Pratchett,Terry-[Dis..
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— On est jamais trop prudent. Et si tu t’mettais dans l’idée d’aller courir après les poulets du quartier ? Ils diraient quoi, les voisins ? — Je n’ai jamais eu la moindre envie de courir après un poulet, mère, répondit Ludmilla d’un ton las. — Ou courir après les charrettes en aboyant. — Ça, ce sont les chiens, maman. — Tu vas quand même retourner dans ta chambre, t’enfermer et faire de la couture comme une bonne fille. — Tu sais bien que je n’arrive pas à tenir l’aiguille comme il faut, maman. — Fais un effort pour ta mère. — Oui, maman, dit Ludmilla. — Et t’approche pas d’la fenêtre. On tient pas à déranger le monde. — Oui, maman. Et toi, n’oublie pas de brancher ta prémonition, m’man. Tu sais que ta vue n’est plus ce qu’elle était. » Madame Cake regarda sa fille monter l’escalier. Puis elle ferma à clé la porte d’entrée derrière elle et partit à grands pas vers l’Université de l’Invisible où, à ce qu’on lui avait dit, l’absurdité était reine. Quiconque aurait observé la marche de madame Cake dans la rue aurait noté deux ou trois détails bizarres. Malgré sa trajectoire fantasque, personne ne lui rentrait dedans. Les passants ne l’évitaient pas, elle ne se trouvait tout bonnement jamais sur leur chemin. Un moment, elle hésita et s’engagea dans une ruelle. La seconde d’après un tonneau dégringola d’une charrette qui livrait une taverne et s’écrasa sur les pavés, là où elle aurait dû se tenir. Elle ressortit de la ruelle et enjamba les débris en grommelant toute seule. Madame Cake passait beaucoup de temps à grommeler. Elle remuait sans arrêt les lèvres, comme si elle voulait se déloger un pépin gênant d’entre les dents. Elle arriva devant les hautes portes noires de l’Université où elle hésita une fois encore, l’air d’écouter une voix intérieure. Puis elle entra et attendit. - 88 -
Pierre Porte, allongé dans l’obscurité du fenil, attendait lui aussi. D’en dessous montaient de temps en temps les bruits chevalins de Bigadin : un mouvement léger, un mâchonnage. Pierre Porte. Ainsi, il avait un nom désormais. Évidemment, il en avait toujours eu un, mais qui désignait ce qu’il incarnait, si l’on peut dire, et non lui-même. Pierre Porte. Un nom qui sonnait bien. Monsieur Pierre Porte. Sire Pierre Porte. Pierrot P… Non. Pas Pierrot. Pierre Porte s’enfonça davantage dans le foin. Il plongea la main dans sa robe et sortit le sablier doré. Il y avait visiblement moins de sable dans l’ampoule supérieure. Il le rempocha. Et puis il y avait cette histoire de « dormir ». Il savait de quoi il s’agissait. Les gens y consacraient une bonne partie de leur temps. Le sommeil, ils appelaient ça. Ils s’allongeaient et, hop, le sommeil se produisait. Ça devait avoir son utilité. Il attendait le phénomène avec intérêt. Il faudrait qu’il l’analyse. Sur le monde passa la nuit qu’une nouvelle journée poursuivait effrontément de ses assiduités. On s’agita dans le poulailler de l’autre côté de la cour. « Coco… euh… » Pierre Porte regarda fixement l’envers du toit de la grange. « Cocori… euh… » Une lumière grise filtrait par les interstices. Pourtant, quelques instants plus tôt, c’était la lueur rouge du soleil couchant ! Six heures avaient disparu. Pierre extirpa le sablier. Oui. Le niveau avait incontestablement baissé. Pendant qu’il attendait de faire l’expérience du sommeil, quelque chose lui avait volé une partie de… de sa vie. En plus de ça, il était complètement passé à côté de l’expérience en question… « Coc… coco… euh… » - 89 -
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faut, maman.<br />
— Fais un effort pour ta mère.<br />
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— Oui, maman. Et toi, n’oublie pas de brancher ta<br />
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était. »<br />
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Quiconque aurait observé la marche de madame Cake dans la<br />
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charrette qui livrait une taverne et s’écrasa sur les pavés, là où<br />
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débris en grommelant toute seule.<br />
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elle hésita une fois encore, l’air d’écouter une voix intérieure.<br />
Puis elle entra et attendit.<br />
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