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texte - Le Porche

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Cassiodore) 225 . Conscient des maux sociaux de la modernité venus avec l’industrialisation de son siècle,<br />

Baudelaire ne cherche pas de remède dans le passé révolu, il s’adresse au présent. Du point de vue de<br />

l’esthétique baudelairienne, le présent, l’actualité ou la modernité ont leur valeur propre. Il écrit : « <strong>Le</strong><br />

plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non seulement à la beauté dont il peut<br />

être revêtu, mais aussi à sa qualité essentielle de présent » 226 . Il considère la réalité contemporaine<br />

comme artiste et esthète, et la valeur de la modernité présente pour lui quelque chose qui en soi n’a pas<br />

besoin d’être justifié. Il écrit à propos de Constantin Guys, peintre dont il loue le sens de modernité :<br />

« Il s’agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer<br />

l’éternel du transitoire. [...] La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art,<br />

dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. [...] En un mot, pour que toute modernité soit digne de<br />

devenir antiquité, il faut que la beauté mystérieuse que la vie humaine y met involontairement en ait été<br />

extraite. » 227 C’est surtout cette adéquation de l’œuvre d’art à son temps qui exprime son époque et la<br />

représente dans sa particularité éphémère qu’il perçoit et apprécie dans les lavis et les dessins à la plume<br />

de ce peintre, qui croquait pour la presse des silhouettes et des scènes de la vie contemporaine et son<br />

« héroïsme ». Chaque époque a sa propre modernité, « son port, son regard, son geste », ce qui se<br />

traduit par la mode, la conduite, les mœurs, le décor. <strong>Le</strong> beau selon Baudelaire représente une synthèse<br />

de la modernité (du transitoire qui est lié au quotidien, à l’« époque, la mode, la morale, la passion ») et<br />

de l’immuable (la perfection formelle, la beauté dans son idéal antique et éternel), ce qui le distingue de<br />

la conception académique de la beauté. Jamais Baudelaire ne privilégie l’époque contemporaine et son<br />

art par rapport aux époques précédentes comme le faisaient certains de ses contemporains partisans du<br />

progrès qui chantaient les nouveautés techniques (les chemins de fer et les machines-outils), il ne<br />

déprécie pas non plus la modernité en l’opposant à l’antiquité. Mais comme le souligne<br />

Antoine Compagnon :<br />

[...] la modernité, comprise comme sens du présent, annule tout rapport avec le passé, conçu<br />

simplement comme une succession de modernités singulières, sans utilité pour discerner le « caractère de la<br />

beauté présente ». L’imagination étant la faculté qui rend sensible au présent, elle suppose l’oubli du passé<br />

et l’assentiment à l’immédiateté. La modernité est ainsi conscience du présent comme présent, sans passé ni<br />

futur ; elle est en rapport avec l’éternité seule. 228<br />

Nous nous sommes arrêtées sur la notion de la modernité chez Baudelaire pour échapper à la<br />

tentation de la confondre avec celle du monde moderne chez Péguy. Il est difficile de trouver un autre<br />

écrivain contemporain qui conçoive avec une telle netteté la valeur historique de la modernité. Elle est<br />

présente dans toutes les œuvres de Péguy : vues de Paris, de ses cafés et brasseries, publicité de<br />

Michelin 229 , pont Mirabeau qu’on vient de construire 230 , Exposition universelle de 1900 231 , construction<br />

du métropolitain, récit de l’enthousiasme de Bernard-Lazare devant les chemins de fer, le télégraphe et<br />

le téléphone 232 , allusion aux Saisons russes à Paris 233 ... Péguy fixe l’urbanisation de la ville et, décrivant<br />

les changements produits dans le quartier de l’Europe, il note : « Il y a pour tous les quartiers de Paris<br />

non seulement une personnalité constituée, mais cette personnalité a une histoire comme nous. Il n’y a<br />

pas bien longtemps et pourtant tout date. Déjà. <strong>Le</strong> propre de l’histoire, c’est ce changement même,<br />

cette génération et corruption, cette abolition constante, cette révolution perpétuelle. Cette mort. Il n’y a<br />

que quelques années, huit ans, dix ans, et quelle méconnaissance déjà, quelle méconnaissance<br />

immobilière » 234 , et de citer très à propos « <strong>Le</strong> Cygne » de Baudelaire : « – <strong>Le</strong> vieux Paris n’est plus (« [...]<br />

225 J. <strong>Le</strong> Goff, Histoire et mémoire, op. cit., p. 67.<br />

226 ibid., p. 88.<br />

227 Ant. Compagnon, <strong>Le</strong>s Cinq paradoxes de la modernité, op. cit., p. 30.<br />

228 Ibid., pp. 30-31.<br />

229 Ch. Péguy, Un poète l’a dit [posth. ; 1907], B 910 ; Victor-Marie, Comte Hugo [1910], C 327 et 1564.<br />

230 Ch. Péguy, De la situation faite au parti intellectuel devant les accidents de la gloire temporelle [1907], B 733.<br />

231 Ch. Péguy, La Préparation du congrès socialiste national [1900], A 353-536.<br />

232 Ch. Péguy, Notre jeunesse [1910], C 80.<br />

233 Ch. Péguy, Clio [posth. ; 1913], C 1156.<br />

234 Ch. Péguy, Notre jeunesse [1910], C 58-59.<br />

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