce qui est fait à la
voix avec le clavier. J’ai également parlé plusieurs fois de chanter les consignes et
de manière générale tout ce qui est dit en séance, mais en fin de compte je ne l’ai
jamais fait, prise par ce qui se passait avec Mme C et occupée à réfléchir à comment
continuer les séances, cela m’est un peu sorti de l’esprit, je vais tenter de le faire
aujourd’hui.
Quand j’arrive au cantou, Mme C fait la sieste, ce qui est extrêmement rare. Comme
cela fait longtemps qu’elle est couchée, l’aide soignante la réveille.
Lorsque nous entrons dans la salle, Mme C va directement s’asseoir, sur la place
opposée au clavier, qui tourne le dos au reste de la pièce. Après un bref rappel des
règles, je lui parle de ce qu’elle a chanté la dernière fois, elle me dit qu’elle s’en
rappelle. Je lui propose de chanter aujourd’hui, elle dit qu’elle n’a pas envie. Elle dit
que la dernière fois, j’avais allumé un… mais elle ne poursuit pas. Je lui demande si elle
parle du piano et je vais l’allumer et jouer quelques notes pour lui montrer. Elle n’a
absolument aucune réaction. Je me mets alors au piano à improviser sur un thème
simple et elle reste parfaitement immobile et muette, il m’est difficile de savoir si elle
écoute ou non. Au bout d’un moment, je lui demande si cela lui a plu, elle me répond
« non, pas tellement ». Je lui propose à nouveau de chanter mais elle répète qu’elle n’a
pas envie. Je lui propose de jouer de la musique, elle me dit non, et elle répond de même
quand je propose d’en écouter.
Je lui demande alors si elle est fatiguée et elle me dit que oui. Elle ne parle presque pas,
elle ne bouge pas, ce qui est très inhabituel chez elle. Finalement, elle se lève et va droit
vers la porte. Mais quand je lui demande si elle veut réellement partir, elle fait demitour
et se met à arpenter la salle. Je lui pose à nouveau la question et cette fois elle
répond que oui elle souhaite partir. Je la ramène donc au cantou.
Bilan
J’ai le sentiment que Mme C était très fatiguée et qu’elle aurait probablement préféré
continuer sa sieste. Elle n’était pas du tout dans son état de vigilance normal. Par
conséquent, il ne s’est rien passé en séance, toutefois, elle a répondu à mes questions de
manière cohérente, elle semblait donc présente et attentive, ce qui n’était pas le cas lors
des toutes premières séances. Une réelle communication s’est-elle établie entre Mme C
et moi grâce à la musique, qui lui permette de me parler plus facilement, même
verbalement ?
39

Mardi 20 janvier :
J’apprends en arrivant qu’une réunion exceptionnelle se déroule dans la salle
d’animation. Je ne peux donc pas prendre Mme C en séance.
Le mardi suivant, je me retrouve confrontée au même problème. Je m’inquiète
beaucoup de ces longues périodes sans séance, la communication et la relation étant
déjà difficiles à établir avec Mme C, d’autant plus que les vacances s’approchent.
Le mardi suivant, 3 février, Mme C refuse finalement de venir malgré plusieurs rappels
de ce que nous faisons ensemble pour être sûre d’être comprise. Ce jour-là, elle ne
déambule pas, elle est assise et ce depuis le début de l’après-midi d’après les aides
soignantes. Je lui précise donc que nous ne nous reverrons pas pendant deux semaines à
cause des vacances et je lui donne rendez-vous à la même heure dans trois semaines.
Séance 6
Mardi 24 février, 14h30 : durée 22 minutes.
Objectifs : Reprendre le travail avec la voix : chanter les consignes, essayer
d’improviser, diffuser des musiques à la mélodie simple pour pouvoir chanter avec
la musique et s’en servir de base pour des improvisations.
Je propose deux musiques : la musique mélodique du bilan actif, une musique que
Mme C a donc déjà entendue lors de son bilan psychomusical, et une musique du
groupe Debout sur le Zinc (voir CD en annexe piste 5).
J’envisage en fonction de comment cela se passera de reprendre ces musiques dans
les futures séances pour faire davantage de lien entre les séances, surtout avec le
trou occasionné par les vacances et les séances qui n’ont pas eu lieu auparavant.
Lorsque je vais la chercher sur le cantou, l’aide soignante m’apprend que Mme C est
très agitée, qu’elle refuse de s’asseoir, ce qui est généralement mauvais signe pour ce
qui va se passer en séance. D’ailleurs, dès que nous entrons dans la salle de
musicothérapie, elle se met à marcher vers l’endroit opposé de celui où nous faisons les
séances, me tournant le dos.
Je commence à chanter : « Bonjour, madame C, vous êtes ici pour la séance de
musicothérapie. » sur une musique en do majeur que j’improvise au fur et à mesure.
Puis je chante qu’aujourd’hui, nous allons dire toutes nos paroles en chantant. Je l’invite
à venir s’assoir, lui disant que nous allons écouter de la musique, toujours en chantant.
Elle ne répond pas mais elle me suit aussitôt et elle va s’assoir. Comme je continue
d’expliquer ce que nous allons faire en chantant, elle se met à frapper des mains en
rythme sur mon chant puis à fredonner, sans mots, une mélodie qui fait réponse à la
mélodie de mes consignes chantées.
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Je diffuse la musique de Zelda Ocarina of time et aussitôt, elle se met à battre des mains
en rythme, puis rapidement, avec moi, elle se met à fredonner la mélodie. Nous
chantons parfois ensemble, parfois je la laisse faire seule, parfois c’est elle qui écoute,
parfois je chante le début d’une phrase musicale, elle la fin de la même phrase.
J’enchaîne directement avec la musique de Debout sur le Zinc : à nouveau je suis
impressionnée par la facilité avec laquelle elle trouve le rythme et s’y adapte et avec
laquelle elle trouve et chante la mélodie.
Après ce morceau, j’annonce, toujours en chantant, que je vais diffuser encore un
nouveau morceau et que la consigne est toujours de chanter comme l’on veut et quand
on veut sur la musique. Mme C se met à frapper des mains pour m’accompagner quand
je chante la consigne, alors je profite de ce rythme que cela lance pour la rejoindre en
frappant dans mes mains à mon tour sur le rythme.
Nous nous mettons ensuite à improviser sur ce rythme, puis Mme C se met d’elle-même
à fredonner une petite mélodie, mélodie que je reprends et qui ressemble un peu à celle
que j’utilise pour donner mes consignes.
Petit à petit se met en place un jeu de question/réponse avec une mélodie composée de
cinq premières notes puis de deux autres détachées du premier groupe de notes. L’une
de nous chante la première partie et l’autre répond avec les deux dernières notes, ou
parfois nous chantons tout ensemble, toujours en frappant un rythme dans nos mains.
Je décide ensuite de compliquer un peu la phrase musicale, chantant une première partie
de phrase suspensive, puis une seconde concluante et chaque fois, Mme C complète la
phrase de manière appropriée, ce qui semble montrer qu’elle n’est pas uniquement dans
la répétition, l’imitation ou la stéréotypie mais bien dans l’écoute et le dialogue.
Contrairement aux autres fois où c’est arrivé que nous improvisions ainsi, elle ne
s’arrête pas, reste assise et c’est moi qui finis par mettre un terme à l’improvisation au
bout de quelques minutes.
Je diffuse alors la marche nuptiale de Mendelssohn (CD en annexe piste 6). Sans l’avoir
écoutée une seule fois, Mme C se met aussitôt à chanter, ce qui semble indiquer qu’elle
connaît cette musique et pour la première fois ce jour-là elle chante bouche ouverte sur
« lalala », tout en battant la mesure avec le pied. Quand la musique se termine, je lui
demande si elle la connaissait et elle me répond : « Oh oui, diable ! »
J’enchaîne directement avec la symphonie du nouveau monde de Dvorak (CD en
annexe piste 7). Là aussi elle se met à chanter la mélodie presque aussitôt, ce qui
signifie soit qu’elle connaît cette musique ce qui est très possible, soit qu’elle a une
faculté étonnante pour retrouver les mélodies, une chose que le début de la séance
semble confirmer. Nous chantons donc la mélodie ensemble et quand vient le passage
plus enlevé de la fin de l’extrait, elle se met à faire le rythme en tapant sur le bras de son
fauteuil qui est en bois, suivant le rythme de la mélodie qui est pourtant très rapide.
Quand la musique s’arrête, elle dit « Oh, c’est fini. » d’un air un peu dépité, du moins
c’est ainsi que cela m’apparaît. Je propose, toujours en mettant mes paroles en musique,
que nous reprenions la mélodie en chantant mais cette fois sans la musique derrière, et
que l’on essaie d’improviser dessus, comme on veut et quand on veut.
Immédiatement, elle se met à chanter, elle se souvient parfaitement de la mélodie, et pas
seulement des deux phrases du début, elle est capable de me restituer presque tout
l’extrait que nous venons d’entendre.
Au bout d’un moment, elle arrête de chanter et reprend sur le bras de son fauteuil le
rythme de la fin de l’extrait. Je reprends donc ce rythme avec elle puis nous
improvisons dessus, cherchant des variations, durant un petit moment.
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Après quelques minutes, considérant que c’est depuis le début des séances celle où elle
s’est concentrée le plus longtemps, sans relâcher son attention, sans se lever, et ne
souhaitant pas en faire trop d’un coup et prolonger progressivement le temps des
séances, j’annonce que la fin de la séance est proche et que nous allons réécouter le
morceau entendu tout au début. Mon idée est ainsi de marquer avec des limites claires et
musicales le début et la fin de la séance. J’explique que ce morceau marquera
dorénavant la fin de chacune de nos séances.
Aussitôt qu’elle entend l’extrait, Mme C se met à chanter la mélodie, signe qu’elle s’en
souvient et ne fait pas que la reproduire.
Pour davantage marquer que cette musique est celle de la fin de la séance, je me mets à
chanter des paroles : « On va dire que c’est la musique de la fin. »
Lorsque la musique se termine, j’annonce que c’est fini pour aujourd’hui et que nous
nous retrouverons le mardi suivant. Je lui demande, cette fois en parlant, comment s’est
passé pour elle cette séance et elle me répond, ce qui m’étonne car il est difficile
d’obtenir d’elle des réponses cohérentes : « Très bien, c’était très bien. »
Mais malgré le fait que je me sois levée, elle ne bouge pas de son fauteuil et a l’air
déçue.
Finalement, après un ou deux rappels que la séance est terminée, elle se lève sans que
j’aie besoin d’aller la prendre par le bras et nous rentrons.
Deux fois durant la séance, je me suis mis machinalement à parler au lieu de chanter
pour annoncer ma consigne et chaque fois, quand j’ai repris en chantant, ajoutant,
toujours en chantant, que je n’avais pas respecté ma propre consigne de chanter toutes
les paroles, elle s’est mise à rire.
42

Bilan
J’appréhendais beaucoup cette séance, malgré un temps que je me suis imposée avant la
séance pour me détendre et mettre mes idées à plat, je craignais que le fragile début de
relation établi entre Mme C et moi ait été mis à mal par ces quatre semaines sans
séance. Mon inquiétude n’a fait que se renforcer quand la première chose que j’ai
entendue en entrant dans le cantou a été la voix d’une aide soignante rappelant Mme C à
l’ordre, puis quand cette même aide soignante m’a confié que c’était difficile avec Mme
C aujourd’hui. Je me suis donc sentie immédiatement soulagée quand j’ai vu la tournure
qu’a prise la séance. Je réalise en relisant mes notes que dès la deuxième séance,
j’envisageais de chanter tout ce que je dis en séance mais il a fallu attendre la séance six
pour que je le fasse vraiment.
Cette constatation m’a un peu bouleversée et m’a fait me demander si je n’avais pas
gaspillé de nombreuses séances où il aurait pu se passer plus de choses et je me sens
envahie d’un certain sentiment de culpabilité. Je crois qu’en réalité je me sentais très
mal à l’aise avec ma voix, j’avais peur du jugement de Mme C. J’avais le sentiment que
le fait de chanter me décrédibiliserait à ses yeux. Je crois que c’est la peur d’un nouvel
échec dans mes séances qui m’a poussée à chanter malgré la difficulté que j’éprouvais à
le faire.
Mais dès que j’ai eu chanté quelques phrases, j’ai pu constater que j’accrochais
beaucoup plus l’attention de Mme C et j’ai réalisé que je me sentais beaucoup plus
détendue en chantant mes consignes et par conséquent beaucoup plus à l’écoute. Il est
probable que Mme C l’ai ressenti et par conséquent se soit elle aussi sentie plus à l’aise,
mieux écoutée.
Je pense également que le chant touche beaucoup plus Mme C, focalise davantage son
attention et la pousse davantage à s’exprimer.
J’envisage pour les semaines suivantes de continuer à utiliser le chant, pour mes
consignes et en règle générale pour communiquer avec Mme C.
Je pense garder la musique que j’ai utilisée pour marquer la fin des séances : c’est en
effet une musique à la mélodie simple que Mme C connaît bien à présent et qui sera
comme une balise, une limite renforçant le cadre.
Je pense également réutiliser la symphonie du nouveau monde pour ouvrir la séance
prochaine, car cet extrait a été source de beaucoup d’improvisations et pourra permettre
de rappeler ce qui a été fait la fois précédente.
J’ai conscience que l’utilisation de la marche nuptiale était un peu risquée. A vrai dire je
ne l’avais absolument pas prévue lors de ma préparation de la séance mais j’ai senti que
l’utilisation des musiques facilitait le jeu de Mme C. C’est l’une des premières
musiques du CD que j’étais en train d’utiliser et je me suis dit que la mélodie pouvait
être connue de Mme C ce qui pouvait être intéressant. Sur le moment je n’ai absolument
pas pensé à la connotation affective immense que pouvait avoir ce morceau, mais
apparemment il n’a pas provoqué de réactions particulières chez Mme C, bien que ce
soit une chose dont il est très difficile de s’assurer, si ce n’est le plaisir de chanter un
morceau apparemment connu.
43

