LE PETIT CAFE - Le Proscenium
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Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut<br />
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jouer n'a pas été obtenue par la troupe.<br />
<strong>Le</strong> réseau national des représentants de la SACD (et leurs<br />
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vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori.<br />
Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre,<br />
MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit<br />
produire le justificatif d’autorisation de jouer. <strong>Le</strong> non respect de<br />
ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la<br />
troupe et pour la structure de représentation.<br />
Ceci n’est pas une recommandation, mais une<br />
obligation, y compris pour les troupes amateurs.<br />
Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le<br />
public puissent toujours profiter de nouveaux textes.<br />
1
<strong>LE</strong> <strong>PETIT</strong> <strong>CAFE</strong><br />
Pièce de théâtre<br />
de<br />
Patrice OBERT-JULION<br />
<strong>LE</strong> <strong>PETIT</strong> <strong>CAFE</strong><br />
Une salle paroissiale. Plusieurs tables entourées de chaises. Une sorte de bar. Au mur des<br />
affiches.<br />
Jacqueline, co-responsable de l’accueil du Petit Café<br />
Geneviève, co-responsable de l’accueil du Petit Café<br />
Jean-Marc, bénévole<br />
Ahmed, accueilli<br />
Bernard, accueilli<br />
Françoise, accueillie<br />
Gérard, dit Gégé, accueilli<br />
2
Ivan, accueilli<br />
Mimi, accueillie<br />
Mireille, accueillie<br />
Pascal, accueilli<br />
Pilou, accueilli<br />
Pouce, accueilli<br />
Tarzan, accueilli<br />
Sandor, metteur en scène<br />
Gilda, assistante du metteur en scène<br />
Soit 6 femmes et 10 hommes<br />
Pièce en trois actes et 16 scènes<br />
3
ACTE 1<br />
Scène 1<br />
(à une table près de la porte, sont assis Mireille, Mimi, Pouce et Ahmed. Ivan s’assoira à cette<br />
table. A une autre table sont assis Tarzan, Françoise et Jean-Marc. Pascal fait le service. Pilou<br />
est derrière le bar. Jacqueline entrera après.<br />
Gégé entrera également, une canette de bière à la main)<br />
Ivan entre brutalement<br />
Ivan : J’ai faim, j’ai faim, j’ai faim.<br />
Jean-Marc : Entrez, je vous en prie, entrez.<br />
Ivan : Ta gueule. Y’a à manger ici ?<br />
Pouce : Eh, dis, du calme<br />
Ivan : Toi, j’t’ai pas causé.<br />
Jean-Marc : Entrez, je vous en prie.<br />
Pouce se lève. Ivan s’approche de lui, menaçant.<br />
Jean-Marc : Asseyez-vous, vous êtes le bienvenu.<br />
Ivan : Non, j’suis pas le bienvenu. J’sais bien. Qu’est ce qu’il y a à manger ici ? J’ai faim,<br />
vous entendez ?<br />
Pilou : Bœuf bourguignon, mon gars, avec purée de patate, t’es bien tombé<br />
Ivan : J’t’ai pas causé à toi<br />
Pouce : Oh, l’ami, si tu as du vin à cuver, reste dehors. Tu reviendras plus tard.<br />
Ivan : Ah, dégage, je t’ai pas causé.<br />
Pouce : Oh !<br />
Ahmed : (à Mimi) « J’tai pas causé », il sait dire que ça, ma parole<br />
Ivan : Y’a quelque chose qui te déplait ?<br />
Ahmed : Grâce à Dieu, rien ne me déplait. Tu es le bienvenu.<br />
Ivan hausse les épaules.<br />
Jean-Marc : Asseyez-vous, je vous en prie. Donnez-moi votre sac.<br />
4
Ivan : Pas touche<br />
Tarzan : Il commence à nous les casser, celui-là !<br />
Ivan : T’es pas content, le gros lard ?<br />
Tarzan : T’as dit ?<br />
Ivan : Gros lard. J’aime pas les baudruches.<br />
Tarzan se lève brusquement. Françoise le bloque d’un bras. Pouce est resté debout, droit.<br />
Pilou, derrière son bar, est tendu. Mimi et Mireille se sont retournées sur leur chaise.<br />
Tarzan : Non, mais, il se prend pour qui celui-là ?<br />
Ivan : Pousse-toi, gros lard.<br />
Tarzan : Tu vas t’excuser.<br />
Ils s’empoignent. Jean-Marc, Pilou et Pouce essaient de les séparer, en vain. Survient<br />
Jacqueline. Elle se place entre deux . Ils s’écartent.<br />
Jacqueline : Non, mais, ça suffit, vous n’avez pas honte ?<br />
Tarzan : Qui c’est, ce type ?<br />
Ivan : Je vais le casser.<br />
Tarzan : Essaie toujours !<br />
Jacqueline : Silence ! Du calme, Ivan, du calme. Allons, calme-toi. Donne-moi tes mains,<br />
voilà, bien. Ce sont des mains de travailleurs, pas de bagarreurs. Allez, assieds-toi. Tu n’as ici<br />
que des amis.<br />
Ivan : Même lui ?<br />
Jacqueline : Oui, Tarzan aussi, tu verras, calme-toi… et toi aussi, rassieds-toi. Bon, je suis<br />
heureuse de vous présenter Ivan. Ivan, ça me fait plaisir que tu sois venu. Dis, Pilou, tu peux<br />
lui préparer une assiette ?<br />
Pilou : Et une assiette pour Ivan.<br />
Tarzan : Ivan ? Drôle de nom ! Ce serait-y un rousky ? Jacqueline, préviens-le que moi, je suis<br />
Tarzan et que j’ai pas l’habitude de me laisser emmerder par des petits nouveaux.<br />
(Ivan s’assoit à côté de Mimi. Pascal lui apporte rapidement une assiette et il se met à manger<br />
en ignorant ce qui se passe autour de lui.)<br />
Mimi : Pourrais dire bonjour !<br />
5
Gégé : (entrant en bougonnant dans un silence glacial, une canette de bière dans la main) Pas<br />
possible, pas possible.<br />
Pouce : Salut Gégé, qu’est ce qui se passe ?<br />
Gégé : <strong>Le</strong> bistro est fermé. Plus rien à boire…<br />
Pouce : Qu’est ce que t’as dans la main, Gégé, c’est pas du sirop de grenadine.<br />
Gégé : Pas drôle, pas drôle. (il fait la bise à Jacqueline puis s’assoit en maugréant à côté de<br />
Tarzan)<br />
Mimi : (à Ivan) Tu pues ! Tu pues !<br />
Mireille : Laisse-le !<br />
Mimi : Tu pues !<br />
Mireille : Laisse-le, j’te dis, il mange.<br />
Mimi : N’empêche qu’il pue.<br />
Mireille : Tu crois que tu sens la fleur, toi ?<br />
Mimi : Oh toi, la pouffiasse !<br />
Pouce : Mimi, Mireille, Mesdames !<br />
Mimi : Bon, bon, voilà que le père la vertu la ramène.<br />
Pouce : Que va penser Ivan ?<br />
Ivan : Ivan, il t’emmerde.<br />
Mimi : Nah !<br />
Tarzan : Dis, Jacqueline, c’en est encore un de l’est ?<br />
Jacqueline : Eh oui, mon grand.<br />
Tarzan : Y’a longtemps qu’il est arrivé ?<br />
Jacqueline : Il est passé au vestiaire hier. Dans un état !<br />
Tarzan : Dis, Gégé, au lieu de râler dans ta barbe, dis nous un peu ce que t’en penses de tous<br />
ces types de l’est qui débarquent.<br />
Gégé : Rien, rien.<br />
Tarzan : Ben, faudrait peut-être que tu te mettes à penser un peu Gégé, par ce qu’un jour tu<br />
vas te retrouver dehors et eux à ta place.<br />
6
Gégé : Non, non, Gégé il est bien là<br />
Tarzan : Tu parles !<br />
Jacqueline : Ils me font de la peine. Souvent, ils arrivent en groupe, ils parlent à peine<br />
quelques mots de français. Ils sont fermés comme des huîtres.<br />
Pilou : Il suffirait de les ouvrir avec un petit couteau (rires)<br />
Tarzan : Tu parles, ils en ont des comme ça (des mains, il montre une longue lame). Qu’ils<br />
s’amusent pas à la baston avec moi, parce que… (il sort de sa botte une longue barre de fer)<br />
Jacqueline : Qu’est ce que c’est ces manières, Tarzan ! Tu m’avais promis de ne plus te battre.<br />
