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texte - Le Porche

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Il voyait tout d’avance et tout en même temps.<br />

Il voyait tout après.<br />

Il voyait tout avant.<br />

Il voyait tout pendant, il voyait tout alors.<br />

Tout lui était présent de toute éternité. 171<br />

Apparemment, Péguy lui-même était dans une large mesure doué de cette capacité mystérieuse,<br />

par la vertu de compassion, de voir « tout avant », voir « tout au moment » et « tout après », de voir tout<br />

« ce qui entrera dans l’éternité », de voir « tout en même temps ». C’est justement ainsi qu’il sut<br />

distinguer les voies de la révolution russe dans les prières que les anciens Grecs adressaient à Œdipe,<br />

qu’il sut découvrir et contraindre ses lecteurs à éprouver de l’intérieur les souffrances de la Vierge Marie<br />

suivant son fils au Golgotha sur son propre chemin de croix :<br />

Elle pleurait, elle était devenue affreuse.<br />

<strong>Le</strong>s cils collés.<br />

<strong>Le</strong>s deux paupières, celle du dessus et celle du dessous,<br />

Gonflées, meurtries, sanguinolentes.<br />

<strong>Le</strong>s joues ravagées.<br />

<strong>Le</strong>s joues ravinées.<br />

<strong>Le</strong>s joues ravaudées.<br />

Ses larmes lui avaient comme labouré les joues...<br />

<strong>Le</strong>s larmes de chaque côté lui avaient creusé un sillon dans les joues.<br />

Péguy insensiblement passe de l’intérieur à l’extérieur :<br />

Ses yeux lui cuisaient, lui brûlaient.<br />

Jamais on n’avait autant pleuré.<br />

Et pourtant ce lui était un soulagement de pleurer.<br />

La peau lui cuisait, lui brûlait.<br />

Et lui pendant ce temps-là sur la croix les Cinq Plaies lui brûlaient.<br />

Et il avait la fièvre.<br />

Et elle avait la fièvre.<br />

Et elle était ainsi associée à sa Passion. 172<br />

C’est précisément par la compassion que Péguy lui-même se fait « plus participant » à tout ce<br />

qui émeut profondément son âme.<br />

Ainsi, polémiquant dans Un nouveau théologien avec Fernand Laudet, Péguy l’accuse d’être<br />

incapable de distinguer « le caché », le « non-public », la vie quotidienne de Jeanne d’Arc et des autres<br />

saints et, en fin de compte, du Christ lui-même. La raison, selon lui, en est simple : Fernand Laudet est<br />

étranger à la vie populaire, il ne peut se la représenter, sans avoir de descriptions « historiques ». Pour<br />

Péguy, qui est sorti du peuple, cette vie n’exige aucune précision, elle se déroule sous ses yeux, comme<br />

la sienne propre, comme la vie « de ces petites gens qui n’ont pas une vie publique » : « Jésus, monsieur<br />

Laudet, est essentiellement le Dieu des pauvres, des misérables, des ouvriers, par conséquent de ceux<br />

qui n’ont pas une vie publique. / <strong>Le</strong> Ciel est un ciel de petites gens 173 ».<br />

Selon Péguy, tout atelier chrétien ressemble à l’atelier de Nazareth, et toute famille chrétienne<br />

ressemble à la famille de Nazareth, tout chrétien qui travaille est comparable à Jésus travaillant.<br />

L’ouvrier, vivant sa journée « non publique » est comparable à Jésus dans sa vie « non publique », Jésus<br />

lui-même dans sa vie « non publique » se soumet à la volonté de son père terrestre, exactement comme<br />

Il se soumet à la volonté de Son père des cieux dans la vie spirituelle. Cette vie ordinaire, cachée, non<br />

publique se transfigure, acquiert la plus haute signification, exactement comme le pain et le vin<br />

« ordinaires » mystérieusement se transforment en chair et sang du Christ.<br />

171 Ch. Péguy, <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, P 488.<br />

172 Ch. Péguy, <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, P 463-464.<br />

173 Ch. Péguy, Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet [1911], C 409.<br />

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