Mardi 3 mars, 14h30.
Lorsque j’arrive au cantou Vivaldi, Mme C déambule dans le couloir. Je la retrouve et je
la salue, puis je lui explique que je viens pour la musicothérapie. Je lui demande si elle
veut venir, elle me dit oui et je lui prends le bras pour l’accompagner. Tandis que nous
marchons, elle se met à chantonner un air que je ne connais pas. Nous arrivons à la porte
du cantou. A ce moment-là j’ai lâché le bras de Mme C pour taper le code de la porte.
Lorsque je me retourne vers elle, elle s’est éloignée dans l’autre sens. Je l’appelle mais
elle part à toute vitesse à l’autre bout du cantou. Je vais la chercher, lui rappelle qu’elle
m’a dit quelques instants plus tôt qu’elle voulait venir en séance mais quand je lui
demande si elle veut toujours venir, elle me répond non. Je lui demande pourquoi mais
elle marmonne des choses incompréhensibles. J’insiste plusieurs fois, lui prenant le bras
pour l’encourager, mais elle se détourne chaque fois et s’éloigne. Ne souhaitant pas non
plus la forcer je finis par repartir.
Je me rends compte que même si cela fait longtemps à présent que je suis dans
l’établissement, je ne sais toujours pas bien comment me situer par rapport au refus des
résidents.
Certains membres du personnel ont tendance à emmener de force les résidents aux
activités quoi qu’ils en disent, mais c’est une chose qui me paraît excessive, surtout
lorsqu’il s’agit de séances de musicothérapie où il me paraît important que la personne
soit impliquée dans le projet, même si elle est très atteinte par la maladie et donc peu à
même de prendre des décisions.
D’autres soignants ont au contraire tendance à considérer qu’un non est un non, mais j’ai
appris à force de côtoyer les personnes âgées démentes qu’un non peut parfois cacher un
oui et être simplement une réponse automatique.
Je trouve néanmoins qu’il est très difficile de trouver le juste milieu et de savoir quand il
faut insister et pousser la personne et quand il faut s’arrêter.
Pour cette fois, je me suis permise d’insister car Mme C semblait de prime abord motivée
pour venir en séance. Le fait qu’elle se soit mise à fredonner un air tout en marchant à
mes côtés peut signifier qu’elle a vraiment compris de quoi il s’agissait et je considère ce
chant spontané comme un témoin encourageant que la musicothérapie et la relation par la
musique avec moi ont pour Mme C une importance suffisante pour qu’elle soit parvenue
à faire du lien entre la musique et ma présence. Pourtant, elle semblait réellement ne pas
souhaiter venir. Etait-ce simplement qu’elle ne se sentait pas motivée ce jour-là ? Peut-on
y voir une conséquence du fait que beaucoup de choses ont changé lors de la séance
précédente où Mme C s’est énormément impliquée, et ce refus révèlerait-il une peur des
choses qui pourraient ressortir dans les séances suivantes ?
44

Mardi 10 mars
Lorsque j’arrive à Hotelia, il y a une réunion du personnel dans la salle d’animation jusqu’à
15 h. Je monte sur le cantou mais j’apprends qu’à partir de 15 h, Mme C sera chez le
coiffeur. J’attends son retour, me proposant de décaler la séance d’une heure ou deux, mais
elle revient au moment du goûter, ce qui retarde encore la séance et la déstabilise
complètement dans ses habitudes. Quand enfin je lui propose de venir en séance vers
16h20, elle commence à venir avec moi mais à peine avons-nous fait quelques pas qu’elle
me repousse violemment du bras et repart dans le sens inverse pour aller s’asseoir.
Etrangement, ce jour-là, elle ne parle pas du tout, ce qui est rare chez elle.
Note : La dame de compagnie qui est déjà intervenue une fois est présente sur le cantou et
elle a essayé de s’en mêler. Peut-on faire un lien ? Par ailleurs, le fait que Mme C refuse de
venir alors que je propose la séance à une heure inhabituelle peut-il signifier que Mme C a
encore quelques repères dans le temps qu’elle tient à conserver ? Peut-on attribuer une
responsabilité à la musicothérapie dans tout cela ?
Séance 7
Mardi 17 mars, 14h50 : durée approximativement 25 minutes.
Aujourd’hui, tout se passe sans problème lorsque je vais chercher Mme C au cantou
Vivaldi. Elle est en train de déambuler du côté de la porte du cantou lorsque je lui dis
bonjour. Je lui propose d’aller en musicothérapie et elle accepte immédiatement, je lui
offre mon bras et elle le prend.
Les chaises sont disposées de la manière habituelle, avec le lecteur CD sur ma droite et
le piano derrière moi. En entrant, Mme C va directement s’assoir à sa place habituelle.
Je commence par chanter la petite chanson que j’avais improvisée la fois précédente
pour lui dire bonjour, une mélodie toute simple en do majeur que j’ai un peu élaborée et
dont les paroles sont : « Bonjour, Mme C. Bonjour Mme C. Nous sommes ici en
musicothérapie et tout ce qui se dira ici restera entre nous. »
Aujourd’hui encore, je m’efforcerai durant toute la séance de chanter la moindre de mes
paroles.
Pour commencer, je propose d’écouter une musique que nous avons déjà écoutée la fois
précédente et je dis que nous pouvons faire ce que nous voulons dessus, chanter, frapper
des mains…
Je diffuse la symphonie du nouveau monde et directement, elle dit très distinctement :
« Ah je me rappelle, je me rappelle ! » Et aussitôt après elle se met à chanter la mélodie.
Je me mets à chanter avec elle. Puis elle se met à frapper des mains, frappant seulement
trois temps sur quatre, marquant les temps forts de la musique par des coups plus forts.
Comme lors de la séance précédente, lorsque l’extrait se termine, je propose que nous
reprenions la musique sans le CD et je commence à chanter la mélodie. Elle me rejoint
aussitôt en chantant. Puis, elle reprend la mélodie quelques tons en-dessous, puis elle
cesse de chanter et se contente de marquer la pulsation en frappant dans ses mains, en
conservant le tempo du morceau. Je me mets sur cette pulsation à frapper dans mes
mains en suivant le rythme de la mélodie puis je commence à improviser sur sa
pulsation qu’elle maintient très régulière.
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Au bout d’un moment, elle se met à doubler la pulsation, tout en conservant
parfaitement le tempo. Je continue d’improviser sur cette nouvelle pulsation, parfois
reprenant le rythme de la mélodie du morceau, parfois improvisant totalement.
Je lui demande ensuite si elle souhaite réentendre le morceau et elle me répond
plusieurs choses que je ne comprends pas, parmi lesquelles je distingue les mots
« Puisque nous sommes seules… » et « écouter ». Elle me parle aussi de manger avec
moi, je lui réponds que je n’ai pas de quoi manger mais qu’ici pour communiquer j’ai de
la musique et elle répond : « Ah d’accord, bien sûr. »
Je diffuse à nouveau l’extrait et à nouveau, elle improvise dessus en frappant dans ses
mains et parfois elle chante. Je remarque que parfois, au lieu de frapper dans ses mains,
elle fait un rythme en les frottant l’une contre l’autre, une chose que je la vois faire pour
la première fois ; je reprends aussitôt ce geste. A la fin de l’extrait, elle respecte le fondu
en frappant dans ses mains de plus en plus doucement. Durant la dernière partie de
l’extrait, me souvenant du geste qu’elle avait inventé la fois précédente en tapant sur le
bras de son fauteuil, je le reprends et aussitôt, elle le reprend un peu, même si elle ne
reste pas longtemps dessus, aujourd’hui il ne semble pas lui plaire. Cela signifie qu’elle
est à l’écoute et qu’elle m’observe.
Une fois l’extrait terminé, c’est elle qui initie une improvisation en reprenant dans ses
mains un rythme trois impacts/un silence, trois impacts/un silence, un rythme que nous
avons déjà utilisé. Je me mets à improviser dessus et j’essaie d’introduire quelques
nouveaux gestes comme le frappé sur les cuisses, mais elle ne les reprend pas. Puis nous
nous mettons à accélérer peu à peu notre jeu jusqu’à un tempo très rapide, avant de nous
arrêter.
Je réalise que je suis incapable de dire si c’est elle ou moi qui a initié ce jeu
d’accélération, ce qui me laisse penser qu’à ce moment-là de la séance, nous devions
être en très étroite communication puisque l’intention de l’une a immédiatement été
perçue par l’autre.
A ce moment-là, je propose d’introduire le piano et je me lève pour m’installer devant
le clavier sur lequel je commence par reprendre le thème principal de la symphonie du
nouveau monde, avant de peu à peu improviser sur ce thème et en sortir.
Malgré la consigne que j’ai donnée, à savoir qu’elle pouvait jouer, chanter ou danser
comme elle le voulait sur la musique, Mme C ne bouge pas ; elle semble écouter. Au
bout d’un moment, elle se lève et essaie de rapprocher son fauteuil du piano. Je joue un
moment, puis je me retourne vers elle pour lui proposer à nouveau une improvisation
ensemble mais elle ne semble pas réceptive. Je demande alors si elle souhaite que je
rejoue du piano. Elle me répond quelque chose que je ne comprends pas, puis elle se
lève et se dirige vers le fond de la pièce. Je remarque qu’elle n’est pas dans la
déambulation comme lors des premières séances : elle se contente de s’éloigner un peu
puis de s’assoir plus loin. Je me retourne alors vers le piano et je reprends le thème de
Dvorak mais sur un rythme plus rapide et enlevé. Dès que je commence à jouer, Mme C
se rapproche à nouveau et se rassoit sur son fauteuil habituel.
Lorsque j’arrête de jouer, à nouveau elle se lève et repart vers le fond de la pièce. Je me
lève, je me tourne vers elle et je l’appelle en chantant son nom : immédiatement, elle se
retourne et me regarde. Mais je me rends compte que je n’arrive plus vraiment à capter
son attention. J’essaie d’engager une nouvelle improvisation mais elle se détourne
aussitôt.
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J’annonce alors la fin de la séance et je me mets à fredonner la « musique de la fin ».
Elle ne semble pas me prêter attention. Alors, je diffuse la musique en question et
aussitôt, Mme C revient s’assoir à sa place habituelle et se met à frapper dans ses mains.
Je lui chante les paroles, que j’ai également un peu améliorées : « Cette musique c’est,
cette musique c’est, cette musique c’est la musique de la fin. On se revoit ici la semaine
prochaine, on se revoit ici mardi prochain. »
Lorsque la musique se termine, Mme C se lève et va s’assoir plus loin dans la salle.
Lorsque je m’approche d’elle, elle se décale d’un fauteuil. Ce pourrait être pour
s’éloigner de moi ou pour me laisser une place à côté d’elle, c’est difficile à interpréter.
Je m’assois malgré tout sur la place qu’elle vient de libérer et je lui demande comment
elle a vécu cette séance. Elle est étrangement silencieuse, elle a la tête baissée et je
ressens qu’elle ne se sent pas comme d’habitude. J’ai totalement conscience qu’il s’agit
purement d’un ressenti qui n’a rien d’objectif et qu’il est uniquement le fruit d’une
interprétation néanmoins je lui en fais part. Je lui dis que je la sens étrange et je lui
demande ce qu’elle ressent en ce moment. Elle baragouine quelque chose de totalement
incompréhensible alors je tente :
« Vous vous sentez triste ?
-Non.
-Vous vous sentez mélancolique ? »
Elle répond un « Mmm » que je ne pourrais ni qualifier de oui, ni de non.
« Vous vous sentez heureuse ? »
Cette fois elle ne répond rien et se lève pour aller s’asseoir plus loin. Je m’approche
d’elle et je lui dis que si elle a envie de parler, elle peut. Elle marmonne des choses que
je n’arrive pas à comprendre, je tente de répéter ce qu’elle me dit en demandant des
explications, mais elle ne répond rien, puis elle se lève et se dirige vers la porte.
Je la rejoins, je lui dis que la séance est terminée et que je la raccompagne, mais à
nouveau elle se détourne et retourne au fond de la pièce. Une nouvelle fois j’explique
que la séance est terminé et cette fois, elle va jusqu’à la porte que j’ouvre et elle sort.
Quand je lui dis que je la raccompagne chez elle, elle demande « Où ça ? » et je lui
explique où se trouve le cantou Vivaldi. C’est la première fois qu’elle me demande où
je la ramène.
47