Tarzan : C’est pas moi, Jacqueline, c’est les autres. Moi, j’suis gentil comme un agneau. J’fais<br />
de mal à personne. Mais les autres gars sont pas gentils, eux, tu sais. Y’en a toujours qui<br />
viennent te piquer tes affaires. Faut bien se défendre.<br />
Jacqueline : Tu me fais penser à ces bourgeois de la résidence du Bon séjour !<br />
Tarzan : Moi, un bourgeois ?<br />
Jacqueline : Parfaitement.<br />
Tarzan : Ca, c’est la meilleure ! Et tu pourrais me dire en quoi je suis un bourgeois comme ces<br />
connards du Bon séjour, qui gagnent dix briques par mois, ont deux bagnoles, une poupée et<br />
des biftons qui dégoulinent du portefeuille ? Non, mais vous entendez les amis, Jacqueline<br />
pète les plombs !<br />
Jacqueline : Pas du tout, mon petit Tarzan ! <strong>Le</strong>s gars de l’est, justement, ils passent leur temps<br />
à batifoler dans les couloirs du Bon séjour, malgré les vingt cinq codes qu’ils ont installés, et<br />
je te dégueule par ci, et je te pisse par là. Bref, appels répétés à la police, qu’est ce qu’elle peut<br />
faire la police, propriété privée, pas de flagrants délits, ça s’envenime. Alors, avec Geneviève<br />
et des gens du conseil de quartier, on leur a dit « Pourquoi vous n’installez pas dans un local<br />
du rez de chaussée un lieu d’accueil ? On est prêt, nous, à le prendre en charge. Des résidents<br />
du Bon séjour pourrait participer à l’accueil. Bref, faire une prévention utile pour tous. »<br />
Tarzan : Et alors ?<br />
Jacqueline : Alors ? J’attends encore la réponse. Ces gens-là raisonnent dans leur caste. S’ils<br />
le pouvaient, ils construiraient des miradors autour du Bon séjour, avec des gardiens en<br />
mitraillettes. C’est ça le monde que nous voulons ? Et toi, t’as beau dormir à la rue, tu fais<br />
pareil, tu ne vaux pas mieux qu’eux !<br />
(Pilou se met à siffloter derrière son bar. Il s’active, essuie les assiettes, les verres, range les<br />
couverts. Françoise et Pascal se sont levés pour faire le service et ramasser les assiettes)<br />
Ivan : J’ai pas fini.<br />
7
Françoise : Excuse-moi<br />
Pilou : Y’a du rab ce soir ! T’en veux ?<br />
(Ivan tend son assiette)<br />
Mireille : T’es dans le coin depuis longtemps ? Dis, t’es de passage ou tu restes dans le coin ?<br />
Où qu’tu crèches ?<br />
Mimi : Tu vois, il répond pas. C’est bien fait pour toi.<br />
Mireille : Oh toi !<br />
Mimi : Vas-y, vas-y, frappe-moi. Derrière tes airs de maman poule, t’attends que ça. Ca<br />
m’étonne pas que ta fille, elle se soit barrée.<br />
Mireille : Mimi ! Mimi (elle se met à pleurer)<br />
Pouce : Mais qu’est ce que vous avez, ce soir ? Mimi, pourquoi tu dis ça ? Mimi, tu<br />
m’entends, pourquoi tu as dit ça ?<br />
Mireille : C’est par ce qu’elle est méchante. Mais elle me le paiera.<br />
Pouce : Excuse-toi, Mimi ! Mimi. Excuse-toi, Mimi !<br />
Ivan : (Soudain, frappant du poing sur la table) Tu t’excuses !<br />
Mimi : Pardon, Mireille, pardon. Je sais bien que tu l’aimes, ta fille.<br />
Pilou : Quelqu’un d’autre veut du rab ?<br />
Gégé : Moi, moi !<br />
Ahmed : Ahmed, il voudrait bien du rab aussi, c’est vraiment bon ici. Vrai de vrai, que c’est<br />
bon, Inch Alla !<br />
Tarzan : T’es pas difficile, et puis arrête de mettre Alla à toutes les sauces.<br />
Ahmed : Bon, Dieu soit loué, ça te va mieux ? Ca revient au même, ignorant !<br />
(Pascal se précipite, prend les assiettes de Gégé et d’Ahmed, les apporte à Pilou puis les leur<br />
ramène)<br />
Pilou : Dis, Jacqueline, faudra penser à racheter des sacs poubelles. On va en manquer. Il<br />
faudra aussi lancer une annonce pour le café et le sucre. D’ici une semaine, on risque d’être en<br />
panne. On ne pourra pas attendre la collecte de la banque alimentaire. Faut organiser notre<br />
propre collecte.<br />
Jacqueline : Tu as raison, Pilou. Je vais m’en occuper.<br />
Ivan : Y’a pas à boire ?<br />
8
Mimi : Un peu de vodka, Ivanovitch ( elle lui sert une rasade d’eau. Il boit puis recrache en la<br />
regardant d’un sale œil) Ben, faut pas gâcher, mon Ivan, tout ce qu’on a ici, c’est donné.<br />
Alors, il faut pas cracher sur ce qu’on te donne.<br />
Ivan : Je voudrais du vin<br />
Pouce : Ici, pas de vin. C’est la règle. Moi, je ne bois que de l’eau. C’est ce qui me permet de<br />
tenir.<br />
Ivan : Et moi je tiens au vin.<br />
Pouce : Tu tiendras pas longtemps.<br />
Ivan : Tu vas te taire.<br />
Pouce : Oh, oh !<br />
Jacqueline : Alors, Pouce, qu’est ce qui se passe aujourd’hui ?<br />
Mimi : C’est le russkov, il pue la vinasse et il voudrait encore biberonner.<br />
Ivan : Je ne pue pas !<br />
Mimi : Ah, enfin, il me répond !<br />
Tarzan : Dis, Mimi, s’il te cause du souci, le petit nouveau, tu me préviens, je m’occuperai de<br />
lui.<br />
Jacqueline : Tarzan, je t’interdis.<br />
Tarzan : Bon, bon.<br />
Pilou : On a encore du jus d’orange.<br />
Jean-Marc : Moi, j’en veux bien.<br />
Tarzan : Méfie-toi, Jean-Marc, c’est pas bon pour ta santé.<br />
Mireille : (à Pouce) Ferme-la un peu, Pouce, tes bons conseils, hein… Si t’étais si parfait, tu<br />
n’serais pas là comme nous dans la mouise. Alors ton côté Père la vertu, ….<br />
Pouce : Tu ne peux pas comprendre, Mireille. Mais je t’entends bien, j’ai compris. Allez, les<br />
enfants, buvez, bourrez-vous la gueule, c’est pas perdu pour tout le monde.<br />
(Ailleurs, Geneviève et Bernard)<br />
Scène 2<br />
9
Geneviève : Je peux compter sur toi, Bernard, pour les cartons ?<br />
Bernard : Bien sûr, Geneviève.<br />
Geneviève : Il en faudra bien une cinquantaine.<br />
Bernard : Pas de problème.<br />
Geneviève : Tu es formidable, Bernard.<br />
Bernard : Non, non, ça me fait tellement plaisir de rendre tout ce que j’ai reçu. Tu te souviens<br />
dans quel état j’étais quand je suis arrivé ici. J’étais paumé, complètement perdu. Je me revois<br />
avec mes deux sacs en plastique, à la sortie de la Gare de Lyon. J’étais tout seul et, je me<br />
souviens, j’ai marché toute la journée avec mes deux sacs et je voyais la nuit arrivée avec<br />
terrer. Je ne voulais pas coucher dehors. J’avais pas un sou, je m’étais fait faucher mon<br />
portefeuille dans le train. Pas un papier, pas un centime, pas une adresse. J’arrivais même pas<br />
à pleurer tellement j’étais dans le noir. Je devais avoir sale mine quand tu m’as croisé.<br />
Geneviève : C’est vrai, tu avais sale mine. Tu avais surtout l’air triste, si triste, que j’ai vu tout<br />
de suite, en te croisant, que tu cherchais quelqu’un.<br />
Bernard : Et tu m’as parlé. Je me suis dit « cette femme, Bernard, c’est Dieu ou la Providence<br />
qui te l’envoient ».<br />
Geneviève : Et tu es venu dîner au Petit Café.<br />
Bernard : Oui, je devais être aussi sauvage qu’Ivan. Tu m’as hébergé.<br />
Geneviève : Que veux-tu ? La vie ne m’a pas donné d’enfants. Vous êtes tous mes enfants.<br />
Bernard : Je n’oublierai jamais, Geneviève, jamais.<br />
(les mêmes que pour la scène 1)<br />
Scène 3<br />
Jacqueline : Ben, qu’est ce que tu as, Gégé ? (Gégé a caché son visage dans ses mains. Gégé<br />
