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03.07.2013 Views

Mais depuis le jour où le premier homme des cavernes a fait rouler une rondelle de rondin au bas d’une colline, les canidés ressentent un besoin irrépressible de courir après tout ce qui circule sur roues. Lupin cherchait déjà à mordre le chariot. Ses mâchoires se refermèrent sur une roulette. Il y eut un hurlement, un glapissement du bibliothécaire, puis anthropoïde, loup et panier métallique finirent en vrac contre le mur. « Oh, le pauvre ! Regardez-le ! » Ludmilla se précipita et s’agenouilla près du loup blessé. « Il lui a roulé sur les pattes, tenez ! — Et il a sans doute perdu deux ou trois dents », dit Vindelle. Il aida le bibliothécaire à se relever. Il vit une lueur rouge dans les yeux de l’anthropoïde. On avait essayé de lui voler ses livres. Assurément la meilleure preuve pour un mage que les chariots n’avaient pas de cervelle. Vindelle baissa la main et arracha d’une torsion les roues du chariot. « Olé, fit-il. — Oook ? — Non, pas “au lait” », répliqua Vindelle. Lupin avait la tête délicatement posée sur les genoux de Ludmilla. Il avait perdu une dent et son pelage était en broussaille. Il ouvrit un œil et fixa Vindelle d’un regard jaune de connivence pendant qu’on lui caressait les oreilles. Voilà un petit veinard de toutou, songea Vindelle, qui va en profiter pour lever une patte et gémir. « Bon, dit-il. À présent, bibliothécaire… vous étiez sur le point de nous aider, je crois. — Pauvre chien, quel courage », fit Ludmilla. L’air pathétique, Lupin leva une patte et gémit. Alourdi par la masse hurlante de l’économe, l’autre panier métallique ne pouvait atteindre la vitesse de son congénère défunt. En outre, une de ses roues traînait inutilement. Il penchait dangereusement d’un bord à l’autre et faillit capoter en fusant en crabe par les portes. - 188 -

« Je l’ai dans ma ligne de mire ! Je l’ai dans ma ligne de mire ! brailla le doyen. — Non ! Vous risquez de toucher l’économe ! tonitrua Ridculle. Vous risquez d’endommager un bien de l’Université ! » Mais le rugissement inhabituel de la testostérone dans ses oreilles empêchait le doyen d’entendre. Une boule de feu vert ardent frappa le chariot dans sa course de guingois. Des roues volantes zébrèrent le ciel. Ridculle prit une inspiration profonde. « Espèce de sale… ! » s’écria-t-il. Le mot qu’il proféra ne disait rien aux mages qui n’avaient pas reçu son éducation campagnarde rustique et ignoraient tout des menus détails de l’élevage. Mais il lui naquit soudain sous le nez une grosse bestiole ronde, noire, luisante, aux sourcils horribles. Elle lui souffla un pfft d’insecte et s’envola pour rejoindre le petit essaim de jurons. « C’est quoi, cette connerie ? » Une chose plus petite lui apparut brusquement près de l’oreille. Ridculle fit un geste vif vers son chapeau. « Putain ! » L’essaim augmenta d’un individu. « Y a un truc qui vient d’me mordre ! » Une escadrille de « merde » fraîchement éclos tentèrent vaillamment de s’échapper. Il leur tapa dessus en vain. « Allez-vous-en, espèces de fils de p… commença-t-il. — Ne le dites pas ! le coupa le major de promo. Taisez-vous ! » Personne ne disait jamais à l’archichancelier de se taire. Se taire, c’était bon pour les autres. Soufflé, il se tut. « Comprenez, chaque fois que vous dites un juron, il se met à vivre, s’empressa d’expliquer le major de promo. D’horribles petites bestioles ailées sortent du néant. — Bordel de foutredieux ! » lâcha l’archichancelier. Plop. Plop. L’économe rampa, hébété, hors des débris enchevêtrés du chariot métallique. Il retrouva son chapeau pointu, l’épousseta, s’en coiffa, fronça les sourcils, et en extirpa une roue. Ses collègues n’avaient pas l’air de lui prêter grande attention. - 189 -

Mais depuis le jour où le premier homme des cavernes a fait<br />

rouler une rondelle de rondin au bas d’une colline, les canidés<br />

ressentent un besoin irrépressible de courir après tout ce qui<br />

circule sur roues. Lupin cherchait déjà à mordre le chariot.<br />

Ses mâchoires se refermèrent sur une roulette. Il y eut un<br />

hurlement, un glapissement du bibliothécaire, puis anthropoïde,<br />

loup et panier métallique finirent en vrac contre le mur.<br />

« Oh, le pauvre ! Regardez-le ! »<br />

Ludmilla se précipita et s’agenouilla près du loup blessé.<br />

« Il lui a roulé sur les pattes, tenez !<br />

— Et il a sans doute perdu deux ou trois dents », dit Vindelle.<br />

Il aida le bibliothécaire à se relever. Il vit une lueur rouge dans<br />

les yeux de l’anthropoïde. On avait essayé de lui voler ses livres.<br />

Assurément la meilleure preuve pour un mage que les chariots<br />

n’avaient pas de cervelle.<br />

Vindelle baissa la main et arracha d’une torsion les roues du<br />

chariot.<br />

« Olé, fit-il.<br />

— Oook ?<br />

— Non, pas “au lait” », répliqua Vindelle.<br />

Lupin avait la tête délicatement posée sur les genoux de<br />

Ludmilla. Il avait perdu une dent et son pelage était en<br />

broussaille. Il ouvrit un œil et fixa Vindelle d’un regard jaune de<br />

connivence pendant qu’on lui caressait les oreilles. Voilà un petit<br />

veinard de toutou, songea Vindelle, qui va en profiter pour lever<br />

une patte et gémir.<br />

« Bon, dit-il. À présent, bibliothécaire… vous étiez sur le point<br />

de nous aider, je crois.<br />

— Pauvre chien, quel courage », fit Ludmilla.<br />

L’air pathétique, Lupin leva une patte et gémit.<br />

Alourdi par la masse hurlante de l’économe, l’autre panier<br />

métallique ne pouvait atteindre la vitesse de son congénère<br />

défunt. En outre, une de ses roues traînait inutilement. Il<br />

penchait dangereusement d’un bord à l’autre et faillit capoter en<br />

fusant en crabe par les portes.<br />

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