Bilan
Cette séance me conforte dans le fait qu’il y a une réelle évolution de Mme C depuis le
début de la prise en soin. La séance précédente n’était pas un hasard puisque je retrouve
cette même communication lors de cette séance. Le choix de reprendre la symphonie du
nouveau monde me paraît avoir été judicieux car il a une nouvelle fois été source de
nombreuses improvisations et jeux et j’envisage d’introduire de nouvelles musiques lors
des prochaines séances.
J’ai vraiment senti à la fin de la séance que Mme C avait besoin d’exprimer des choses
et j’ai le sentiment de ne pas lui offrir dans les séances suffisamment de possibilités de
s’exprimer. Je sens que le chant serait un bon moyen mais je ne sais pas trop comment
l’amener à chanter davantage, à improviser avec sa voix.
De même, elle semble captivée par l’écoute du piano et je pense intégrer à nouveau des
moments où je joue du piano dans les prochaines séances. Un problème technique se
pose : le piano est situé dans un renfoncement et je trouve cela gênant de tourner le dos
à Mme C lorsque je joue.
Dans l’ensemble, j’ai l’impression que l’attention de Mme C se capte beaucoup plus
facilement et pour une durée beaucoup plus longue qu’auparavant depuis ces deux
dernières séances. Sans compter la fin de la séance un peu particulière, il y a eu vingt
minutes où j’ai eu l’attention pleine et entière, du moins en apparence, de Mme C.
Durant ces vingt minutes, elle était impliquée dans la relation au travers du chant, des
percussions corporelles et même des déplacements.
J’ai en effet le sentiment que ses déplacements dans cette dernière séance ne
ressemblent pas à sa manière coutumière de déambuler liée à la maladie. En effet, il
semble qu’elle utilise le fait de se déplacer et de changer de siège comme un jeu, voire
un moyen de s’exprimer. Cela se voit par exemple dans le moment où je joue du piano,
où elle se déplace dès que j’arrête de jouer et où elle revient dès que je reprends. C’est
un peu comme si elle exprimait le fait qu’elle prend plaisir à écouter la musique et
qu’elle ne souhaite pas qu’elle s’arrête, voire qu’elle souhaite être en communication
avec moi quand je joue de la musique mais pas par la parole.
On retrouve également cette utilisation des déplacements dans la communication
lorsque je lui pose des questions sur son ressenti où elle se déplace dès que je pose une
question qui ne semble pas lui convenir : « Vous vous sentez heureuse ? » Bien sûr, le
fait d’être partie à ce moment-là de notre conversation peut être un hasard, néanmoins,
le fait qu’elle s’éloigne juste après ces paroles me paraît tout de même important à
noter, ma question étant choisie pour la faire réagir, étant donné qu’elle n’avait
effectivement pas particulièrement l’air de se sentir heureuse. De même, lorsque je lui
annonce que la séance est terminée, elle s’éloigne à nouveau le plus loin possible de
moi. Souhaite-t-elle m’indiquer qu’elle aurait voulu que cela dure plus longtemps ?
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Mardi 24 mars
A cause d’un emploi du temps bousculé, je dois prendre Mme C plus tard que
d’habitude, après seize heures. Lorsque j’arrive au cantou, une activité est proposée, de
découpage et de dessin. Je propose la musicothérapie à Mme C qui me répond qu’il
n’est pas encore l’heure. J’explique qu’exceptionnellement il est plus tard que
d’habitude mais que je lui propose tout de même de la prendre en séance, mais malgré
tout elle refuse de venir. Lorsque je lui donne rendez-vous pour le mardi suivant, elle
me dit que « Oui, c’est intéressant. »
Une nouvelle fois, on retrouve un refus quand je change d’horaire,
Et cette fois la raison du refus est clairement exprimée, « Il n’est pas encore l’heure. »
même si la réalité est qu’il est au contraire trop tard, l’idée est clairement exprimée, ce
n’est pas le moment et Mme C le sait. Cela me conforte dans le fait que, même avec une
mémoire très déficiente et de gros problèmes dans l’orientation temporo-spatiale, Mme
C a parfaitement intégré le cadre que j’ai tenté de mettre en place pour que mes séances
soient basées sur quelque chose de solide et de sécurisant.
Séance 8
Mercredi premier avril, 14h30 : durée 30 minutes.
Notes :
- La veille, une conférence m’empêche d’assurer ma séance que j’ai donc décalée
au lendemain même heure après avoir prévenu Mme C.
- La séance a même duré plus qu’une demi-heure, trente minutes étant le temps
compris entre notre entrée dans la salle et la fin de la musique de fin de séance.
Nous avons parlé ensuite mais je n’ai pas pensé à regarder l’heure à laquelle
nous avons quitté la pièce.
Lorsque j’arrive sur le cantou, Mme C est en train de se faire couper les ongles par deux
jeunes filles, ce sont elles qui l’escortent jusqu’ à la porte du cantou lorsque je
l’emmène en musicothérapie. Elle semble beaucoup aimer les deux jeunes filles et elle
vient très facilement.
Lorsque nous entrons dans la salle de musicothérapie, Mme C va directement s’assoir,
mais au lieu de sa place habituelle, elle choisit un fauteuil à l’autre bout de la pièce. Je
m’approche et m’assois près d’elle puis je commence à chanter la petite chanson de
début de séance. La première fois, Mme C semble totalement sans réaction. Je la chante
à nouveau en m’accompagnant cette fois en frappant dans mes mains. Cette fois, Mme
C m’imite aussitôt en frappant elle aussi dans ses mains. A partir d’une pulsation
commencée pour accompagner la chanson de début de séance, une improvisation se
lance. Nous explorons plusieurs rythmes différents, et aujourd’hui, c’est beaucoup elle
qui initie et moi qui suis. Elle commence par proposer une pulsation assez rapide, noire
à 120 à peu près, sur laquelle j’improvise. Elle joue avec l’intensité, tapant de plus en
plus fort, puis à nouveau très doux. Elle reprend parfois des éléments de mon
improvisation qu’elle intègre au milieu de sa pulsation.
Elle enchaîne avec un rythme 5 croches 3 demi-soupirs, un rythme déjà utilisé lors des
premières séances sur lequel elle joue un moment avec moi.
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Puis elle retourne sur un rythme plus lent, noire à 60 à peu près. J’improvise toujours
lorsqu’elle joue une pulsation, les rôles s’inversant parfois. Elle reprend ensuite un
rythme très rapide, encore plus que le premier (la noire à 150 à peu près.)
Un nouveau rythme compliqué s’installe ensuite, un rythme beaucoup plus lent, où elle
marque une pulsation régulière, laissant un silence en fin de mesure, et où je joue à
contretemps, la rejoignant seulement sur le dernier temps.
Je mets finalement fin à l’improvisation et je propose d’écouter un premier extrait
musical et de jouer quand on veut et comme on veut dessus.
Note : lors de cette séance comme lors des deux précédentes je chante toutes mes
paroles et mes consignes.
Je diffuse, une nouvelle fois, la symphonie du nouveau monde. Le lecteur de CD se
trouvant à son endroit habituel, il est à l’opposé de là où s’est assise Mme C. Lorsque la
musique commence, elle ne bouge pas de là où elle est mais elle se met aussitôt à
frapper dans ses mains. Elle commence par marquer la pulsation, puis elle marque le
rythme de la mélodie. Aujourd’hui, elle ne chante pas. Je me joins à elle pour
accompagner la musique. Je constate qu’elle fait des variations qu’elle ne faisait pas
lors des séances précédentes, qu’elle improvise un peu plus sur la musique. Je reprends
ensuite sur la fin de l’extrait le geste de taper sur le bras du fauteuil, geste qu’elle
reprend aussitôt mais qu’elle modifie : alors que précédemment nous tapions avec le
plat de la main, elle se met à taper avec les ongles.
Lorsque l’extrait se termine, nous repartons aussitôt dans une improvisation, en utilisant
le bras du fauteuil comme percussion. Je remarque que lorsque j’essaie de proposer de
nouvelles rythmiques, Mme C ne les reprend jamais, elle est pourtant attentive à ce que
je fais puisqu’elle reprend mes gestes quand j’en propose de nouveaux.
Une nouvelle fois, elle fait preuve de beaucoup d’inventivité dans ses rythmes, elle ne
se laisse pas perturber lorsque j’improvise par-dessus mais elle s’adapte à ce que je joue
puisqu’elle reprend parfois des éléments de mon improvisation pour les intégrer à sa
rythmique.
Nous terminons cette improvisation de manière étonnante puisqu’en tapant toutes deux
exactement ensemble un coup plus fort que les autres sur notre bras de fauteuil sans
s’être donné le moindre signal préalable, ce qui me porte à penser que nous sommes à
ce moment-là de la séance très complices dans notre improvisation et donc dans la
communication.
Je me dirige alors vers le piano en proposant à Mme C de m’accompagner comme elle
le souhaite, en frappant dans ses mains ou en chantant, ou les deux. Le piano se trouvant
du côté opposé de la pièce, je lui dis qu’elle peut me suivre jusque là-bas si elle le
souhaite mais elle n’en fait rien.
Comme d’habitude, je commence par reprendre le thème de la symphonie du nouveau
monde avant de m’en éloigner peu à peu pour aboutir à une improvisation bien
différente du thème original. Je m’efforce de reprendre des éléments de mon
improvisation de la semaine précédente et d’en ajouter de nouveaux. Mme C reste où
elle est mais je l’entends se déplacer derrière moi. Toutefois, chaque fois que je me
retourne tout en continuant à jouer, elle se réinstalle bien correctement dans son fauteuil
comme si elle n’avait pas bougé. Cela me rappelle son jeu de déplacements de la séance
précédente que j’ai envie de tenter d’exploiter.
J’essaie de jouer longtemps sans me retourner pour voir ce qu’elle va faire mais à ce
moment-là, elle ne bouge plus du tout de là où elle est. Par ailleurs, à aucun moment
elle ne chante ni ne frappe dans ses mains.
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C’est seulement lorsque je cesse de jouer qu’elle se met à applaudir. Je laisse un long
moment de silence, puis je reprends mon jeu sur le piano, avec un thème à deux temps
très enlevé et rapide. Cette fois, elle se met aussitôt à frapper des mains en rythme mais
cela ne dure qu’une poignée de secondes. Pour attirer à nouveau son attention, je me
mets à chanter son nom sur la musique que je suis en train de jouer. Mais je sens que
son attention s’est complètement décrochée cette fois et je finis par me lever et par me
rapprocher d’elle, tout en continuant de chanter son nom. J’essaie de poursuivre mon
chant, de reprendre des rythmiques que nous avons utilisé dans le début de la séance en
frappant dans mes mains, mais je n’ai plus du tout l’attention de Mme C.
Je propose alors une seconde musique pour que nous improvisions dessus. Je diffuse
l’extrait de Gjallarhorn (Voir CD en annexe piste 8), mais Mme C est totalement
déconcentrée et je n’arrive plus à ramener son attention sur la musique. Cette fois, elle
se lève, elle fouille sur une table, récupère des papiers et se met à jouer avec, à en faire
un rouleau, à le déchirer, à cacher le rouleau derrière elle, à le ressortir…Je lui rappelle
qu’elle ne doit pas abîmer ce qui se trouve dans cette salle et je lui demande de reposer
le papier. Elle le pose effectivement, mais elle le reprend aussitôt.
Pendant ce temps, la musique s’est terminée. Je reprends à la voix des éléments
mélodiques de la symphonie du nouveau monde et de Gjallarhorn pour lui rappeler les
règles que j’énonce en début de séance et lui demander de reposer le papier.
Ce manège dure longtemps, je décide finalement de mettre un terme à la séance. Je le
lui annonce puis je vais diffuser la « musique de la fin » en espérant qu’elle rappellera le
cadre à Mme C.
J’ignore si c’est à cause de la musique, mais Mme C se dirige effectivement vers la
porte pour sortir. Je vais lui dire que la musique n’est pas terminée, que la séance sera
terminée à la fin de la musique, elle retourne donc s’assoir tout au fond de la pièce.
Lorsque la musique se termine, je la rejoins et je lui annonce que cette fois la séance est
finie. Je lui demande si elle a envie de me dire comment elle l’a vécue, elle marmonne
quelque chose que j’ai énormément de mal à comprendre. De manière générale, au
cours de cette séance, j’ai trouvé qu’elle était verbalement beaucoup moins
compréhensible que d’habitude. Elle semble bougonne, contrariée. Je lui demande si
quelque chose la contrarie, elle me répond « oui ». Je lui dis qu’elle peut en parler si elle
le souhaite, j’essaie de lui poser des questions, de laisser des silences pour l’écouter,
mais elle ne dit rien de plus. Finalement, elle se lève, je l’escorte jusqu’à la porte et
nous sortons.
Arrivées à l’ascenseur, alors qu’elle a marché volontiers jusque-là, elle refuse de
monter, faisant barrage de son bras pour m’empêcher de la conduire à l’intérieur de la
cabine. J’essaie de lui expliquer qu’elle doit rentrer au cantou, de trouver des mots
différents pour lui dire où nous allons mais les mots ne suffisent plus, je suis obligée de
l’entraîner à l’intérieur de l’ascenseur. Je lui demande si quelque chose l’angoisse, je lui
demande pourquoi elle ne veut pas rentrer mais je n’obtiens aucune réponse.
Une fois à l’étage, elle sort vivement de l’ascenseur et file dans le couloir du côté
opposé au cantou Vivaldi. Je la rattrape et je commence à essayer de la ramener du côté
du cantou, lui expliquant qu’elle doit à présent rentrer, qu’elle ressortira plus tard mais
qu’il est temps qu’elle rentre, mais cette fois, elle devient violente.
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Elle me pousse furieusement, je suis d’ailleurs étonnée de sa force. Je n’osais pas
employer ma propre force, essayant de parler, mais je m’y vois contrainte, je suis
obligée de lutter contre elle et de l’entraîner contre son gré jusqu’au cantou où j’ai
toutes les peines du monde à la faire entrer. Durant tout ce temps, elle est très en colère,
me dit de lui ficher la paix, m’insulte…
Bilan
Dès le début de la séance, Mme C est contrariée, perturbée, comme le montre le fait
qu’elle va s’assoir à l’autre bout de la salle de musicothérapie alors que lors des deux
séances précédentes, elle est directement allée s’assoir à sa place habituelle.
Pourtant, la communication s’établit bien entre elle et moi, elle parvient à exprimer des
choses au travers de la musique, elle se montre même particulièrement productive et fait
appel à son imagination. Mais elle semble aujourd’hui ne pas arriver ou ne pas vouloir
focaliser son attention sur la musique et ce qui se passe durant la séance.
J’avais comme projet d’introduire dans chaque séance une nouvelle musique qui
deviendrait la musique d’introduction de la séance suivante pour faire davantage de lien,
c’était mon but en diffusant la musique de Gjallarhorn, mais avec ce qu’il s’est passé
durant cette séance je ne sais pas si je dois conserver ce projet. Néanmoins, je pense
qu’il est intéressant pour conserver une cohésion entre les séances.
Mme C a clairement exprimé une contrariété au cours de cette séance, même si je ne
suis pas parvenue à en savoir plus, et je me demande si cette contrariété ne vient pas de
quelque chose qui se serait passé au sein du cantou, au vu de la scène qui s’est produite
sur le chemin du retour où Mme C a exprimé qu’elle n’avait absolument pas envie de
rentrer.
Comme la fois où un aide soignant a obligé Mme C à descendre pour ma séance, je me
rends compte que j’ai très mal vécu cette scène de lutte avec Mme C. J’ai eu le
sentiment d’être particulièrement maladroite, je me sens coupable d’avoir été obligée de
recourir à la force et de n’avoir rien pu faire par d’autres moyens. J’ai beaucoup de
difficultés avec ce concept d’enfermement, avec cette privation de liberté, même si je
sais que c’est pour le bien des résidents et je sens que cet épisode m’a secouée.
Je me rends également compte que lorsque j’ai décidé de diffuser la musique de fin de
séance, il n’y a pas eu de progression logique vers cette fin. Je l’ai décidée
arbitrairement parce que je me sentais impuissante face à la situation et j’ai le sentiment
que la séance à un peu échappé à mon contrôle.
De manière générale, Mme C ressentait une certaine contrariété, peut-être même une
peur ou une colère, comme le révèle son refus de rentrer dans le cantou. Cette séance lui
a peut-être permis de l’exprimer davantage qu’elle ne peut le faire dans son milieu
habituel mais il me semble que la musicothérapie devrait davantage pouvoir lui
permettre d’évacuer d’une manière ou d’une autre ses ressentis, c’est ce que je
souhaiterais travailler lors des prochaines séances.
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Séance 9
Mardi 21 avril, 14h30 : durée 20 minutes.
Objectif : Après ces deux semaines de vacances sans séances, il faut permettre à
Mme C de retrouver ses repères. Pour cela, je compte reprendre mon principe de
faire entendre à Mme C une musique diffusée lors de la séance précédente et d’en
introduire une nouvelle. Je me pose la question de rediffuser une nouvelle fois la
symphonie du nouveau monde, qui a été écoutée plusieurs fois déjà et qui pousse
facilement Mme C au jeu et à l’improvisation. En effet, lorsque j’ai introduit la
musique de Gjallarhorn lors de la séance précédente, Mme C ne semblait pas du tout
à l’écoute et je me demande si le fait de la rediffuser produira un rappel. Néanmoins,
je crois que le fait qu’elle ne semblait pas attentive ne signifie pas forcément qu’elle
n’a pas entendu et je décide de n’utiliser Dvorak que s’il devient vraiment
nécessaire de recapter l’attention de Mme C ou de la sécuriser. Aujourd’hui, je
choisis d’introduire la marche pour la cérémonie des turcs de Lully pour sa mélodie
simple et qui se répète beaucoup (CD en annexe piste 9).
Je découvre à mon retour des vacances que Mme C a changé de cantou pendant mon
absence. Elle est désormais au cantou Mozart, au rez-de-chaussée. Je m’en étonne
particulièrement car c’est une personne terriblement désorientée, qui a très peu de
repères et je crains que ce changement la perturbe complètement. De plus, ce
changement s’est fait juste après mon départ en vacances, ce qui signifie que deux
semaines sont passées sans séances pour pouvoir exprimer les sentiments que ce
chamboulement lui inspire. J’apprends que c’est à la demande de son mari que ce
changement a été fait, car le prix de l’ancienne chambre de Mme C était trop élevé pour
lui, mais j’ignore si Mme C a eu connaissance que la décision venait de lui.
Lorsque j’arrive au cantou Mozart, je trouve Mme C sur la terrasse, entourée de deux
compagnes de son ancien cantou qui sont venues la voir. Dès qu’elle me voit, Mme C
vient vers moi, prend mon visage dans ses mains et dépose trois bises sur mes joues,
une chose qui n’était jamais arrivée auparavant. Je lui demande si elle souhaite venir en
séance de musicothérapie, elle me dit oui et c’est elle qui prend spontanément mon bras,
encore une chose qu’elle n’a jamais faite jusqu’à présent.
Lorsque nous arrivons devant la porte de sortie du cantou, je cherche de la main le
boîtier pour le code, mais comme je connais mal le cantou, je cherche du mauvais côté
et c’est Mme C qui me dit : « C’est de l’autre côté. » De manière générale, elle parle
plus qu’à l’ordinaire et elle est davantage présente, par exemple quand je lui demande si
cela lui convient de descendre les quelques marches qui se trouvent à la sortie du cantou
ou si elle préfère le plan incliné et où elle me répond très clairement.
Une fois dans la salle de musicothérapie, c’est elle qui m’entraîne par le bras vers nos
places habituelles. Elle semble également plus calme qu’à l’ordinaire. Je commence la
séance en lui parlant de son déménagement, je lui demande comment elle se sent. Elle
me répond qu’elle se sent bien, même s’il y a des … (Je ne parviens pas à saisir le
terme, mais apparemment, il y a quelque chose qui la contrarie), mais elle me répète
qu’elle est bien.
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Je me mets à chanter le chant du bonjour et presque aussitôt, elle se met à chanter la
mélodie avec moi, c’est la première fois qu’elle le fait. Quand j’ai terminé, elle me dit :
« C’est bien calé. » Il est vrai que cette chanson est très carrée, tombe bien sur les temps
et a une fin dont la mélodie est assez prévisible.
J’explique ensuite que je vais diffuser une musique que nous avons déjà entendue et que
nous pouvons jouer, chanter et même danser comme nous voulons sur la musique. Je
remarque que, comme c’est déjà arrivé plusieurs fois, quand je chante mes consignes,
elle rit légèrement.
Mme C écoute un petit moment la musique, puis elle se met à battre la pulsation dans
ses mains, je la suis. Au bout d’un moment, elle double le rythme, puis elle reprend un
peu plus tard sa pulsation simple. Par contre elle n’improvise pas. A un moment, elle
s’arrête de frapper dans ses mains et elle me demande si je vais danser ce soir. Je lui
réponds en lui demandant si elle, elle a envie de danser. Elle me dit qu’elle ne saurait
pas. Je lui dis qu’elle peu toujours essayer et je me lève pour l’encourager, mais elle
reste assise.
Lorsque la musique se termine, je lui demande si cela lui a fait penser à la danse, elle
me répond que oui. Je lui demande si elle dansait quand elle était plus jeune, elle me dit
que oui, puis elle me parle du fait qu’elle connaissait des danses, elle parle de plus
simples et de plus compliquées, je ne comprends pas entièrement tout mais je suis
étonnée de me rendre compte qu’elle est resté dans le sujet de ma question pour sa
réponse, une chose qu’elle n’arrive presque jamais à faire à son stade de la maladie.
Je propose que nous reprenions ce que nous venons d’écouter, mais sans la musique et
elle dit : « Sans la musique ? C’est beaucoup plus intéressant. » Je me mets donc à
chanter la mélodie et elle se met à frapper des mains en rythme. Nous continuons ainsi
un moment, puis je cesse de chanter et nous nous lançons dans une improvisation en
frappant dans nos mains. Je remarque que Mme C est particulièrement à l’écoute
aujourd’hui, car dès que je propose un changement de rythme, elle me suit et s’adapte
facilement. Mais c’est souvent elle qui propose des changements et des nouveautés au
cours de l’improvisation. Nous passons d’un rythme binaire à un rythme ternaire, une
sorte d’imitation d’un pas de cheval, puis nous retournons sur quelque chose de binaire.
Nous jouons sur des accélérations du rythme, j’essaie aussi de jouer à contre-temps
d’elle et elle parvient à conserver parfaitement le rythme.
Je propose ensuite de jouer du piano et qu’elle m’accompagne comme elle le souhaite.
Je reprends au clavier la musique de Gjallarhorn et aussitôt, elle se met à frapper dans
ses mains, mais comme durant le morceau et contrairement à ce qui s’est passé juste
avant, elle n’improvise pas du tout. Au bout d’un moment, elle s’arrête complètement.
Je joue encore un moment, mais je sens son attention se perdre, elle finit par se lever
pour aller s’assoir au fond de la pièce. Je me retourne alors vers elle et je chante, sur la
musique que j’étais en train de jouer : « Mme C, revenez avec moi. » Je répète plusieurs
fois ce chant et elle finit par se lever et venir me rejoindre, une chose qui est
habituellement impossible à obtenir d’elle quand elle a décidé de quitter notre coin.
Je diffuse alors la musique de Lully en donnant toujours la même consigne de jouer et
de chanter comme on veut quand on veut. Mais elle reste silencieuse et immobile et sur
la fin de la musique, elle se lève et se dirige vers la porte. Je lui demande si elle souhaite
partir, elle me répond que oui et je lui rappelle que la séance n’est terminée que quand
nous avons entendu la musique de la fin, musique que je chante pour illustrer mes
paroles. Elle retourne alors aussitôt s’asseoir.
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Comme elle a exprimé le souhait de partir, je diffuse alors la musique de la fin en
chantant les paroles par-dessus. Elle se met aussitôt à frapper des mains et je lui propose
un nouveau rythme en alternant le frappé dans les mains et le frappé du pied par terre.
Elle reprend mon geste de frapper avec le pied et cela semble lui plaire car elle le garde.
Au bout d’un moment elle se lève mais ce n’est pas pour partir : elle se met à esquisser
des sortes de pas de danse, se balançant d’un pied sur l’autre, tapant du pied, avançant
ou reculant l’un de ses pieds. J’essaie de l’imiter du mieux que je peux et nous dansons
ainsi ensemble un moment, mais, à cet instant, quelqu’un du personnel soignant entre
dans la salle sans frapper pour faire visiter une famille. Il ressort aussitôt mais Mme C a
visiblement été perturbée par cette intrusion, elle s’est réfugiée au fond de la pièce et ne
veut plus revenir. Je m’approche d’elle et je lui dis alors que la séance est terminée et
que je vais la raccompagner au cantou. C’est alors qu’elle me dit clairement : « Je ne
veux pas y aller. »
Je lui demande pourquoi, elle marmonne quelque chose d’incompréhensible, se lève et
va s’asseoir un peu plus loin. Je lui demande si elle ne veut pas m’en parler, elle me
répond non. Puis elle se lève et se met à marcher vers la porte en tirant derrière elle la
chaise sur laquelle elle était assise. Je lui explique qu’elle ne peut pas emporter la chaise
hors de la salle, qu’il y en aura d’autres pour elle, et aussitôt elle pose la chaise et
s’assoit dessus. Je demande : « Vous ne voulez pas y aller ? »
Elle répond à nouveau que non. Je me risque à demander pourquoi et elle me répond :
« Parce que c’était bien. » Je demande si c’est la musicothérapie qui était bien et elle
répond : « Oui, c’était bien ici. »
C’est finalement elle qui se lève d’elle-même après cet échange, et je la raccompagne au
cantou.
Bilan
J’ai le sentiment qu’il s’est passé beaucoup de choses durant cette séance et que je n’en
ai peut-être pas suffisamment profité, j’ai l’impression de n’avoir pas vu un grand
nombre de choses.
Il m’apparaît tout d’abord que l’intégration de Mme C au nouveau cantou s’est plutôt
bien passée, au regard de son humeur et de sa motivation. Elle semble avoir trouvé
quelques repères, peut-être aussi le fait de pouvoir sortir sur la terrasse (le cantou
Vivaldi n’a pas de terrasse et n’offre aucune possibilité de sortir) lui fait du bien. J’ai
néanmoins le sentiment que quelque chose la contrarie et ce sentiment sera renforcé par
des choses qui ressortiront lors de la séance suivante.
J’ignore si Mme C m’a reconnue quand je suis arrivée sur le cantou, mais le fait qu’elle
vienne m’embrasser témoigne tout du moins du fait qu’elle m’a perçue comme un
élément positif pour elle. En effet, Mme C a un caractère très tranché et, même si on ne
comprend pas toujours ses motivations, elle se montre très démonstrative, autant envers
ce qu’elle perçoit comme bon pour elle qu’envers ce qu’elle perçoit comme hostile.
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Bilan (suite)
Je peux émettre l’hypothèse que la relation thérapeutique qui s’est maintenant
clairement établie entre nous est importante pour elle et que ces bises était un moyen de
l’exprimer.
En ce qui concerne la séance, je remarque que Mme C trouve de plus en plus de moyens
de s’exprimer. Je réalise notamment que ses déplacement, loin d’être toujours
simplement dus au fait qu’elle ne parvient pas à maintenir son attention, sont aussi
souvent des moyens d’exprimer des choses, en particulier, le refus de parler, le non,
qu’elle exprime en s’éloignant. L’apparition de la danse est également un signe que la
musique lui permet d’explorer de nouveaux moyens de communiquer. Je pense qu’il
peut être bien de tenter de l’encourager à s’exprimer dans cette voie. Je suis
profondément frustrée par l’interruption qui a empêché Mme C de continuer de danser.
Je réalise que je n’ai mis aucun mot sur cet incident et que c’est probablement une
erreur. J’ai fait comme si de rien n’était alors que cette interruption a visiblement
contrarié Mme C.
Enfin, je constate que Mme C s’exprime de plus en plus même à travers la parole, ce qui
va à l’encontre de ce que semblent dire la plupart des membres de l’équipe soignante
qui m’ont dit à mon retour de vacances que Mme C était de plus en plus difficile à
comprendre. C’est aujourd’hui la première fois qu’elle exprime verbalement le fait
d’avoir éprouvé du plaisir à être en séance. Le fait de traîner la chaise derrière elle
pourrait être interprété comme un moyen de signifier qu’elle aimerait rester encore, ou
peut-être un désir d’emporter quelque chose de la séance de musicothérapie dans son
environnement quotidien. Je réalise que j’ai écourté la séance parce que Mme C se
dirigeait vers la porte et qu’elle a répondu oui quand je lui ai demandé si elle souhaitait
partir mais que ce oui ne signifiait pas nécessairement un réel oui à ma question, et je
me demande si je n’aurais pas dû prolonger quelque peu la séance.
Quelques jours plus tard, je me renseigne davantage sur le changement de chambre de
Mme C. J’apprends alors, contrairement à ce que j’avais imaginé tout d’abord, que son
intégration au cantou Mozart s’est très mal passée. Elle s’est trouvée confrontée à une
perte totale de repères, elle était complètement perdue et très angoissée. Elle s’est
retrouvée sans aucun lien avec qui que ce soit et elle s’est mise à ne plus reconnaître
personne, même les résidents et les soignants de son ancien cantou.
Il me faut alors revoir mes interprétations de certaines de ses réactions. Le fait qu’elle
m’ait fait la bise et ait montré tant d’empressement à venir en musicothérapie ne
témoignait probablement pas d’une humeur meilleure que d’habitude comme je l’avais
d’abord supposé, mais au contraire de la reconnaissance d’un élément fixe, connu dans
cet univers sans repère dans lequel elle se trouvait totalement perdue et démunie. Cela
explique également davantage le désir d’emporter avec elle une chaise, ce qui symbolise
un élément de la salle de musicothérapie, ce lieu où elle se sent écoutée et objet
d’attention, un lieu qui contrairement à tout le reste, n’a pas changé.
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Séance 10
Mardi 28 avril, 14h50 : durée 15 minutes.
Objectifs : Je n’ai pas d’objectifs précis pour cette séance si ce n’est celui de
poursuivre dans la continuité des séances précédentes en reprenant le même schéma.
Mme C a exprimé des choses qu’elle n’avait jamais extériorisées auparavant, je
voudrais tenter d’essayer de continuer sur cette voie. Je souhaiterais essayer de
réintroduire la danse, nouveau moyen d’expression apparu lors de la séance
précédente.
En début de séance je diffuserai la marche pour la cérémonie des turcs entendue lors
de la séance précédente et la musique que j’introduirai aujourd’hui est la petite
musique de nuit de Mozart, musique plutôt simple et dynamique, dans un style très
différent de Lully (CD en annexe piste 10).
Comme la semaine précédente, Mme C semble motivée lorsque je viens la chercher.
Elle prend directement mon bras et elle commence d’elle-même à se diriger vers la
sortie alors que je suis encore en train de parler à une aide soignante. Lorsque nous
arrivons devant la salle de musicothérapie, elle me lâche le bras pour pouvoir entrer
avant moi dans la pièce puis, une fois à l’intérieur, elle me reprend le bras pour
m’entraîner vers les chaises.
Nous commençons par parler un peu, elle parle beaucoup aujourd’hui mais j’ai
énormément de mal à la comprendre, elle invente beaucoup de mots.
Je chante ensuite la chanson de début de séance. Elle semble écouter mais elle ne réagit
pas. Puis elle se lève et part au fond de la salle. Je la rappelle en chantant mais elle ne
revient pas. J’explique alors que nous allons écouter une musique que nous avons déjà
entendue la semaine précédente et je donne toujours la même consigne. Dès que la
musique commence, Mme C commence à revenir vers moi, en marchant en rythme en
faisant de petits pas dansés. Je vais à sa rencontre en l’imitant et nous regagnons nos
places, toujours en faisant des sortes de petits pas de danse. Elle se met à frapper des
mains en rythme, puis, suivant le rythme de la musique, elle fait un rythme plus
complexe : deux coups, un silence, trois coups, un silence. Elle joue aussi sur l’intensité
de ses coups. J’improvise avec elle.
Puis elle dit quelque chose que je ne comprends pas totalement dans lequel il est
question de quelqu’un qui est parti. Lorsque la musique se termine, j’essaie de
poursuivre l’improvisation mais elle s’arrête. Elle me dit que ça gratte, laisse un silence,
puis elle me demande : « Il vous manque ? » Y voyant un lien avec ce qu’elle a dit
pendant la musique sur quelqu’un qui serait parti, je lui demande si à elle, quelqu’un lui
manque, mais elle ignore la question. Elle me demande alors combien ça fait en francs,
je me demande si elle parle de la séance, si elle se demande si c’est payant. Je réponds
alors que les séances de musicothérapie sont gratuites pour elle, qu’elles sont comprises
dans les services offerts par la maison de retraite. Elle me parle ensuite de gens qui sont
contents de quelque chose, mais elle semble contrariée. Je lui demande alors si elle, elle
n’est pas contente. A ce moment elle se lève vivement et se dirige vers la porte qu’elle
ouvre. Dans la salle d’animation, il y a deux portes, celle qui donne sur le hall et une
autre qui donne sur une pièce de rangement. Etrangement, lors de cette séance et pour la
première fois, c’est la deuxième porte, celle qui ne donne pas sur le hall, qu’elle va
essayer de franchir chaque fois qu’elle va vouloir partir.
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Je la rejoins et je lui demande si elle souhaite déjà partir, sur quoi elle retourne s’asseoir
sans dire un mot. Elle choisit une chaise qui n’est pas celle qu’elle occupait auparavant
et la tourne de sorte qu’elle tourne le dos à la partie de la pièce où nous faisons les
séances. A nouveau, je lui demande si elle souhaite partir ou rester, elle me répond
rester. Je lui demande alors pourquoi, si elle souhaite rester, elle sort de la salle. Elle
semble contrariée par la question, grogne quelque chose et à nouveau, elle se lève et va
ouvrir la deuxième porte puis elle sort de la salle. Je lui explique que c’est l’autre porte
pour sortir et aussitôt, elle retourne s’assoir.
Je retourne auprès d’elle et je lui demande si elle souhaite parler de quelque chose. Elle
me dit alors qu’il est parti, qu’il n’y a plus, que c’est fini. Je lui demande de qui elle
parle, elle ne me répond pas. Je lui demande si ça lui fait mal que ce soit fini, à nouveau
elle se lève et retourne vers la porte. Puis une nouvelle fois elle retourne s’asseoir.
Je lui demande une nouvelle fois si elle veut rentrer, cette fois elle me répond « Oui je
veux rentrer. » Dans sa manière de parler, ses intonations, elle semble particulièrement
triste ou angoissée. Je tente de lui demander ce qui la contrarie, elle me répond que c’est
une personne. Je lui demande si elle souhaite en parler, elle me répond « Pas
maintenant. »
Je repose une nouvelle fois la question pour savoir si elle souhaite partir, elle me répond
à nouveau par l’affirmative. Je décide alors de diffuser la musique de fin de séance
même si je n’ai pas fait du tout ce que j’avais prévu pour aujourd’hui, en chantant les
paroles. Elle l’écoute jusqu’à la fin et cette fois, quand la musique est terminée, elle se
lève et se dirige directement vers la bonne porte.
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Bilan
Je me pose beaucoup de questions concernant cette séance. Avec le recul je réalise que
je n’ai pas réellement fait de la musicothérapie, que cette séance était terriblement
centrée sur le verbal, que j’ai pratiquement parlé tout le temps alors qu’ordinairement, je
chante toutes mes paroles. Cela m’interroge d’autant plus que la communication par la
parole est particulièrement limitée pour Mme C et que mes objectifs étaient sensés être
de privilégier et de favoriser les autres moyens d’expression, comme la danse. Je réalise
que je me suis probablement trop impliquée personnellement dans cette séance où j’ai
probablement eu davantage envie de parler avec Mme C que de mener une réelle séance
de musicothérapie.
De plus, Mme C a parlé de quelqu’un qui est parti, puis elle m’a demandé « Il vous
manque ? », et il se trouve que ces propos concordent particulièrement avec une
situation personnelle très difficile dans laquelle je me trouve depuis seulement deux
semaines. Même si je sais que c’est probablement d’elle qu’elle me parle, je suis
interloquée par la manière dont ces propos concordent à ma situation, est-il possible que
sans même que je l’évoque, elle l’ait ressentie ?
J’ai conscience qu’il faut que je prenne un peu de recul pour retrouver la bonne
distance à avoir avec Mme C.
Concernant la séance, j’ai le sentiment tout de même que Mme C exprime de plus en
plus de choses au fil des semaines. J’ignore si c’est le signe qu’une réelle relation
thérapeutique s’est établie, si c’est l’effet de la musique ou si c’est, et c’est loin d’être à
exclure, le fait que j’ai envie d’interpréter de plus en plus de choses. Il est probable que
tous ces facteurs soient liés.
Les séances semblent en tout cas amener Mme C à davantage verbaliser, une chose qui,
d’après les infirmières, est pourtant de plus en plus difficile, elles déclarent qu’à présent
la communication est presque impossible avec Mme C.
Une nouvelle fois, je ne peux que remarquer que le comportement de Mme C est aussi
un moyen de s’exprimer pour elle. J’ai constaté que c’est toujours après une question un
peu intrusive de ma part que Mme C soit va à l’autre bout de la pièce, soit sort de la
salle, comme pour exprimer que j’ai touché un point sensible, une zone dans laquelle
elle ne veut pas entrer. Le fait de retourner la chaise pour me tourner le dos, par
exemple, est un refus clair de me laisser continuer sur un sujet quelle ne souhaite pas
aborder.
Mon but pour les dernière séances est d’arriver à pousser Mme C à exprimer ces choses
au travers de la musique pour reprendre la place qui est la mienne, celle de
musicothérapeute, mais j’ignore pour l’instant comment arriver à un tel résultat en
faisant davantage que d’appliquer les techniques que j’utilise actuellement.
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Séance 11
Mardi 19 mai, 14h30 : durée inconnue.
Objectifs : A nouveau, 2 séances de musicothérapie n’ont pas pu avoir lieu avec
Mme C, la première parce que j’étais très malade, la seconde à cause d’une réunion
exceptionnelle du personnel qui s’est étendue sur deux jours, m’empêchant
d’occuper ma salle. Je retrouve Mme C avec toujours cette appréhension que le
contact soit difficile après deux semaines sans séances. Comme finalement, la petite
musique de nuit de Mozart n’a pas été introduite lors de la séance précédente, je me
propose de rediffuser la marche pour la cérémonie des turcs pour débuter, puis
d’introduire la petite musique de nuit. Je voudrais davantage permettre à Mme C
d’exprimer ses émotions au travers de l’improvisation et j’ai envie de tenter une
consigne plus précise visant à demander à Mme C d’exprimer un sentiment en
particulier à travers son improvisation. Il me semble que ce serait plus facile avec un
instrument qui offrirait davantage de possibilités et de sonorités, mais j’ai l’intuition
qu’introduire un instrument à ce stade de la prise en soin risquerait de perturber
Mme C plus qu’autre chose et que mieux vaut continuer sur le système que nous
avons instauré.
Lorsque j’arrive sur le cantou, il n’y a aucun soignant visible, tout est très calme, Mme
C est assise sur un fauteuil. A mon approche, elle se lève en marmonnant des paroles
incompréhensibles, se dirige vers moi et pose sa main sur mon bras en un geste que je
pense chaleureux. M’a-t-elle reconnue ? Puis elle se dirige vers le coin cuisine. Tandis
que je m’approche d’elle, elle se met à battre la mesure sur une table. Se souvient-elle
de pourquoi je suis là ? Je la salue et je lui demande si elle veut venir en séance de
musicothérapie. Elle me rejoint, me prend le bras et m’entraîne dans le couloir. En
chemin, je croise un aide soignant et je lui signale que j’emmène Mme C en séance. Au
moment où nous franchissons la porte du cantou, Mme C me lâche brusquement le bras
et s’accroche à l’aide-soignant, refusant de venir avec moi. L’aide soignant finit par
nous accompagner jusqu’à la salle de musicothérapie, Mme C refusant de se séparer de
lui.
Une fois à l’intérieur et la porte refermée, Mme C va s’asseoir tout au fond de la pièce.
Je m’approche d’elle et je lui demande comment elle va. Elle ne me répond pas et se
lève. Je m’apprête à chanter la chanson de début de séance mais elle se dirige vers la
porte menant à la pièce attenante à la salle de musicothérapie et sort. Je la rejoins et je
lui demande si elle souhaite déjà partir. Je lui rappelle qu’elle est là pour la séance de
musicothérapie qui dure environ une petite demi-heure. Elle me pousse avec force et me
dit : « Laissez-moi, vous ne m’intéressez pas, je ne veux plus vous voir. » Je lui
demande si c’est la musicothérapie qui ne l’intéresse pas, elle me répond non. Je lui dis
alors que nous allons rentrer et j’ouvre la porte qui donne sur le hall. Mais elle se
dégage et va à l’autre bout de la pièce, où il y a encore une autre porte. Je la retiens par
le bras en lui disant qu’elle n’a pas le droit d’aller là-bas. Elle me répète plusieurs fois :
« Tu m’énerves, tu m’énerves ! » Mais au lieu de sortir dans le hall elle retourne dans la
salle de musicothérapie et va s’assoir tout au fond. Je lui rappelle ce que nous faisons ici
et je lui dis que je vais chanter la chanson de début de séance. Elle me répond :
« Chantez si vous voulez. » Je sens de l’exaspération dans sa voix.
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Je chante la chanson du bonjour, et pendant que je chante, elle se met à rire comme c’est
déjà arrivé dans d’autres séances, mais contrairement aux autres fois, ce rire ne me
semble pas un rire de plaisir ou d’amusement, mais plutôt un rire moqueur ou ironique,
bien qu’il ne s’agisse que d’un sentiment très subjectif. A peine ai-je fini de chanter
qu’elle se lève et sort à nouveau dans la pièce attenante à la salle de musicothérapie.
Décidant de continuer à lui parler en chantant, je lui demande si elle veut réellement
partir ou si elle veut rester, mais au lieu de répondre, elle me pousse et se dirige à
nouveau vers la troisième porte de la petite pièce. A nouveau je la rattrape et j’essaie de
lui parler en chantant, à nouveau elle me repousse avec violence et me déclare : « Tu
m’emmerdes. » Elle le répète plusieurs fois. Mais quand une nouvelle fois je lui ouvre
la porte qui donne sur le hall, elle retourne dans la salle de musicothérapie et retourne
s’asseoir au fond. Je décide alors de diffuser la marche pour la cérémonie des turcs. Dès
que la musique commence, Mme C se lève et vient s’assoir à sa place habituelle.
Pourtant, elle ne semble même pas écouter la musique et à peine quelques secondes
après s’être assise, elle se lève à nouveau et ressort.
Je lui déclare alors que j’ai compris qu’elle ne souhaitait pas rester pour cette fois et que
nous nous reverrions la semaine suivante. Je commence à la ramener au cantou mais
une nouvelle fois, elle lutte pour aller à l’opposé de là où je la conduis et je suis obligée
de l’empoigner avec force pour l’empêcher de s’enfuir. Elle proteste beaucoup et à un
moment, elle me dit : « Je m’en fiche de vous, c’est ça que vous ne voulez pas
comprendre. »
Je lui réponds que j’ai compris qu’elle n’avait aucune envie de rester avec moi, mais
qu’elle n’avait pas non plus envie de rentrer.
Lorsque j’ouvre la porte du cantou, elle entre en trombe et s’enfuit le plus loin possible
de moi.
Bilan
J’ai un nouveau sentiment d’échec. Il ne me reste qu’une séance avec Mme C avant la
fin de mon stage et je me demande bien comment je pourrai terminer cette prise en
charge. Je sais bien que ces changements d’humeur sont liés en grande partie à la
maladie, néanmoins je pense que j’ai mal réagi, que je n’ai pas su exploiter ce qui se
passait dans cette séance. En effet je suis convaincue que certaines réactions et paroles
de Mme C avaient réellement du sens, même si ce n’est pas celui qui est apparent mais
j’ai été beaucoup trop déstabilisée pour le voir sur le moment. J’admets que je me suis
trouvé dans l’incapacité totale d’analyser ce qui se passait et d’agir en conséquence et
que même en reprenant la séance quelques heures plus tard, je suis incapable de mettre
du sens sur ce qui est arrivé. Il faudra attendre la dernière séance et des éléments de la
vie de Mme C appris très tardivement lors de mon dernier jour de stage pour
comprendre par exemple que la réaction de refus et celle de révolte de Mme C peuvent
venir de la peur d’être une nouvelle fois abandonnée comme elle l’a été par son mari.
J’avais prévu d’expliquer à Mme C que c’était l’avant-dernière fois que nous nous
voyions en séance pour qu’elle soit préparée à la dernière séance, mais avec la manière
dont la séance s’est déroulée, j’ai complètement oublié de le faire et je m’en sens très
coupable. Toutefois, je n’exclus pas le fait qu’elle en ait tout de même eu conscience, ce
qui expliquerait peut-être certaines de ses réactions.
61