est grand et costaud. Il a des mains épaisses. Il parle peu parce qu’il ne sait pas vraiment<br />
parler. Gégé a un cœur en or) Dis, Gégé…<br />
Ahmed : C’est un sensible, Gégé.<br />
Jacqueline : Dis, Gégé, t’as du souci ?<br />
(Gégé renifle derrière ses mains. Ahmed s’approche de lui)<br />
Ahmed : Tu veux une clope, Gégé ?<br />
(Gégé s’essuie les yeux, prend la clope)<br />
10
Ahmed : Une bonne taffe, ça vous remet debout, hein, Gégé ?<br />
Mimi : (au sujet d’Ivan) Qu’est ce qu’il est sale, ce type ! Il crache dans son assiette.<br />
Ivan : Ta gueule, la gonzesse !<br />
Mimi : Et mal poli en plus. C’est pas parce qu’on est paumé qu’on doit se conduire comme<br />
des cochons !<br />
Ahmed : Mais pourquoi vous parlez toujours de cochon ? Vous pourriez pas invoquer une<br />
biquette, un poisson rouge ou un chameau, je sais pas moi !<br />
Mimi : Comme tu me parles ! Ma parole, mais il se croit chez lui, ce zombie !<br />
Pascal : Mais il est chez lui, Mimi.<br />
Ahmed : Bien sûr, je suis chez moi, d’où ça te vient ça encore, tu regardes trop la télé Mimi<br />
Mimi : Faudrait voir ça. On a des manières ici ! On n’est pas des sauvages.<br />
Pouce : Mimi, Mimi, avec tes manières<br />
Mimi : Oui, des manières, parfaitement !<br />
Mireille (à Ivan) Faites pas attention, elle est toujours désagréable.<br />
Mimi : Pouffiasse !<br />
Mireille : Bon, si on peut plus rien dire ici…<br />
Pilou : T’en vas pas, Mireille !<br />
Mireille : Si, si, dans ces conditions, je vous quitte. D’ailleurs, j’ai mon train à prendre.<br />
Jacqueline : Tu reviens quand, Mireille ?<br />
Mireille : Je sais pas. J’ai trouvé quelques heures de ménage, mais faut que je me lève super<br />
tôt. Je pense que je viendrai d’ici la fin de la semaine.<br />
Jacqueline : Et la petite ?<br />
Mireille : C’est son père qui la garde en ce moment. (Mireille commence à faire la bise à<br />
chacun)<br />
Tarzan : Salut la belle !<br />
Mireille : Quel baratineur, ce Tarzan.<br />
Tarzan : Mate un peu, toujours bronzé.<br />
Mireille : C’est vrai que la rue, ça te réussit. Sauf que tu picoles trop. Ca gâte les dents.<br />
11
Tarzan : Tu parles, l’édentée. Tu ferais mieux de mettre un dentier, plutôt qu’de jouer à<br />
Dracula !<br />
Mireille : Et pourquoi qu’j’ai pas de dentier, gros malin ? T’as vu combien ça coûte. Tu crois<br />
peut-être que j’ai une fortune sous mon lit ?<br />
Tarzan : Au moins, t’as un lit, toi. Dis donc, on pourrait peut-être le partager, ma mignonne ?<br />
Mireille Tu peux toujours rêver. Pas avec un gros lard comme toi. Et puis tu picoles trop.<br />
Tarzan : Ca tient chaud.<br />
Mireille : Salut Gégé. Salut Barman. Salut Ahmed.<br />
Ivan : Et moi, on m’embrasse pas ?<br />
(Elle hésite, puis va l’embrasser)<br />
Mireille : Salut les amis, à la prochaine.<br />
Pilou : T’endors pas dans le train.<br />
Mireille : Oh, vous savez pas … L’autre soir, je rentrais après être passée à l’association Cœur<br />
ouvert pour mes papiers. Voilà qu’une bande de oufs monte dans le wagon et se met à<br />
vociférer. Tout le monde s’écrasait. Et bien, la Mireille, elle, s’est pas dégonflée. Je te les ai<br />
engueulés. Vous ne me croirez pas, ils se la sont fermés le reste du voyage.<br />
Jacqueline : Bravo, Mireille.<br />
Tarzan : C’est pas toi qu’ils auraient violée, il aurait fallu les payer.<br />
Mireille : Malin… j’aurais voulu t’y voir.<br />
Tarzan : J’aurais sorti ma barre de fer…<br />
Mireille : … Et tu te la serais prise dans la gueule, oui. Tandis que moi, ils m’ont respectée !<br />
Allez, j’y vais, salut à tout le monde.<br />
Tous : Salut Mireille.<br />
(<strong>Le</strong>s mêmes sans Mireille)<br />
Scène 4<br />
Mimi : Quelle grande gueule, elle fait même fuir les loulous maintenant.<br />
Ahmed : Dites, les amis, Y’en a parmi vous qui viennent samedi soir à la préparation de la<br />
fête du quartier ?<br />
12
Mimi : Mais t’es de toutes les fêtes, Ahmed ? Qu’est qu’ils t’ont fait dans ton pays pour que<br />
t’aies la bougeotte comme ça ?<br />
Ahmed : Dans mon pays, y’avait pas de fête comme les vôtres, où chacun peut venir ou ne pas<br />
venir, où les associations tiennent des stands et distribuent plein de papiers, où les gens<br />
discutent librement dans la rue. Alors, moi, comme j’ai la chance d’être ici, je participe, je<br />
participe à tout. Dis Pilou, on compte sur toi pour l’affiche.<br />
Mimi : Vous comptez sur Pilou ? Qu’est ce que c’est que cette histoire !<br />
Ahmed : Mais tu sais pas que Pilou, c’est le roi des dessinateurs ?<br />
Mimi : Pilou !<br />
Ahmed : Mais si, tu le sais pas ? Pilou, tu leur as jamais dit ?<br />
Mimi : Mais dit quoi ?<br />
Ahmed : Mais Pilou, c’est un artiste, un vrai !<br />
Pascal : Pilou ? Mais on ne savait pas.<br />
Pilou : Oui, je dessine un peu…<br />
Ahmed : Un peu ! Mais non, c’est vrai artiste.<br />
Mimi : Qu’est ce que tu fous dans la rue alors, si t’es un vrai artiste ?<br />
Pilou : C’est la vie…<br />
Jean-Marc : C’est bien une réponse à la Pilou !<br />
Mimi : Ca veut dire quoi, c’est la vie ? Quand on a des emmerdements, c’est la vie ?<br />
Pilou : Ouhais, on peut dire ça.<br />
Mimi : Ben, c’est une chienne de vie, alors.<br />
Ahmed : Je vais vous dire. <strong>Le</strong> père de Pilou, c’était le patron d’une grosse entreprise et il n’a<br />
jamais voulu que Pilou devienne peintre. C’était pas sérieux. Même que les dessins qu’il<br />
vendait sur le marché, son père passait derrière et les rachetait aux gens en leur disant qu’ils<br />
s’étaient fait avoir, que ces dessins ne valaient rien, hein Pilou, c’est vrai ?<br />
Pilou : Oui, mais ne raconte pas tout ça.<br />
Ahmed : Quand Pilou a dit qu’il en avait assez des études, son père l’a foutu dehors, alors<br />
qu’il était plein aux as. Et quand Pilou a voulu obtenir une bourse, son père a été voir les<br />
autorités, vous savez, les mecs tout en haut qui décident, et il leur a dit « Vous n’avez pas à<br />
donner de l’argent à mon fils puisque moi, j’ai les moyens ». Pilou n’a pas eu la bourse, mais<br />
son père ne lui a pas filé de fric. Hein, Pilou, c’est comme ça que t’es venu dans la rue, toi,<br />
mais par chance, t’as pas perdu ton coup de crayon, et ça c’est super.<br />
13
Jacqueline : Moi non plus, je ne le savais pas, quel cachottier, ce Pilou !<br />
Françoise : Dis Pilou, Tu nous feras des dessins pour nous aussi ?<br />
Pouce : Il se fait tard, je vais vous quitter.<br />
Ivan : Tu dors où ?<br />
Pouce : Dans les jardins, près de la Promenade couverte. J’ai un coin tranquille. Mais faut se<br />
lever tôt.<br />
Ivan (à Jean Marc) : Et toi ?<br />
Jean-Marc : J’ai une petite chambre, pas loin d’ici.<br />
Pouce : Dis, Jean-Marc, tu ne serais pas au courant d’un petit boulot par hasard ? J’ai<br />
vraiment plus une tune.<br />
Mimi : T’as déjà dépensé tout ton RMI ?<br />
Pouce : Bien sûr que non. Il est là, bien planqué. Mais j’ai des…dettes.<br />
Mimi : T’es vraiment un connard.<br />
Pouce : Ecoute, chacun fait ce qu’il peut.<br />
Mimi : Si ça t’amuse de jouer au loto…<br />
