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03.07.2013 Views

dans la gueule d’un requin, dans quantité de chambres à coucher, oui. Dans les tombes, non. Son travail consistait à séparer le grain de l’âme de la paille du corps mortel, et il s’effectuait longtemps avant tous les rites mortuaires qui s’apparentaient, à bien y réfléchir, à une forme révérencielle de mise au rebut. Mais cette pièce ressemblait aux tombes de ces rois qui voulaient tout emporter avec eux. Calé dans son fauteuil, les mains sur les genoux, Pierre Porte examina les lieux plus en détail. D’abord, les bibelots. Des théières en pagaïe, davantage que ce qu’on aurait cru possible. Des chiens en porcelaine au regard fixe. D’étranges présentoirs à gâteaux. Diverses statuettes et assiettes peintes agrémentées de légendes guillerettes : Souvenir de Quirm, Bonheur et Santé. Tous ces objets recouvraient la moindre surface plane dans une démocratie parfaite, si bien qu’un bougeoir ancien de grande valeur voisinait avec un chien en porcelaine aux couleurs vives tenant un os dans la gueule avec une expression d’imbécillité coupable. Des tableaux masquaient les murs. La plupart, peints dans des tons gadouilleux, représentaient du bétail à la mine abattue dans un paysage de lande humide par temps de brouillard. Pour tout dire, les bibelots dissimulaient presque entièrement le mobilier, mais on n’y perdait pas grand-chose. En dehors de deux fauteuils qui gémissaient sous le poids de têtières volumineuses, le reste des meubles n’avait apparemment d’autre utilité que d’exposer des bibelots. Il y avait des tables maigrelettes partout. Le plancher disparaissait sous des couches de tapis en lirette. Quelqu’un s’était vraiment passionné pour la confection de tapis en lirette. Et par-dessus tout, noyant tout, imprégnant tout, il y avait l’odeur. Une odeur de longs après-midi d’ennui. Sur un buffet drapé de tissu, deux petits coffrets de bois en entouraient un plus grand. Il doit s’agir des deux fameuses boîtes aux trésors, se dit Pierre Porte. Il prit conscience d’un tic-tac. Une pendule était accrochée au mur. Quelqu’un avait un jour eu la riche idée, de son point de vue en tout cas, de réaliser une - 122 -

pendule en forme de chouette. En cadence avec le mouvement du balancier, les yeux de la chouette se livraient à un va-et-vient que seul un reclus sérieusement privé de distraction devait trouver drôle. Au bout d’un moment, on avait aussi les yeux qui oscillaient en mesure. Mademoiselle Trottemenu entra d’un pas vif, un plateau lourdement chargé dans les bras. Ensuite, l’œil eut du mal à suivre tandis qu’en un éclair elle sacrifiait à la cérémonie alchimique du thé, beurrait des petits pains au lait, disposait des biscuits, accrochait une pince à sucre au sucrier… Elle s’assit. Puis, comme si elle sortait d’un petit somme de vingt minutes, elle roucoula, légèrement à bout de souffle : « Hmm… on est bien. — OUI, MADEMOISELLE TROTTEMENU. — Pas souvent l’occasion d’ouvrir le petit salon ces temps-ci. — NON. — Pas depuis que j’ai perdu mon p’pa. » Un instant, Pierre Porte se demanda si elle avait perdu feu monsieur Trottemenu dans le petit salon. Peut-être avait-il pris un mauvais embranchement au milieu des bibelots. Il se souvint alors des tournures de langage bizarres des humains. « AH. — Il s’asseyait dans ce fauteuil, là, et il lisait l’almanach. » Pierre Porte fouilla sa mémoire. « GRAND, hasarda-t-il. AVEC UNE MOUSTACHE ? LUI MANQUAIT LE BOUT DU PETIT DOIGT DE LA MAIN GAUCHE ? » Mademoiselle Trottemenu le regarda fixement par-dessus le bord de sa tasse. « Vous l’avez connu ? demanda-t-elle. — JE CROIS L’AVOIR RENCONTRÉ UNE FOIS. — Il a jamais parlé de vous, dit-elle d’un ton malicieux. Pas nommément. Pas en tant que Pierre Porte. — ÇA M’ÉTONNERAIT QU’IL AIT PARLÉ DE MOI, répondit lentement Pierre Porte. — Ça va. J’suis au courant. P’pa faisait aussi un peu de contrebande. Comprenez, la ferme est pas bien grosse. Difficile d’en vivre. Il disait toujours qu’on doit s’dépatouiller comme on - 123 -

pendule en forme de chouette. En cadence avec le mouvement<br />

du balancier, les yeux de la chouette se livraient à un va-et-vient<br />

que seul un reclus sérieusement privé de distraction devait<br />

trouver drôle. Au bout d’un moment, on avait aussi les yeux qui<br />

oscillaient en mesure.<br />

Mademoiselle Trottemenu entra d’un pas vif, un plateau<br />

lourdement chargé dans les bras. Ensuite, l’œil eut du mal à<br />

suivre tandis qu’en un éclair elle sacrifiait à la cérémonie<br />

alchimique du thé, beurrait des petits pains au lait, disposait des<br />

biscuits, accrochait une pince à sucre au sucrier…<br />

Elle s’assit. Puis, comme si elle sortait d’un petit somme de<br />

vingt minutes, elle roucoula, légèrement à bout de souffle :<br />

« Hmm… on est bien.<br />

— OUI, MADEMOISELLE TROTTEMENU.<br />

— Pas souvent l’occasion d’ouvrir le petit salon ces temps-ci.<br />

— NON.<br />

— Pas depuis que j’ai perdu mon p’pa. »<br />

Un instant, Pierre Porte se demanda si elle avait perdu feu<br />

monsieur Trottemenu dans le petit salon. Peut-être avait-il pris<br />

un mauvais embranchement au milieu des bibelots. Il se souvint<br />

alors des tournures de langage bizarres des humains.<br />

« AH.<br />

— Il s’asseyait dans ce fauteuil, là, et il lisait l’almanach. »<br />

Pierre Porte fouilla sa mémoire.<br />

« GRAND, hasarda-t-il. AVEC UNE MOUSTACHE ? LUI MANQUAIT LE<br />

BOUT DU PETIT DOIGT DE LA MAIN GAUCHE ? »<br />

Mademoiselle Trottemenu le regarda fixement par-dessus le<br />

bord de sa tasse.<br />

« Vous l’avez connu ? demanda-t-elle.<br />

— JE CROIS L’AVOIR RENCONTRÉ UNE FOIS.<br />

— Il a jamais parlé de vous, dit-elle d’un ton malicieux. Pas<br />

nommément. Pas en tant que Pierre Porte.<br />

— ÇA M’ÉTONNERAIT QU’IL AIT PARLÉ DE MOI, répondit lentement<br />

Pierre Porte.<br />

— Ça va. J’suis au courant. P’pa faisait aussi un peu de<br />

contrebande. Comprenez, la ferme est pas bien grosse. Difficile<br />

d’en vivre. Il disait toujours qu’on doit s’dépatouiller comme on<br />

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