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Actes du colloque de Pieksämäki, août 2006 : III e partie<br />

Charles Péguy, historicité et modernité<br />

Tatiana Taïmanova & Élizavéta Léguenkova<br />

Université d’État & Université des Sciences sociales et humaines<br />

de Saint-Pétersbourg, Russie<br />

<strong>Le</strong>s notions d’« historicité » et de « modernité » sont toutes les deux des inventions du<br />

XIX e siècle et acquièrent une valeur particulière dans la seconde moitié du XX e siècle. « <strong>Le</strong> XIX e siècle,<br />

siècle de l’histoire, invente à la fois des doctrines qui privilégient l’histoire dans le savoir, parlant [...] soit<br />

de l’historisme, soit de l’historicisme, et une fonction [...], une catégorie du réel, l’historicité (le mot apparaît<br />

en 1872 en français) », écrit Jacques <strong>Le</strong> Goff 223 . D’après le dictionnaire Larousse de 1913, « historicité »<br />

signifie « caractère de ce qui est historique ».<br />

L’œuvre de Péguy est historique par excellence. Philosophe et historien de formation, poète et<br />

essayiste de nature, Péguy cherche à comprendre son temps à travers l’expérience historique. Du début<br />

de sa carrière littéraire jusqu’à la fin de sa vie, Péguy s’intéresse de plus en plus souvent à l’histoire,<br />

réfléchissant d’abord sur la science historique contemporaine qui occupe une place à part dans la<br />

connaissance de l’homme et de la société, et soumettant à une critique virulente ses méthodes<br />

positivistes et ses maîtres, Lavisse, Langlois, Seignobos, examinant ensuite la réalité historique en tant<br />

que matière de réflexion morale et éthique, l’histoire devenant finalement pour lui objet de la<br />

connaissance poétique. Son sens de l’histoire est très particulier : Péguy comprend que le cours de<br />

l’histoire est soumis à des lois certaines, mais sa conception de ces lois est différente de celle des<br />

historiens de métier. L’approfondissement de sa conception historique conduit Péguy à une philosophie<br />

de l’histoire. Dès 1905, <strong>Le</strong>s Suppliants parallèles laissent percevoir sa propre interprétation poétique de<br />

l’histoire, où il applique à la modernité les lois de la tragédie grecque et arrive à d’étonnantes prévisions<br />

historiques. Dans les années 1910, cette conception acquiert des contours plus nets et se manifeste dans<br />

les différents genres qu’il aborde : essais philosophiques et politiques, tels Notre jeunesse, Un nouveau<br />

théologien, Victor-Marie, comte Hugo ou Clio, œuvres poétiques, tels <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc ou<br />

Ève. Mais sa conception de l’historicité ainsi que de la modernité sont très différentes des stéréotypes<br />

affirmés par son époque, car l’histoire lui servait non de matière pour une étude sèche et morte, mais de<br />

source pour enrichir le présent et le futur. Péguy-moraliste cherche à transformer, à l’aide de la<br />

connaissance historique, le présent qui appelle sa critique et se transforme à chaque instant en histoire<br />

et définit l’orientation de l’avenir.<br />

La modernité comme matière d’étude et comme concept philosophique (ce qui chez certains<br />

auteurs correspond à l’actualité, à la réalité contemporaine, à l’époque vécue au moment présent)<br />

occupe une place à part dans son œuvre. Pour la désigner, Péguy utilise l’expression de « monde<br />

moderne ». Quant au terme « modernité », il avait été introduit par Baudelaire dans son article « <strong>Le</strong><br />

Peintre de la vie moderne » (1863). L’œuvre de Baudelaire témoigne de l’ambiguïté de sa perception de<br />

la modernité. « Observateur le plus perspicace du XIX e siècle, Baudelaire mesura mieux que quiconque<br />

les effets de l’identification de l’art à l’actualité, affirmée depuis Stendhal. Ambivalent à l’égard de cette<br />

modernité dont l’invention lui est attribuée, il se plaît à la nouvelle évanescence du beau en même<br />

temps qu’il résiste comme à une impasse, à une déchéance liée à la modernisation et à la sécularisation<br />

qu’il exècre », souligne Antoine Compagnon 224 . En général la notion de la modernité a deux<br />

connotations : positive et négative. Il y a toujours ceux qui acceptent avec enthousiasme toutes les<br />

nouveautés qu’introduit la modernité et ceux qui les repoussent en leur opposant l’ancien, l’antique,<br />

l’historique. <strong>Le</strong>s conflits de générations dressant les « modernes » contre les « anciens » ne datent pas du<br />

XIX e siècle et étaient déjà apparus dans l’Antiquité (en parlaient, par exemple, Horace, Ovide,<br />

223 Jacques <strong>Le</strong> Goff, Histoire et mémoire, Gallimard, 1986, p. 180.<br />

224 Antoine Compagnon, <strong>Le</strong>s Cinq paradoxes de la modernité, Seuil, 1990, p. 28.<br />

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