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03.07.2013 Views

« JE DOIS RECONNAÎTRE QUE TU AS RAISON SUR CE POINT. — Pourquoi tu tombes pas en morceaux ? — JE NE SAIS PAS. ÇA NE M’EST JAMAIS ARRIVÉ. — J’ai déjà vu des cequelettes d’oiseaux et d’autres bêtes, et ils tombent tous en morceaux. — PEUT-ÊTRE QU’ILS SONT UN RESTE DE QUELQUE CHOSE, ALORS QUE MOI, C’EST CE QUE JE SUIS. — L’apothicaire qui soigne les gens à Chamblis, il a un cequelette sur un crochet avec plein de fil de fer pour tenir les os ensemble, dit la gamine avec l’air de qui transmet une information obtenue au prix de recherches laborieuses. — MOI, JE N’AI PAS DE FIL DE FER. — Y a une différence entre les cequelettes vivants et les cequelettes morts ? — OUI. — Lui, c’est un cequelette mort qu’il a, hein ? — OUI. — Qu’était dans quelqu’un ? — OUI. — Oh. Beurk. » La fillette contempla un moment le paysage au loin, puis elle annonça : « J’ai des nouvelles chaussettes. — OUI ? — Tu peux voir, si tu veux. » Un pied sale se tendit pour qu’il constate. « DITES DONC. VOYEZ-VOUS ÇA. DE NOUVELLES CHAUSSETTES. — Ma m’man, elle les a tricotées avec du mouton. — MA PAROLE. » L’horizon eut droit à une nouvelle inspection. « T’sais, fit-elle, t’sais… on est vendredi. — OUI. — J’ai trouvé une cuiller. » Pierre Porte s’aperçut qu’il attendait la suite. Il n’avait pas l’habitude des interlocuteurs dont la concentration ne dépassait pas les trois secondes. « Tu travailles à mademoiselle Trottemenu ? — OUI. - 134 -

— Mon p’pa, il dit qu’y fait bon s’mettre les pieds sous la table là-bas. » Pierre Porte ne trouva rien à répondre parce que le sens de la phrase lui échappait. C’était une de ces expressions humaines toutes faites qui masquent un sens plus subtil, sens que le simple ton de voix ou la lueur dans le regard fait souvent comprendre mais dont se passait la gamine. « Mon p’pa, il dit qu’elle a plein de boîtes de trésors, qu’elle a dit. — AH BON ? — Moi, j’ai deux sous. — BON SANG. — Sal ! » Ils levèrent tous les deux la tête tandis que madame Lifton apparaissait sur le seuil. « L’heure d’aller te coucher. Arrête d’embêter monsieur Porte. — OH, JE VOUS ASSURE, ELLE NE… — Dis bonne nuit, tout de suite. » « Comment ils font pour dormir, les cequelettes ? Ils peuvent pas fermer les yeux parce qu’ils… » Il entendait leurs voix étouffées dans l’auberge. « Faut pas appeler monsieur Porte comme ça, c’est pas parce qu’il… qu’il est… très… qu’il est très maigre… — C’est pas grave. C’est pas un cequelette mort. » Madame Lifton parlait avec l’accent d’inquiétude typique de ceux qui ne peuvent se résoudre à croire le témoignage de leurs propres yeux. « Il a peut-être été très malade, voilà tout. — Moi, j’pense qu’il pourra jamais être aussi malade. » Pierre Porte rentra à la ferme d’un pas songeur. Il y avait de la lumière dans la cuisine, mais il gagna directement la grange, escalada l’échelle du fenil et s’allongea. Il pouvait s’éviter de rêver, mais pas de se souvenir. Il fixa les ténèbres. Au bout d’un moment, il eut conscience d’une multitude de pieds qui couraient. Il se retourna. Un flot de fantômes pâles en forme de rats s’écoulait le long de la poutre faîtière au-dessus de sa tête, des fantômes qui - 135 -

— Mon p’pa, il dit qu’y fait bon s’mettre les pieds sous la table<br />

là-bas. »<br />

Pierre Porte ne trouva rien à répondre parce que le sens de la<br />

phrase lui échappait. C’était une de ces expressions humaines<br />

toutes faites qui masquent un sens plus subtil, sens que le simple<br />

ton de voix ou la lueur dans le regard fait souvent comprendre<br />

mais dont se passait la gamine.<br />

« Mon p’pa, il dit qu’elle a plein de boîtes de trésors, qu’elle a<br />

dit.<br />

— AH BON ?<br />

— Moi, j’ai deux sous.<br />

— BON SANG.<br />

— Sal ! »<br />

Ils levèrent tous les deux la tête tandis que madame Lifton<br />

apparaissait sur le seuil.<br />

« L’heure d’aller te coucher. Arrête d’embêter monsieur Porte.<br />

— OH, JE VOUS ASSURE, ELLE NE…<br />

— <strong>Dis</strong> bonne nuit, tout de suite. »<br />

« Comment ils font pour dormir, les cequelettes ? Ils peuvent<br />

pas fermer les yeux parce qu’ils… »<br />

Il entendait leurs voix étouffées dans l’auberge.<br />

« Faut pas appeler monsieur Porte comme ça, c’est pas parce<br />

qu’il… qu’il est… très… qu’il est très maigre…<br />

— C’est pas grave. C’est pas un cequelette mort. »<br />

Madame Lifton parlait avec l’accent d’inquiétude typique de<br />

ceux qui ne peuvent se résoudre à croire le témoignage de leurs<br />

propres yeux. « Il a peut-être été très malade, voilà tout.<br />

— Moi, j’pense qu’il pourra jamais être aussi malade. »<br />

Pierre Porte rentra à la ferme d’un pas songeur.<br />

Il y avait de la lumière dans la cuisine, mais il gagna<br />

directement la grange, escalada l’échelle du fenil et s’allongea.<br />

Il pouvait s’éviter de rêver, mais pas de se souvenir.<br />

Il fixa les ténèbres.<br />

Au bout d’un moment, il eut conscience d’une multitude de<br />

pieds qui couraient. Il se retourna.<br />

Un flot de fantômes pâles en forme de rats s’écoulait le long de<br />

la poutre faîtière au-dessus de sa tête, des fantômes qui<br />

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