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03.07.2013 Views

Ridculle soupira. « Econome ? — Oui, archichancelier ? — Essayez au moins d’faire un effort, d’accord ? » Des nuages s’accumulaient au-dessus des montagnes. Pierre Porte allait et venait à grands pas dans le premier champ en maniant une des faux ordinaires de la ferme ; la plus affûtée était provisoirement remisée au fond de la grange, de peur que les variations de température ne l’émoussent. Certains des métayers de mademoiselle Trottemenu le suivaient pour lier les gerbes et les mettre en meules. Mademoiselle Trottemenu n’avait jamais employé plus d’un seul ouvrier à plein temps, avait appris Pierre Porte ; elle engageait de la main-d’œuvre supplémentaire selon ses besoins afin d’économiser quelques sous. « Première fois que j’vois un type couper du blé à la faux, dit un des lieurs. Ça s’fait à la faucille, ce boulot-là. » Ils firent une pause pour le déjeuner qu’ils prirent au pied de la haie. Pierre Porte n’avait jamais prêté grande attention aux noms ni aux visages des gens ; enfin, pas plus que ne l’exigeait son travail. Le blé couvrait tout le flanc du coteau ; il se composait de tiges individuelles, et pour une tige donnée, une autre tige pouvait détonner, à cause d’une dizaine d’infimes traits particuliers et amusants qui la distinguaient de ses congénères. Mais aux yeux du faucheur, toutes les tiges… ne sont que des tiges. Maintenant, il commençait à remarquer les petites différences. Il reconnaissait Guillaume Fausset, Jacasse Roulette et Duc Fondelet. Que des vieillards, autant que Pierre Porte pouvait en juger, à la peau comme du cuir. Il y avait des jeunes au village, hommes et femmes, mais à un certain âge ils avaient l’air de sauter directement à la vieillesse sans passer par les étapes intermédiaires. Ensuite, ils restaient vieux longtemps. D’après mademoiselle Trottemenu, avant qu’on inaugure un cimetière - 168 -

dans le pays, il faudrait défoncer le crâne d’un habitant à coups de pelle. Guillaume Fausset, c’était celui qui chantait pendant le travail ; il se lançait dans une longue plainte nasale qui annonçait l’exécution d’une chanson traditionnelle. Jacasse Roulette ne disait jamais rien ; raison pour laquelle, selon Fausset, on l’avait appelé Jacasse. La logique de la chose, apparemment claire pour les autres, échappait à Pierre Porte. Et Duc Fondelet avait reçu son nom de parents qu’animaient des idées à mobilité sociale ascendante quoique plutôt simplistes sur les structures des classes sociales ; ses frères se prénommaient Châtelain, Comte et Roi. Pour l’heure, assis au pied de la haie, ils repoussaient le moment où il leur faudrait reprendre le travail. Un glouglou s’éleva au bout de la rangée. « Ben, on a pas eu un mauvais été, fit Fausset. Un beau temps de moisson, pour changer. — Ah… Y a plus d’un jupon entre la robe et la culotte, déclara Duc. Hier au soir, j’ai vu une araignée tisser sa toile à l’envers. C’est signe qu’une grosse tempête se prépare. — J’vois pas comment les araignées peuvent savoir ça. » Jacasse Roulette passa un cruchon en terre cuite à Pierre Porte. Quelque chose clapota à l’intérieur. « QU’EST-CE QUE C’EST ? — Jus d’pomme », répondit Fausset. Les autres rigolèrent. « AH, fit Pierre Porte. DE L’ALCOOL FORT QU’ON DONNE POUR BLAGUER AU NOUVEAU SANS MÉFIANCE, HISTOIRE DE RIGOLER UN PEU QUAND IL S’ENIVRE PAR MÉGARDE. — Bon d’là », fit Fausset. Pierre Porte s’octroya une bonne lampée. « Et j’ai vu les arondes voler bas, poursuivit Duc. Et les perdrix s’en vont dans les bois. Et y a beaucoup d’escargots d’sortie. Et… — Moi, j’crois pas que ces p’tites saloperies de bestioles, elles y connaissent quoi qu’ce soit en météorologie, fit Fausset. M’est avis que c’est toi qui leur passes le mot. “Eh, les gars ? Y a une grosse tempête qui s’en vient, madame l’Araignée, alors faites-nous donc quèque chose de folklorique.” » - 169 -

dans le pays, il faudrait défoncer le crâne d’un habitant à coups<br />

de pelle.<br />

Guillaume Fausset, c’était celui qui chantait pendant le<br />

travail ; il se lançait dans une longue plainte nasale qui<br />

annonçait l’exécution d’une chanson traditionnelle. Jacasse<br />

Roulette ne disait jamais rien ; raison pour laquelle, selon<br />

Fausset, on l’avait appelé Jacasse. La logique de la chose,<br />

apparemment claire pour les autres, échappait à Pierre Porte. Et<br />

Duc Fondelet avait reçu son nom de parents qu’animaient des<br />

idées à mobilité sociale ascendante quoique plutôt simplistes sur<br />

les structures des classes sociales ; ses frères se prénommaient<br />

Châtelain, Comte et Roi.<br />

Pour l’heure, assis au pied de la haie, ils repoussaient le<br />

moment où il leur faudrait reprendre le travail. Un glouglou<br />

s’éleva au bout de la rangée.<br />

« Ben, on a pas eu un mauvais été, fit Fausset. Un beau temps<br />

de moisson, pour changer.<br />

— Ah… Y a plus d’un jupon entre la robe et la culotte, déclara<br />

Duc. Hier au soir, j’ai vu une araignée tisser sa toile à l’envers.<br />

C’est signe qu’une grosse tempête se prépare.<br />

— J’vois pas comment les araignées peuvent savoir ça. »<br />

Jacasse Roulette passa un cruchon en terre cuite à Pierre<br />

Porte. Quelque chose clapota à l’intérieur.<br />

« QU’EST-CE QUE C’EST ?<br />

— Jus d’pomme », répondit Fausset. Les autres rigolèrent.<br />

« AH, fit Pierre Porte. DE L’ALCOOL FORT QU’ON DONNE POUR<br />

BLAGUER AU NOUVEAU SANS MÉFIANCE, HISTOIRE DE RIGOLER UN PEU<br />

QUAND IL S’ENIVRE PAR MÉGARDE.<br />

— Bon d’là », fit Fausset. Pierre Porte s’octroya une bonne<br />

lampée.<br />

« Et j’ai vu les arondes voler bas, poursuivit Duc. Et les<br />

perdrix s’en vont dans les bois. Et y a beaucoup d’escargots<br />

d’sortie. Et…<br />

— Moi, j’crois pas que ces p’tites saloperies de bestioles, elles y<br />

connaissent quoi qu’ce soit en météorologie, fit Fausset. M’est<br />

avis que c’est toi qui leur passes le mot. “Eh, les gars ? Y a une<br />

grosse tempête qui s’en vient, madame l’Araignée, alors<br />

faites-nous donc quèque chose de folklorique.” »<br />

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