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03.07.2013 Views

amenant à la ferme, il y avait sa faux ; non pas celle qu’il avait minutieusement préparée, mais celle dont il s’était servi pour la moisson. Elle ne devait son tranchant qu’à la pierre à aiguiser et à la caresse des tiges végétales, mais c’était une forme familière et il voulut la saisir d’une main hésitante. Une main qui passa carrément au travers. « Plus tu fuis loin, plus tu te rapproches. » La nouvelle Mort sortit sans se presser de l’ombre. « Tu devrais le savoir. » Pierre Porte se redressa. « Ça va nous plaire. — NOUS PLAIRE ? » La nouvelle Mort avança. Pierre Porte recula. « Oui. Prendre une Mort, c’est comme mettre un terme à un milliard de vies mineures. — DE VIES MINEURES ? CE N’EST PAS UN JEU ! » La nouvelle Mort hésita. « Qu’est-ce que c’est, un jeu ? » Pierre Porte entrevit une toute petite lueur d’espoir. « JE PEUX VOUS MONTRER… » L’extrémité du manche de la faux l’atteignit sous le menton et le catapulta contre le mur, où il glissa jusqu’à terre. « Nous devinons une ruse. Nous n’écoutons pas. Le faucheur n’écoute pas la moisson. » Pierre Porte essaya de se relever. Le manche de la faux le frappa une fois encore. « Nous ne commettrons pas les mêmes erreurs. » Pierre Porte leva la tête. La nouvelle Mort tenait le sablier doré ; l’ampoule supérieure était vide. Autour d’eux, le décor se modifia, rougit, prit peu à peu l’apparence irréelle de la réalité vue depuis l’autre côté… « Ton temps est écoulé, monsieur Pierre Porte. » La nouvelle Mort releva son capuchon. Aucun visage en dessous. Pas même un crâne. De la fumée s’enroulait en volutes informes entre la robe et une couronne dorée. Pierre Porte se redressa sur les coudes. « UNE COURONNE ? » Sa voix tremblait de rage. « JE N’AI JAMAIS PORTÉ DE COURONNE, MOI ! - 232 -

— Tu n’as jamais voulu régner. » La Mort ramena la faux en arrière pour frapper une dernière fois. L’ancienne Mort et la nouvelle s’aperçurent alors que le sifflement du temps qui passait ne s’était pas arrêté, en fin de compte. La nouvelle Mort hésita et sortit le sablier doré. Lui donna une secousse. Pierre Porte étudia le visage sans visage sous la couronne. Il y reconnut une expression de perplexité, malgré l’absence de physionomie pour l’afficher ; l’expression flottait toute seule dans l’espace. Il vit la couronne se tourner. Mademoiselle Trottemenu était là, les mains écartées d’une trentaine de centimètres l’une de l’autre et les yeux fermés. Entre ses paumes, en l’air devant elle, flottaient les contours imprécis d’un sablier dont le sable s’écoulait à torrents. Les Morts distinguèrent avec peine, sur le verre, le nom en caractères tremblés : Rénata Trottemenu. L’expression sans traits de la nouvelle Mort traduisait l’embarras en phase terminale. L’être se retourna vers Pierre Porte. « Pour TOI ? » Mais déjà Pierre Porte se relevait et se déployait comme le courroux des rois. Il tendit les bras derrière lui en grondant, vivant sur du temps d’emprunt, et ses mains se refermèrent autour de la faux pour la moisson. La Mort couronnée vit arriver l’arme et leva la sienne, mais rien au monde n’aurait pu arrêter la lame usée lorsqu’elle fendit l’air en grondant, une lame dont la rage et la soif de vengeance affûtaient le fil au-delà de toute définition. Elle traversa le métal sans même ralentir. « PAS DE COURONNE, dit Pierre Porte en regardant droit dans la fumée. PAS DE COURONNE. SEULEMENT LA MOISSON. » La robe se replia sur sa lame. Il entendit une plainte ténue monter dans l’ultrason. Une colonne noire, comme le négatif d’un éclair, fulgura depuis le sol et disparut dans les nuages. - 233 -

— Tu n’as jamais voulu régner. »<br />

La Mort ramena la faux en arrière pour frapper une dernière<br />

fois.<br />

L’ancienne Mort et la nouvelle s’aperçurent alors que le<br />

sifflement du temps qui passait ne s’était pas arrêté, en fin de<br />

compte.<br />

La nouvelle Mort hésita et sortit le sablier doré.<br />

Lui donna une secousse.<br />

Pierre Porte étudia le visage sans visage sous la couronne. Il y<br />

reconnut une expression de perplexité, malgré l’absence de<br />

physionomie pour l’afficher ; l’expression flottait toute seule<br />

dans l’espace.<br />

Il vit la couronne se tourner.<br />

Mademoiselle Trottemenu était là, les mains écartées d’une<br />

trentaine de centimètres l’une de l’autre et les yeux fermés.<br />

Entre ses paumes, en l’air devant elle, flottaient les contours<br />

imprécis d’un sablier dont le sable s’écoulait à torrents.<br />

Les Morts distinguèrent avec peine, sur le verre, le nom en<br />

caractères tremblés : Rénata Trottemenu.<br />

L’expression sans traits de la nouvelle Mort traduisait<br />

l’embarras en phase terminale. L’être se retourna vers Pierre<br />

Porte.<br />

« Pour TOI ? »<br />

Mais déjà Pierre Porte se relevait et se déployait comme le<br />

courroux des rois. Il tendit les bras derrière lui en grondant,<br />

vivant sur du temps d’emprunt, et ses mains se refermèrent<br />

autour de la faux pour la moisson.<br />

La Mort couronnée vit arriver l’arme et leva la sienne, mais<br />

rien au monde n’aurait pu arrêter la lame usée lorsqu’elle fendit<br />

l’air en grondant, une lame dont la rage et la soif de vengeance<br />

affûtaient le fil au-delà de toute définition. Elle traversa le métal<br />

sans même ralentir.<br />

« PAS DE COURONNE, dit Pierre Porte en regardant droit dans la<br />

fumée. PAS DE COURONNE. SEULEMENT LA MOISSON. »<br />

La robe se replia sur sa lame. Il entendit une plainte ténue<br />

monter dans l’ultrason. Une colonne noire, comme le négatif<br />

d’un éclair, fulgura depuis le sol et disparut dans les nuages.<br />

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