Pouce : Je préfère jouer au loto que de me shooter à l’alcool ou au crack. Mais, sois certaine<br />
que le jour où je toucherai le gros lot, t’en verras pas la queue d’un radis, compris.<br />
Mimi : Cause toujours !<br />
Jean-Marc : Non, désolé, Pouce, j’ai rien en vue.<br />
Pouce : Et toi, tarzan ?<br />
Tarzan : Moi, travailler ! A d’autre. J’suis tombé dans la paresse quand j’étais tout petit.<br />
Pouce : Bon, tant pis…<br />
Gégé : Moi, faire déménagement demain avec Pilou, hein Pilou ? Si tu veux venir. Oui, bon<br />
rapport.<br />
Pilou : Oui, viens, c’est un bon coup. Gégé, il sait pas parler mais il sait compter.<br />
Pouce : C’est pas trop dur, p Physiquement, j’veux dire ? Avec mes 60 balais je ne suis plus<br />
bon à grand-chose.<br />
Gégé : Petites tâches. Gégé porte les choses lourdes, toi les petites. Tu peux venir demain ?<br />
14
Pouce : Demain ? OK. A quelle heure ?<br />
Gégé : 7 heures 30. Devant le square.<br />
Pouce : OK, merci Gégé. Tu viens Mimi, j’te raccompagne chez toi ?<br />
Mimi : J’arrive.<br />
Pilou : <strong>Le</strong>s amis, il est 22 heures, on ferme.<br />
(Pascal et Françoise s’empressent de tout ranger avec Jean-Marc et Pilou. Jacqueline fume une<br />
cigarette. Soudain Ivan se lève, passe devant eux, crache par terre, puis sort en claquant la<br />
porte)<br />
Jean-Marc : Bonjour l’ambiance !<br />
ACTE II<br />
Scène 1<br />
(<strong>Le</strong> lendemain. Jacqueline, Ivan. On entend la voix de Jacqueline sans la voir)<br />
Jacqueline : Mais, qui c’est celui-là ? Eh, debout toi, je ne peux pas entrer. Ivan ? Mais, tu as<br />
dormi ici ? Tu as du te geler. Allons, viens rentre, je vais te préparer un café.<br />
(Ils entrent tous les deux. Ivan est entouré dans une grande couverture. Jacqueline ouvre son<br />
grand sac ; elle en sort du café, du sucre, des filtres.)<br />
Jacqueline : Va dans les toilettes te débarbouiller. Y’a du savon. Prends un torchon. Tiens<br />
(elle fouille dans sa poche et en tire un rasoir). Ca commence comme ça, la liberté.<br />
(Elle prépare le café, installe les tasses sur les tables, arrose les fleurs. Elle s’arrête devant un<br />
crucifix fixé au mur. Ivan revient, la voit en prière, attend puis racle sa gorge).<br />
Jacqueline : Ah…<br />
Ivan : Tu pries, toi ?<br />
Jacqueline : Alors, rasé de près ! Mais tu es beau comme un dieu.<br />
Ivan : Tu priais ?<br />
Jacqueline : Parmi nous, certains ne croient pas en Dieu. D’autres croient en Dieu. J’en fais<br />
partie. C’est ce qui me donne la force de croire en l’humain, malgré tout. Mais je ne me<br />
15
satisfais pas de l’humain. Il y a plus grand. Dieu est là (elle frappe sa poitrine) Que serai-je<br />
sans Lui ?<br />
Ivan : Moi, dieu, je lui crache à la figure. Putain de vie, putain de vie.<br />
Jacqueline : Ca me fait de la peine, ce que tu dis, mais je peux te comprendre. Tu sais, Jésus,<br />
on lui a craché à la gueule, il est habitué. Mais, tu vois, c’est en Son nom que je t’offre ce<br />
café.<br />
Ivan : La vie, c’est de la merde, tu entends.<br />
Jacqueline : Tu me prouveras que non.<br />
Ivan : Moi ? Je n’ai ni toit, ni loi, nulle part où poser ma tête, personne en qui je peux avoir<br />
confiance. Je ne m’arrêterai pas ici, ni ailleurs. Personne ne peut me comprendre, personne, tu<br />
entends.<br />
Jacqueline : Tu prends combien de sucre ?<br />
Ivan : Trois.<br />
Jacqueline : Arrête-toi, Ivan. Laisse nous te connaître un peu. Ici, on ne te demande rien. Ni<br />
ton nom, ni d’où tu viens, ni si tes papiers sont en règle. Tu es le bienvenu, c’est tout.<br />
Ivan : <strong>Le</strong> bienvenu…<br />
Jacqueline : Oui.<br />
Ivan : Je n’ai jamais été le bienvenu. Ca ne va pas commencer aujourd’hui. Il n’y a pas de<br />
place pour moi dans ton monde.<br />
Jacqueline : Tu viens quand tu veux, d’accord.<br />
(Jacqueline, Ivan, Pilou, Gégé)<br />
Scène 2<br />
Pilou (entrant avec Gégé) : Bonjour ! Tiens, Ivan, salut Ivan.<br />
Jacqueline : Bonjour les enfants.<br />
Gégé émet une sorte de grognement qui signifie : Bonjour.<br />
Pilou : (se servant, ainsi qu’à Gégé, un café) On passe vite fait. Pouce n’est pas là ?<br />
Jacqueline : Non, pourquoi ?<br />
Pilou : On avait rendez-vous à 7 heures 30 devant le square pour aller le déménagement.<br />
Jacqueline : Je ne l’ai pas vu.<br />
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Pilou : Ca fait du bien ce café. Il est brûlant. ( à Ivan) Eh, le grand, t’as bien dormi ? ( à<br />
Jacqueline) Pas causant, le russkov. Au fait, Jacqueline, tu te souviens d’un type qui s’appelait<br />
Léonardo ?<br />
Jacqueline : Léonardo…<br />
Pilou : Rappelle-toi, un type loufoque complètement délirant qui est passé l’an dernier. Il se<br />
prenait pour une réincarnation de Léonard de Vinci.<br />
Jacqueline : Ah oui, Léonardo, bien sûr, un vrai déjanté mais si gentil.<br />
Pilou : Tu sais pas quoi ! Tu te souviens, on l’avait hébergé quelques jours chez Léo. Eh bien,<br />
Léo a reçu une carte de … Caracas, signée La Joconde. T’imagines, pas croyable, Caracas…<br />
Jacqueline : Caracas…<br />
Gégé : <strong>Le</strong> veinard !<br />
Pilou : Tu sais si Bernard part avec Geneviève ?<br />
Jacqueline : Normalement, oui. Mais il aurait trouvé un job, quelque chose comme régisseur.<br />
Pilou : C’est super ! Il aurait pu le dire, cet enfoiré.<br />
Jacqueline : Il a tellement galéré qu’il est prudent. Avant de se réjouir, il attend d’avoir signé.<br />
Ce serait un Contrat Nouvelle Embauche.<br />
Pilou : Contrat Nouvel Emmerde, bon , c’est toujours ça, C’est quand même plutôt une bonne<br />
nouvelle, faut la fêter, n’est ce pas Gégé ?<br />
Gégé : Pour sûr<br />
Jacqueline : Sauf qu’elle arrive juste au moment où il devait accompagner Geneviève.<br />
Pilou : Mais qu’est ce qu’il fout, Pouce ?<br />
Jacqueline : Il est plutôt ponctuel, Pouce.<br />
Pilou : Qu’est ce qu’elle emmène, Geneviève ?<br />
Jacqueline : Des médicaments, des couvertures, des bottes, et je ne sais quoi d’autres, .<br />
Pilou : Quelle démerdarde, celle-là. Et combien de camions elle emmène ?<br />
Jacqueline : Trois, je crois.<br />
Pilou : Trois camions, en Iran. Elle n’a vraiment peur de rien.<br />
Jacqueline : Qu’est ce que tu veux ! Elle avait connu une jeune femme qui est repartie dans le<br />
village où a eu lieu ce terrible tremblement de terre. Une fois les caméras parties, il ne reste<br />
que la misère.<br />
17
Pilou : Mais qu’est ce qu’il fabrique ! Bon, on va y aller quand même. Tu lui diras qu’on est<br />
parti. (à Ivan) Eh, dis, toi ! (Grognement de Ivan). Tu serais pas libre aujourd’hui ? Il nous<br />
manque un gars pour faire un déménagement. On aura la bouffe sur place à midi. Mais faut<br />
partir tout de suite, on est déjà en retard.<br />
Ivan : Combien ?<br />
Pilou : Paraît que c’est convenable, hein Gégé<br />
Gégé : Au noir et bien, je t’assure<br />
Pilou : On peut faire confiance à Gégé, question (geste de la main pour illustrer l’argent), et<br />
aussi pour lever le coude, hein Gégé ! (à Jacqueline) Si Pouce te fait signe, dis-lui de nous<br />
