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03.07.2013 Views

là-dedans ? Ce que je me ferais bien, là, maintenant, c’est un des fameux pâtés en croûte de monsieur Planteur… » C’est alors qu’il mourut. L’archichancelier lança un coup d’œil à ses collègues, puis il gagna sur la pointe des pieds le fauteuil roulant et souleva un poignet veiné de bleu pour y prendre le pouls. Il secoua la tête de gauche à droite. « C’est comme ça que je veux partir, dit le doyen. — Quoi ? En marmonnant des histoires de pâtés en croûte ? — Non. Tard. — Minute. Minute, fit l’archichancelier. C’est pas normal, ça, vous savez. D’après la tradition, la Mort en personne vient quand un ma… — Peut-être qu’il est débordé, dit aussitôt l’économe. — C’est vrai, reconnut le doyen. Une grosse épidémie de grippe du côté de Quirm, à ce qu’on m’a dit. — Et aussi une belle tempête la nuit dernière. Des tas de naufrages, sûrement, ajouta l’assistant des runes modernes. — Et en plus c’est le printemps… Des avalanches en pagaïe dans les montagnes. — Toutes sortes de fléaux. » L’archichancelier se caressa la barbe d’un air songeur. « Hmm », fit-il. De toutes les créatures du monde, seuls les trolls croient que tout ce qui vit se déplace dans le temps à reculons. Si le passé est visible et le futur caché, disent-ils, ça signifie qu’on doit être tourné du mauvais côté. Tout ce qui vit traverse l’existence sens devant derrière. Une idée très intéressante si l’on pense qu’on la doit à une espèce dont les membres passent les trois quarts de leur temps à se taper mutuellement sur la tête à coups de cailloux. De quelque côté qu’on le prenne, le temps est l’apanage des créatures vivantes. La Mort plongeait au galop à travers des nuages noirs gigantesques. - 24 -

Maintenant, lui aussi en avait, du temps. Celui de sa vie. Vindelle Pounze fouilla l’obscurité des yeux. « Ohé ? lança-t-il. Ohé. Y a quelqu’un ? You-hou ? » Il y eut un murmure mélancolique au loin, comme du vent au bout d’un tunnel. « Montrez-vous, montrez-vous, là où vous êtes, reprit Vindelle d’une voix tremblant d’une exultation hystérique. Ne vous inquiétez pas. Je suis plutôt impatient, à vrai dire. » Il claqua de ses mains immatérielles et se les frotta avec un enthousiasme forcé. « Remuez-vous. J’en connais qui ont de nouvelles vies à vivre », insista-t-il. L’obscurité demeura inerte. Aucune silhouette, aucun bruit. Le vide, sans la moindre forme. L’esprit de Vindelle Pounze se déplaça à la surface des ténèbres. Le fantôme secoua la tête. « En voilà une blague, marmonna-t-il. Pas normal du tout, ça. » Il traîna dans le coin un moment puis, parce qu’il ne lui restait apparemment rien d’autre à faire, se dirigea vers le seul refuge qu’il connaissait. Il l’avait occupé cent trente ans durant. Ledit refuge ne s’attendait pas à son retour et se défendit bec et ongles. Il fallait être soit très décidé soit très puissant pour venir à bout d’une résistance pareille, mais Vindelle Pounze avait été mage pendant plus d’un siècle. Et puis c’était comme cambrioler sa propre maison, la vieille propriété familière où l’on a toujours vécu. On sait où trouver la fenêtre métaphorique qui ferme mal. Bref, Vindelle Pounze réintégra Vindelle Pounze. Les mages ne croient pas aux dieux, de la même façon que la plupart des gens ne jugent pas indispensable de croire, disons, aux tables. Ils savent qu’elles sont là, qu’elles ont leur raison d’être, ils reconnaissent sûrement qu’elles ont leur place dans un - 25 -

là-dedans ? Ce que je me ferais bien, là, maintenant, c’est un des<br />

fameux pâtés en croûte de monsieur Planteur… »<br />

C’est alors qu’il mourut.<br />

L’archichancelier lança un coup d’œil à ses collègues, puis il<br />

gagna sur la pointe des pieds le fauteuil roulant et souleva un<br />

poignet veiné de bleu pour y prendre le pouls. Il secoua la tête de<br />

gauche à droite.<br />

« C’est comme ça que je veux partir, dit le doyen.<br />

— Quoi ? En marmonnant des histoires de pâtés en croûte ?<br />

— Non. Tard.<br />

— Minute. Minute, fit l’archichancelier. C’est pas normal, ça,<br />

vous savez. D’après la tradition, la Mort en personne vient<br />

quand un ma…<br />

— Peut-être qu’il est débordé, dit aussitôt l’économe.<br />

— C’est vrai, reconnut le doyen. Une grosse épidémie de<br />

grippe du côté de Quirm, à ce qu’on m’a dit.<br />

— Et aussi une belle tempête la nuit dernière. Des tas de<br />

naufrages, sûrement, ajouta l’assistant des runes modernes.<br />

— Et en plus c’est le printemps… Des avalanches en pagaïe<br />

dans les montagnes.<br />

— Toutes sortes de fléaux. »<br />

L’archichancelier se caressa la barbe d’un air songeur.<br />

« Hmm », fit-il.<br />

De toutes les créatures du monde, seuls les trolls croient que<br />

tout ce qui vit se déplace dans le temps à reculons. Si le passé est<br />

visible et le futur caché, disent-ils, ça signifie qu’on doit être<br />

tourné du mauvais côté. Tout ce qui vit traverse l’existence sens<br />

devant derrière. Une idée très intéressante si l’on pense qu’on la<br />

doit à une espèce dont les membres passent les trois quarts de<br />

leur temps à se taper mutuellement sur la tête à coups de<br />

cailloux.<br />

De quelque côté qu’on le prenne, le temps est l’apanage des<br />

créatures vivantes.<br />

La Mort plongeait au galop à travers des nuages noirs<br />

gigantesques.<br />

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