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03.07.2013 Views

Il descendit du fenil par l’échelle et sortit dans la brume ténue de l’aube. Les vieux poulets l’observèrent avec circonspection lorsqu’il fouilla des yeux leur abri. Un coq plus tout jeune et plutôt gêné lui lança un regard noir et haussa les épaules. Il entendit des chocs métalliques du côté de la maison. Un vieux cercle de tonneau pendait près de la porte, et mademoiselle Trottemenu tapait dessus à grands coups de louche. Il s’approcha à grands pas afin d’en apprendre davantage. « POUR QUELLE RAISON FAITES-VOUS TOUT CE BRUIT, MADEMOISELLE TROTTEMENU ? » Elle se retourna vivement, la louche à demi brandie. « Bon sang, vous devez marcher comme un chat ! dit-elle. — JE DOIS ? — J’veux dire que j’vous ai pas entendu. » Elle recula et le toisa. « Vous avez tout de même quelque chose… J’arrive pas à mettre le doigt dessus, Pierre Porte, fit-elle. J’aimerais bien savoir ce que c’est. » Le squelette de deux mètres dix la considéra d’un air stoïque. Il sentait qu’il n’y avait rien à répondre. « Qu’est-ce que vous voulez pour votre petit-déjeuner ? demanda la vieille femme. Ça changera rien, ce que vous voulez, remarquez, vu que c’est d’la bouillie d’avoine. » Plus tard, elle se dit qu’il avait dû la manger, sa bouillie, parce que le bol était vide. Pourquoi je n’arrive pas à me rappeler ? Puis il y eut la faux. Il la contempla comme s’il n’en avait encore jamais vu. Elle désigna le rabattoir et les poignées. Il les regarda d’un air poli. « VOUS L’AIGUISEZ COMMENT, MADEMOISELLE TROTTEMENU ? — Elle est bien assez aiguisée comme ça, grands dieux. — COMMENT L’AIGUISE-T-ON DAVANTAGE ? — On peut pas. Quand c’est aiguisé, c’est aiguisé. On peut pas l’aiguiser plus que ça. » Il avait donné un coup de faux dans le vide à titre d’essai et lâché un petit sifflement déçu. Et puis l’herbe. - 90 -

Le pré à fourrage s’étendait en hauteur sur la colline derrière la ferme, avec vue sur le champ de blé. Elle regarda son nouvel employé travailler un moment. Elle n’avait jamais vu technique plus fascinante. Elle n’aurait même pas cru la chose possible. « C’est bien, dit-elle enfin. Vous avez le bon geste et tout. — MERCI, MADEMOISELLE TROTTEMENU. — Mais pourquoi un seul brin d’herbe à la fois ? » Pierre Porte contempla un instant la rangée impeccable de tiges. « IL Y A UNE AUTRE FAÇON ? — Vous pouvez en faucher des tas d’un coup, vous savez. — NON. NON. UN BRIN À LA FOIS. UN COUP, UN BRIN. — Vous risquez pas d’en faucher beaucoup de cette façon-là, dit mademoiselle Trottemenu. — JUSQU’AU DERNIER BRIN, MADEMOISELLE TROTTEMENU. — Ah oui ? — FAITES-MOI CONFIANCE. » Mademoiselle Trottemenu le laissa à sa tâche pour retourner à la ferme. Debout à la fenêtre, elle observa quelque temps la silhouette sombre au loin qui passait par-dessus la colline. Je me demande ce qu’il a fait, songeait-elle. Il a un passé. C’est un de ces hommes mystérieux comme on en voit dans les histoires, j’imagine. Il a peut-être commis un vol et il se cache. Il a déjà fauché tout un rang. Un brin à la fois, mais quand même plus vite qu’un homme qui faucherait par andains… La seule lecture de mademoiselle Trottemenu, c’était l’Almanach et Catalogue de graines du fermier, lequel pouvait durer une année entière dans les cabinets si personne n’était malade. En plus des renseignements sérieux sur les phases de la lune et les semailles, l’ouvrage prenait un certain plaisir macabre à rapporter les diverses tueries, rapines brutales et catastrophes naturelles qui accablaient l’humanité, du genre : « 15 juin, année de l’Hermine impromptue. Ce même jour, il y a cent cinquante ans, un homme a été tué par une étonnante averse de goulasch à Quirm », ou « Quatorze morts des mains de Chume, le jeteur de harengs de sinistre mémoire. » - 91 -

Il descendit du fenil par l’échelle et sortit dans la brume ténue<br />

de l’aube.<br />

Les vieux poulets l’observèrent avec circonspection lorsqu’il<br />

fouilla des yeux leur abri. Un coq plus tout jeune et plutôt gêné<br />

lui lança un regard noir et haussa les épaules.<br />

Il entendit des chocs métalliques du côté de la maison. Un<br />

vieux cercle de tonneau pendait près de la porte, et<br />

mademoiselle Trottemenu tapait dessus à grands coups de<br />

louche.<br />

Il s’approcha à grands pas afin d’en apprendre davantage.<br />

« POUR QUELLE RAISON FAITES-VOUS TOUT CE BRUIT, MADEMOISELLE<br />

TROTTEMENU ? »<br />

Elle se retourna vivement, la louche à demi brandie.<br />

« Bon sang, vous devez marcher comme un chat ! dit-elle.<br />

— JE DOIS ?<br />

— J’veux dire que j’vous ai pas entendu. » Elle recula et le<br />

toisa. « Vous avez tout de même quelque chose… J’arrive pas à<br />

mettre le doigt dessus, Pierre Porte, fit-elle. J’aimerais bien<br />

savoir ce que c’est. »<br />

Le squelette de deux mètres dix la considéra d’un air stoïque.<br />

Il sentait qu’il n’y avait rien à répondre.<br />

« Qu’est-ce que vous voulez pour votre petit-déjeuner ?<br />

demanda la vieille femme. Ça changera rien, ce que vous voulez,<br />

remarquez, vu que c’est d’la bouillie d’avoine. »<br />

Plus tard, elle se dit qu’il avait dû la manger, sa bouillie, parce<br />

que le bol était vide. Pourquoi je n’arrive pas à me rappeler ?<br />

Puis il y eut la faux. Il la contempla comme s’il n’en avait<br />

encore jamais vu. Elle désigna le rabattoir et les poignées. Il les<br />

regarda d’un air poli.<br />

« VOUS L’AIGUISEZ COMMENT, MADEMOISELLE TROTTEMENU ?<br />

— Elle est bien assez aiguisée comme ça, grands dieux.<br />

— COMMENT L’AIGUISE-T-ON DAVANTAGE ?<br />

— On peut pas. Quand c’est aiguisé, c’est aiguisé. On peut pas<br />

l’aiguiser plus que ça. »<br />

Il avait donné un coup de faux dans le vide à titre d’essai et<br />

lâché un petit sifflement déçu.<br />

Et puis l’herbe.<br />

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