appeler chez Bruno. (à Ivan) Bon alors, tu viens ou pas ?<br />
Ivan : OK<br />
Pilou : Salut Jacqueline<br />
Jacqueline : Salut les gars. (ils partent tous)<br />
Scène 3<br />
(Jacqueline. Arrive Geneviève, jean, baskets, chemisette à la garçonne, cheveux gris)<br />
Geneviève : Salut les filles !<br />
Jacqueline : Salut Geneviève ! (Elles se font la bise)<br />
Geneviève : T’es toute seule ?<br />
Jacqueline : <strong>Le</strong> petit Café ne fait plus recette.<br />
Geneviève : Tu veux dire qu’ils roupillent tous. Mais oui, c’était la fête à Saint Rémi hier<br />
soir !<br />
Jacqueline : Et pleine lune de surcroît ! Temps idéal pour les ivrognes et les bagarreurs…<br />
Alors, ce voyage ?<br />
Geneviève : Ecoute, je suis assez contente. Mina, tu sais, mon amie musulmane, m’a assuré<br />
hier que le réseau était informé de notre venue. J’ai confiance en elle, depuis le temps que<br />
nous travaillons ensemble.<br />
Jacqueline : Tout se présente donc bien ?<br />
Geneviève : Je t’avoue que j’ai tout de même une petite appréhension. Enfin, Dieu pourvoira,<br />
à chacun son job, n’est-ce pas ? Question médicaments et couverture, il n’y a pas de<br />
problème.<br />
Jacqueline : Tu es vraiment formidable.<br />
18
Geneviève : Allons, allons, ça me plaît. Et puis cette expédition me rajeunit, elle me rappelle<br />
celle que j’avais faite il y a vingt ans en Pologne au moment des événements de Gdansk. Tout<br />
cela m’excite assez ! Dis, par contre, je suis inquiète pour la famille d’Ismaël.<br />
Jacqueline : Tu veux dire la maman malienne et ses six garçons ?<br />
Geneviève : Oui, les deux aînés sont déjà en prison. Je me suis mise en contact avec Jacques,<br />
du Verlan, tu sais, cette association qui s’occupe des types en taule. Il va voir ce qu’il peut<br />
faire. Il ne faut pas les laisser tomber. <strong>Le</strong> papa est présent, mais comme absent ; perdu entre<br />
son chômage, ses cinq prières et son tiercé. La maman se fait beaucoup de soucis, mais<br />
depuis son accident…<br />
Jacqueline : Son accident ?<br />
Geneviève : Oui, elle est tombée bêtement l’an dernier d’un escabeau en faisant des ménages,<br />
au noir évidemment, fracture et tout le saint Frusquin et ça ne se remet pas, du coup, elle<br />
boitille, se fatigue très vite, ne retrouve pas de boulot, bref, l’angoisse. Avec par là-dessus les<br />
oncles ! Elle n’arrive plus à tenir les plus jeunes et elle sent qu’Ismaël, qui était si mignon et<br />
qui est si malin, est en train de lui échapper et de tourner au vinaigre.<br />
Jacqueline : Il faudrait qu’on puisse le suivre… je vais voir avec Urgence-Enfance, je les<br />
connais bien, peut-être pourront-ils faire quelque chose.<br />
Geneviève : Du moins pendant mon absence jusqu’à mon retour d’Iran. Je compte être de<br />
retour dans dix jours. J’espère recevoir d’ici là une réponse pour leur logement, ils sont 8 dans<br />
deux pièces. Comment veux-tu qu’Ismaël fasse ses devoirs ? Ils vivent, mangent, dorment<br />
dans la même pièce. En fait, ils sont toujours dehors, en bande…<br />
Jacqueline : Et ils font des conneries…<br />
Geneviève : Que veux-tu…<br />
Jacqueline : Au fait, tu emmènes Bernard ?<br />
Geneviève : J’espère bien mais il a du mal à se décider Il a tout préparé avec moi et je compte<br />
sur lui. Enfin, Dieu pourvoira, hein, ma biquette, nous, on se donne du mal, à lui de trouver<br />
les solutions.<br />
(Entrent Bernard, Tarzan, Mimi et Pascal)<br />
Jacqueline : Salut les gars, salut Mimi.<br />
Geneviève : Bonjour la compagnie.<br />
Bernard : Bonjour, on ne vous dérange pas ?<br />
Scène 4<br />
Geneviève : Pas du tout, on vient de mettre le café à chauffer.<br />
19
Tarzan : Vous avez vu le rouskov ?<br />
Jacqueline : Imagine où il est le rouskov.<br />
Tarzan : Au bagne ! Ca lui ferait les pieds !<br />
Jacqueline : Dis, Tarzan, t’aurais pas fêté un peu lourdement le RMI hier soir après la<br />
fermeture du Petit café ? T’as pas les yeux bien réveillés.<br />
Tarzan : Si on peut plus picoler tranquillement maintenant… C’est la seule chose qui nous<br />
reste. La rue et le pinard, alors, faut pas nous les casser…<br />
Bernard : Dis, Tarzan, ne cause pas comme ça à nos amies.<br />
Tarzan : Ca te gêne que je parle comme ça ?<br />
Bernard : Oui, rien ne les oblige à être là chaque matin pour nous offrir le café.<br />
Tarzan : J’ m’en fous. T’as autre chose que la rue et le pinard, toi ? A oui, c’est vrai, monsieur<br />
veut s’en sortir, lui, monsieur s’croit supérieur aux autres …<br />
Bernard : Oui, je veux m’en sortir, et foi de Bernard, je m’en sortirai, pauvre cloche, parce que<br />
la rue, c’est pas une vie, t’entends, c’est pas une vie.<br />
Mimi : <strong>Le</strong>s arbres étaient bleus ce matin et le soleil vert<br />
Geneviève : Qu’est ce que tu dis, Mimi ?<br />
Tarzan : C’est le rhum, vous frappez pas.<br />
Mimi : Quand je me suis réveillée ce matin, il faisait très froid dans ma chambre. J’ai fait<br />
chauffer de l’eau. J’ai bu un café et je me suis sentie soudain très sale, très sale. J’ai allumé la<br />
radio, ils passaient de la belle musique. J’étais assise dans la cuisine, devant mon bol, et<br />
j’étais si triste que je me suis mise à pleurer. J’ai regardé par la fenêtre. <strong>Le</strong>s arbres étaient<br />
bleus et le soleil était vert. Alors j’ai souri à travers mes larmes et je me suis dit que la vie<br />
était belle, malgré tout. Et je suis venue vous retrouver. (Geneviève et elle s’étreignent)<br />
Geneviève : Tu as bien fait, Mimi, tu as bien fait<br />
Bernard : Y’a pas quelqu’un derrière la porte ?<br />
Tarzan : C’est un rat, méfie-toi, il va te bouffer<br />
(Bernard ouvre la porte et Pouce lui tombe dans les bras. Il a du sang partout sur le visage)<br />
Bernard : Pouce, merde alors !<br />
Jacqueline : Qu’est ce qui se passe ? Pouce ?<br />
Tarzan : Qui t’a fait ça ?<br />
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Pascal : Viens, Pouce, viens, tiens, assieds-toi.<br />
Mimi : Oh, Pouce, Pouce !<br />
Geneviève : Tu veux un café, Pouce ?<br />
Tarzan : Dis, quel est le salaud qui t’a arrangé comme ça ?<br />
Pouce : J’sais pas. J’dormais. Ils me sont tombés dessus, à deux, je crois. Oh, j’ai mal au dos.<br />
Ils m’ont fichu des coups de pied partout.<br />
Tarzan : <strong>Le</strong>s fils de pute.<br />
Bernard : C’est dégueulasse.<br />
Jacqueline : Laissez-le tranquille, qu’il reprenne des forces. Tu veux un café ? Comment tu te<br />
sens ?<br />
Pouce : Mal, mal. Ca me fait plaisir de vous revoir. J’suis en retard pour le rendez-vous.<br />
Jacqueline : C’est pas grave, c’est pas grave. Ivan est parti avec Pilou et Gégé. On se<br />
demandait où t’étais passé, c’est pas ton genre d’être en retard.<br />
Tarzan : Ah, le rouskov est passé par là. Vous voyez les gars, ils viennent nous piquer notre<br />
boulot, j’vous avais prévenus qu’il fallait se méfier de ce type.<br />
Bernard : Te piquer ton boulot ? Parce que tu cherches du boulot, toi ?<br />
