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l’œuvre du salut et du rachat, exprime symboliquement la Pâque (ou les Pâques 216 ) en tant que « passage<br />
en suspens » de l’esclavage du péché à l’intimité avec Dieu-Amour. Elles sont chaque fois une « mise en<br />
œuvre » de la « patience » de Dieu qui attend (rentré, mais « guettant de loin ») ou qui cherche jusqu’à<br />
trouver, sans jamais se lasser. <strong>Le</strong> comble de son attente s’exprime dans le Saint-Sacrement, dans lequel<br />
Dieu-fait-Homme devient chose et nourriture : « Ces siècles et ces siècles où il est une hostie chez les<br />
hommes. » 217<br />
Dans cette perspective, le péché de l’homme peut devenir la felix culpa, celle qui déclenche le<br />
« mécanisme du Salut » et nous fournit, paradoxalement, une preuve suprême de l’Amour de Dieu pour<br />
l’homme. On la chante pendant la liturgie pascale pour souligner la gratuité de la grâce du Salut et sa<br />
merveille. Péguy l’exprime plusieurs fois, en en faisant ressortir un aspect nouveau, lorsqu’il parle par<br />
exemple du Bon Berger :<br />
Mais ce pécheur qui est parti et qui a failli se perdre<br />
Par son départ même et parce qu’il allait manquer à l’appel du soir<br />
Il a fait naître la crainte et ainsi il a fait jaillir l’espérance même<br />
Au cœur de Dieu même,<br />
Au cœur de Jésus.<br />
[...]<br />
Par cette brebis égarée Jésus a connu la crainte dans l’amour.<br />
Et ce que la divine espérance met de tremblement dans la charité même.<br />
[...]<br />
Jésus comme un homme a connu l’inquiétude humaine,<br />
Jésus fait homme,<br />
Il a connu ce que c’est que l’inquiétude au cœur même de la charité [...] 218<br />
Ainsi, pas après pas, nous pouvons voir à quel point la parole poétique de Péguy est enracinée<br />
dans la Bible, y puisant une dimension prophétique 219 . L’auteur du <strong>Porche</strong> se révèle non seulement<br />
comme l’homme du dialogue entre deux Alliances, l’Ancienne et la Nouvelle, mais aussi comme leur<br />
héritier. Son œuvre le démontre continuellement. Il semble se mouvoir, à travers ces deux réalités selon<br />
un certain « code intuitif » 220 , dans lequel on peut distinguer deux niveaux d’approche, vertical et<br />
la parabole de la brebis égarée ;<br />
la parabole de la drachme égarée ;<br />
la parabole de l’enfant égaré.<br />
216 « Une fine nuance de la langue française distingue entre les Pâques chrétiennes et la Pâque juive. Pour le linguiste, la<br />
différence est minime, puisqu’elle est d’origine récente; au Moyen Âge encore, les deux termes se confondaient et, de toutes<br />
manières, ils dérivent d’une racine commune. À travers le grec pascha, Pâques et Pâque sont la transposition phonétique de<br />
l’hébreu pésah qui désigne, dans la Tora de Moïse, la nuit de l’Exode et la solennité qui la commémore d’âge en âge. [...] Ce<br />
pluriel et ce singulier reflètent une vérité historique significative. En effet, la spiritualité chrétienne et la spiritualité juive sont,<br />
dans leur enracinement, toutes deux pascales. » (André Neher, Moïse et la vocation juive, Seuil, « Maîtres spirituels », 1956,<br />
pp. 126-127).<br />
217 Ch. Péguy, <strong>Le</strong> <strong>Porche</strong> du mystère de la deuxième vertu, op. cit., P 669.<br />
218 Ch. Péguy, <strong>Le</strong> <strong>Porche</strong> du mystère de la deuxième vertu, op. cit., P 571.<br />
219 « La prophétie, dans la Bible, est une vue globale de la situation humaine, depuis la création jusqu’à la délivrance<br />
finale, vue qui délimite l’étendue de ce que nous pourrions appeler, dans d’autres con<strong>texte</strong>s, l’imagination créatrice. Elle<br />
s’incorpore la perspective de la sagesse, mais en l’élargissant. <strong>Le</strong> sage imagine la situation des hommes comme une sorte de<br />
ligne horizontale, formée par les précédents et la tradition et prolongée par la prudence; le prophète voit l’homme dans un<br />
état d’aliénation causé par ses propres distractions, au fond d’une courbe en U. Cette idée postule un état originel de<br />
bonheur relatif, et attend une restauration ultime de cet état, au moins par un reste sauveur. <strong>Le</strong> moment présent du sage est<br />
celui dans lequel le passé et l’avenir s’équilibrent, les incertitudes de l’avenir étant minimisées par l’observance de la loi issue<br />
du passé. Pour le prophète, le moment présent est un fils prodigue aliéné, un moment qui s’est détaché de son identité dans<br />
l’avenir. » (Northorp Frye, <strong>Le</strong> grand code. La Bible et la littérature, Seuil, 1984, p. 189).<br />
220 Cf. la notion de connaissance « directe », « intuitive » chez Henri Bergson, ami et maître de Péguy.<br />
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