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03.07.2013 Views

discussion de fantômes, non ? donner à manger au chat ? qu’est-ce que vous faites des « je suis très bien ici, j’attends que tu me rejoignes « ? — … écoutez, s’il y en a d’autres qui nous rejoignent, on va s’entasser les uns sur les autres… — c’est pas la question, c’est pas la question, voilà ce que je dis, moi. quand on est un esprit, y a des phrases rituelles à dire, madame Cake ? — Oui ? — faut prévenir quelqu’un de ce qui s’passe ici. » Madame Cake opina. « Maintenant, allez-vous-en tous, dit-elle. Je sens ma migraine qui revient. » La boule de cristal perdit son éclat. « Ben ça ! fit Ludmilla. — C’est pas les prêtres que j’vais prévenir », dit madame Cake, catégorique. N’allez pas croire que madame Cake n’était pas pieuse. Elle l’était profondément, au contraire, comme nous l’avons déjà signalé. Il n’y avait pas un temple, une église, une mosquée ou un petit alignement de menhirs en ville qu’elle n’avait un jour ou l’autre visité, à la suite de quoi elle avait inspiré davantage de crainte qu’un Siècle des lumières ; la seule vue de la petite silhouette ronde de madame Cake sur le seuil suffisait à couper net le sifflet à la plupart des prêtres, à leur imposer un silence de mort au beau milieu de leurs invocations. Et puisqu’on parle de mort, justement… Toutes les religions avaient des opinions bien arrêtées sur la communication avec les défunts. Et madame Cake aussi. Pour les religions, c’était un péché de leur parler. Pour madame Cake, la moindre des politesses. Ce qui entraînait d’ordinaire un débat ecclésiastique houleux au terme duquel madame Cake abreuvait l’archiprêtre de ce qu’elle appelait le « fond de sa pensée ». Elle avait désormais tellement de fonds de sa pensée disséminés en ville qu’on se demandait comment son cerveau ne s’était pas déjà vidé, mais curieusement, plus elle en donnait, plus il lui en restait, semblait-il. - 86 -

Il y avait aussi la question de Ludmilla. Ludmilla posait un problème. Feu monsieur Cake, quelesdieuxaientsonâme, n’avait jamais ne serait-ce que sifflé à la pleine lune de toute sa vie, et madame Cake craignait que sa fille ne soit une réminiscence d’un lointain passé familial dans les montagnes, à moins qu’elle n’ait attrapé une mutation dans son enfance. Elle était quasiment sûre que sa mère avait une fois fait une allusion discrète au grand-oncle Erasme qui devait parfois prendre ses repas sous la table. N’importe comment, Ludmilla était une jeune femme tout à fait normale et verticale trois semaines sur quatre, et le reste du temps une espèce de louve velue obéissante comme tout. Les prêtres n’avaient pas souvent le même point de vue. Généralement, au moment où elle se fâchait avec les prêtres 11 qui intercédaient en sa faveur auprès des dieux, madame Cake assurait déjà la décoration florale, l’époussetage de l’autel, le balayage du temple, le récurage de la pierre sacrificielle, la gratouille de bénitiers, le dépunaisage de sacristie, le ravaudage de coussins et tout autre soutien religieux vital qu’apportait la seule force de sa personnalité, aussi son départ entraînait-il un véritable chaos. Madame Cake boutonna son manteau. « Ça ne marchera pas, dit Ludmilla. — Je vais essayer les mages. À eux, faut leur dire », affirma madame Cake. Elle frissonnait de suffisance, comme un petit ballon de football enragé. « Oui, mais tu prétends qu’ils n’écoutent jamais. — Faut que j’essaye. Dis donc, toi, qu’est-ce que tu fais hors de ta chambre ? — Oh, maman. Tu sais bien que je la déteste, cette chambre. Ce n’est pas la peine… 11 Madame Cake n’ignorait pas que certaines religions ordonnaient des prêtresses. Ce qu’elle pensait de l’ordination des femmes n’est pas imprimable. À Ankh-Morpork, les religions à prêtresses avaient tendance à drainer une foule de prêtres en civil d’autres confessions venant chercher deux, trois heures de répit quelque part où ils ne risquaient pas de tomber sur madame Cake. - 87 -

discussion de fantômes, non ? donner à manger au chat ?<br />

qu’est-ce que vous faites des « je suis très bien ici, j’attends que<br />

tu me rejoignes « ?<br />

— … écoutez, s’il y en a d’autres qui nous rejoignent, on va<br />

s’entasser les uns sur les autres…<br />

— c’est pas la question, c’est pas la question, voilà ce que je<br />

dis, moi. quand on est un esprit, y a des phrases rituelles à dire,<br />

madame Cake ?<br />

— Oui ?<br />

— faut prévenir quelqu’un de ce qui s’passe ici. »<br />

Madame Cake opina. « Maintenant, allez-vous-en tous,<br />

dit-elle. Je sens ma migraine qui revient. »<br />

La boule de cristal perdit son éclat.<br />

« Ben ça ! fit Ludmilla.<br />

— C’est pas les prêtres que j’vais prévenir », dit madame Cake,<br />

catégorique.<br />

N’allez pas croire que madame Cake n’était pas pieuse. Elle<br />

l’était profondément, au contraire, comme nous l’avons déjà<br />

signalé. Il n’y avait pas un temple, une église, une mosquée ou<br />

un petit alignement de menhirs en ville qu’elle n’avait un jour ou<br />

l’autre visité, à la suite de quoi elle avait inspiré davantage de<br />

crainte qu’un Siècle des lumières ; la seule vue de la petite<br />

silhouette ronde de madame Cake sur le seuil suffisait à couper<br />

net le sifflet à la plupart des prêtres, à leur imposer un silence de<br />

mort au beau milieu de leurs invocations.<br />

Et puisqu’on parle de mort, justement… Toutes les religions<br />

avaient des opinions bien arrêtées sur la communication avec les<br />

défunts. Et madame Cake aussi. Pour les religions, c’était un<br />

péché de leur parler. Pour madame Cake, la moindre des<br />

politesses.<br />

Ce qui entraînait d’ordinaire un débat ecclésiastique houleux<br />

au terme duquel madame Cake abreuvait l’archiprêtre de ce<br />

qu’elle appelait le « fond de sa pensée ». Elle avait désormais<br />

tellement de fonds de sa pensée disséminés en ville qu’on se<br />

demandait comment son cerveau ne s’était pas déjà vidé, mais<br />

curieusement, plus elle en donnait, plus il lui en restait,<br />

semblait-il.<br />

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