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texte - Le Porche

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L’une des raisons du passage de l’ébauche dans le domaine du tragique fut un épisode<br />

important de sa destinée – la lettre d’une amante perdue. En août 1918, étant au Brésil, il écrivit dans<br />

son Journal cette note : « Je comprends maintenant pleinement ce qui m’est arrivé en 1900 » 116 . <strong>Le</strong>s<br />

souvenirs tragiques ramènent le poète aux thèmes de l’amour coupable, de la rupture du vœu, qui ont<br />

déterminé le conflit de pièces comme <strong>Le</strong> Partage de midi (1905) et le récent Père humilié (1916). Mais dans<br />

<strong>Le</strong> Soulier de satin ils se développent autrement, à travers le prisme des associations bibliques, dans une<br />

généralisation maximum, mais en même temps c’est en se concrétisant au maximum qu’ils trouveront<br />

leur sens effectif.<br />

<strong>Le</strong>s versets de l’Ancien Testament du prophète Osée, notés par Claudel en août 1918, montrent<br />

avec une précision étonnante l’orientation de l’intrigue du futur drame : « Et dixit D[ominus] ad me : Vade<br />

et dilige mulierem dilectam amico et adulteram, Sicut diligit D[ominus] filios Israël… » « Et Dieu me dit : va encore<br />

et aime la femme, aimée de l’homme, mais adultère, comme Dieu aime les fils d’Israël » (III,1).<br />

« Tous ils flambent dans l’adultère, comme un four, allumé par le boulanger, qui cesse de<br />

l’allumer quand il pétrit la pâte et elle lève » (VII, 4).<br />

C’est justement après cette citation que Claudel ajouta sa remarque, qui découvre la conception<br />

du péché dans <strong>Le</strong> Soulier de satin « : « Il faut que le mal même ait le temps d’accomplir toute son<br />

œuvre » 117 .<br />

C’est dans le Livre d’Osée où la prophétie sur la femme infidèle raconte en d’autres mots<br />

l’infidélité d’Israël au Seigneur, que Claudel, sans aucun doute, puisa l’idée précise de son histoire de « la<br />

femme infidèle » dona Prouhèze et de son amant don Rodrigue : « Car leur mère agit dans l’erreur, et se<br />

compromit en les concevant, car elle dit : ...j’irai chercher mes amants qui me donnent le pain et l’eau, la laine et<br />

le lin, l’huile et la boisson. / Pour cela voici que Je barrerai sa route par des bornes et l’entourerai de clôture<br />

et elle trouvera ses sentiers et poursuivra ses amants, mais elle ne les atteindra pas ; et elle les cherchera,<br />

mais elle ne les trouvera pas et dira : je partirai et je reviendrai à mon premier époux, car alors c’était mieux pour<br />

moi que maintenant. »<br />

Dans l’action du Soulier de satin cette prophétie est réalisée non seulement textuellement, mais<br />

aussi dans le décor et dans les mouvements des personnages. Dans la scène 12 de la Première journée<br />

apparaît sur la scène Dona Prouhèze, qui a quitté son époux et s’est lancée à la poursuite de son amant,<br />

don Rodrigue. Elle se prépare à passer un « ravin profond... plein de ronces, de lianes et d’arbustes<br />

entremêlés » au bord duquel l’attend l’Ange gardien. Il dit, s’adressant au public – aux témoins des<br />

événements en cours : « Regardez-la qui se démène au milieu des épines et des lianes entremêlées,<br />

glissant, rampant, se rattrapant, des ongles et des genoux essayant de gravir cette pente abrupte ! et ce<br />

qu’il y a dans ce cœur désespéré ! » 118<br />

Dans cette scène chaque pas de Dona Prouhèze, qui se hâte vers son amour interdit, est rendu<br />

difficile par un obstacle visible, matérialisé dans la scénographie, mais c’est en même temps aussi un<br />

obstacle invisible, établi sur sa route par une puissance supérieure. En revanche quand elle atteint enfin<br />

Rodrigue gravement blessé dans le château de sa mère, elle ne pourra le voir, puisque la Providence<br />

« l’entourera de barrière ».<br />

« Tous deux séparés par d’épais murs parcourent en vain pour essayer de se rejoindre les<br />

escaliers du délire » 119 (scène 2 de la deuxième journée).<br />

Ainsi sans avoir pu voir Rodrigue, obéissant à son devoir d’époux, Prouhèze sera forcée de<br />

revenir à son mari. Dans le drame de Claudel, l’héroïne cherche non pas l’ordinaire « bonheur » humain,<br />

mais « à la place d’une tentation une tentation plus grande » que lui présente son époux : « un château<br />

que le Roi vous donné à tenir jusqu’à la mort [...] Prouhèze : un devoir à la mesure de votre vie. Il faut<br />

plutôt mourir que d’en rendre les clefs » 120 .<br />

<strong>Le</strong> thème de la trahison de l’amour au nom d’un devoir plus haut, également très important<br />

pour Claudel (L’Annonce faite à Marie, L’Otage), acquiert dans l’intrigue du Soulier de satin une nouvelle<br />

résonance. <strong>Le</strong> motif du second mariage de Dona Prouhèze avec don Camille, qui lui est odieux comme<br />

116 P. Claudel, J 1, p. 417.<br />

117 P. Claudel, J 1, p. 418.<br />

118 P. Claudel, <strong>Le</strong> Soulier de satin, en Th 2, p. 714.<br />

119 P. Claudel, <strong>Le</strong> Soulier de satin, en Th 2, p. 732<br />

120 P. Claudel, <strong>Le</strong> Soulier de satin, en Th 2, p. 744.<br />

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