Séance 12
Mardi 26 mai, 14h30 : durée inconnue.
Objectifs : C’est ma dernière séance avec Mme C. Je souhaite terminer cette série de
séances en utilisant mon schéma habituel mais en introduisant des éléments déjà
rencontrés lors de séances précédentes pour faire un rappel, comme une sorte de
bilan. Ainsi je compte commencer par la musique écoutée la fois précédente, la
marche pour la cérémonie des turcs, mais au lieu d’introduire une nouvelle musique,
je compte diffuser la symphonie du nouveau monde, qui a beaucoup servi lors
d’autres séances. Je prévois aussi une improvisation avec le piano, reprenant des
thèmes déjà joués.
Lorsque je vais chercher Mme C au cantou Mozart, j’explique une première fois, pour
Mme C et pour le personnel soignant, que c’est la dernière fois que je la prends en
séance. Ce jour-là je la trouve assise et quand je lui parle, elle semble ne pas me
remarquer, pourtant elle remarque l’aide soignante quand elle vient lui parler à son tour.
Finalement, lorsque j’offre mon bras à Mme C, elle le prend de bonne grâce et
m’accompagne volontiers. Sur le trajet, elle dit quelque chose que je ne comprends pas,
je lui propose de m’expliquer en séance, elle me répond oui.
Arrivée dans la salle de musicothérapie, elle va s’assoir à un endroit très inhabituel, sur
une chaise contre le mur de gauche. Je vais m’assoir près d’elle et je lui rappelle que
c’est notre dernière séance ensemble en musicothérapie. Puis, je chante la petite
chanson du bonjour. A peine ai-je commencé à chanter qu’elle se lève et va droit à la
porte qu’elle ouvre pour sortir. Je la rejoins et je lui demande si elle ne souhaite
réellement pas profiter de cette dernière séance, ayant l’habitude que chez elle un départ
ne signifie pas toujours un refus mais plutôt l’expression d’une contrariété. Une
première fois, elle accepte de revenir avec moi dans la salle mais va s’assoir tout au
fond de la pièce. Je me mets à lui parler en chantant, lui proposant de me rejoindre pour
écouter ensemble une musique. Je chante ensuite uniquement son nom sur une mélodie
simple, pour lui montrer que c’est pour elle que je suis là. Mais je remarque que, tandis
qu’auparavant le chant attirait son attention, la rendait plus réceptive, aujourd’hui, dès
que je chante, elle se ferme et retourne vers la porte pour sortir. Comme elle s’en va une
nouvelle fois, je la retiens par le bras pour essayer de mettre des mots sur ce qui se
passe, parler de sa contrariété, mais elle ne me laisse pas le temps de parler, elle se
dégage vivement en disant que je « l’emmerde ».
Je décide donc de la ramener au cantou, voyant bien que rien de plus ne pourra se passer
pour cette séance, mais j’ai l’impression que, plus que la musicothérapie, c’est moi
qu’elle fuit car elle essaie en permanence de s’éloigner le plus possible de moi.
Sur le chemin du retour, elle me dit : « Vous êtes trop petite vous. » Je demande :
« Trop petite, c’est-à-dire, trop jeune ? » Elle répond : « Oui, trop petite. » Une dernière
fois avant d’arriver au cantou, je m’arrête, je me tourne vers elle et je lui demande si
elle est certaine de ne plus vouloir retourner en musicothérapie, lui rappelant qu’elle
peut me parler, que c’est la dernière fois que nous nous voyons. Elle me répond alors :
« C’est de la merde. » tout en continuant d’avancer.
Une fois dans le cantou, je souhaite lui dire au revoir, peut-être un dernier mot, mais dès
que je m’approche d’elle ou que je lui adresse la parole, elle part en courant à l’autre
bout du cantou. Elle va même jusqu’à finalement s’enfermer dans une chambre qui
n’est pas la sienne.
62

