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texte - Le Porche

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femme et comme chrétienne, car il a abjuré sa foi, mais qu’elle épouse pour tenter de sauver son âme,<br />

fait écho symboliquement avec l’un des thèmes de la première lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens,<br />

que Claudel citait souvent dans son Journal dans les années où il travaillait à son drame<br />

Et la femme qui a un mari incroyant et il a accepte de vivre avec elle, ne doit pas le laisser ;<br />

Car le mari incroyant est sanctifié par sa femme (croyante).<br />

Pourquoi, femme, ne vas-tu pas sauver ton mari ? 121<br />

Dans l’action du Soulier de satin, ce thème est introduit d’entrée de jeu dans le dialogue de<br />

Prouhèze et de Camille qu’ils mènent, séparés « par une charmille » (première journée, scène 3) :<br />

Prouhèze : Faut-il donc une âme pour sauver la ville ?<br />

Camille : Il n’y a pas d’autre moyen.<br />

Prouhèze : Si je vous aimais, cela me serait facile.<br />

Camille : Si vous ne m’aimez pas, aimez mon infortune [...]. Si je suis vide de tout, c’est afin de<br />

mieux vous attendre.<br />

Prouhèze : Dieu seul remplit.<br />

Camille : Et qui sait, ce Dieu, si vous seule n’étiez pas capable de me l’apporter ? 122<br />

Ce ton interrogatif qui donne au verset biblique une note d’incertitude, résonne ici dans les<br />

paroles de don Camille, « personnage négatif », que l’auteur revêt un instant du don de prophétie.<br />

Camille indique un rendez-vous à Prouhèze dans la forteresse de Mogador – ce thème se développe<br />

dans toute sa plénitude dans les événements de la Troisième journée.<br />

Au printemps 1923, approchant du finale du Soulier de satin, Claudel nota dans son Journal un<br />

jugement extraordinairement important : « Dieu est partout. Il est donc dans tous les phénomènes<br />

naturels, qui tous signifient quelque chose de lui. Il est aussi dans tous les sentiments humains, dans<br />

tous les actes humains. Il n’y en a pas un seul dans lequel il ne soit intéressé, qui ne le regarde, qui n’ait<br />

rapport avec lui, et cela aussi bien les bons que les mauvais ; Tout est parabole, tout signifie l’infinie<br />

complexité des rapports des créatures avec leur Créateur. C’est cette idée q[ui] pénètre toute mon<br />

œuvre. Il n’y a rien sur la terre qui ne soir comme la traduction concrète ou déformée du sens qui est<br />

dans le ciel » 123<br />

On découvre ainsi les particularités du symbolisme de Claudel. Si Stéphane Mallarmé, son<br />

maître en poésie, proposait « de peindre non la chose, mais l’impression produite par elle », et, en<br />

traversant l’enveloppe de « la chose », d’atteindre son être caché qui est aussi symbole, pour Claudel,<br />

c’est directement que la « chose » est « symbole ». <strong>Le</strong> symbole de la présence de Dieu.<br />

De cette façon, il n’est pas nécessaire à Claudel de chercher un « intermédiaire » entre le réel et<br />

le surréel, c’est-à-dire le symbole. Chaque chose pour lui est symbole, et la tâche du poète est de<br />

montrer cette « chose », de faire apparaître ses qualités particulières, de la détacher du flux du temps,<br />

des corrélations de l’espace. C’est pourquoi il considère comme si importantes les coïncidences<br />

textuelles, ces signaux qui font surgir les implications, les entrelacements du plan du réel, « matériel »,<br />

avec l’éternel : « les buissons d’épines », qui mettent en haillons l’« habit d’homme » de Dona Prouhèze,<br />

sont en même temps les épines bibliques, apparaissant à leur tour comme une allégorie de ces invisibles<br />

barrières que place Dieu pour barrer à l’âme la route du péché. C’est ainsi que les événements concrets<br />

auxquels sont confrontés les héros de la pièce et qui souvent n’ont pas de liens visibles entre eux, quand<br />

ils sont mis en relation avec les motifs bibliques, se rangent en une file unique, symbolique.<br />

<strong>Le</strong>s manifestations et les insertions des motifs bibliques dans l’intrigue du Soulier de satin sont<br />

multiformes. « Deus escrive dirretto por linhas tortas », proclame l’épigraphe. Dans la structure si complexe<br />

de cette gigantesque pièce, qu’il est impossible de soumettre à une explication logique, ils servent non<br />

seulement explicitement mais aussi secrètement de fils qui unissent les parties au tout et assurent la<br />

solidité de l’ensemble.<br />

121 P. Claudel, <strong>Le</strong> Soulier de satin, VII, 13, 14 et 16.<br />

122 P. Claudel, <strong>Le</strong> Soulier de satin, en Th 2, p. 676.<br />

123 P. Claudel, J 1, p. 586-587.<br />

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