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03.07.2013 Views

peut. Vous étiez dans sa partie, j’imagine. Je vous ai bien regardé. C’était aussi votre partie, c’est sûr. » Pierre Porte réfléchit dur. « TRANSPORT EN TOUS GENRES, dit-il. — C’est ce qu’y m’semblait, oui. Vous avez de la famille, Pierre ? — UNE FILLE. — C’est bien. — JE L’AI PERDUE DE VUE, JE LE CRAINS. — C’est dommage, dit mademoiselle Trottemenu d’un ton convaincu. On a eu de bons moments ici dans le temps. Du vivant du garçon avec qui je vivais, évidemment. — VOUS AVEZ UN FILS ? » fit Pierre Porte qui perdait le fil. Elle lui lança un regard acéré. « Je vous demande de bien réfléchir au mot “mademoiselle”, fit-elle. On rigole pas avec ces affaires-là, par chez nous autres. — PARDON. — Non, il s’appelait Rufus. Un trafiquant, comme p’pa. Pas si bon, remarquez. Faut reconnaître. Plus artiste. Il m’offrait toutes sortes de choses de l’étranger, vous savez. Des p’tits bijoux et ainsi de suite. Et on allait danser. Il avait de très bons mollets, je m’souviens. J’aime les hommes qu’ont de bonnes jambes. » Elle contempla un moment le feu. « Voyez… un jour, il est pas revenu. Juste avant notre mariage. D’après p’pa, il aurait jamais dû s’en aller courir dans les montagnes si près de l’hiver, mais je sais qu’il était parti parce qu’il voulait me ramener un beau cadeau. Il voulait aussi se faire un peu d’argent et impressionner p’pa, vu que p’pa était contre… » Elle empoigna le tisonnier et l’enfonça dans l’âtre avec une violence que les braises ne méritaient pas. « Bref, certains ont prétendu qu’il serait allé à Farfelut, ou à Ankh-Morpork, ou je n’sais où, mais moi, je sais qu’il aurait pas fait une chose pareille. » Le regard pénétrant qu’elle posa sur Pierre Porte le cloua au fauteuil. « D’après vous, Pierre Porte ? » lança-t-elle sèchement. - 124 -

Il se sentit assez fier de deviner la question dans la question. « MADEMOISELLE TROTTEMENU, IL FAUT BEAUCOUP SE MÉFIER DE LA MONTAGNE EN HIVER. » Elle parut soulagée. « C’est ce que je répète toujours, fit-elle. Et vous savez quoi, Pierre Porte ? Vous savez ce que je m’suis dit ? — NON, MADEMOISELLE TROTTEMENU. — C’était la veille de notre mariage, comme j’ai dit. Un de ses poneys de bât est rentré tout seul, alors les hommes y sont allés et ont découvert l’avalanche… Et vous savez ce que je m’suis dit ? Je m’suis dit : c’est ridicule. C’est idiot. Affreux, hein ? Oh, je m’suis dit d’autres choses par la suite, naturellement, mais d’abord que le monde devrait pas ressembler à ce qu’on lit dans les livres. C’est affreux de se dire une chose pareille, non ? — JE N’AI MOI-MÊME JAMAIS FAIT CONFIANCE AU THÉÂTRE, MADEMOISELLE TROTTEMENU. » Elle n’écoutait pas vraiment. « Et je m’suis dit : Ce que la vie attend de moi à présent, c’est que je m’languisse dans ma robe de mariée pendant des années et que je devienne complètement maboule. Voilà ce qu’elle veut, la vie. Ha ! Ben voyons ! Alors j’ai fourré la robe dans le sac à chiffons et on a quand même invité tout le monde au repas de noces, ç’aurait été un crime de laisser perdre de la bonne nourriture. » Elle porta une autre attaque contre le feu, puis lança à Pierre Porte un nouveau regard de mille watts. « Je trouve ça important de toujours voir ce qu’est vraiment vrai et ce qui l’est pas, pas vous ? — MADEMOISELLE TROTTEMENU ? — Oui ? — ÇA VOUS ENNUIE SI J’ARRÊTE LA PENDULE ? » Elle leva la tête vers la chouette aux yeux globuleux. « Quoi ? Oh, pourquoi ? — ELLE ME PORTE SUR LES NERFS, J’EN AI PEUR. — Elle est pas très bruyante, pourtant. » Pierre Porte aurait voulu dire que chaque tic et chaque tac lui faisaient l’effet de coups de gourdin de fer sur des piliers de bronze. « C’EST JUSTE GÊNANT, MADEMOISELLE TROTTEMENU. - 125 -

peut. Vous étiez dans sa partie, j’imagine. Je vous ai bien<br />

regardé. C’était aussi votre partie, c’est sûr. »<br />

Pierre Porte réfléchit dur.<br />

« TRANSPORT EN TOUS GENRES, dit-il.<br />

— C’est ce qu’y m’semblait, oui. Vous avez de la famille,<br />

Pierre ?<br />

— UNE FILLE.<br />

— C’est bien.<br />

— JE L’AI PERDUE DE VUE, JE LE CRAINS.<br />

— C’est dommage, dit mademoiselle Trottemenu d’un ton<br />

convaincu. On a eu de bons moments ici dans le temps. Du<br />

vivant du garçon avec qui je vivais, évidemment.<br />

— VOUS AVEZ UN FILS ? » fit Pierre Porte qui perdait le fil.<br />

Elle lui lança un regard acéré.<br />

« Je vous demande de bien réfléchir au mot “mademoiselle”,<br />

fit-elle. On rigole pas avec ces affaires-là, par chez nous autres.<br />

— PARDON.<br />

— Non, il s’appelait Rufus. Un trafiquant, comme p’pa. Pas si<br />

bon, remarquez. Faut reconnaître. Plus artiste. Il m’offrait<br />

toutes sortes de choses de l’étranger, vous savez. Des p’tits<br />

bijoux et ainsi de suite. Et on allait danser. Il avait de très bons<br />

mollets, je m’souviens. J’aime les hommes qu’ont de bonnes<br />

jambes. »<br />

Elle contempla un moment le feu.<br />

« Voyez… un jour, il est pas revenu. Juste avant notre<br />

mariage. D’après p’pa, il aurait jamais dû s’en aller courir dans<br />

les montagnes si près de l’hiver, mais je sais qu’il était parti<br />

parce qu’il voulait me ramener un beau cadeau. Il voulait aussi<br />

se faire un peu d’argent et impressionner p’pa, vu que p’pa était<br />

contre… »<br />

Elle empoigna le tisonnier et l’enfonça dans l’âtre avec une<br />

violence que les braises ne méritaient pas.<br />

« Bref, certains ont prétendu qu’il serait allé à Farfelut, ou à<br />

Ankh-Morpork, ou je n’sais où, mais moi, je sais qu’il aurait pas<br />

fait une chose pareille. »<br />

Le regard pénétrant qu’elle posa sur Pierre Porte le cloua au<br />

fauteuil.<br />

« D’après vous, Pierre Porte ? » lança-t-elle sèchement.<br />

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