Pouce : C’est vrai que j’aime pas être en retard.<br />
Mimi : droit comme un Pouce, hein !<br />
Geneviève : Et pas du genre à abuser à abuser de la Saint Rémi, toi, n’est ce pas ?<br />
Pouce : Non, Pouce ne boit que de l’eau !<br />
Tarzan : Moi, j’aime pas l’eau, c’est pas de ma faute, c’est de naissance.<br />
Mimi : de naissance… et ta connerie, elle est de naissance aussi ?<br />
Tarzan : Toi, l’illuminée, retourne dans tes couleurs, au moins là-bas, t’emmerdes personne.<br />
Pouce : Ils me sont tombés dessus par surprise, pendant que je dormais. D’habitude je me<br />
réveille tôt et je quitte le square en douce.<br />
Tarzan : Mais tu les as vus ? C’est qui ?<br />
Pouce : Un grand et un petit. Il me semble que je les ai déjà croisés dans le quartier, mais je<br />
n’en suis pas sûr.<br />
Tarzan : <strong>Le</strong>s salauds…<br />
21
Bernard : (à Geneviève et Jacqueline) La rue, c’est terrible. Plus on est pauvre, plus on est<br />
paumé et plus on en prend plein la gueule. C’est pour ça que je veux m’en sortir. Parce que<br />
c’est affreux, affreux.<br />
Pascal : Moi, j’aurais jamais supporté la rue. J’ai toujours pu l’éviter. La solitude, déjà, c’est<br />
dur. <strong>Le</strong> manque de femme, c’est dur. Mais l’angoisse de la rue, non, ça jamais, jamais.<br />
(Jacqueline revient avec une pharmacie. Elle commence à nettoyer les plaies de Pouce)<br />
Pouce : Moi, j’aime bien la rue. J’ai jamais pu supporter les centres d’accueil. La rue, ça fait<br />
plus de vingt ans que j’y vis. Je la connais, elle me connaît, on s’entend bien. Aïe ! ca pique !<br />
Jacqueline : Ben alors, le gros dur !<br />
Mimi : Que veux-tu, il supporte pas l’alcool !<br />
Geneviève : Ca pique, c’est bon signe<br />
Tarzan : Vous n’auriez pas une idée des enfoirés qui auraient pu faire ça ? J’ai ma matraque<br />
qui me démange.<br />
Bernard : C’est des gars qui connaissent ses habitudes. Dis, Pouce, t’as encore ton fric ?<br />
Pouce : Oh, les salauds !<br />
Bernard : Ils savaient que tu ne bois pas ton RMI<br />
Tarzan : Donc ils ne sont pas trop loin. Ils ont dû boire plus que de coutume. Ils doivent être<br />
complètement à la masse et en train de cuver leur vin quelque part.<br />
Bernard : Qu’est ce que tu comptes faire ?<br />
Tarzan : Faire régner la loi, mon gars !<br />
Jacqueline : (sur un ton de reproche) La loi du plus fort, Tarzan.<br />
Tarzan : Au moins, c’est une loi. Et c’est celle des gens de la rue. Dans le quartier, on<br />
n’attaque pas les amis de Tarzan, c’est compris, tout le monde le sait. Et ceux qui ne<br />
respectent pas cette loi, ils paient et ils s’en vont. Personne ne les obligeait à venir ici, la ville<br />
est grande.<br />
Jacqueline : C’est lamentable<br />
Bernard : C’est peut-être lamentable, Jacqueline, mais c’est comme ça. Dans la rue, il n’y a<br />
plus de civilisation, y’a que la loi du plus fort. On revient au début de l’humanité, survivre,<br />
dormir, manger, se protéger.<br />
Tarzan : Et ceux qui débarquent nous veulent pas du bien, ils veulent nous piquer notre place.<br />
Il a fallu se battre contre les bosniaques, qui voulaient nous racketter. Il a fallu se battre contre<br />
les Sénégalais qui avaient cru il y a quelques mois que le quartier était à eux. Maintenant,<br />
22
c’est contre les gars de l’est. Eh bien, qu’ils y viennent, ils vont voir comment on va les<br />
recevoir.<br />
Bernard : Ils arrivent en bande. Ils piquent les places un peu partout. Essaie d’aller à une<br />
distribution des restos du Cœur. Impossible de te faire servir. Oh, il n’y a pas de violence en<br />
apparence. Tu fais la queue comme tout le monde et tu attends ton tour. Et puis, à un moment,<br />
tu t’aperçois que tu n’avances pas, ça tourne devant toi. Tu vois des gars qui repassent<br />
plusieurs fois. Alors, à un moment, tu protestes et soudain, t’es entouré de cinq à six types qui<br />
te font comprendre, rien qu’en te regardant, que t’as intérêt à la boucler et à te tirer. Tu te tais<br />
et tu te tires.<br />
Tarzan : Mimi, elle a beau être illuminée, elle avait raison. <strong>Le</strong>s arbres étaient bleus ce matin,<br />
le soleil vert, et d’ici la fin de la journée, l’eau qui coule dans les caniveaux sera rouge. (il<br />
sort, matraque en main)<br />
Jacqueline : Tarzan !!<br />
ACTE III<br />
Scène 1<br />
(Ils sont tous là, sauf Pouce, Tarzan et Ivan. Sandor et Gilda sont au milieu d’eux. Ils sont<br />
installés en cercle dans le petit café. Au centre de la pièce, Mimi et Jean-Marc. <strong>Le</strong> ton va<br />
monter de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’ils hurlent littéralement, puis il va brusquement<br />
baisser)<br />
Mimi : Salopard, tu passes ton temps à me tromper et tu voudrais que je continue avec toi ?<br />
Jean-Marc : Et toi, vieille poufiasse, t’es capable de rien !<br />
Mimi : Capable de rien ! Moi ! Je ramène la tune à la maison et tu bois tout. Rembourse-moi !<br />
Jean-Marc : Tu traînes au lit toute la journée, tu sais seulement dormir.<br />
Mimi : Rembourse-moi, rembourse-moi !<br />
Jean-Marc : va te coucher, allez dégage !<br />
Mimi : Salopard, rembourse-moi, rends-moi ma jeunesse !<br />
Jean-Marc : Va te coucher, tu sais faire que ça !<br />
Mimi : Oh, excuse-moi, tu sais, c’est vrai, parfois j’suis pas assez gentille.<br />
Jean-Marc : Mais non, mais non, c’est moi, c’est vrai, je bois trop, j’vais faire un effort.<br />
Mimi : Mais non, c’est moi, si je prenais plus soin de toi, t’irais pas voir ailleurs, si je prenais<br />
plus de soin de la maison, ça irait mieux.<br />
23
Jean-Marc : C’est ma faute, je t’assure, j’sais plus ce que je fais quand j’ai bu. J’ai tort de<br />
t’engueuler.<br />
Mimi : Ca, c’est vrai que tu as tort, mais c’est pas grave, ça va s’arranger.<br />
Sandor : Bravo, vraiment bravo, ils sont vraiment doués ces deux-là. (tous les autres<br />
applaudissent)<br />
Mireille : Elle n’a pas eu à se forcer, elle est emmerdante à l’état naturel.<br />
Mimi : T’as rien compris, je jouais.<br />
Mireille : Tu parles !<br />
Gilda : Qui se lance ?<br />
Sandor : Allez, n’hésitez pas. Plus vous vous rapprochez et plus le ton monte, c’est une vraie<br />
dispute. Et, au moment où vous êtes face à face, soudain, l’un amorce le repli et vous vous<br />
reculez, comme vous avez fait, c’était vraiment très bien, vous aviez tout compris. Alors…<br />
Pilou : T’es qu’un p’tit dealer de merde, Ahmed.<br />
Ahmed : C’est à moi que tu parles ?<br />
Pilou : Y’en a d’autres des robeu ici ?<br />
Ahmed : Ah, c’est vraiment à moi que tu parles, eh bien je vais te dire la vérité, tu veux la<br />
connaître la vérité ?<br />
Pilou : Je la connais la vérité, Ahmed, tu te fais du fric sur notre dos en vendant ta came de<br />
merde.<br />
Ahmed : Bien sûr que oui et tu sais ce que je fais avec la tune ?<br />
Pilou : pourri, va, pourri<br />
Ahmed : Je baise ta femme.<br />
Pilou : Salaud, va, je vais te casser la gueule.<br />
Ahmed : T’en aies pas capable, t’as rien dans les couilles.<br />
Pilou : sale trafiquant<br />
Ahmed : impuissant<br />
