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texte - Le Porche

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Lumières. Étrange projet qui n’eut pas de suite : les livres se trouvent à leur place, dans les locaux de la<br />

Bibliothèque nationale, où les spécialistes peuvent les y consulter. Je me demande toujours comment un<br />

esprit libre comme Voltaire a pu séduire une souveraine comme Catherine, et ce n’est pas la dernière<br />

fois que je m’interrogerai ainsi : l’attrait réciproque de « l’âme russe » et de « l’esprit français » échappe<br />

au rationnel, ce qui est sans doute le propre de la passion, même si cela peut ménager quelques<br />

malentendus... Sur les rayonnages s’alignent des volumes de toutes les tailles, à la reliure de cuir patinée.<br />

Beaucoup d’écrits religieux, et des titres insolites, tel cet Espion chinois, dont on voudrait bien connaître<br />

les aventures…<br />

Vendredi est une journée à marquer d’une pierre blanche, car elle s’ouvre sur l’inauguration de<br />

la bibliothèque Robert Burac. Chacun sait que notre ami Robert Burac, éditeur des œuvres en prose de<br />

Péguy dans la collection « La Pléiade », a légué ses livres au centre Jeanne d’Arc – Charles Péguy de<br />

l’Université de Saint-Pétersbourg. <strong>Le</strong>s livres sont arrivés à bon port, après des tribulations qui<br />

mériteraient un récit. Ils ont désormais trouvé leur place sur les étagères qui recouvrent les murs de la<br />

salle oblongue dans laquelle nous sommes rassemblées. Des portraits de l’écrivain sur les couvertures et<br />

derrière les vitrines, mais aussi une magnifique photographie de Robert au visage souriant, font de ce<br />

lieu plus qu’une salle d’étude : un foyer d’amitié intellectuelle et spirituelle. Tour à tour,<br />

Tatiana Taïmanova, Yves Avril et Katarzyna Pereira vont prendre la parole pour évoquer les<br />

circonstances dans lesquelles ils ont connu Robert Burac, et la place qu’il a tenue dans leur trajectoire<br />

péguiste. Puis Éléna Djoussoïéva rappelle l’actualité et la modernité du travail d’édition réalisé par notre<br />

ami. Chacun s’exprime avec simplicité, et notre émotion est intense. <strong>Le</strong>s souvenirs sont ravivés ; pour<br />

certains, c’est un visage nouveau qu’ils découvrent à la faveur de ces hommages mêlés de confidences.<br />

Tous, nous avons conscience de la beauté de ce moment, où, grâce à la clairvoyance et à la générosité<br />

d’un homme exceptionnel, grâce à la volonté tenace et au labeur acharné de nos amies de Saint-<br />

Pétersbourg, nous « installons » Péguy au cœur de la grande Russie.<br />

À l’issue de cette cérémonie, le groupe se scinde ; tandis que péguistes et claudéliens se<br />

retrouvent autour de leurs auteurs favoris, les autres participants poursuivent leurs travaux de leur côté.<br />

Mais tout est prévu pour que nous puissions passer facilement d’une salle à l’autre. Nous sommes<br />

heureux d’écouter Tania sur Madame Gervaise, un personnage essentiel des Mystères, souvent négligé.<br />

Katarzyna évoque la dimension prophétique de la pensée de Péguy, en laquelle le spirituel et le<br />

temporel se rejoignent. Jérôme Roger, qui poursuit en solitaire son exploration de l’œuvre de Péguy au<br />

pays de Montaigne et de Montesquieu (sans oublier Mauriac), nous gratifie d’une très belle<br />

communication sur autobiographie et politique. Quant à moi, je propose une lecture de Zangwill, <strong>texte</strong><br />

qui discerne la posture métaphysique moderne derrière la critique littéraire de Taine et la philosophie<br />

des sciences de Renan.<br />

L’après-midi sera consacrée à Claudel, rapproché de façon stimulante de Verne (Jules, faut-il<br />

préciser à Yves Avril) par Peter Schulman, de l’Université de Norfolk aux États-Unis. Inna Nekrassova,<br />

de l’Académie de Théâtre de Saint-Pétersbourg, étudie les rapports paradoxaux de Claudel avec le<br />

théâtre, tandis que Kira Kashliavik, de Nijny Novgorod, et Evguénia Akhmédianova, la benjamine du<br />

colloque, étudiante à Moscou, nous allèchent par les titres de leurs communications, prononcées en<br />

russe.<br />

Une fois la séance terminée, nous pouvons rejoindre l’autre groupe et assister à ses derniers<br />

travaux. Mention spéciale pour la communication de Corinne Fournier-Kiss, de l’université de<br />

Fribourg. Elle étudie le rôle joué par deux femmes de la noblesse russe, émigrées à Paris au début du<br />

XIX e siècle, dans l’élaboration de « l’idée russe », ce projet universaliste qui s’immisce entre le<br />

panslavisme des uns et l’attraction pour le modèle européen des autres. Son exposé, extrêmement<br />

vivant et documenté, n’est pas loin de susciter un tollé. En évoquant la trajectoire religieuse de ces<br />

femmes érudites, hautement passionnées par les questions spirituelles, dont la quête d’unité les mène<br />

jusqu’à la conversion au catholicisme, Corinne a touché une fibre sensible. Foin de l’objectivité, de<br />

l’impassibilité universitaires : un « front orthodoxe » russe, grec et roumain réagit avec feu à des propos<br />

qui leur semblent empreints de prosélytisme, du moins injustes pour leur religion. La surprise est totale<br />

du côté franco-suisse, pour qui la démarche de Corinne reste purement historique et neutre. L’épisode<br />

nous laisse déconfits, et pourtant, en faisant voler en éclats la carapace universitaire, il a nous a peutêtre<br />

permis de mieux appréhender nos différences, donc de nous rencontrer de façon plus authentique.<br />

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