Bilan
Sur le coup, je me sens complètement frustrée par cette dernière séance qui n’en a pas
été une. J’aurais aimé qu’il se passe des choses en rapport avec la musique, que Mme C
puisse s’exprimer, dire, chanter ou jouer ses angoisses, ses craintes, ses contrariétés. J’ai
le sentiment que cette séance a été bâclée, que j’aurais pu et que j’aurais dû mettre des
mots sur les comportements de Mme C, l’aider à s’exprimer par des questions…
Avec un peu de recul et après avoir parlé avec la psychologue et avec une maîtresse de
maison qui connaissait bien Mme C, je réalise au contraire que Mme C s’est beaucoup
exprimée aujourd’hui, même si ce n’est pas du tout de la façon dont je l’aurais souhaité.
Mme C a énormément été marquée par l’abandon, l’abandon de son mari qui lui rend à
présent visite seulement deux à trois fois par an et toujours accompagné d’une autre
femme et qu’elle a probablement vécu la fin de nos séances comme un nouvel abandon.
Elle a donc tenté de réduire, de rabaisser le travail que nous avons fait ensemble pour ne
pas montrer à quel point il est douloureux pour elle de perdre tout cela. Je regrettais lors
de la séance précédente de ne pas avoir pu parler à Mme C du fait qu’il s’agissait de
l’avant-dernière fois que nous nous rencontrions, mais en réalité, son comportement qui
ressemblait beaucoup à celui qu’elle à eu aujourd’hui permet de supposer qu’elle avait
ressenti que la fin approchait.
Son comportement de fuite à l’autre bout de la salle ou à l’autre bout du cantou n’est
pas sans m’évoquer le récit des visites de son mari que m’a fait la maîtresse de maison,
à savoir que lorsque son mari arrive avec sa nouvelle compagne, elle va se réfugier dans
le fond de la pièce et reste muette et immobile.
Depuis six mois, même si de nombreuses fois, Mme C a refusé de venir en séances ou
une réunion m’a empêché de la prendre, je viens la voir toutes les semaines, je
m’intéresse à elle et je lui consacre une demi-heure, un temps qui lui est exclusivement
réservé. En plus d’être là pour lui permettre de s’exprimer, je suis son unique visite, une
visite régulière qui n’a à peu près jamais manqué. Sa réaction violente peut donc
aisément s’expliquer si l’on considère qu’elle a réalisé que ces visites allaient
brutalement s’interrompre pour ne plus jamais se reproduire.
63

