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texte - Le Porche

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près ainsi que Péguy définit le fait historique qui se salit en passant à travers nombre d’interprétations,<br />

ce qui est bien mieux que l’oubli complet.<br />

Péguy recevait les Évangiles comme un <strong>texte</strong> à la fois littéraire et historique. Pour lui le recours<br />

éternel de l’homme aux Évangiles, c’est-à-dire à la Bible, d’un côté, rend ces <strong>texte</strong>s éternellement<br />

vivants, et d’un autre côté apparaît comme le gage du lien infrangible entre le périssable, le terrestre, et<br />

l’éternel, le céleste. C’est en cela que consiste selon Péguy la signification principale des Évangiles, qui<br />

ont ouvert une nouvelle époque, chrétienne, dans l’histoire de l’humanité.<br />

<strong>Le</strong> peuple juif dans Notre jeunesse<br />

Annette Aronowicz<br />

Franklin & Marshall College<br />

Lancaster, Pennsylvanie, États-Unis<br />

Notre jeunesse, une longue méditation sur l’Affaire Dreyfus, est aussi une réflexion sur le rôle du<br />

peuple juif dans l’histoire. L’image que nous donne Péguy de ce peuple est indissociable des <strong>texte</strong>s<br />

bibliques, bien qu’elle soit aussi fortement marquée par l’époque dans laquelle il a vécu, tant par ce<br />

qu’elle partage avec ses contemporains que par ce qu’elle essaie de remettre en question.<br />

Ses propos sur le peuple juif se trouvent surtout dans le portrait qu’il fait de son ami Bernard-<br />

Lazare. Celui-ci, l’un des premiers à défendre le capitaine Dreyfus publiquement, est pour l’auteur de<br />

Notre jeunesse, l’incarnation même du prophète biblique en ligne directe avec « le feu allumé il y a<br />

cinquante siècles » 144 . Nombre de très belles pages essaient de transmettre, par leur rythme et leurs<br />

images, la vie intérieure et le sort particulier du prophète. En parlant de prophétie, Péguy ne se limite<br />

cependant pas à la seule figure de Bernard-Lazare, car ce dernier est inséparable, comme l’étaient tous<br />

les prophètes bibliques, de son peuple. Il transmet toujours la parole divine à ce peuple et pour le bien<br />

de ce peuple. Il s’agit du peuple juif. Péguy voyait en eux la source unique de la vocation prophétique,<br />

aussi bien dans l’Antiquité que dans l’histoire actuelle. « Israël a fourni des prophètes innombrables,<br />

plus que cela elle est elle-même prophète, elle est elle-même la race prophétique. Tout entière en un<br />

seul corps , un seul prophète » 145 .<br />

<strong>Le</strong> peuple juif est lié à la prophétie de deux manières différentes. En premier lieu, il en est la<br />

source. C’est-à-dire, c’est la tradition juive qui forme à ce rôle. On remarquera que l’image dont Péguy<br />

se sert le plus pour parler de cette tradition est celle d’un feu, d’une flamme, d’un charbon ardent 146 . La<br />

tradition juive n’est donc pas ce qui stabilise mais, au contraire, ce qui ébranle, qui brûle, qui purifie, et<br />

par ce biais devient source de souffrance. « Ils savent ce que ça coûte, eux, que d’être la voix charnelle<br />

et le corps temporel. Ils savent ce que ça coûte que de porter Dieu et ses agents les prophètes. Ses<br />

prophètes les prophètes » et « Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas<br />

douloureux » 147 .<br />

La prophétie cause la souffrance par la contestation des puissances temporelles, qui, à son tour,<br />

déclenche la persécution. Elle se répercute sur tout le peuple car bien que les juifs en général<br />

préféreraient ne pas suivre leurs prophètes, presque tous finissent par le faire, bon gré, mal gré 148 .<br />

L’Affaire Dreyfus en est un exemple éminent. La majorité des juifs français, nous dit Péguy, aurait<br />

préféré ne pas s’occuper du sort du capitaine Dreyfus. Ils savaient que toute défense publique d’un<br />

autre juif les ferait accuser d’être des étrangers, mettant leur intérêt collectif au-dessus de l’intérêt de la<br />

France. Ils avaient raison d’ailleurs. L’Affaire Dreyfus déclencha une énorme explosion de sentiments<br />

antisémites. Mais quand Bernard-Lazare dévoila les irrégularités du procès militaire qui condamna<br />

Dreyfus, presque tous les juifs finirent par se joindre à lui. Péguy ne les présente pas en héros, toujours<br />

prêts à combattre l’injustice. Selon lui, c’est la persécution contre eux qui les pousse à jouer ce rôle.<br />

144 Charles Péguy, Notre jeunesse, C 64. – Toutes les citations de cet article proviennent de cette œuvre.<br />

145 C 51.<br />

146 C 64-65.<br />

147 C 52 et 53.<br />

148 C 54.<br />

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