auteurs latins - Notes du mont Royal

82 LUCRÈCE.
(a masse, dans les articulations et les membres :
contact facile, puisque les deux substances
sont enchaînées* L'âme , à son tour, attaque le
corps; et voilà comme, peu à peu , toute la machine
s'émeut et s f ébranle.
D'ailleurs, ces ébranlements amaigrissent le
corps; etïl faut bien que l'air, essence toujours
mobile, gagne les ouvertures, inonde les vides,
et circule dans les moindres partiesde notre substance.
Tu vois doncque deux-mobiles nous emportent,
comme le vent et la voile chassent les
navires.
Ici encore ne va pas crier merveille, parce
que des corps imperceptibles roulent un corps
énorme, et que nos lourdes masses tournent à
leur gré. Le vent, fluide subtil et maigre, précipite
bien avec de vastes efforts de vastes navires;
et, si impétueux que soit leur essor, une
seule main les conduit, un seul gouvernail leur
Imprime mille détours. Armées de grues et de
poulies, les machines remuent et enlèvent sans
peine des fardeaux immenses.
Maintenant, de quelle façon le doux sommeil
verse-t-il le repos aux membres, etchasset-il
les inquiétudes de nos poitrines? Je veux
l'exposer en quelques vers, dont le charme surpasse
le nombre. Un souffle harmonieux du
cygne l'emporte sur le vaste cri dont les grues
parsèment le vent à la cime des nuages : toi, apporte-nous
de fines oreilles et un esprit perçant,
afin de t'épargner mille révoltes contre nos paroles
, et cette aversion, cette horreur pour la
loque gredi, feritextemplo f quae in corpore loto
Fer membra atque arltis animai dlssita vis est :
£l facile est factumy qtioniam conjuneta leneitir. 890
Inde ea proporro corpus petit,, atque ita tota
Paullatim moles protruditur atque movetur.
Prasterea, tum rareseit quoque corpus f et aer
Scilicet» ut débet, qui seinper mobilis exstat,
Per patefacta venit, peaetcatqtie foramina largos ; 895
Et cJîspergltfir ad parteis ita quasque minutas
Corporis ; bic igitur rébus fit titrimqtie duabus,
Corpus ut » ac na\is velis ventoque, feratur.
Mec tamen illud in bis rébus mirabile constat,
Tantula quod tanlum corpus corpuscula possint 900
Contorquere, et ©nus totum convortere nostrum.
Quippe etenîm veotus, sublili corpore tennis,
Trudit agens oiagnam magno utolimine navem;
Etmanus una régit quant©?Is Impete euntem;
Atque gubernaclum contorquet quolubet «oum : 905
Multaque per trocbleas et tympana pondère magno
Commovet» atque levi stistollit machina nixu.
Nunc quibus ille modis somnus per membra quictem
Irnget, atque animi curas e pectoresolvat»
Suavidicis poilus» quam mollis, versibus edam ; 910
Parvus ut est cycoi mclior catior, ille gruuin quam
Clamor, in a?lheriis dispersus nttbibus austri.
Tu mibï da tenueis aureis, anintumque sa^acent :
vérité, qu'inspire le fol aveuglement ie ses propres
erreurs.
D'abord le sommeil a lieu quand les âmes se
décomposent au sein des membres, et qu'une
partie de leur essence a été vomie au dehors,
tandis que l'autre se ramasse, se concentre dans
les profondeurs de la masse. Alors, alors enfin
nos membres paraissent déliés et flottants. Car II
est incontestable que le sentiment est dû au travail
des âmes ; et à peine le sommeil y met-il empêchement,
que nous devons croire les âmes
bouleversées, chassées de leur asile. Non pas
tout entières : autrement le corps demeurerait
engourdi par les glaces éternelles de la mort,
faute de garder une parcelle de leur substance
cachée dans les organes; feu qui dort enfoui sous
un monceau de cendres, étincelle qui rallume
ie sentiment au fond des membres, invisible
foyer qui jette tout à coup la flamme.
Mais la cause de ce nouvel état, et la source
de ce bouleversement des âmes, de cette langueur
du corps, je vais te les découvrir ; ne me
laisse pas jeter mes paroles au vent.
La surface des corps essuyant par son voisinage
le contact des airs, elle doit être battue,
ébranlée de mille coups : aussi la peau f et même
des écailles ou un cuir épais, enveloppent-ils presque
tous les assemblages. De même, la respiration
expose leur intérieur à un choc, quand ils
aspirent ou rejettent le souffle. Ces deux atteintes
que la masse subit à la fois, cet ébranlement
qui remonte par des canaux imperceptibles jus-
Ne fieri negites, quaedîeam, posse, rctroque
Vera repulsanli discedas pectorc dicta : Ois
Tutemel in eulpa quom sis, neque cernere possis.
Principio, somnus fît, ubi estdistracla per arlus
Vis anims; parlimque foras éjecta recessïl,
Et parlîm contrusa magis concesslt in allum :
Dlssolvuntur enlin lum demtim membra, fluuutqne. 920
Nam dublumnon est, animai qoin opérasit
Sensas hic in nobis ; quem quom sopor impedît e«^t
Tum nobis animam perturbatam esse putandumest,
Ejectamqoe foras ; non omnem ; namque jaccret
Jsterno corpus perfosum frigore leti, 9ÎS
Qwippe ubi nulla lalens animai pars remaneret
In membris, cinere ut roulia latet obrulus ignis ;
Unde reconflari sensus per membra repente
Possit, et ex ignî caeco consurgere flamma.
Sed» quibus bœc rébus novilas confletur, et unde 930
Perturbari anima, et corpus languescere possit,
Expédiant : tu fac, ne venteis wrba profundam.
Priocipio » externa corpus de parte uccessum est »
Aeriis quoniam vicinum tangiturauris,
Tundier, alqueejus crebro pulsarier ictu : 935
Proptereaque, fere res omîtes aut corîo sunt »
Aut etiatn conebis, aut callo» aut cortice tectœ.
lnteriorent ettam partent spirantibus aer
1 Verberat hic idem, quom ducitur, atqnereflatur.