4. REFLEXION
4.1. L’apport de la musicothérapie pour Mme C
Après ces douze séances, riches en événements plus ou moins encourageants, chargés
en tout cas d’éléments pas toujours faciles à comprendre, il me paraît nécessaire de
revenir sur les questions que j’avais soulevées au début de ce travail ainsi que sur les
objectifs que je m’étais fixés en début de stage pour la thérapie de Mme C.
Que c’est-il réellement passé si l’on tente d’avoir un regard global sur l’ensemble de la
prise en soin ? Mes objectifs ont-ils été atteints ? Suis-je parvenue à répondre aux
questionnements que je m’étais faits ? Que puis-je tirer de cette expérience pour mon
métier futur ?
Ma problématique touchait principalement la communication. Mme C s’avère être une
personne au discours généralement complètement incohérent, de plus, elle est très agitée
et elle est souvent dans l’opposition. La question d’entrer en communication m’est donc
directement apparue comme principale. Dans les premières séances, on se rend très vite
compte que Mme C n’est pas à l’aise avec les instruments. Il est difficile de dire si c’est
leur maniement qui lui pose problème, ou simplement leur son (Mme C me dit à
plusieurs reprises que je l’énerve quand j’utilise un instrument pour attirer son
attention.) La question que je me suis posée au début de ce travail de savoir comment
décider de quelle technique adopter s’est en réalité résolue de manière simple et
évidente. Mme C ne voulait pas des instruments, par contre, elle battait volontiers des
mains en écoutant une musique, et c’est elle-même qui a spontanément introduit le
chant au bout de quelques séances. De même, il est très vite apparu évident qu’il était à
peu près impossible de mettre en place un exercice réglementé avec Mme C, c’est donc
le moyen de l’improvisation qui s’est imposé de lui-même.
L’un de mes objectifs était de permettre à Mme C de développer sa créativité et il ne fait
à peu près aucun doute que cet objectif ait été atteint. Mme C a su improviser, faire
preuve d’inventivité, créer de nouveaux rythmes en frappant dans ses mains. Au prise
avec une maladie comme celle d’Alzheimer qui retire peu à peu à l’individu toutes ses
capacités et donc toute possibilité d’exprimer ce qu’il est, ce qu’il ressent, l’empêchant
de se sentir gratifié, la possibilité d’improviser musicalement est un moyen considérable
de redonner sa dignité à la personne, de la faire se sentir encore maîtresse de sa vie,
capable de produire quelque chose qui peut lui paraître beau.
Par ailleurs, j’ai déjà évoqué le sujet de l’agitation au cours de ma revue bibliographique
et je me demandais comment composer avec l’agitation avec Mme C qui est une
personne particulièrement agitée, qui bouge beaucoup, reste rarement en place. Cela
rejoint aussi le sujet de l’attention, Mme C ayant d’énormes difficultés à focaliser son
attention sur un objet. Si dans son milieu habituel sur le cantou aucune différence de
comportement n’a été notée, on constate qu’au fil des séances, hormis les dernières dont
nous reparlerons plus tard, Mme C est capable de rester concentrée sur ce qu’elle fait de
plus en plus longtemps sans même sembler en éprouver de la difficulté ou de l’ennui.
64

