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<strong>Porche</strong>. [...] Que Votre volonté soit faite, je ne pouvais pas dire ça. Je ne pouvais pas. Comprends-tu cela? Je<br />
ne pouvais pas prier Dieu, parce que je ne pouvais pas accepter sa volonté. C’est effrayant. » 286<br />
<strong>Le</strong> <strong>Porche</strong> ainsi que <strong>Le</strong>s Innocents sont, comme le souligne Péguy, une « anticipation » sur sa vie. Il<br />
avoue n’avoir jamais pratiqué auparavant ce qu’il y exprime 287 . Et en effet, ce n’est qu’après avoir écrit<br />
l’histoire du bûcheron qui confie ses enfants malades à « Celle qui est infiniment mère » 288 que Péguy<br />
lui-même, pressé par la maladie de Pierre, entreprend une démarche pareille.<br />
Peu à peu sa conception « cornélienne » du christianisme s’estompe et fait place à la découverte<br />
nouvelle; celle de l’esprit de l’enfance. Voilà l’autoportrait de Péguy à Chartres :<br />
Voici le lieu du monde où tout devient enfant,<br />
Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise,<br />
Et même ce grand sot qui faisait le malin... 289<br />
Ce qu’on pourrait appeler la victoire sur soi, Péguy ne l’attribue plus à lui-même, et il confie à Lotte<br />
cette découverte qu’il a « un ange gardien étonnant » : « Eh bien, le mal que j’acceptais, devant duquel<br />
j’allais, mon ange gardien l’écartait, tout simplement. » 290 En 1911 il relit l’Évangile.<br />
L’année 1913 apporte La Tapisserie de sainte Geneviève et celle de Jeanne d’Arc, suivie d’Ève et de<br />
La Tapisserie de Notre Dame. Louis Perche raconte une anecdote suivante à propos d’Ève, qui est un<br />
poème de 1800 strophes environ. Après la visite d’un admirateur d’Ève Péguy dit à son amie<br />
Geneviève Favre : « Ah, il est fameux, votre ami ! Savez-vous ce qu’il m’a dit hier ? Il m’a dit qu’après<br />
une œuvre comme Ève on pouvait mourir. » 291<br />
La guerre<br />
Vers la dernière gloire<br />
Sois-tu brisée 292<br />
Depuis 1905 Péguy croit que la guerre va venir. Et en 1912 il conte un jour à un de ses amis<br />
d’avoir passé une nuit fort agréable : « J’ai rêvé qu’on mobilisait [...], nous étions résolus de nous couvrir<br />
de gloire. » 293 Daniel Halévy rappelle que la France vit a l’époque sur l’humiliation de 1870 et les<br />
nationalistes exaltent l’idée de la revanche.<br />
Après Ève Péguy publie la Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne, malgré le danger<br />
imminent de la mise en indexe du philosophe. Avant de partir au front il cherche à voir ceux avec qui il<br />
a rompu, à cause de son impulsivité. Serein, il assure à ses amis : « Ça ira, vous verrez, on leur flanquera<br />
une belle pile. » 294 Et cependant, malgré cette fanfaronnade habituelle et peut-être superficielle, l’idée de<br />
sa mort prochaine ne lui semble pas du tout étrangère.<br />
Jusqu’au jour de la mobilisation il travaille sur la Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie<br />
cartésienne. Lorsqu’on lui annonce la mobilisation, il est en train d’écrire. Il laisse une phrase inachevé,<br />
inscrivant seulement la date : samedi, août 1914. Cette page du Descartes prouve qu’il se reconnaît<br />
pleinement catholique et qu’il en est heureux. Citons quelques-unes des dernières lignes écrites par la<br />
main du poète : « Nous entrons ici [...] dans un domaine inconnu, dans un domaine étranger qui est le<br />
domaine de la joie. Cent fois moins connu, cent fois plus étranger, cent fois moins nous que les<br />
royaumes de la douleur. Cent fois plus profond je crois et cent fois plus fécond. Heureux qui un jour en<br />
auront quelque idée. » 295<br />
286 Ch. Péguy, <strong>Le</strong>ttres et entretiens, op. cit., entretien du 27 septembre 1913, p. 171.<br />
287 Ch. Péguy, <strong>Le</strong>ttres et entretiens, op. cit., entretien du 28 septembre 1912, p. 159.<br />
288 Ch. Péguy, <strong>Le</strong> <strong>Porche</strong> du mystère de la deuxième vertu, P 531.<br />
289 Ch. Péguy, « Prière de résidence », parmi « <strong>Le</strong>s cinq prières dans la cathédrale de Chartres », op. cit., P 908.<br />
290 Ch. Péguy, <strong>Le</strong>ttres et entretiens, op. cit., entretien du 28 septembre 1912, pp. 158-159.<br />
291 L. Perche, Charles Péguy, op. cit., p. 167.<br />
292 Ch. Péguy, La Ballade du cœur, P 1392.<br />
293 L. Perche, Charles Péguy, op. cit., p. 161.<br />
294 <strong>Le</strong>s paroles adressées à Maurice Reclus sont citées par Louis Perche dans Charles Péguy, op. cit., p. 163.<br />
295 Ch. Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne [posth. ; 1914], C 1476.<br />
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