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ministère du présent [...]. <strong>Le</strong>s Évangiles (ou enfin la matière, le sujet des Évangiles) ne sont pas<br />
seulement les prophéties devenues, ce sont les prophéties réalisées. » 135 Péguy souligne le lien existant<br />
entre la prophétie et la constatation de son accomplissement dans l’Évangile (en grec, on le sait,<br />
« évangile » signifie « bonne nouvelle »). « Et cette singulière liaison qu’il y a de la promesse à la tenue de<br />
la promesse est précisément la liaison de Jésus aux prophéties et des Évangiles aux prophéties. » 136<br />
L’Annonciation joue un rôle particulier dans l’histoire des prophéties « Comme Jésus est le<br />
dernier et le plus haut des prophètes, ainsi et du même mouvement l’Annonciation est la dernière et la<br />
plus haute des prophéties. Elle vient directement de Dieu, par un ange, qui n’est plus qu’un ministre et<br />
un héraut. Non plus par un prophète qui est un homme. » 137 . C’est en cela que selon Péguy consiste le<br />
statut particulier de l’Annonciation qui réalise la liaison entre le divin et l’humain, entre l’histoire<br />
antique, païenne, et l’histoire nouvelle, chrétienne : « L’Annonciation est une heure unique dans<br />
l’histoire mystique et dans l’histoire spirituelle. [...] C’est toute la fin d’un monde et tout le<br />
commencement d’un autre. » 138<br />
L’Annonciation, c’est le moment du passage de l’ancienne histoire aux temps nouveaux. « L’être<br />
de Moïse n’a pu donner l’être de Jésus qu’en passant par un certain point d’être./ <strong>Le</strong> peuple de Moïse<br />
n’a pu donner le peuple de Jésus qu’en passant par un certain point de peuple. / <strong>Le</strong>s immenses<br />
prophéties n’ont pu donner les immenses et universels Évangiles qu’en passant par un certain point qui<br />
fût ensemble et la plus haute prophétie et l’aube des Évangiles. Et ce point ce fut précisément le point<br />
de cette annonce faite à Marie. » 139<br />
Péguy considère le lien causal et consécutif entre les prophéties et leur réalisation non comme<br />
diachronique, mais comme synchronique. En accord avec la philosophie de Bergson, pour Péguy tout<br />
présent c’est le moment qui s’écoule, unissant comme un processus de vieillissement aussi l’observation<br />
même par le processus du passage constant du présent dans le passé. « <strong>Le</strong> présent n’est point inerte. Il<br />
n’est pas seulement spectateur et témoin. Il est un point d’une nature propre et tout passe par ce point<br />
et Jésus même, étant homme et temporel, y a passé et l’advenue, l’événement, la survenue de Jésus sur<br />
Moïse, de la nouvelle loi sur l’ancienne, du monde chrétien sur le monde antique, de la grâce sur la<br />
nature, des Évangiles sur les prophéties n’est pleinement évaluable et pleinement saisissable, sinon<br />
pleinement intelligible, que pour celui qui a considéré la singulière advenue, l’événement, la survenue du<br />
futur dans le passé par le ministère du présent. » 140<br />
À la différence des historiens qui s’en tiennent à la philosophie pré-bergsonienne, Péguy<br />
considère l’événement historique, le fait dans son devenir, son mouvement, dans sa vie aussitôt après<br />
qu’il est devenu inscription historique, dans sa mutabilité : « Au lieu de considérer la liberté, la vie, le<br />
présent un instant avant qu’elle entre dans l’éternelle prison du passé, on la considérait aussitôt après,<br />
instantanément après qu’elle venait de signer sur le registre d’écrou. » 141 Péguy voit que pour ses<br />
contemporains la connaissance du présent, c’est aussi parcelle de l’histoire. Pour eux dans le présent est<br />
logé implicitement le passé. Et cette réduction du présent à un passé a pour base le déterminisme, du<br />
matérialisme et de l’intellectualisme, constamment combattus par Péguy. <strong>Le</strong> christianisme et les<br />
chrétiens sont inaltérables. <strong>Le</strong> Christ est éternel et il faut prendre son histoire comme en son temps,<br />
propose Péguy. Il faut se débarrasser de toute l’expérience et se servir » de cette saisie directe que nous<br />
avons, nous chrétiens [...] des saints de tous les siècles [...], cette saisie immédiate instantanée,<br />
intemporelle, éternelle... » 142<br />
Péguy a écrit que le lecteur authentique ne doit pas analyser le <strong>texte</strong> mais le prendre dans sa<br />
totalité, comme un don précieux. La lecture est « littéralement une coopération, une collaboration<br />
intime, intérieure ; singulière, suprême... » 143 Aussi l’œuvre d’art ne peut-elle jamais être achevée, car<br />
chaque lecteur la change. En outre l’œuvre s’use, se gâte, mais cela est mieux que l’oubli. C’est à peu<br />
135 Ibid.<br />
136 C 1404.<br />
137 C 1405.<br />
138 Ibid.<br />
139 C 1407.<br />
140 C 1408.<br />
141 C 1410.<br />
142 Ch. Péguy, Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet [1911], C 457.<br />
143 Ch. Péguy, Clio, C 1008.<br />
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