Pilou : Voleur, dealer, sale arabe !<br />
Ahmed : Pauvre type, t’a rien compris à la vie<br />
Pilou : Tu vas voir, j’vais…<br />
24
Scène 2<br />
(<strong>Le</strong>s mêmes plus Tarzan et Ivan. La porte du petit café s’ouvre brutalement et apparaissent<br />
Tarzan et Ivan)<br />
Tarzan : Ben, vous êtes fous ou quoi de vous engueuler comme ça ! Vous êtes tombés sur la<br />
tête ! (découvrant Geneviève et Jacqueline) Et vous êtes là, vous, et vous laissez faire ! (à<br />
Pilou) Mais t’es dingue de traiter Ahmed de sale arabe, (à Mimi) Et toi, tu te marres comme<br />
une vieille baderne ! (à Pouce, assis dans un fauteuil, sparadraphé) Et l’autre, là-bas, pour qui<br />
on aurait pu se faire flinguer ! Mais, qu’est ce que vous avez à nous regarder comme ça !<br />
(montrant Sandor et Gilda) Et qui c’est ces deux tronches ? Mais parlez, bon sang, où je vous<br />
casse tous (il frappe violemment une table avec la barre de fer qu’il tient à la main)<br />
Geneviève : Tarzan, Tarzan, calme-toi.<br />
Tarzan : Je suis très calme. Qu’est ce que vous foutez ici ?<br />
Geneviève : Du théâtre !<br />
Tarzan : (se tournant vers Ivan) Du théâtre, t’entends ça Ivan, du théâtre ! Ah, c’est la<br />
meilleure ! Et eux, c’est des singes d’appartement ? Tu me diras, la gonzesse est plutôt bien<br />
roulée et j’me la ferai bien, hein Ivan, qu’est ce que t’en penses, jolie poupée !<br />
Gilda : Ne me touchez pas !<br />
Tarzan : Mais c’est du théâtre ! J’peux pas jouer moi aussi ?<br />
Sandor : Alors lâche ta barre.<br />
Tarzan : Qui t’es, toi, pour me donner des ordres ?<br />
Sandor : Sandor, metteur en scène. Gilda, mon assistante.<br />
Tarzan : Ivan, mon pote, et Mimi, ma poufiasse<br />
Mimi : Ta poufiasse ? Non mais tu déconnes !<br />
Sandor : Lâche ta barre<br />
Tarzan : Alors tu fais du théâtre ? Il vous fait faire du théâtre ? Et vous marchez ?<br />
Pilou : Laisse tomber, Tarzan, c’est trop compliqué pour toi, t’es pas capable de comprendre.<br />
Tarzan : C’est trop subtil, hein. T’entends, Ivan, on est des cons. Allez, allez, racontez-moi, ça<br />
m’intéresse. Ahmed, dis moi, tu te laisses insulter à cause du théâtre ?<br />
Ahmed : On jouait, Tarzan, ça monte, ça monte, la pression va faire tout exploser, on se<br />
dresse l’un contre l’autre, on s’insulte, on hurle, et puis, soudain, la pression retombe, on se<br />
réconcilie, on fait la paix, on se pardonne, c’est pas beau, ça !<br />
25
Tarzan : Vous vous foutez de moi ! Vous voyez ma barre, elle est rouge de sang et elle a<br />
encore faim.<br />
Mireille : Qu’est ce que tu as fait, Tarzan ?<br />
Tarzan : Mais du théâtre, ma poulette.<br />
Sandor : Alors, tu as la main rouge ?<br />
Tarzan : Oui, et j’aime pas les fouteurs de merde, les emberlificoteurs, les faiseurs<br />
d’embrouilles et tu m’as tout l’air d’en être un.<br />
Sandor : Moi, j’ai la main en or<br />
Tarzan : Prouve le, sinon je te casse.<br />
Sandor : (il s’ouvre la main avec un couteau et tend sa paume sous les yeux de Tarzan) Sang<br />
d’or !<br />
Tarzan : Merde ! Ca alors… Merde de merde… Alors ça !!<br />
Ivan : Votre ami est courageux<br />
Mireille : c’est un ivrogne<br />
Ivan : Il a vengé Pouce !<br />
Bernard : Qu’est ce que tu dis ?<br />
Ivan : C’est clair.<br />
Tarzan : C’est pas en faisant de la danse classique ou du théâtre qu’on se fera respecter dans le<br />
quartier. Ils ne pouvaient pas être loin. On les a cherchés toute la journée et on les a trouvés.<br />
Bernard : Ca veut dire ?<br />
Tarzan : Ca veut dire, mon biquet, qu’il y en a deux qui ont sans doute des problèmes pour<br />
marcher ce soir. On m’appelle Tarzan et c’est pas par hasard. Tarzan, il a des yeux partout.<br />
Voilà, Pouce, tu pourras retourner dormir tranquille et je t’assure que plus personne ne<br />
viendra te piquer ton fric.<br />
Gégé : Pourquoi tu m’as pas demandé de venir avec toi ?<br />
Tarzan : J’t’ai pas trouvé , mon grand, j’suis tombé sur le rouskov et on a fait affaire tous les<br />
deux, hein Ivan, et je peux vous assurer que c’est pas un tendre, lui.<br />
Jacqueline : Mais vous avez perdu la tête ! Alors, comme ça, c’est reparti ! Œil pour œil, dent<br />
pour dent ! Et ça va vous mener où, cette violence ?<br />
Tarzan : Il faudrait se coucher, subir sans arrêt ? Tu le sais bien, Jacqueline, que la rue , c’est<br />
la jungle. Non, pire que la jungle, la haine.<br />
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Jacqueline : Et ça te plaît ! Parce que tu es grand et fort et que tu crois que tu peux tout régler<br />
à coups de barres de fer. Et toi, Gégé, tu y serais bien allé aussi ?<br />
Gégé : Pour défendre les amis, la solidarité.<br />
Jacqueline : Solidarité des ivrognes, oui, solidarité du plus fort, du plus bête. Vous feriez<br />
mieux d’être solidaires pour vous aider. Mais quand il faut donner un coup de main pour<br />
repeindre une chambre, pour aider un déménagement, votre solidarité, elle s’envole. Quand il<br />
faudrait vous entraider pour sortir de votre alcoolisme, votre solidarité vous y enfonce, vous<br />
vous vautrez dedans comme des porcs. Ah, vous me dégoûtez !<br />
Ahmed : Ca y est, ça recommence avec les cochons. Ah, je sais pas ce qu’ils vous ont fait !!<br />
Pilou : Tu es dure, Jacqueline. Tu sais bien que je m’occupe du vieux Claude. Tu vois, on<br />
t’écoute mais c’est pas toujours facile. Faut bien se défendre. Et attaquer Pouce à deux contre<br />
un, la nuit, pour lui piquer sa tune, c’est pas correct, pas correct du tout.<br />
Tarzan : Tu dis rien Pouce ? Tu pourrais nous remercier.<br />
Pouce : Si j’ai choisi de vivre dans la rue, c’est pour quitter cette société de règles, de devoirs,<br />
de comptes à rendre. Je ne t’ai rien demandé, Tarzan, je n’ai rien à te dire.<br />
Tarzan : C’est la meilleure ! On casse les guibolles de ceux qui t’ont agressé et tu nous<br />
remercies même pas !<br />
Pouce : Pouce, il est droit, c’est tout.<br />
Tarzan : Tapette ! T’es complètement allongé, oui !<br />
Geneviève : Va cracher tes insultes ailleurs, ici, c’est un lieu de paix.<br />
Tarzan : Bande de dégonflés ! Allez, viens Ivan, on se casse. Mais ne comptez plus sur moi<br />
pour vous défendre, jamais.<br />
(Ils sortent)<br />
Jean-Marc : Belle scène de théâtre, monsieur le metteur en scène, qu’est ce que vous en<br />
pensez ?<br />
Sandor : Preuve que le théâtre, c’est la vie.<br />
Bernard : Mais la vie, c’est pas du théâtre, c’est la vie, et c’est dur.<br />
Sandor : C’est pour cela, que celui qui connaît le théâtre est armé pour la vie, pas avec une<br />
barre de fer, mais avec les mots et les silences de la vie. Merci d’avoir participé à ce premier<br />
atelier. Nous poursuivrons la semaine prochaine pour ceux et celles qui sont intéressés. Si<br />
certains souhaitent continuer, avec Gilda, on va monter un spectacle à l’automne et les acteurs<br />
seront tous des gars de la rue. Ca sera les Bas-fonds d’un grand écrivain russe qui s’appelait<br />
Gorki.<br />
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Pascal : Vous pensez qu’on pourrait être capable de jouer du vrai théâtre ?<br />