La plus grande question demeure ce que Mme C a pu exprimer ou non de ses angoisses,
de ses frustrations, colères, émotions en tout genre, de ses désirs, de ses craintes, durant
ces douze séances de musicothérapie.
Mme C est atteinte d’une maladie qui en elle-même est terriblement angoissante : la
détresse face à la perte de ses capacités, la peur de la mort… Vient s’ajouter à tout cela
la douloureuse séparation d’avec son mari, le sentiment qu’elle a été abandonnée et
trahie. Je me suis longuement interrogée sur ce que la musicothérapie avait pu lui
apporter par rapport au besoin d’exprimer ses souffrances. Je me suis souvent demandée
si les quelques événements qui paraissaient des progrès qui se sont produits en séances
n’étaient pas tout simplement le fruit du hasard.
Néanmoins, si l’on considère les séances dans leur continuité et dans leur ensemble,
quelques points importants ressortent.
Sur le plan musical, on remarque qu’au fil des séances, l’improvisation se développe,
dure de plus en plus longtemps. On constate que le chant, par exemple, est initié par
Mme C lors de la séance 4, c’est elle qui prend l’initiative de chanter alors que je ne
l’avais jamais fait auparavant. Elle montre ainsi son désir d’utiliser la musique pour
s’exprimer selon une méthode qu’elle choisit complètement.
De plus, on constate que les séances conduisent de plus en plus Mme C à s’exprimer
d’après ce qu’elle fait de ses déplacements. Si lors de la toute première séance par
exemple, elle semble dans la déambulation et l’errance, on se rend compte que ces
déplacements deviennent de plus en plus significatifs au fil du temps, ils sont une
manière d’exprimer son ressenti pour ma patiente. On peut par exemple rappeler les
moments où elle choisit de s’éloigner ou d’aller à l’autre bout de la pièce suite à une
question gênante que je lui pose, ou, encore plus démonstrative, la séance où elle
emporte une chaise avec elle pour signifier son désir de ne pas partir.
Enfin, on peut juger du fait que la musicothérapie a permis à Mme C d’exprimer son
ressenti grâce au plan verbal : tandis que les soignants me confient qu’elle est de moins
en moins compréhensible sur le cantou, sur les dernières séances, si elle utilise
beaucoup moins la musique, elle prononce en revanche quelques phrases très claires,
que ce soient ses phrases de refus des deux dernières séances ou le fait, lors de la séance
9, qu’elle a apprécié d’être en musicothérapie.
Enfin, la réaction de Mme C lors des deux dernières séances, loin de témoigner d’une
instabilité liée à la maladie, montre au contraire l’expression de sentiments très forts et
violents pour ma patiente : la peur de l’abandon, la colère de perdre une relation qui
était devenue importante pour elle, l’angoisse de la solitude, l’incompréhension du
rejet... Il serait bien prétentieux d’affirmer que c’est grâce aux dix séances de
musicothérapie qui ont précédé ces deux dernières séances un peu particulières que
Mme C a pu ainsi exprimer ces émotions. Ce que l’on peut dire par contre, c’est que
c’est la relation qui s’est installée entre Mme C et moi, une relation qui n’aurait
probablement pas été possible sans la musique pour nous permettre d’entrer en
communication, qui a créé un climat de confiance suffisant pour que Mme C puisse
s’exprimer librement. On peut aussi penser que c’est grâce à cette relation d’abord
initiée par la musique que le verbal a pu émerger à nouveau.
65

4.2. Retour sur mon travail et mon vécu
Beaucoup de questions et de doutes se sont posés à moi durant toute la durée du stage,
et encore bien après, tandis que j’écrivais mon mémoire, et il me semble important ici
de faire part de ces réflexions.
Ma relation avec ma patiente, tout d’abord, m’a souvent posé problème, surtout vers la
fin de mon stage. Comme je l’ai déjà mentionné, la communication verbale étant très
altérée pour Mme C, j’ai toujours eu le problème de savoir si je devais prendre ses
paroles au pied de la lettre, les juger comme complètement incohérentes ou tenter de
trouver un juste milieu, tenter de les interpréter. Cela m’a particulièrement génée dans
les moments où elle refusait d’aller en séance, quand je ne savais pas si je devais
prendre ce non pour argent comptant. Ce problème s’est également posé lorsque je me
suis rendu compte que le verbal prenait de plus en plus de place dans nos séances.
Comment savoir si c’était une bonne chose ou si au contraire cela enfermait encore
davantage Mme C dans un système de communication qui l’angoissait et la limitait dans
son besoin d’expression ?
Ce constat que les dernières séances s’axaient davantage sur le verbal m’a également
donné un autre sujet de réflexion que j’ai déjà quelque peu évoqué : n’étais-je pas en
train de sortir du cadre de mes compétences et de mon travail de musicothérapeute en
tentant de parler ainsi avec Mme C ? En effet, objectivement, rien ne justifiait
réellement que nous arrivions à du dialogue de cette manière-là, notamment dans la
dixième séance où ça n’est pas la musique qui a entraîné la parole. En faisant un retour
sur ce que j’ai vécu à ce moment-là, je crois que j’avais envie de dépasser mon rôle et
de devenir plus proche de Mme C, j’avais envie de la comprendre davantage que ce
qu’elle ne voulait bien me donner par la musique qui me paraissait peut-être un peu trop
frustrant.
Néanmoins, la musicothérapie n’est-elle pas un moyen thérapeutique comme un autre
pour amener le patient à dire ses souffrances ? Si la musique est un moyen privilégié
avec des personnes démentes car celles-ci n’ont plus accès à la parole, l’émergence d’un
dialogue verbal n’est-il pas au contraire un signe que la thérapie a été positive à tel point
que la patiente a même réussi à parler ?
Ces questions se sont beaucoup posées à moi et je ne suis pas parvenue à avoir un avis
tranché sur le sujet. La communication verbale me paraissait dangereuse dans le sens où
je ne voulais pas avoir la tentation de penser que c’était un aboutissement et qu’elle était
suffisante à Mme C pour s’exprimer, néanmoins, je l’ai aussi perçue comme un signe
encourageant que les séances n’étaient pas inutiles.
La position du thérapeute est ce qui m’a paru l’une des choses les plus difficiles au long
de ce stage : on doit la conserver durant les séances, mais aussi en dehors des séances
avec les patients quand tous les autres soignants les cajolent et les appellent par leur
prénom, et également avec l’équipe soignante qui ne nous considère pas toujours
comme un thérapeute à part entière.
Cela nous conduit au point suivant que je souhaitais évoquer : l’intégration au sein de
l’institution et la relation avec l’équipe soignante. Mon intégration au sein de
l’établissement s’est très bien passée, en grande partie grâce à la psychologue qui m’a
introduite auprès de toutes les personnes que je serais amenée à rencontrer par la suite et
qui m’a laissé parler lors d’une réunion pour expliquer mon projet et mon travail.
66

