Pratchett,Terry-[Dis..
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— JE N’AI PAS UNE RÉPUTATION DE FARCEUR. — Ben, non, évidemment, faites excuse. Mais écoutez, vous pouvez pas mourir, vu que vous êtes la Mort, faudrait que vous vous arriviez à vous-même, ce serait comme un serpent qui se mordrait la queue… — JE VAIS QUAND MÊME MOURIR. C’EST SANS APPEL. — Mais moi, qu’est-ce que j’vais devenir ? » geignit Albert. La terreur luisait sur ses paroles comme des particules de métal sur le fil d’un couteau. « IL Y AURA UNE AUTRE MORT. » Albert se redressa. « Je m’sens vraiment pas capable de servir un nouveau maître, déclara-t-il. — ALORS RETOURNE DANS LE MONDE. JE TE DONNERAI DE L’ARGENT. TU AS ÉTÉ UN BON SERVITEUR, ALBERT. — Mais si j’retourne… — OUI, dit la Mort. TU MOURRAS. » Dans l’obscurité chaude et chevaline de l’écurie, le coursier pâle de la Mort leva la tête de son avoine et poussa un petit hennissement de bienvenue. Il avait pour nom Bigadin. C’était un vrai cheval. La Mort avait par le passé essayé des coursiers tout feu tout flamme et des montures squelettiques sans les trouver pratiques, surtout les coursiers tout feu tout flamme qui avaient tendance à incendier leurs propres litières et à rester au beau milieu, l’air gêné. La Mort décrocha la selle de son support et lança un coup d’œil à un Albert en proie à un cas de conscience. Des milliers d’années plus tôt, Albert avait choisi de servir la Mort plutôt que de mourir. Il n’était pas exactement immortel. Le temps réel était interdit de cité au royaume de la Mort. Seul existait le présent perpétuellement changeant, mais il durait une éternité. Il lui restait moins de deux mois de temps réel ; il les dorlotait comme des lingots d’or. « Je… euh… commença-t-il. C’est… — TU AS PEUR DE MOURIR ? — C’est pas que j’veux pas… J’veux dire, j’ai toujours… La vie, c’est une habitude difficile à perdre, quoi… » La Mort le regarda curieusement, comme on regarde un scarabée tombé sur le dos qui n’arrive pas à se retourner. - 16 -
Finalement, Albert se tut. « JE COMPRENDS, dit la Mort en décrochant la bride de Bigadin. — Mais ç’a pas l’air de vous tracasser ! Vous allez vraiment mourir ? — OUI. CE SERA UNE GRANDE AVENTURE. — Ah bon ? Vous avez pas peur ? — JE NE SAIS PAS COMMENT ON A PEUR. — Je peux vous montrer si vous voulez, hasarda Albert. — NON. JE PRÉFÈRE APPRENDRE TOUT SEUL. JE VAIS VIVRE DES EXPÉRIENCES. ENFIN. — Maître… si vous partez, est-ce qu’il y aura… ? — UNE NOUVELLE MORT SURGIRA DE L’ESPRIT DES VIVANTS, ALBERT. — Oh. » Albert avait l’air soulagé. « Vous sauriez pas à quoi il ressemble, des fois ? — NON. — Faudrait peut-être, vous savez, que j’nettoie un brin la maison, que j’fasse un inventaire, des trucs comme ça ? — BONNE IDÉE, dit la Mort aussi gentiment que possible. QUAND JE VERRAI LA NOUVELLE MORT, JE TE RECOMMANDERAI CHAUDEMENT. — Oh. Vous allez le voir, alors ? — OH, OUI. ET JE DOIS PARTIR TOUT DE SUITE. — Quoi ? Si vite ? — CERTAINEMENT. PAS DE TEMPS À PERDRE ! » La Mort sella Bigadin, puis il se retourna et tendit fièrement le tout petit sablier sous le nez crochu d’Albert. « REGARDE ! J’AI DU TEMPS. J’AI ENFIN DU TEMPS ! » Albert recula nerveusement. « Et maintenant que vous en avez, vous allez en faire quoi ? » demanda-t-il. La Mort enfourcha son cheval. « JE VAIS L’EMPLOYER, TIENS. » La fête battait son plein. La banderole frappée de la légende Au revoire Vindelle – 130 ans épathants commençait un peu à pendouiller dans la chaleur. On en était au stade où il ne restait plus rien à boire que du punch ni à manger que les tortillas extrêmement louches et la sauce jaune bizarre, et tout le monde - 17 -
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Finalement, Albert se tut.<br />
« JE COMPRENDS, dit la Mort en décrochant la bride de Bigadin.<br />
— Mais ç’a pas l’air de vous tracasser ! Vous allez vraiment<br />
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— OUI. CE SERA UNE GRANDE AVENTURE.<br />
— Ah bon ? Vous avez pas peur ?<br />
— JE NE SAIS PAS COMMENT ON A PEUR.<br />
— Je peux vous montrer si vous voulez, hasarda Albert.<br />
— NON. JE PRÉFÈRE APPRENDRE TOUT SEUL. JE VAIS VIVRE DES<br />
EXPÉRIENCES. ENFIN.<br />
— Maître… si vous partez, est-ce qu’il y aura… ?<br />
— UNE NOUVELLE MORT SURGIRA DE L’ESPRIT DES VIVANTS, ALBERT.<br />
— Oh. » Albert avait l’air soulagé. « Vous sauriez pas à quoi il<br />
ressemble, des fois ?<br />
— NON.<br />
— Faudrait peut-être, vous savez, que j’nettoie un brin la<br />
maison, que j’fasse un inventaire, des trucs comme ça ?<br />
— BONNE IDÉE, dit la Mort aussi gentiment que possible. QUAND<br />
JE VERRAI LA NOUVELLE MORT, JE TE RECOMMANDERAI CHAUDEMENT.<br />
— Oh. Vous allez le voir, alors ?<br />
— OH, OUI. ET JE DOIS PARTIR TOUT DE SUITE.<br />
— Quoi ? Si vite ?<br />
— CERTAINEMENT. PAS DE TEMPS À PERDRE ! » La Mort sella<br />
Bigadin, puis il se retourna et tendit fièrement le tout petit<br />
sablier sous le nez crochu d’Albert.<br />
« REGARDE ! J’AI DU TEMPS. J’AI ENFIN DU TEMPS ! »<br />
Albert recula nerveusement. « Et maintenant que vous en<br />
avez, vous allez en faire quoi ? » demanda-t-il.<br />
La Mort enfourcha son cheval.<br />
« JE VAIS L’EMPLOYER, TIENS. »<br />
La fête battait son plein. La banderole frappée de la légende<br />
Au revoire Vindelle – 130 ans épathants commençait un peu à<br />
pendouiller dans la chaleur. On en était au stade où il ne restait<br />
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