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03.07.2013 Views

ne le tracassait, il passait cinq minutes à parler de bisons et de grand esprit ; pour lui, il devait sûrement s’agir d’esprit-de-vin qu’il se serait empressé de boire s’il était tombé dessus ; du coup, difficile de prévoir le sort qu’il aurait réservé à un bison. Et il n’arrêtait pas d’émailler sa conversation de « ugh » et de « hao ». « Comment ça ? — une catastrophe, quelque chose ? un genre de peste éclair ? — Non. Je ne crois pas. — ça se bouscule drôlement ici, vous savez, qu’est-ce qui retarde tout ? — Comment ça ? — taisezvoustaisezvoustaisezvous j’essaye de parler à la dame ! vous autres là-bas, faites moins de bruit ! ah ouais ? dites donc… » Madame Cake eut conscience d’autres voix qui tentaient de le couvrir. « Un-homme-seau ! — sauvage païen, ah oui ? eh ben, savez ce qu’il vous dit, le sauvage païen ? ouais ? écoutez, je suis ici depuis cent ans, moi ! vais pas supporter ça d’un mort à peine refroidi ! bon… ça suffit, espèce… » Sa voix s’éteignit. Madame Cake serra les mâchoires. La voix revint. « … ah ouais ? ah ouais ? eh ben, p’t-être que t’étais important de ton vivant, l’ami, mais ici t’es plus qu’un drap avec des trous dedans ! ah, t’aimes pas ça, hein… — Il va recommencer à se battre, m’man, fit Ludmilla, couchée en rond près du poêle de la cuisine. Il traite tout le temps les gens d’“amis” avant de leur taper dessus. » Madame Cake soupira. « Et on dirait qu’il va se battre avec beaucoup de monde, ajouta Ludmilla. — Oh, d’accord. Va m’chercher un vase. Un pas cher, attention. » On pense communément, sans véritable certitude, que toute chose a son pendant immatériel qui, à l’instant du trépas, existe - 84 -

un bref instant sous la même forme dans l’intervalle plein de courants d’air séparant le monde des vivants de celui des morts. Un détail d’importance. « Non, pas celui-là. Il était à ta mémé. » Cette survivance fantomatique ne dure guère sans conscience pour assurer sa cohésion, mais elle peut se maintenir le temps qu’il faut pour ce qu’on a en tête. « Celui-là, ça ira. J’ai jamais aimé le motif. » Madame Cake retira un vase orange décoré de pivoines roses des pattes de sa fille. « T’es toujours là, Un-homme-seau ? demanda-t-elle. — … je vais te faire regretter d’être mort, espèce de pleurnichard… — Attrape. » Elle laissa tomber le vase sur le poêle. Il se brisa. Un instant plus tard, un bruit lui parvint depuis l’Autre Côté. Si un esprit désincarné avait tapé sur un autre esprit désincarné avec le fantôme d’un vase, c’est exactement ce qu’on aurait entendu. « voilà, fit la voix d’Un-homme-seau, et il a ses p’tits frères là d’où il vient, vu ? » La mère Cake et sa fille velue échangèrent un signe de tête. Lorsqu’Un-homme-seau reprit la parole, sa voix dégoulinait de satisfaction avantageuse. « juste un petit différend sur le respect aux anciens, dit-il. fallu régler une histoire d’espace personnel, beaucoup de problèmes ici, madame Cake, une vraie salle d’attente… » D’autres voix stridentes se mirent à vociférer. « … pourriez-vous transmettre un message, s’il vous plaît, à monsieur… — … dites-lui qu’il y a un sac de pièces sur le rebord en haut de la cheminée… — … Agnès ne mérite pas l’argenterie après tout ce qu’elle a dit sur notre Molly… — … je n’ai pas eu le temps de donner à manger au chat, est-ce que quelqu’un pourrait aller… — taisezvoustaisezvoustaisezvous ! » Ça, c’était à nouveau Un-homme-seau. « c’est n’importe quoi, hein ? on est dans une - 85 -

ne le tracassait, il passait cinq minutes à parler de bisons et de<br />

grand esprit ; pour lui, il devait sûrement s’agir d’esprit-de-vin<br />

qu’il se serait empressé de boire s’il était tombé dessus ; du coup,<br />

difficile de prévoir le sort qu’il aurait réservé à un bison. Et il<br />

n’arrêtait pas d’émailler sa conversation de « ugh » et de<br />

« hao ».<br />

« Comment ça ?<br />

— une catastrophe, quelque chose ? un genre de peste éclair ?<br />

— Non. Je ne crois pas.<br />

— ça se bouscule drôlement ici, vous savez, qu’est-ce qui<br />

retarde tout ?<br />

— Comment ça ?<br />

— taisezvoustaisezvoustaisezvous j’essaye de parler à la<br />

dame ! vous autres là-bas, faites moins de bruit ! ah ouais ?<br />

dites donc… »<br />

Madame Cake eut conscience d’autres voix qui tentaient de le<br />

couvrir.<br />

« Un-homme-seau !<br />

— sauvage païen, ah oui ? eh ben, savez ce qu’il vous dit, le<br />

sauvage païen ? ouais ? écoutez, je suis ici depuis cent ans,<br />

moi ! vais pas supporter ça d’un mort à peine refroidi ! bon… ça<br />

suffit, espèce… »<br />

Sa voix s’éteignit.<br />

Madame Cake serra les mâchoires.<br />

La voix revint.<br />

« … ah ouais ? ah ouais ? eh ben, p’t-être que t’étais<br />

important de ton vivant, l’ami, mais ici t’es plus qu’un drap<br />

avec des trous dedans ! ah, t’aimes pas ça, hein…<br />

— Il va recommencer à se battre, m’man, fit Ludmilla,<br />

couchée en rond près du poêle de la cuisine. Il traite tout le<br />

temps les gens d’“amis” avant de leur taper dessus. »<br />

Madame Cake soupira.<br />

« Et on dirait qu’il va se battre avec beaucoup de monde,<br />

ajouta Ludmilla.<br />

— Oh, d’accord. Va m’chercher un vase. Un pas cher,<br />

attention. »<br />

On pense communément, sans véritable certitude, que toute<br />

chose a son pendant immatériel qui, à l’instant du trépas, existe<br />

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