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français. Soit, ils n’en ont qu’un, le destin français, et ne peuvent se réclamer d’un autre 169 . Pour Péguy,<br />
ce double destin est une source de réflexion et d’émerveillement. Il l’accepte comme tel.<br />
Ce qui éloigne le plus Péguy de son époque est peut-être ce qui le rend le plus intéressant pour<br />
la nôtre, car c’est le commencement de toute une réflexion sur la nature des peuples que nous offre<br />
Notre jeunesse. Dans un monde contemporain où tout le monde vit chez tout le monde, comprendre que<br />
la catégorie « peuple » ne peut être effacée, que nous ne sommes pas que des individus face à l’État,<br />
nous confronte à une grande difficulté aussi bien qu’à une grande possibilité. Dans un tel monde, être<br />
ailleurs aussi bien qu’ici devient le lot de multiples groupes humains. Péguy ne nous offre pas une<br />
formule pour gérer cette multiplicité, mais son <strong>texte</strong> invite à accepter que cette double appartenance<br />
reste incontournable. C’est un bon point de départ. Dans ce con<strong>texte</strong> nouveau, celui de la<br />
mondialisation, le peuple juif, par sa double allégeance historique, reste prophète.<br />
Présence des <strong>texte</strong>s bibliques<br />
dans l’œuvre de Charles Péguy et de Maximilien Volochine<br />
Éléna Djoussoïéva<br />
Université des Sciences sociales et humaines de Saint-Pétersbourg, Russie<br />
Maximilien Volochine, célèbre poète et peintre russe, avait cinq ans de moins que Charles<br />
Péguy, c’est-à-dire qu’il appartenait presque à la même génération. Il séjourna plusieurs années à Paris,<br />
fréquenta Anatole France et Romain Rolland, subit l’influence de poètes français tels que Paul Verlaine<br />
et Henri de Régnier, et des impressionnistes. Il connaissait et estimait beaucoup l’œuvre de Péguy, a<br />
parlé de lui dans ses souvenirs. Comme Péguy, Volochine connaissait et aimait l’Antiquité. Il n’était<br />
certainement pas athée, mais tandis que Péguy n’adhéra jamais à l’Église officielle, Volochine cherchait<br />
de nouvelles routes vers Dieu. Il fut successivement séduit par le bouddhisme, le catholicisme,<br />
l’occultisme. <strong>Le</strong>s deux poètes ont réfléchi sur les questions de la foi, ce dont témoignent les titres<br />
mêmes de leurs œuvres : pour Péguy, <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, <strong>Le</strong> <strong>Porche</strong> du mystère de la<br />
deuxième vertu, <strong>Le</strong> Mystère des saints innocents, Ève ; pour Volochine, L’Étoile Absinthe, <strong>Le</strong> Buisson ardent, Sur<br />
les routes de Caïn (en outre le premier médite davantage sur le problème de la sainteté, le second sur la<br />
tragédie de la Chute et du Combat avec l’ange, mais tous deux compatissent avec celui qu’il est convenu<br />
de considérer comme rejeté par Dieu). Ce qui rapproche également les deux poètes, c’est leur manière<br />
de faire écho aux <strong>texte</strong>s bibliques, en rapport avec leur conception de l’histoire et la démarche de<br />
création qui leur est propre.<br />
Dans <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Péguy a ces vers étonnants, consacrés au Christ<br />
crucifié :<br />
Il mesura plus qu’eux la grandeur de la peine ;<br />
Ils ne la mesuraient que d’un regard humain ;<br />
Même le damné, même le larron qui venait de se perdre ;<br />
Ils n’étaient devant lui que des damnés humains.<br />
De son regard de Dieu joignant l’éternité,<br />
Il était tout au bout en même temps qu’ici,<br />
Il était tout au bout en même temps qu’alors.<br />
Il était au milieu et tout ensemble à l’un et l’autre bout.<br />
Lui seul.<br />
De tous. 170<br />
[...]<br />
169 C 137.<br />
170 Charles Péguy, <strong>Le</strong> Mystère de la charité de Jeanne d’Arc [1910], P 446.<br />
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