J’ai donc été particulièrement bien acceptée par les équipes soignantes. Je me suis
néanmoins retrouvée confrontée à certaines difficultés que je vais exposer ici.
La première a été de parvenir à faire comprendre aux soignants que la musicothérapie
était bel et bien une thérapie et non de l’animation. J’ai expliqué les choses à plusieurs
reprises mais, la musique étant souvent associée aux loisirs, il est très difficile de faire
accepter cette notion.
Le second problème que j’ai rencontré découlait directement de celui-ci : il n’était pas
rare que les aides soignantes n’accordent aucune importance au cadre que je tentais de
mettre en place pour mes patients. J’ai plusieurs fois dû répondre à des phrases comme :
« Vous prenez le premier patient qui est prêt, peu importe de l’heure et de l’ordre. » ou
encore « Vous n’avez qu’à faire la séance en chambre ou dans le salon. » La position du
stagiaire est particulièrement délicate car il est considéré, à juste titre, comme en
formation et donc comme ne possédant pas toutes les connaissances lui permettant de
savoir comment il doit agir au sein de la maison de retraite. Il faut savoir s’affirmer sans
donner l’impression de prendre les gens de haut et cela conduit parfois à des situations
peu évidentes à gérer.
Cela nous conduit au dernier point que je souhaitais évoquer concernant l’intégration à
l’équipe soignante : la difficulté de dire non. Particulièrement dans les premières
semaines de stage où l’on ne connaît pas très bien les équipes et où les équipes ne nous
connaissent pas et appréhendent encore mal notre rôle, il est très difficile de refuser sans
se mettre dans une situation compliquée lorsqu’on nous demande de faire certaines
choses. Ainsi, on m’a par exemple demandé de faire l’une de mes séances de
musicothérapie avec l’un de mes patients dans le salon de l’un des cantous pour que les
autres puissent en profiter. On m’a également demandé de faire un groupe d’animation
musicale avec les résidents de l’un des cantous dont certains suivaient des séances de
musicothérapie avec moi par ailleurs. J’ai bien dû refuser ces deux demandes qui toutes
deux allaient à l’encontre de mon travail de musicothérapeute, mais le refus est souvent
difficile à admettre pour les autres soignants et l’image que l’on s’imagine que les
autres vont avoir de nous, celle de quelqu’un d’égoïste qui veut garder son travail pour
lui, rend la tâche encore plus difficile. Je me suis souvent demandée jusqu’à quel point
je devais me plier aux demandes et jusqu’à quel point je pouvais refuser ce qui me
paraissait comme excessif.
67

CONCLUSION
A l’issue de ces six mois de stage et particulièrement de la prise en soin de Mme C, je
me trouve enrichie d’une expérience fort intéressante pour mon futur métier de
musicothérapeute. Même si, contrairement à une idée parfois répandue dans le grand
public, la musique ne peut pas soigner certaines maladies à l’heure actuelle incurables
comme la maladie d’Alzheimer, elle est un médiateur formidable pour entrer en relation
avec des personnes démentes. Les séances avec Mme C ont peu à peu amené ma
patiente à développer sa créativité et à y prendre plaisir, mais aussi à communiquer
réellement, à exprimer des choses qu’elle ressentait au plus profond d’elle, d’abord
musicalement, puis peu à peu avec la parole, alors qu’elle était considérée comme
incapable de prononcer quoi que ce soit qui ait du sens. Si la maladie d’Alzheimer
continue inexorablement son œuvre destructrice et éloigne de plus en plus Mme C du
monde, la musicothérapie aura pu au moins lui donner un espace d’expression, de
détente et de plaisir indispensable pour pouvoir surmonter psychologiquement cette
maladie et envisager un peu plus sereinement l’avenir.
Dans un pays où la population vieillit de plus en plus, la musicothérapie paraît donc un
excellent moyen, moins coûteux à la société que nombre d’autres soins, pour
accompagner les personnes âgées vers leur fin de vie. Cela permet en particulier à celles
qui affrontent la démence de se sentir encore écoutées, capable d’inventivité et de
créativité et donc, considérées non comme un fardeau inutile à la société mais comme
des personnes à part entière, avec leur dignité et leur droit de vivre.
68

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION…………………………………………………………………1
1. LA MAISON DE RETRAITE HOTELIA ............................................................... 2
1.1. Généralités et historique ........................................................................................ 2
1.2. Le personnel soignant ............................................................................................ 3
1.3. Description de l’établissement............................................................................... 3
1.4. Les cantous ............................................................................................................ 4
1.4.1. Qu’est-ce qu’un cantou ? ................................................................................ 4
1.4.2. Organisation des cantous à Hotelia................................................................. 5
1.4.3. Organisation d’une journée type..................................................................... 5
1.5. Ma salle de musicothérapie, ses avantages, ses inconvénients.............................. 6
2. QUELQUES NOTIONS THEORIQUES................................................................. 8
2.1. Vieillissement normal et vieillissement pathologique........................................... 8
2.1.1. Le vieillissement normal................................................................................. 8
2.1.2. Le vieillissement pathologique ..................................................................... 10
2.2. La maladie d’Alzheimer ...................................................................................... 11
2.2.1. Généralités .................................................................................................... 11
2.2.1.1. Quelques chiffres ...................................................................................... 11
2.2.1.2. Définition et présentation générale ........................................................... 11
2.2.1.3. Les lésions cérébrales ............................................................................... 12
2.2.2. Les causes et les facteurs de risque............................................................... 12
2.2.3. Le diagnostic................................................................................................. 13
2.2.4. Les différentes phases.................................................................................. 14
2.2.5. Le stade modéré ............................................................................................ 15
2.3. La musicothérapie active ..................................................................................... 16
2.4. Musicothérapie et maladie d’Alzheimer.............................................................. 17
2.5. Questionnements, problématique......................................................................... 19
3. PRISE EN SOIN..................................................................................................... 21
3.1. Présentation de madame C................................................................................... 21
3.1.1. Présentation générale .................................................................................... 21
3.1.2. Pathologie et traitement ................................................................................ 21
3.1.3. Le choix du patient ....................................................................................... 22
3.2. Méthodologie....................................................................................................... 23
3.3. Premiers pas dans la prise en soin ....................................................................... 24
3.3.1. L’entretien..................................................................................................... 24
3.3.2. Le bilan psychomusical actif ........................................................................ 24
3.3.3. Objectifs........................................................................................................ 27
69

3.4. Prise en soin de Mme C en musicothérapie active : les séances.......................... 28
Séance 1 .......................................................................................................... 28
Séance 2 .......................................................................................................... 31
Séance 3 .......................................................................................................... 33
Séance 4 .......................................................................................................... 36
Séance 5 .......................................................................................................... 39
Séance 6 .......................................................................................................... 40
Séance 7 .......................................................................................................... 45
Séance 8 .......................................................................................................... 49
Séance 9 .......................................................................................................... 53
Séance 10 ........................................................................................................ 57
Séance 11 ........................................................................................................ 60
Séance 12 ........................................................................................................ 62
4. REFLEXION .......................................................................................................... 64
4.1. L’apport de la musicothérapie pour Mme C........................................................ 64
4.2. Retour sur mon travail et mon vécu..................................................................... 66
CONCLUSION…………………………………………………………………..71
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
70

BIBLIOGRAPHIE
71

BIBLIOGRAPHIE
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La musicothérapie, un outil pour communiquer avec les personnes âgées démentes
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Le Mini-Mental State Examination (MMSE) : un outil pratique pour l'évaluation de
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Presse Méd 1999;28:1141-8
5. DREES
L’état de santé de la population en France
Etudes et résultats n° 623; février 2008
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Ed : Doin Editions 2006
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Traitement médical des manifestations psychiatriques et comportementales de la
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72

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Le cadre thérapeutique à l’épreuve de la réalité (du cadre analytique au pacte)
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Reactions to music, touch and object presentation in the final stage of dementia:
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14. Ogay S
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Ed : l’Harmattan 1996
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La maladie d’Alzheimer, à l’écoute d’un langage
Chronique sociale: Lyon; 1999
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Journal of nursing scholarship 2002;34(3):263-267
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Music therapy-induced changes in behavioral evaluations, and saliva chromogranin A
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Geriatr Gerontol Int 2007;7:61-71
19. Suzuki M, Kanamori M,, Watanabe M, Nagasawa S, Kojima E, Ooshiro H, Nakahara D
Behavioral and endocrinological evaluation of music therapy for elderly patients with
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Patients
Experimental Aging Research 2005;31:91-99
21. Tubiana M
Le vieillissement aspects médicaux et sociaux
Comptes rendus Biologie 2002;325(6):699-717
22. Vésina J, Cappeliez P, Landreville P
Psychologie gérontologique.
Montréal-Paris-Casablanca: Gaëtan Morin; 1994
73

F.BERT
ANNEXE 1
Plan de la salle de musicothérapie
Fenêtre
Porte
Mme C
Tables
étagère
Hall
é
t
a
g
è
r
e
s
Petite
pièce
74

ANNEXE 2
Photo de l’instrumentarium du bilan psychomusical actif
75

ANNEXE 3
Liste des extraits diffusés (voir CD)
1) Hyrule Castle. The legend of Zelda Ocarina of Time, Hyrule Symphony. (1999)
2) The immolation scene. Extrait de : Star Wars The Ciths Revendge sound track. John
Williams. (2005)
3) Détours. Michel Redolfi. (1999)
4) Doundounbé. Ensemble national des percussions de Guinée. (année non spécifiée)
5) Les tontons. Debout sur le zinc. (2006)
6) La marche nuptiale. Felix Mendelssohn, extrait de Songe d’une nuit d’été.
7) Symphonie n° 9 « du nouveau monde ». Dvorak. (1893)
8) Minuet from Jeppo-Polska. Gjallarhorn. (2000)
9) La marche pour la cérémonie des turcs. Jean-Baptiste Lully, « Le bourgeois
Gentilhomme ». (1681)
10) La petite musique de nuit. W.A. Mozart.
76

Résumé :
C’est au sein de la maison de retraite médicalisée Hotelia, au cœur de Montpellier, que
s’est déroulé mon stage pour le diplôme de musicothérapeute. Durant six mois,
d’octobre 2008 à mai 2009, j’ai pris en soin avec la musicothérapie des personnes âgées
démentes dont Mme C, la patiente qui fait l’objet de ce mémoire. Atteinte de la maladie
d’Alzheimer au stade modéré, Mme C a bénéficié de douze séances de musicothérapie
active. Si la communication verbale est très difficile avec cette patiente, elle a pu, au fil
des séances, trouver par le biais de la musique, de la voix, de l’improvisation, de
l’utilisation de son corps, de nouveaux moyens de développer sa créativité et d’exprimer
ses émotions.
Mots clés : Musicothérapie active, musique, maladie d’Alzheimer, communication,
expression, improvisation.
Abstract :
It is within the medicalized old people's home Hotelia, in Montpellier downtown, that
was held my training course for the diploma of music therapeutist. During six months,
from October 2008 to May 2009, I took in care, with music therapy, lunatic elderly of
which Mrs. C, the patient who is the subject of this memory. Suffering from
Alzheimer’s disease at the moderated stage, Mrs. C profited from twelve sessions of
active music therapy. Even if the verbal communication is very difficult with this
patient, she could find new means for developing her creativity and expressing her
emotions, in the course of sessions, by the means of music, voice, improvisation and the
use of her body.
Key words : active music therapy, music, Alzheimer’s disease, communication,
expression, improvisation.
77