Pratchett,Terry-[Dis..

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03.07.2013 Views

L’énergie qui avait animé l’orchestre tout au long de la nuit décrut lentement. Les musiciens se regardèrent les uns les autres. Fausset, le violoneux, jeta un coup d’œil par terre. Le diamant était toujours là. Le batteur s’efforça de se masser les poignets afin d’y ramener un peu de vie. Fausset posa un regard abattu sur les danseurs à bout de forces. « Bon, alors… » fit-il, et il leva une fois de plus son violon. Mademoiselle Trottemenu et son cavalier écoutèrent depuis les lambeaux de brume qui se faufilaient autour du champ dans la lumière de l’aube. La Mort reconnut le rythme lent et insistant. Il revit les figurines de bois qui tournoyaient au fil du temps jusqu’à ce que le ressort arrive en bout de course. « ÇA, JE NE CONNAIS PAS. — C’est la dernière valse. — À MON AVIS, UNE CHOSE PAREILLE N’EXISTE PAS. — Vous savez, dit mademoiselle Trottemenu, je m’suis demandé toute la soirée comment ça allait se passer. Comment vous alliez vous y prendre. Je veux dire, il faut bien mourir de quelque chose, non ? Je me suis dit que ce serait peut-être d’épuisement, mais je m’suis jamais sentie aussi bien. J’ai déjà vécu toute ma vie, et je suis même pas essoufflée. En fait, ça m’a drôlement requinquée, Pierre Porte. Et je… » Elle n’alla pas plus loin. « Je respire pas, c’est ça. » Ce n’était pas une question. Elle se mit une main devant la figure et souffla dessus. « C’EST ÇA. — Je vois. Je m’suis jamais autant amusée de toute ma vie… Ha ! Alors… Quand… ? — VOUS VOUS RAPPELEZ, VOUS AVEZ DIT QU’EN ME VOYANT ÇA VOUS AVAIT FAIT UN CHOC ? — Oui ? — ALORS VOILÀ. » Mademoiselle Trottemenu n’avait pas l’air de l’entendre. - 282 -

Elle tournait et retournait sa main d’avant en arrière, comme si elle ne l’avait encore jamais vue. « Je constate que vous avez opéré quelques modifications, Pierre Porte, dit-elle. — NON. C’EST LA VIE QUI EN OPÈRE BEAUCOUP. — Je veux dire que j’ai l’air plus jeune. — C’EST BIEN CE QUE JE VOULAIS DIRE AUSSI. » Il claqua des doigts. Bigadin cessa de brouter près de la haie pour s’approcher au petit trot. « Vous savez, reprit mademoiselle Trottemenu, j’ai souvent pensé… J’ai souvent pensé que tout le monde porte… vous savez… son âge naturel. On voit des gamins de dix ans qui se conduisent comme s’ils en avaient trente-cinq. Certains naissent déjà adultes, même. Ce serait bien si je pouvais me dire que j’ai eu… (elle baissa la tête pour se regarder) oh, mettons dix-huit ans… toute ma vie. À l’intérieur. » La Mort ne dit rien. Il l’aida à monter sur le cheval. « Quand je vois ce que la vie fait aux gens, vous savez, vous avez pas l’air si terrible », dit-elle nerveusement. La Mort fit claquer ses dents. Bigadin se mit au pas. « Vous avez jamais connu la Vie, hein ? — HONNÊTEMENT, JE DOIS DIRE QUE NON. — Sans doute un grand machin blanc qui crépite. Comme un orage magnétique en pantalon, dit mademoiselle Trottemenu. — JE NE CROIS PAS. » Bigadin s’éleva dans le ciel du matin. « En tout cas… mort à tous les tyrans, dit Mademoiselle Trottemenu. — OUI. — On va où ? » Bigadin galopait, mais le paysage ne bougeait pas. « Un bon cheval que vous avez là, fit mademoiselle Trottemenu d’une voix tremblotante. — OUI. — Mais qu’est-ce qu’il fait ? — IL PREND DE LA VITESSE. — Mais on va nulle part… » Ils disparurent. - 283 -

Elle tournait et retournait sa main d’avant en arrière, comme<br />

si elle ne l’avait encore jamais vue. « Je constate que vous avez<br />

opéré quelques modifications, Pierre Porte, dit-elle.<br />

— NON. C’EST LA VIE QUI EN OPÈRE BEAUCOUP.<br />

— Je veux dire que j’ai l’air plus jeune.<br />

— C’EST BIEN CE QUE JE VOULAIS DIRE AUSSI. »<br />

Il claqua des doigts. Bigadin cessa de brouter près de la haie<br />

pour s’approcher au petit trot.<br />

« Vous savez, reprit mademoiselle Trottemenu, j’ai souvent<br />

pensé… J’ai souvent pensé que tout le monde porte… vous<br />

savez… son âge naturel. On voit des gamins de dix ans qui se<br />

conduisent comme s’ils en avaient trente-cinq. Certains naissent<br />

déjà adultes, même. Ce serait bien si je pouvais me dire que j’ai<br />

eu… (elle baissa la tête pour se regarder) oh, mettons dix-huit<br />

ans… toute ma vie. À l’intérieur. »<br />

La Mort ne dit rien. Il l’aida à monter sur le cheval.<br />

« Quand je vois ce que la vie fait aux gens, vous savez, vous<br />

avez pas l’air si terrible », dit-elle nerveusement.<br />

La Mort fit claquer ses dents. Bigadin se mit au pas.<br />

« Vous avez jamais connu la Vie, hein ?<br />

— HONNÊTEMENT, JE DOIS DIRE QUE NON.<br />

— Sans doute un grand machin blanc qui crépite. Comme un<br />

orage magnétique en pantalon, dit mademoiselle Trottemenu.<br />

— JE NE CROIS PAS. »<br />

Bigadin s’éleva dans le ciel du matin.<br />

« En tout cas… mort à tous les tyrans, dit Mademoiselle<br />

Trottemenu.<br />

— OUI.<br />

— On va où ? »<br />

Bigadin galopait, mais le paysage ne bougeait pas.<br />

« Un bon cheval que vous avez là, fit mademoiselle<br />

Trottemenu d’une voix tremblotante.<br />

— OUI.<br />

— Mais qu’est-ce qu’il fait ?<br />

— IL PREND DE LA VITESSE.<br />

— Mais on va nulle part… » Ils disparurent.<br />

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