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03.07.2013 Views

trois cents ans, mais Edouard Bottereau, il a pas l’intention de passer le restant de sa vie à clouer des bouts de métal tordu sur des chevaux, moi j’vous l’dis. » Pierre le regarda d’un air interdit. Puis il se pencha et jeta un coup d’œil sous l’engin. Une douzaine de faucilles étaient boulonnées à une grande roue horizontale. Une tringlerie ingénieuse transmettait, via une série de poulies, l’énergie des roues à un système tourbillonnant de bras métalliques. Il se sentit peu à peu envahi d’une impression horrible à propos de la chose devant lui, mais il demanda quand même. « Ben, l’organe essentiel, c’est cet arbre à cames, répondit un Bottereau ravi de l’intérêt de son visiteur. L’énergie arrive par cette poulie, ici, et les cames entraînent les bras d’emboutissage – ces machins, là –, alors la grille de ratissage, actionnée par le mécanisme de va-et-vient, descend au moment où le volet de préhension tombe dans cette fente, ici, mais pendant ce temps les deux boules de cuivre tournent sans arrêt, évidemment, et la toile sans fin emporte la paille pendant que le grain descend, entraîné par son propre poids, le long de la vis feuilletante jusque dans la trémie. Tout bête. — ET LE GRIPLET DE DIX ? — Vous faites bien de me l’rappeler. » Bottereau farfouilla dans les débris par terre et récupéra un petit objet moleté qu’il vissa sur une pièce en saillie du mécanisme. « Ç’a un rôle très important. Ça empêche la came elliptique de monter petit à petit le long de l’arbre de transmission et de se prendre dans la feuillure de collerette, ce qui aurait des conséquences désastreuses, vous l’imaginez bien. » Bottereau recula et s’essuya les mains à un chiffon ; elles en ressortirent un peu plus graisseuses. « J’appelle ça une moissonneuse battante », dit-il. Pierre Porte se sentit très vieux. Ce qu’il était effectivement. Mais il n’en avait jamais eu à ce point conscience. Dans un recoin obscur de son âme, il sentait qu’il savait, sans que le forgeron le lui explique, à quoi servirait la moissonneuse battante. « AH. - 172 -

— On va lui faire faire un petit essai ç’tantôt dans le grand champ du vieux Pisburet. Ça s’annonce bien, je dois dire. Ce que vous regardez en ce moment, monsieur Porte, c’est l’avenir. — OUI. » Pierre Porte passa la main sur la carcasse. « ET LA MOISSON ? — Hmm ? Quoi, la moisson ? — QU’EST-CE QU’ELLE VA EN PENSER ? VOUS ALLEZ LUI DIRE ? » Bottereau fronça le nez. « Lui dire ? Lui dire ? Elle en saura rien. Du blé, c’est du blé. — ET SIX SOUS, C’EST SIX SOUS. — Exactement. » Bottereau hésita. « Vous vouliez quoi ? » La haute silhouette fit courir un doigt inconsolable sur la mécanique graisseuse. « Monsieur Porte ? — PARDON ? OH. OUI. J’AI UN TRAVAIL À VOUS DEMANDER… » Il sortit à grands pas de la forge et revint presque aussitôt avec un objet enveloppé dans de la soie. Il le déballa avec précaution. Il avait taillé un nouveau manche pour la lame – pas un manche droit comme ceux dont on se servait dans les montagnes, mais le manche lourd à double courbure des plaines. « Vous voulez que je la batte au marteau ? Que je change le rabattoir ? Que je l’emmanche mieux ? » Pierre Porte fit non de la tête. « JE VEUX QU’ON LA TUE. — Qu’on la tue ? — OUI. COMPLÈTEMENT. QU’ON LA DÉTRUISE JUSQU’À LA DERNIÈRE MIETTE. QU’ELLE SOIT ABSOLUMENT MORTE. — Jolie faux, dit Bottereau. Ça paraît dommage. Vous avez fait attention à ce qu’elle reste bien affûtée… — N’Y TOUCHEZ PAS ! » Bottereau se suça le doigt. « Marrant, fit-il, j’suis prêt à jurer que je l’ai pas touchée. J’avais la main à plusieurs centimètres. Pour ça, elle coupe, dame. » Il donna des coups de lame dans le vide. - 173 -

trois cents ans, mais Edouard Bottereau, il a pas l’intention de<br />

passer le restant de sa vie à clouer des bouts de métal tordu sur<br />

des chevaux, moi j’vous l’dis. »<br />

Pierre le regarda d’un air interdit. Puis il se pencha et jeta un<br />

coup d’œil sous l’engin. Une douzaine de faucilles étaient<br />

boulonnées à une grande roue horizontale. Une tringlerie<br />

ingénieuse transmettait, via une série de poulies, l’énergie des<br />

roues à un système tourbillonnant de bras métalliques.<br />

Il se sentit peu à peu envahi d’une impression horrible à<br />

propos de la chose devant lui, mais il demanda quand même.<br />

« Ben, l’organe essentiel, c’est cet arbre à cames, répondit un<br />

Bottereau ravi de l’intérêt de son visiteur. L’énergie arrive par<br />

cette poulie, ici, et les cames entraînent les bras<br />

d’emboutissage – ces machins, là –, alors la grille de ratissage,<br />

actionnée par le mécanisme de va-et-vient, descend au moment<br />

où le volet de préhension tombe dans cette fente, ici, mais<br />

pendant ce temps les deux boules de cuivre tournent sans arrêt,<br />

évidemment, et la toile sans fin emporte la paille pendant que le<br />

grain descend, entraîné par son propre poids, le long de la vis<br />

feuilletante jusque dans la trémie. Tout bête.<br />

— ET LE GRIPLET DE DIX ?<br />

— Vous faites bien de me l’rappeler. » Bottereau farfouilla<br />

dans les débris par terre et récupéra un petit objet moleté qu’il<br />

vissa sur une pièce en saillie du mécanisme. « Ç’a un rôle très<br />

important. Ça empêche la came elliptique de monter petit à petit<br />

le long de l’arbre de transmission et de se prendre dans la<br />

feuillure de collerette, ce qui aurait des conséquences<br />

désastreuses, vous l’imaginez bien. »<br />

Bottereau recula et s’essuya les mains à un chiffon ; elles en<br />

ressortirent un peu plus graisseuses.<br />

« J’appelle ça une moissonneuse battante », dit-il.<br />

Pierre Porte se sentit très vieux. Ce qu’il était effectivement.<br />

Mais il n’en avait jamais eu à ce point conscience. Dans un<br />

recoin obscur de son âme, il sentait qu’il savait, sans que le<br />

forgeron le lui explique, à quoi servirait la moissonneuse<br />

battante.<br />

« AH.<br />

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