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03.07.2013 Views

« Comment ça, pas du tout de saison ? demanda-t-il. — On en a beaucoup au printemps, répondit la voix derrière la porte. Ça fait sortir les jonquilles de terre, tous ces trucs-là. — Jamais entendu parler, avoua Vindelle, fasciné. — Je croyais que vous autres, les mages, vous saviez tout sur tout. » Vindelle contempla son chapeau de mage. L’enterrement et le creusement d’un tunnel ne l’avaient pas arrangé, mais après plus d’un siècle de loyaux services il n’était déjà plus à la pointe de la haute couture. « On a toujours des choses à apprendre », dit-il. Un nouveau jour se levait. Le coq Cyril s’agita sur son perchoir. Les mots à la craie luisaient dans la pénombre. Il se concentra. Il prit une inspiration profonde. « Rocoricoco ! » Maintenant que la question de la mémoire était réglée, ne restait plus que celle de la dyslexie. Dans les champs en hauteur sur la colline, le vent soufflait fort et le soleil proche tapait dur. Pierre Porte allait et venait à grandes enjambées dans l’herbe décimée du coteau comme une navette de tisserand en travers d’une chaîne verte. Il se demandait s’il avait déjà éprouvé des sensations de vent et de rayons de soleil par le passé. Oui, il les avait éprouvées, sûrement. Mais jamais de cette façon-là ; la sensation du vent qui vous poussait, la sensation du soleil qui vous donnait chaud. La sensation du temps qui passait. Qui vous emportait. - 120 -

On frappa timidement à la porte de la grange. « OUI ? — Descendez donc voir, Pierre Porte. » Il descendit l’échelle dans le noir et ouvrit prudemment le battant. Mademoiselle Trottemenu protégeait une bougie de la main. « Hum, fit-elle. — JE VOUS DEMANDE PARDON ? — Vous pouvez venir à la maison si vous voulez. Pour la soirée, ’videmment, pas pour la nuit. J’veux dire, j’aime pas vous savoir tout seul ici le soir quand moi, j’ai du feu et tout. » Pierre Porte n’avait pas le talent de lire sur les visages. Il n’en avait jamais eu besoin. Il observa le sourire figé, inquiet, implorant de mademoiselle Trottemenu comme un babouin cherchant un sens à la pierre de Rosette. « MERCI », dit-il. Elle déguerpit en vitesse. Lorsqu’il arriva à la maison, elle n’était pas dans la cuisine. Il entendit un bruissement et un grattement, plus loin ; il passa dans un couloir étroit puis sous une porte basse. Mademoiselle Trottemenu, à quatre pattes dans le petit local où il entra, allumait fiévreusement le feu. Elle leva la tête, énervée, lorsqu’il toqua poliment au battant ouvert. « Ça vaut guère le coup de l’allumer pour une seule personne, marmonna-t-elle en manière d’explication embarrassée. Asseyez-vous donc. Je vais nous faire du thé. » Pierre Porte se plia dans un des fauteuils exigus près du feu et regarda autour de lui. Une pièce inhabituelle. Il en ignorait les fonctions, mais elles ne prévoyaient sûrement pas qu’on y vive. Alors que la cuisine était une sorte d’ajout extérieur recouvert d’un toit et le centre des activités de la ferme, cette pièce avait tout d’un mausolée. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Pierre Porte n’était pas très au fait des décors funéraires. En principe, les décès ne surviennent pas à l’intérieur même des tombes, sauf dans des cas aussi rares que malheureux. À l’air libre, au fond des fleuves, - 121 -

« Comment ça, pas du tout de saison ? demanda-t-il.<br />

— On en a beaucoup au printemps, répondit la voix derrière la<br />

porte. Ça fait sortir les jonquilles de terre, tous ces trucs-là.<br />

— Jamais entendu parler, avoua Vindelle, fasciné.<br />

— Je croyais que vous autres, les mages, vous saviez tout sur<br />

tout. »<br />

Vindelle contempla son chapeau de mage. L’enterrement et le<br />

creusement d’un tunnel ne l’avaient pas arrangé, mais après plus<br />

d’un siècle de loyaux services il n’était déjà plus à la pointe de la<br />

haute couture.<br />

« On a toujours des choses à apprendre », dit-il.<br />

Un nouveau jour se levait. Le coq Cyril s’agita sur son<br />

perchoir.<br />

Les mots à la craie luisaient dans la pénombre. Il se<br />

concentra.<br />

Il prit une inspiration profonde. « Rocoricoco ! »<br />

Maintenant que la question de la mémoire était réglée, ne<br />

restait plus que celle de la dyslexie.<br />

Dans les champs en hauteur sur la colline, le vent soufflait fort<br />

et le soleil proche tapait dur. Pierre Porte allait et venait à<br />

grandes enjambées dans l’herbe décimée du coteau comme une<br />

navette de tisserand en travers d’une chaîne verte.<br />

Il se demandait s’il avait déjà éprouvé des sensations de vent<br />

et de rayons de soleil par le passé. Oui, il les avait éprouvées,<br />

sûrement. Mais jamais de cette façon-là ; la sensation du vent<br />

qui vous poussait, la sensation du soleil qui vous donnait chaud.<br />

La sensation du temps qui passait.<br />

Qui vous emportait.<br />

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