Sandor : J’en suis sûr, n’est ce pas Gilda ?<br />
Gilda : Bien sûr !<br />
Françoise : Vraiment, on pourrait s’inscrire, vous croyez, mais on n’y connaît rien, on n’osera<br />
jamais.<br />
Gilda : Mais si, essaies.<br />
Françoise : Non, j’oserais pas.<br />
Gilda : (la regardant droit dans les yeux) Je sais que tu en es capable, je le sais.<br />
(Pascal, Françoise)<br />
Françoise : Tu dis jamais rien, toi ?<br />
Pascal : Toi non plus.<br />
Françoise : On n’est pas des bavards.<br />
Pascal : Non<br />
Scène 3<br />
Françoise : Parfois, je me dis que si j’existais pas, personne s’en apercevrait.<br />
Pascal : Pourquoi tu dis ça ?<br />
Françoise : Qui s’en apercevrait ? Mon chat peut-être, et encore, lui, son but, c’est de trouver<br />
quelqu’un pour lui donner sa pâtée, le reste, il s’en fout. Et toi ?<br />
Pascal : J’sais pas. Si, Geneviève et Jacqueline, elles s’en apercevraient. T’as un chat ?<br />
Françoise : J’ai un homme, c’est pire. Enfin, un homme m’a, comme on a une table, une<br />
bouteille de vin, une vieille sandale qu’on balance le soir avec le pied.<br />
Pascal : T’es mignonne pourtant. Si, si, je t’assure. Pourquoi tu pleures, dis, pourquoi tu<br />
pleures ? C’est moi qui t’ai blessée ? J’ai toujours été si maladroit, qu’est ce que j’ai encore<br />
dit de travers ?<br />
Françoise : Pourquoi tu es tout recroquevillé sur toi ? Pourquoi tu dis jamais rien ?<br />
Pascal : On aimerait tant être un autre.<br />
Françoise : T’es gentil, toi, je sais que tu t’en apercevrais, toi, si j’existais pas.<br />
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(Gilda et Bernard)<br />
Gilda : Alors, comme ça, le théâtre t’attire ?<br />
Scène 4<br />
Bernard : Oui, ça m’intéresse, votre atelier. L’autre soir, quand je les ai entendu s’insulter,<br />
j’avais envie de crier moi aussi. Et en rentrant chez moi, dans la rue, tout seul, je me suis mis<br />
à gueuler, et j’ai senti un grand poids qui tombait de mes épaules.<br />
Gilda : Tiens…<br />
Bernard : Je suis un type plutôt réservé. Je ne suis pas une grande gueule comme Tarzan, ni un<br />
joyeux comme Pilou. Malgré les apparences, je suis plutôt timide et j’ai jamais bien su me<br />
défendre, jamais su affronter les autres. C’est pour cela que j’ai sombré.<br />
Gilda : Sombré ?<br />
Bernard : J’avais un bon job, j’étais cuisinier.<br />
Gilda : Cuisinier, c’est super, ça !<br />
Bernard : Ouhais, ouhais, c’est vrai, c’est sympa. J’ai bourlingué un peu partout, j’ai mené la<br />
belle vie à une époque, j’avais du fric, même beaucoup de fric à un moment. Je travaillais à<br />
l’époque sur la Côte d’Azur, dans un palace. Ah, c’était sympa, vraiment sympa. Et puis, il y a<br />
eu une histoire, une histoire…<br />
Gilda : Une histoire de femme ?<br />
Bernard : Oui. Comment tu le sais ?<br />
Gilda : Ca se laisse deviner.<br />
Bernard : Ah, bon. Oui, une histoire de femme. J’ai été viré et…. et… je me suis mis à boire.<br />
Enfin, je me suis à boire beaucoup. <strong>Le</strong> fil de mon existence s’est débobiné, à toute vitesse,<br />
tout a fichu le camp. C’est con, hein, vraiment con.<br />
Gilda : Tu bois toujours ?<br />
Bernard : C’est rare qu’on ose me demander ça. Non, non, plus une goutte. J’ai arrêté trois<br />
fois. La première fois, ça a duré cinq ans. Et pour fêter les cinq ans, j’ai bu un verre et c’est<br />
reparti. La seconde fois, j’ai arrêté sept ans et puis c’est reparti quand ma meuf s’est tirée.<br />
Ah, les femmes, c’est compliqué. Et toi, t’es… ?<br />
Gilda : T’es ?<br />
Bernard : T’es… ? avec, euh… ?<br />
Gilda : Avec Sandor ? Avec l’homme au sang d’or ? Qu’est ce que tu penses ?<br />
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Gilda : Ben, je pense que oui, sinon, vous seriez pas ensemble. Et puis, les gens de théâtre…<br />
Gilda : Qu’est ce qu’ils ont les gens de théâtre ?<br />
Bernard : Je sais pas moi, mais…comme ça…<br />
Gilda : Moi, j’ai fait le trottoir pas mal d’années. Puis j’ai rencontré Sandor. Il est passé dans<br />
un foyer où j’étais là, j’sais plus pourquoi j’y avais atterri. Il présentait ses ateliers, il avait<br />
besoin de comédiennes. Et voilà. On est associés.<br />
Bernard : Associés ? Ah, vous n’êtes pas… ?<br />
Gilda : Non.<br />
Bernard : Alors, tu t’en es sortie ?<br />
Gilda : Je crois, oui. J’ai perdu mes peurs, mes rancunes.<br />
Bernard : Ah bon ?<br />
Gilda : J’ai fait tomber de moi des mots de rage, de haine, des mots remplis de pleurs et de<br />
peurs. Ces mots pesaient du plomb. Plus je criais sur scène ma violence, plus je me sentais<br />
légère et libre. Oui, libre, comme un oiseau. Je suis comme un oiseau maintenant. Impossible<br />
de me mettre en cage.<br />
Bernard : Tu sais… Je vais avoir une petite chambre bientôt. Je suis vraiment content parce<br />
que ça fait des années que je me bricolais des solutions vaseuses. Actuellement, je dors à<br />
Versailles. Enfin, c’est ce que je dis. Ca impressionne les potes. En fait, je dors dans le train,<br />
au terminus, à Versailles, les agents de la SNCF ne disent rien, je fais pas d’histoire. Je sais<br />
pas pourquoi je te dis tout ça… Je vais accompagner Geneviève une dizaine de jours en Iran,<br />
on va porter des médicaments et des couvertures aux victimes du tremblement de terre.<br />
Gilda : C’est bien, dis donc.<br />
Bernard : Oui, oui, c’est bien, c’est bien, mais… Tu seras encore dans le coin dans une<br />
quinzaine ?<br />
Gilda : Peut-être.. je ne sais pas… Avec Sandor, nous allons d’un endroit à l’autre au gré des<br />
contacts. Un jour ici, un autre jour auprès de prisonniers, un troisième jour dans un centre<br />
d’hébergement, un autre soir, à la rencontre de SDF, et un autre, dans un hôpital pour enfants.<br />
Sandor aide les gens à cracher le fiel qu’ils ont dans la gorge. Il donne l’occasion à tous les<br />
paumés de la vie de montrer qu’ils sont capables de faire des choses incroyables, apprendre un<br />
texte par cœur, monter sur une scène, réciter des textes en public, se faire applaudir. La<br />
première fois que j’ai joué devant un public, à la fin, quand j’ai vu tous ces gens qui<br />
m’applaudissaient, moi, tu entends, ils m’applaudissaient, tu vas rire, j’en ai pissé dans ma<br />
culotte, ça a été plus fort que moi.<br />
Bernard : Mais… dans quelques semaines, tu seras où ?<br />
Gilda : Peut-être dans le nord, peut-être en Amérique du Sud, je sais pas.<br />
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Bernard : Mais tu n’aimerais pas te fixer un peu maintenant, trouver… un homme et… vivre<br />
normalement…<br />
Gilda : C’est quoi « normalement » ?<br />
Bernard : Ben… je sais pas, moi…<br />
Gilda : Tu es gentil, Bernard, mais je suis libre, comme un oiseau, et jamais, jamais, je<br />
n’abandonnerai cette liberté. Tu comprends ?<br />
Bernard : Oui, oui, je comprends…<br />
Gilda : Allez, va, j’en connais qui ont besoin de toi.<br />
(Elle se penche vers lui et l’embrasse sur la joue)<br />
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